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Date : 20080122

Dossier : A‑192‑07

Référence : 2008 CAF 22

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LA COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

appelante

et

LA COMPAGNIE DE BRASSAGE LABATT LIMITÉE

LAKEPORT BREWING COMPANY LIMITED

LAKEPORT BREWING LIMITED PARTNERSHIP

ROSETO INC.

TERESA CASCIOLI

intimées

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2008

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                     LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20080122

Dossier : A‑192‑07

Référence : 2008 CAF 22

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LA COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

appelante

et

LA COMPAGNIE DE BRASSAGE LABATT LIMITÉE

LAKEPORT BREWING COMPANY LIMITED

LAKEPORT BREWING LIMITED PARTNERSHIP

ROSETO INC.

TERESA CASCIOLI

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2008)

LA JUGE SHARLOW

[1]               La commissaire de la concurrence fait appel de l’ordonnance rendue le 28 mars 2007 par le juge Phelan, qui a siégé comme juge président du Tribunal de la concurrence. Ses motifs ont été rendus le 30 mars 2007 (2007 Trib. de la conc. 9). Dans l’ordonnance frappée d’appel, le juge Phelan a rejeté la demande de la commissaire visant l’obtention d’une ordonnance provisoire en vertu de l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C‑34, relativement à ce qui était alors le projet d’acquisition par la compagnie de brassage Labatt Limitée de la totalité des parts en circulation de Lakeport Brewing Income Fund.

 

Caractère théorique

[2]               L’acquisition a eu lieu le 29 mars 2007, rendant l’appel théorique. La commissaire estime que l’appel devrait être entendu en dépit de son caractère théorique. Les intimés s’y opposent.

 

[3]               Comme nous l’avons dit au début de l’audience, nous avons conclu que l’appel devrait être entendu malgré son caractère théorique parce qu’il soulève une question de droit qui risque de se présenter à nouveau et qu’en raison des délais associés à la décision d’accueillir ou de rejeter une demande présentée en vertu de l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence, de telles décisions échappent généralement à l’examen en appel (Air Canada c. Canada (Commissaire de la concurrence)(C.A.), [2002] 4 C.F. 598, par. 21; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 364).

 

Norme de contrôle

[4]               La décision d’accorder ou de refuser une ordonnance provisoire fondée sur l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence est une décision discrétionnaire. La Cour ne modifiera pas une décision discrétionnaire à moins que celle‑ci ne repose sur une erreur de droit ou que le pouvoir discrétionnaire ait été exercé de façon erronée, à savoir qu’on n’a pas accordé d’importance, ou pas suffisamment d’importance, à des facteurs pertinents ou qu’on a pris en considération des facteurs non pertinents : voir Elders Grain Co. c. Ralph Misener (The) (C.A.), [2005] 3 R.C.F. 367, par. 13.

 

[5]               Selon la commissaire, l’ordonnance frappée d’appel repose sur une interprétation erronée de l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence. Il s’agit d’une question de droit pour laquelle la norme de contrôle est celle de la décision correcte : voir Air Canada c. Canada (Commissaire de la concurrence) (C.A.), [2002] 4 C.F. 598, par. 43; Canada (Commissaire de la concurrence) c. Superior Propane Inc. (C.A.), [2001] 3 C.F. 185, par. 88; et Canada (Commissaire de la concurrence) c. Canada Pipe Co. (C.A.), [2007] 2 R.F.C. 3, par. 34.

 

Les faits

[6]               Les faits essentiels ne sont pas contestés. Labatt et Lakeport sont deux entreprises de brassage et de vente de bière. Avant les événements qui ont donné lieu à la présente affaire, elles étaient des concurrentes. Le 1er février 2007, Labatt a annoncé son intention d’acquérir toutes les parts en circulation de Lakeport. Peu après, la commissaire a commencé à s’interroger sur les conséquences de l’acquisition proposée sur la concurrence.

 

[7]               Le 12 février 2007, Labatt et Lakeport ont remis à la commissaire un grand nombre de renseignements conformément à l’article 114 de la Loi sur la concurrence et de l’article 17 du Règlement sur les transactions devant faire l’objet d’un avis (DORS/87‑348). En vertu de l’alinéa 123(1)b) de la Loi sur la concurrence et des dispositions réglementaires applicables en matière de valeurs mobilières, l’acquisition proposée n’aurait pas pu être terminée avant le 29 mars 2007.

 

[8]               Après examen des renseignements fournis par les parties, la commissaire a conclu qu’il y avait lieu de démarrer une enquête sur l’acquisition proposée, en application de l’alinéa 10(1)b) de la Loi sur la concurrence. L’objet de l’enquête était de déterminer si une demande au Tribunal de la concurrence fondée sur l’article 92 était justifiée. L’enquête de la commissaire a commencé le 15 février 2007.

 

[9]               Le 21 mars 2007, la commissaire a conclu qu’elle avait besoin de plus de temps pour achever l’enquête. C’est ce jour‑là qu’elle a demandé une ordonnance provisoire sur le fondement de l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence pour interdire aux intimés de conclure l’acquisition ou de prendre des mesures en vue de la conclusion de cette acquisition.

 

Analyse

[10]           Trois conditions doivent être remplies pour qu’une ordonnance provisoire soit accordée en vertu de l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence :

 

1.      La commissaire doit attester de la tenue de l’enquête prévue à l’alinéa 10(1)b) de la Loi sur la concurrence au sujet de la transaction proposée.

2.      La commissaire doit être d’avis qu’elle a besoin d’un délai supplémentaire pour achever son enquête.

3.      Le Tribunal doit être convaincu qu’une personne posera vraisemblablement, en l’absence de l’ordonnance provisoire, des gestes qui, parce qu’ils seraient alors difficiles à contrer, auraient pour effet de réduire sensiblement l’aptitude du Tribunal à rendre une ordonnance en vertu de l’article 92 pour remédier à l’influence de la transaction proposée.

 

[11]           Il n’est pas contesté que les deux premières conditions sont remplies. Seule la troisième est en cause en l’espèce.

 

[12]           La version actuelle de l’alinéa 100(1)a) de la Loi sur la concurrence a été adoptée en 1999. Selon la disposition antérieure, la commissaire devait convaincre le Tribunal de la concurrence que la transaction proposée aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Cette exigence a disparu avec l’adoption de la version actuelle de la disposition. La commissaire fait valoir que, dans la présente affaire, le juge Phelan a interprété et appliqué l’alinéa 100(1)a) comme si l’exigence antérieure existait toujours.

 

[13]           Après examen attentif des motifs de l’ordonnance faisant l’objet de l’appel et des observations de la commissaire, nous sommes tous d’avis que la prétention de la commissaire n’est pas fondée.

 

[14]           Il est manifeste que le juge Phelan connaissait la modification apportée en 1999 à l’alinéa 100(1)a) de même que son objet et ses conséquences. Cela est évident à la lecture des paragraphes 9 à 13 de ses motifs. La commissaire s’est cependant attachée aux paragraphes 48, 49 et 63 des motifs du juge Phelan, rédigés comme suit (non souligné dans l’original) :

 

48. La commissaire doit prouver que la réduction de l’aptitude du Tribunal à remédier à l’influence du fusionnement est importante. La nature et le degré de la preuve seront dictés par les circonstances de l’affaire, mais il ne suffit pas de dire que les conditions qui existaient avant le fusionnement ne peuvent être rétablies ou compensées. La commissaire doit prouver qu’en l’absence d’une ordonnance, les réparations que le Tribunal peut accorder après le fusionnement ne permettraient pas d’éliminer la diminution sensible de la concurrence. 

 

49. Eu égard à la preuve dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu que la commissaire s’est acquittée de ce fardeau. Une bonne partie de la preuve présentée au Tribunal portait sur la question de savoir si l’entente de séparation d’actifs proposée par les défenderesses était appropriée ou adéquate. Pour les raisons expliquées plus loin, il faut évaluer le fusionnement au regard de l’alinéa 100(1)a) sans tenir compte de cette entente à laquelle la commissaire refuse de participer, alors que cette participation est essentielle.

[…]

63. La commissaire a soutenu que, si les parties sont autorisées à aller de l’avant avec l’acquisition, le Tribunal se privera de la possibilité ultérieure, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 92, d’ordonner aux parties de ne pas fusionner. Toutefois, la commissaire n’a pas prouvé en quoi l’absence de cette réparation réduirait sensiblement l’aptitude du Tribunal à remédier à l’influence du fusionnement sur la concurrence, si un empêchement ou une diminution sensible de celle‑ci était établi. En d’autres termes, la commissaire n’a pas prouvé que l’acquisition empêchait le Tribunal d’accorder des réparations qui pourraient être suffisantes pour remédier à la diminution sensible de la concurrence et que l’aptitude du Tribunal était sensiblement réduite par la perte de la possibilité d’interdire le fusionnement.

 

[15]           Selon la commissaire, le juge Phelan a tout simplement reformulé l’alinéa 100(1)a) de façon à rétablir, comme condition pour l’obtention d’une ordonnance provisoire, l’exigence selon laquelle la commissaire doit établir les détails de la diminution sensible de la concurrence qu’elle anticipe ainsi que les réparations qui seraient nécessaire pour empêcher cette diminution.

 

[16]           De son côté, la commissaire propose une interprétation de l’alinéa 100(1)a) qui permettrait d’obtenir une ordonnance provisoire presque automatiquement pourvu que le commissaire ait entamé l’enquête et estime avoir besoin d’un délai supplémentaire pour déterminer s’il convient de déposer une demande en vertu de l’article 92 pour stopper la transaction proposée. Selon elle, la seule limite imposée à l’obtention d’une ordonnance provisoire dans un tel cas serait le pouvoir discrétionnaire résiduel du Tribunal de rejeter une demande d’ordonnance dans le cas où le commissaire aurait manifestement agi de façon déraisonnable ou de mauvaise foi ou si la demande constituait un abus de procédure. Nous ne sommes pas d’accord pour dire que le Parlement avait l’intention de limiter à ce point le rôle du Tribunal.

 

[17]           Nous ne sommes pas non plus d’accord avec l’interprétation que fait la commissaire des remarques du juge Phelan reproduites ci‑dessus. À notre avis, le juge expliquait à bon droit que, pour déterminer si la troisième condition nécessaire pour l’octroi de l’ordonnance est remplie, le Tribunal doit tenir compte de l’efficacité des réparations prévues à l’article 92 en l’absence de l’ordonnance provisoire, en supposant que l’on a conclu que la transaction proposée empêcherait ou diminuerait la concurrence. Compte tenu des faits de l’espèce, cela supposait nécessairement que l’on comprenne la nature de la diminution éventuelle de la concurrence qui a déclenché l’enquête, les réparations qui pourraient être demandées par la commissaire si l’enquête donnait lieu à une demande en vertu de l’article 92, les mesures qu’il y aurait lieu d’interdire, les mesures nécessaires pour renverser la situation et l’efficacité éventuelle des réparations possibles en vertu de l’article 92 avec ou sans ordonnance provisoire.

 

[18]           Selon notre interprétation des motifs du juge Phelan, il n’a pas rejeté la demande d’ordonnance provisoire parce qu’il a estimé que la commissaire n’avait pas prouvé que la transaction proposée aurait vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Il a plutôt conclu que la demande de la commissaire visant l’obtention d’une ordonnance provisoire était insuffisante parce qu’elle ne prouvait pas que les pouvoirs réparateurs du Tribunal prévus à l’article 92 seraient sensiblement réduits en l’absence d’une ordonnance provisoire. Cette conclusion n’était pas erronée en droit, et il était loisible au juge de conclure en ce sens compte tenu de la preuve dont il était saisi.

 

[19]           L’appel sera rejeté avec dépens.

 

                                                                                                                  « K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                             A‑192‑07

 

INTITULÉ :                                                           LA COMMISSAIRE DE LA ONCURRENCE

                                                                                                                                                        ET

LA COMPAGNIE DE BRASSAGE LABATT LIMITÉE

LAKEPORT BREWING COMPANY LIMITED

LAKEPORT BREWING LIMITED PARTNERSHIP

                                                                                ROSETO INC.

                                                                                TERESA CASCIOLI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 22 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR          LE JUGE EN CHEF RICHARD ET

                                                                                LES JUGES NOËL ET SHARLOW

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :               LA JUGE SHARLOW

 

 

COMPARUTIONS :

 

J.F. Rook, c.r.

J. Syme

R. Levine

 

POUR L’APPELANTE

 

N. Finkelstein

B.A. Facey

C. Beagan Flood

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ministère de la Justice

Division du droit de la concurrence

Gatineau (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Blake, Cassels & Graydon, LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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