Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20080107

Dossiers : A-497-07 A-592-07

Référence : 2008 CAF 3

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF RICHARD

Dossier : A-497-07

AFFAIRE INTÉRESSANT un renvoi par le procureur général du Canada, en vertu des paragraphes 18.3(2) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de questions portant sur la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une loi fédérale ou de ses textes d'application soulevées à l’occasion d’une instance devant le Conseil canadien des relations industrielles

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

DEMANDE FONDÉE SUR LE PARAGRAPHE 18.3(2) DE LA

 LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES

 

Dossier : A-592-07

 

AFFAIRE INTÉRESSANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

ENTRE :

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, CANADA;

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 500;

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 502;

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 514; INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 517

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA; BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS ASSOCIATION POUR LE COMPTE DE SES ENTREPRISES MEMBRES, NOTAMMENT DP WORLD (CANADA) INC., FRASER SURREY DOCKS LP, TSI TERMINAL SYSTEMS INC. ET CERESCORP COMPANY; SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SCFP; ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES ET ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

intimés

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), par téléconférence entre Ottawa, Vancouver et Montréal, le 7 janvier 2008.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2008.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                   LE JUGE EN CHEF RICHARD

 


 

 

 

Date : 20080107

Dossier : A-497-07

Référence : 2008 CAF 3

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF RICHARD

 

Dossier : A-497-07

AFFAIRE INTÉRESSANT un renvoi par le procureur général du Canada, en vertu des paragraphes 18.3(2) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de questions portant sur la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une loi fédérale ou de ses textes d'application soulevées à l’occasion d’une instance devant le Conseil canadien des relations industrielles

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

DEMANDE FONDÉE SUR LE PARAGRAPHE 18.3(2) DE LA

 LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES

Dossier : A-592-07

AFFAIRE INTÉRESSANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

ENTRE :

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, CANADA;

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 500;

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 502;

INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 514; INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, SECTION LOCALE 517

demandeurs

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA; BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS ASSOCIATION POUR LE COMPTE DE SES ENTREPRISES MEMBRES, NOTAMMENT DP WORLD (CANADA) INC., FRASER SURREY DOCKS LP, TSI TERMINAL SYSTEMS INC. ET CERESCORP COMPANY; SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SCFP; ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES ET ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE EN CHEF RICHARD

[1]               L’International Longshore and Warehouse Union, Canada (ILWU) et les sections locales 500, 502, 514 et 517 de l’International Longshore and Warehouse Union (les demandeurs) ont déposé une requête en date du 23 décembre 2007 visant l’obtention d’une ordonnance sursoyant, jusqu’au prononcé de la décision sur le renvoi, à l’application de la partie 5 du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS 12004-144 (le Règlement), pris en vertu de l’article 5 de la Loi sur la sûreté du transport maritime, L.C. 1994, ch. 40, aux ports de Vancouver et du fleuve Fraser et sursoyant à l’exécution de l’ordonnance rendue le 20 décembre 2007 par le Conseil canadien des relations industrielles dans le dossier 26503-C (l’ordonnance du CCRI) jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[2]               Le procureur général du Canada et la British Columbia Maritime Employment Association s’opposent aux mesures provisoires demandées par les demandeurs.

 

[3]               L’Administration portuaire de Vancouver a indiqué qu’elle :

[traduction]

a)      s’abstient de prendre position relativement à la demande de sursis d’application de la partie 5 du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144 (le Règlement), puisque l’activité de l’APVF se poursuivra sans modification, qu’il y ait sursis ou non, étant donné que les employés possèdent les habilitations de sécurité en matière de transports (HST) prévues à la partie 5 du Règlement.

b)      s’abstient de prendre position relativement à la demande de sursis d’exécution de l’ordonnance rendue le 20 décembre 2007 par le Conseil canadien des relations industrielles dans le dossier no 25305‑C [sic] (l’ordonnance du CCRI).

 

[4]               L’Administration portuaire a cependant fait valoir ce qui suit :

[traduction]

Toutefois, l’APVF désire attirer l’attention de la Cour sur les faits suivants pour le cas où la Cour examinerait la prépondérance des inconvénients afin de déterminer s’il convient de surseoir à l’application du Règlement ou à l’exécution de l’ordonnance du CCRI, en particulier si la Cour envisage de ne pas surseoir à l’application du Règlement mais de surseoir à l’exécution de l’ordonnance du CCRI, auquel cas il existerait, selon l’APVF, un risque véritable de préjudice pour l’APVF et pour l’économie de Vancouver et du Canada.

 

S’il est sursis à l’exécution de l’ordonnance du CCRI, il semble certain que les employés des exploitants de terminaux qui sont également membres des syndicats demandeurs ne demanderont pas les HST prévues par le Règlement.

 

Si la pénurie d’employés membres des syndicats demandeurs qui détiennent une HST oblige les exploitants de terminaux de conteneurs et de navires de croisières à interrompre leur activité, il appert des éléments de preuve soumis par l’APVF que cette interruption aura probablement de graves conséquences économiques pour le Port et qu’elle entachera sa réputation internationale, ce qui entraînera d’autres répercussions néfastes pour le Port et pour l’économie canadienne.

 

[5]               Cette requête, accompagnée d’un dossier de requête unique, a été déposée dans les instances no A-497-07 et A-592-07. Bien que ces instances n’aient pas été réunies pour l’audition des requêtes, il n’y aura qu’un seul énoncé de motifs.

 

[6]               Il convient de signaler, dès le départ, que les faits importants ne sont pas réellement contestés par les parties.

 

[7]               Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a été saisi de cette affaire par la British Columbia Maritime Employers' Association (BCMEA), laquelle lui demandait de déclarer une grève illégale, sous le régime de l’article 91 du Code canadien du travail (le Code), par suite du refus concerté d’employés désignés, représentés par l’ILWU, de demander les habilitations de sécurité prévues par la partie 5 du Règlement, laquelle exige que les employés désignés occupant certains postes névralgiques pour la sécurité aient obtenu une HST à la date de mise en œuvre. Cette date, qui était initialement le 15 décembre 2007, a ensuite été fixée au 20 février 2008.

 

[8]               Dans la décision qu’il a rendue le 22 décembre 2007 (dossier no 26503-C), le CCRI a accueilli le recours, confirmant qu’il y avait eu grève illégale lorsque l’ILWU avait recommandé par écrit aux employés en cause de ne pas demander l’habilitation de sécurité qu’ils étaient tenus de posséder à la date de mise en œuvre et que les employés avaient refusé de concert de demander les habilitations. L’ordonnance du CCRI ne devait prendre effet que le 8 janvier 2008 afin de ménager aux parties le temps d’examiner les suites judiciaires à donner à cette décision.

 

[9]               Le CCRI a reconnu, dans sa décision, que rien dans le texte du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales n’indique que le dépôt d’un renvoi a de facto un effet suspensif d’instance, mais il a conclu que les questions faisant l’objet du renvoi déposé devant la Cour d’appel fédérale par le procureur général du Canada devaient être entendues et décidées par cette Cour. Il a toutefois décidé de poursuivre l’instruction de la demande relative à la déclaration d’illégalité de la grève.

 

[10]           Le 31 décembre 2007, les demandeurs ont également déposé une demande de contrôle judiciaire, alléguant que le CCRI avait commis les erreurs suivantes :

[traduction]

a.       il n’a pas assuré une instruction équitable aux demandeurs;

b.      l’instruction a contrevenu aux principes de justice naturelle;

c.       il n’a pas permis aux demandeurs de présenter des éléments de preuve;

d.      il n’a pas permis aux demandeurs de contre‑interroger des témoins;

e.       il a conclu que les demandeurs prenaient part à une grève illégale sans preuve d’atteinte concrète aux activités des défendeurs;

f.        il n’a pas ajourné l’instance jusqu’à l’issue du renvoi par le procureur général du Canada, en vertu des paragraphes 18.3(2) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de questions portant sur la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, de la Loi sur la sûreté du transport maritime, L.C. 1994, ch. 40 (la Loi), et du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/12004‑144 (le Règlement) (le renvoi);

g.       il a conclu que le refus collectif de remplir le formulaire du Programme d'habilitation de sécurité en matière de transport maritime (PHSTM) constituait une grève;

h.       il a rendu une ordonnance sans prendre en considération le préjudice irréparable causé aux demandeurs;

i.          il a rendu une ordonnance sans permettre aux demandeurs de présenter leur défense.

 

[11]           Le vendredi 4 janvier 2008, toutes les parties avaient produit leur dossier de requête et, conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 31 décembre 2007, la requête a été entendue par téléconférence entre Ottawa, Vancouver et Montréal, le 7 janvier 2008.

 

[12]           La Cour a déterminé que le renvoi du procureur général du Canada fondé sur le paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales ferait l’objet d’une instruction accélérée.

 

[13]           Les syndicats ont combiné les requêtes en sursis déposées dans l’instance relative au renvoi et dans l’instance relative au contrôle judiciaire et, dans leur exposé des faits et du droit, ils ont traité ces requêtes distinctes comme si elles n’en formaient qu’une seule.

 

[14]           La BCMEA soutient que la Cour d’appel fédérale n’a pas compétence pour ordonner un sursis d’exécution à l’égard d’une ordonnance du CCRI dans le cadre d’une requête afférente à un renvoi et que c’est dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qu’il convient d’entendre la requête en sursis.

 

[15]           J’ai indiqué à l’audience que je considérerais la Cour comme régulièrement saisie de la requête puisque les demandeurs ont fait état du renvoi du procureur général et de l’ordonnance du CCRI dans leur demande de contrôle judiciaire.

 

[16]           Dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a élaboré un critère en trois volets servant à déterminer s’il y a lieu d’accueillir une demande de sursis. Les demandeurs doivent démontrer : 1) qu’il existe une question sérieuse à juger, 2) qu’ils subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et 3) que la prépondérence des intérêts favorise l’octroi du sursis.

 

[17]           Les demandeurs doivent satisfaire à chacun des volets du critère, et l’analyse doit suivre la chronologie prévue. Les demandeurs doivent donc prouver d’abord qu’il existe une question sérieuse à juger. Ils doivent ensuite faire la preuve du préjudice irréparable. L’examen de la prépondérance des inconvénients n’intervient que si ces deux démonstrations ont été faites.

 

[18]           Je conclus, pour les motifs qui seront exposés ci‑dessous, que les demandeurs n’ont pas satisfait aux trois volets du critère applicable en matière d’octroi de mesures provisoires.

 

[19]           Le volet de la question sérieuse à juger n’est pas très exigeant. Sans exprimer d’opinion sur les chances de succès des motifs invoqués par les demandeurs, j’estime qu’ils ne sont ni vexatoires ni frivoles.

 

[20]           Par conséquent, il y a lieu de passer à l’examen des deuxième et troisième volets du critère.

 

[21]           Le deuxième volet est celui du préjudice irréparable. Cette étape de l’analyse requiert uniquement de déterminer si le refus du recours demandé pourrait être si défavorable à l'intérêt du demandeur que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire (RJR-MacDonald Inc., précité, au par. 58).

 

[22]           Les demandeurs doivent en outre prouver qu’un préjudice effectif leur sera causé si le sursis n’est pas accordé. Un préjudice hypothétique ou conjectural ne suffit pas.

 

[23]           Les syndicats allèguent qu’ils subiront un préjudice irréparable s’ils n’obtiennent pas d’exemption constitutionnelle provisoire les dispensant de se conformer au Règlement et s’il n’est pas sursis provisoirement à l’exécution de l’ordonnance du CCRI, mais ils n’ont pour ainsi dire présenté aucun élément de preuve indiquant en quoi consisterait exactement le préjudice ou, fait plus important, quelles seraient, pour leurs membres, les répercussions concrètes, autres que financières, qui ne pourraient être compensées par l’attribution de dommages‑intérêts.

 

[24]           Beaucoup des arguments invoqués au sujet du préjudice irréparable ne sont que des suppositions sur ce qui pourrait arriver aux membres si les sursis ne sont pas accordés (p. ex. des membres « pourraient » se voir imposer des mesures disciplinaires ou perdre leur emploi ou les renseignements obtenus « pourraient » être divulgués à des gouvernements étrangers par le ministre (ILWU Canada, par. 47 et 48).

 

[25]           Dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, notre Cour a confirmé sans équivoque que le préjudice irréparable dont la preuve doit être faite n’est pas conjectural, mais qu’il doit s’agir d’un préjudice qui « se produira », lorsqu’elle a indiqué (au par. 12) :

[...] le fait qu'un préjudice irréparable pourrait survenir n'établit pas un préjudice irréparable. Les intimés devaient prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l'exécution du subpoena délivré au nom du Commissaire donnerait lieu à un préjudice irréparable (Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., 1987 CanLII 79 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 110, au par. 35). Le préjudice présumé ne peut pas être spéculatif ni hypothétique (Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc., [1990] 1 C.F. 221 (C.A.)). [Je souligne.]

 

[26]           Les syndicats font état d’une atteinte déraisonnable à la vie privée. Notre Cour a clairement indiqué que, pour démontrer l’existence d’un préjudice irréparable conformément au critère tripartite de l’arrêt RJR-MacDonald, il n’est pas suffisant de simplement affirmer de la sorte qu’il y a inconstitutionnalité (notamment une atteinte à la vie privée contraire à l’article 8 de la Charte) (Groupe Archambault Inc. c. CMRRA/SODRAC Inc., 2005 CAF 330, au par. 16).

 

[27]           Le procureur général du Canada a déposé un affidavit souscrit par Laureen Kinney, directrice générale de la sûreté maritime à Transports Canada, dans lequel cette dernière indique qu’elle travaille dans le domaine de la sûreté en matière de transports pour ce ministère depuis mai 2004 et qu’elle occupe le poste susmentionné depuis mai 2006.

 

[28]           Elle déclare que le Programme d'habilitation de sécurité en matière de transport maritime (le programme) vise à améliorer la sûreté maritime et portuaire en rendant obligatoire la vérification des antécédents des travailleurs ayant accès à des zones réglementées ou exécutant des fonctions pouvant avoir des incidences sur la sûreté d’installations maritimes. À Vancouver, moins de 20 p. 100 des travailleurs devraient avoir besoin d’une habilitation de sécurité.

 

[29]           La mise en œuvre du programme est terminée dans les ports de Halifax et de Montréal ainsi que dans les centres de contrôle de la voie maritime du Saint‑Laurent et elle s’est faite avec la collaboration des syndicats et autres intéressés. Au 28 décembre 2007, 2 575 travailleurs de ces ports et de la voie maritime avaient soumis une demande d’habilitation de sécurité et 2 291 habilitations avaient déjà été délivrées, les autres demandes étant encore en traitement.

 

[30]           Plus de 1 400 travailleurs des ports de Vancouver ont présenté une demande d’habilitation de sécurité; plus de 1 300 habilitations ont été délivrées et il reste moins de 100 demandes en cours d’examen. Les demandes reçues jusqu’à présent émanent autant de travailleurs syndiqués que de travailleurs non syndiqués, mais seuls des employés de l’Administration portuaire de Vancouver appartenant à la Section locale 517 de l’International Longshore and Warehouse Union ont soumis une demande.

 

[31]           Le Règlement prévoit des mesures visant à protéger les renseignements inscrits dans la demande d’habilitation et les documents qui y sont joints.

 

[32]           Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve indiquant qu’une atteinte à la vie privée soit survenue dans le cadre du processus d’habilitation de sécurité.

 

[33]           Les demandeurs n’ont pas prouvé que le refus du sursis leur causera un préjudice irréparable en raison de potentielles atteintes à la vie privée. Il ne suffit pas de simplement alléguer des violations conjecturales de la vie privée ou de la Charte pour établir l’existence d’un préjudice irréparable.

 

[34]           Enfin, il est pertinent de signaler, en ce qui concerne l’argument du préjudice irréparable, que des membres d’un des syndicats demandeurs, la Section locale 517 de l’ILWU, ont demandé l’habilitation de sécurité avec l’appui de leur syndicat.

 

[35]           Je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils subiront un préjudice irréparable si le sursis est refusé. Ils n’ont pas satisfait non plus au troisième volet du critère, à savoir la prépondérance des inconvénients.

 

[36]           À cette étape de l’analyse requise par le critère, la Cour doit déterminer laquelle des deux parties sera le plus désavantagée par la décision d’accorder ou de refuser un sursis jusqu’à l’issue de la demande de contrôle judiciaire : RJR-MacDonald, précité, au par. 62.

 

[37]           La BCMEA affirme que les sociétés membres de l’Association subiront un préjudice irréparable si le sursis est accordé.

 

[38]           Le dossier de requête qu’elle a déposé renferme des affidavits à l’appui des allégations de fait suivantes :

a)        des travailleurs syndiqués des ports de Montréal et de Halifax ont demandé une habilitation de sécurité sous le régime du PHSTM, et des employés syndiqués de l’Administration portuaire de Vancouver, représentés par la Section locale 517, demanderesse en l’instance, ont été autorisés par leur syndicat à présenter une demande d’habilitation de sécurité et ont soumis une telle demande;

b)        il est impératif que les membres de l’ILWU qui doivent obtenir une habilitation de sécurité aux termes du PHSTM en fassent la demande lorsque l’ordonnance du CCRI prendra effet le 8 janvier 2008, afin que les demandes puissent être traitées et les habilitations puissent être délivrées avant le 20 février 2008;

c)        environ 750 membres de l’ILWU seront tenus d’avoir une habilitation de sécurité le 20 février 2008. Les sociétés membres de la BCMEA touchées (les sociétés membres) exploitent des terminaux de conteneurs dans les ports de Vancouver et du fleuve Fraser ainsi que le terminal de navires de croisière du port de Vancouver;

d)        le ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités a approuvé, en application du Règlement, toutes les désignations de postes et de fonctions nécessitant une habilitation de sécurité que les sociétés membres ont faites, en approuvant les plans de sûreté déposés par ces dernières conformément au Règlement;

e)        si les habilitations de sécurité ne sont pas délivrées avant le 20 février 2008 aux employés membres de l’ILWU qui doivent les avoir, les sociétés membres seront incapables d’exploiter leur entreprise en se conformant au Règlement, ce qui aura pour elles de graves incidences au plan financier et au plan de la réputation et pourra engendrer une importante perte permanente de clientèle; toutes ces conséquences constituent un préjudice irréparable. Les ports de Vancouver et du fleuve Fraser, l’économie de la Colombie‑Britannique et les entreprises qui dépendent de l’activité des terminaux de conteneurs et de l’industrie des croisières en subiront de graves répercussions négatives.

 

[39]           Mme Kinney a exprimé, dans son affidavit, l’opinion que le Canada accuserait un retard par rapport à d’importants partenaires commerciaux, si le programme n’était pas mis en œuvre à Vancouver selon l’échéancier prévu. Si le retard perdure, le port de Vancouver et l’économie canadienne pourraient subir un préjudice irréparable.

 

[40]           La Cour suprême du Canada a statué que, s’agissant de l’examen de la prépondérance des inconvénients dans des affaires de sursis en matière constitutionnelle, l’intérêt public constitue un facteur spécial qui doit être pris en considération : Manitoba (PG) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.

 

[41]           À cette étape, chaque partie peut invoquer des points d’intérêt public. L’intérêt public s’entend à la fois des intérêts de l'ensemble de la société et des intérêts particuliers de groupes identifiables : RJR-MacDonald, précité, au par. 66.

 

[42]           Les demandeurs veulent faire surseoir à l’application d’un règlement validement pris, qui a notamment pour but de réduire les menaces terroristes auxquelles la population est actuellement confrontée.

 

[43]           Comme la Cour suprême du Canada l’a exposé dans Harper c. Canada (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 764 (au par. 9) :

[...] Il s’ensuit qu’en évaluant la prépondérance des inconvénients le juge saisi de la requête doit tenir pour acquis que la mesure législative [...] a été adoptée pour le bien du public et qu’elle sert un objectif d’intérêt général valable.  Cela s’applique aux violations du droit à la liberté d’expression garanti par l’al. 2b); d’ailleurs, il était question d’une violation de l’al. 2b) dans l’arrêt RJR—MacDonald.  La présomption que l’intérêt public demande l’application de la loi joue un grand rôle.  Les tribunaux n’ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien du public soient inopérantes avant d’avoir fait l’objet d’un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile.  Il s’ensuit que les injonctions interlocutoires interdisant l’application d’une mesure législative dont on conteste la constitutionnalité ne seront délivrées que dans les cas manifestes.

 

[44]           En l’espèce, le Règlement a pour objet la sécurité publique et la promotion de l’intérêt public. Il a été pris par le gouverneur en conseil en application de l’article 5 de la Loi sur la sûreté du transport maritime, lequel prévoit notamment ce qui suit :

5.(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir la sûreté du transport maritime et notamment :

a)      viser à prévenir les atteintes illicites au transport maritime et, lorsque de telles atteintes surviennent ou risquent de survenir, faire en sorte que des mesures efficaces soient prises pour y parer;

b)      exiger ou autoriser un contrôle pour la sécurité des personnes, des biens, des bâtiments et des installations maritimes;

 

[45]           De plus, le but visé par le Programme d'habilitation de sécurité en matière de transport maritime (PHSTM) était clairement exposé dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagnait la publication du Règlement au no 23, vol. 140 de la Gazette du Canada, Partie II : « [l]e but du PHSTM est de renforcer la sûreté du réseau de transport maritime, pour le bien du public, des passagers, des travailleurs de l’industrie maritime et des exploitants de bâtiments, de ports et d’installations maritimes ».

 

[46]           L’objectif d’intérêt public sous-jacent du Règlement est indéniable.

 

[47]           En conséquence, la prépondérance des inconvénients – troisième volet du critère tripartite – ne favorise pas l’octroi du sursis demandé, et l’intérêt public favorise son refus.

 

[48]           Les requêtes pour obtention de mesures préliminaires sont donc rejetées.

 

 

« J. Richard »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                    A-497-07 et A-592-07

 

INTITULÉ :                                                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA –DEMANDE FONDÉE SUR LE PAR. 18.3(2) DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES (A‑497‑07)

 

                                                                        INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION, CANADA et al. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et al. (A‑592‑07)

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA, VANCOUVER ET MONTRÉAL, LE 7 JANVIER 2008.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 janvier 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Craig Bavis

 

POUR LES DEMANDEURS INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION CANADA (Sections locales 500, 502 et 517)

 

William Clements

 

POUR LE DEMANDEUR INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION (Section locale 514)

 

Lorne Lachance

Lisa Riddle

 

POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Tom Roper, c.r.

Graeme M. McFarlane, Alissa McPherson

 

POUR LA DÉFENDERESSE THE BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS' ASSOCIATION

 

David Edinger

 

POUR LA DÉFENDERESSE L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

 

Jacques Lamoureux

 

POUR LE DÉFENDEUR LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SCFP (Section locale 375)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Victory Square Law Office LLP, Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LES DEMANDEURS INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION CANADA (Sections locales 500, 502 et 517)

 

Fiorillo Glavin Gordon Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR INTERNATIONAL LONGSHORE AND WAREHOUSE UNION (Section locale 514)

 

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Roper Greyell LLP

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE THE BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS' ASSOCIATION

 

Heenan Blaikie

Vancouver (C.‑B.)

POUR LA DÉFENDERESSE L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

 

Lamoureux – Morin – Lamoureux

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR INTIMÉ LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SCFP (Section locale 375)

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.