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                                                                                                                                 Date : 20080201

Dossier : A-551-06

Référence : 2008 CAF 39

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON               

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

JEFFREY P. WYNDOWE

(Psychiatric Assessment Services Inc.)

appelant

(défendeur)

et

JACQUES ROUSSEAU

intimé

(demandeur)

et

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 janvier 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE DÉCARY

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL


 

                                                                                                                                 Date : 20080201

Dossier : A-551-06

Référence : 2008 CAF 39

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON               

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

JEFFREY P. WYNDOWE

(Psychiatric Assessment Services Inc.)

appelant

(défendeur)

et

JACQUES ROUSSEAU

intimé

(demandeur)

et

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]               Le présent appel soulève la question suivante : les notes manuscrites rédigées par un médecin au cours de l’examen médical indépendant d’un assuré effectué en Ontario par ce médecin à la demande d’une compagnie d’assurance constituent-elles des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE)? Si la réponse à cette question est affirmative, l’assuré a le droit d’avoir accès aux notes en question.

 

Contexte

[2]               M. Rousseau (l’assuré) touchait des prestations d’invalidité de longue durée de Maritime Life (l’assureur). Aux termes de la police d’assurance, Maritime Life avait le droit d’exiger que M. Rousseau se soumette à un examen médical indépendant. Un différend a surgi au sujet du droit de M. Rousseau de continuer à recevoir ses prestations. Maritime Life a retenu les services du docteur Wyndowe (par l’entremise de sa société, Psychiatric Assessment Services Inc.) pour faire subir un examen médical indépendant à M. Rousseau. Le docteur Wyndowe a expliqué l’objet et la nature de l’examen exigé par l’assureur à M. Rousseau, qui a signé le formulaire 14 par lequel il consentait à ce que le rapport du médecin soit communiqué à l’assureur.

 

[3]               Après avoir effectué l’examen médical indépendant, le docteur Wyndowe a envoyé un rapport écrit officiel à Maritime Life. Une copie de ce rapport a par la suite été transmise à M. Rousseau, à sa demande, par Maritime Life. M. Rousseau a également réclamé une copie intégrale du dossier du docteur Wyndowe. Ce dossier n’était constitué que des notes prises par le médecin au cours de son examen médical indépendant. Le docteur Wyndowe a refusé d’accorder l’accès aux notes. L’assureur, pour autant que nous le sachions, n’a pas eu accès aux notes.

 

[4]               Par la suite et en raison du rapport du médecin, Maritime Life a cessé de verser des prestations d’invalidité de longue durée à M. Rousseau.

 

[5]               M. Rousseau a déposé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada au sujet du refus du docteur Wyndome de lui communiquer ses notes. La commissaire a fait droit à la plainte et a recommandé que le docteur Wyndome communique ses notes à M. Rousseau. Le docteur Wyndome a refusé.

 

[6]               Conformément à l’article 14 de la LPRPDE, M. Rousseau a demandé à la Cour fédérale d’ordonner au docteur Wyndowe de lui communiquer ses notes. La Commissaire à la protection de la vie privée a obtenu l’autorisation, en vertu de l’alinéa 15c), d’être constituée codéfenderesse.

 

[7]               Le juge Teitelbaum a fait droit à la demande de M. Rousseau et a ordonné qu’on lui donne accès aux notes (2006 CF 1312).

 

[8]               D’où le présent appel.

 

Observations préliminaires

[9]               a)         Motivation de M. Rousseau

On nous a informés à l’audience qu’après avoir obtenu gain de cause devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, M. Rousseau a réglé son différend avec son assureur. Il cherche toutefois encore à obtenir l’accès aux notes. Il a le droit, en vertu de la LPRPDE, de poursuivre sa demande, indépendamment des mobiles qui l’ont poussé à réclamer ces renseignements (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CAF 270, au paragraphe 9). Il n’a formulé aucune observation dans le présent appel et c’est la Commissaire à la protection de la vie privée qui défend ses intérêts en l’espèce.

 

[10]           b)         Renseignements personnels en litige

Dans son mémoire et à l’audience, la Commissaire à la protection de la vie privée a reconnu qu’elle ne cherchait pas à obtenir l’accès à la totalité des notes prises par le docteur Wyndowe. Elle réclame plutôt le droit de consulter les parties des notes où sont consignées les réponses de M. Rousseau aux questions du docteur Wyndowe ainsi que les observations du docteur Wyndome au sujet du comportement de M. Rousseau. Cette précision n’avait pas été faite devant le juge Teitelbaum.

 

[11]           Les avocats des deux parties ont convenu que, si la Cour n’ordonne en fin de compte que la communication de certaines parties des notes, la Commissaire à la protection de la vie privée se chargerait du caviardage des notes avec l’entière collaboration de l’avocat de l’appelant.

 

[12]           c)         Exception prévue au paragraphe 9(3)

Devant la Cour fédérale, l’assureur a invoqué l'exception du « secret professionnel liant l'avocat à son client » (alinéa 9(3)a)) et l'exception relative aux renseignements fournis uniquement à l'occasion du règlement d'un différend (alinéa 9(3)d)). Le juge Teitelbaum a estimé que ces exceptions ne s’appliquaient pas. Cette conclusion n’a pas été portée en appel.

 

[13]           d)         Question constitutionnelle         

Malgré le fait que le docteur Wyndowe affirme dans son mémoire que la compétence législative générale sur la santé appartient aux provinces, sous réserve des pouvoirs accessoires ou des pouvoirs extraordinaires en cas d’urgence du Parlement fédéral (Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, à la page 137; Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec), [1988] 1 R.C.S. 749, à la page 761, et Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, aux paragraphes 16, 17 et 18), il ne va pas jusqu’à prétendre que les renseignements sur la santé personnelle comme ceux qui sont en cause dans le présent appel ne pourraient, pour des raisons d’ordre constitutionnel, être régis par la législation fédérale. Je n’exprime donc aucune opinion sur cette question.

 

[14]           e)         Loi ontarienne

Le paragraphe 30(1) de la LPRPDE prévoit que la partie I « ne s’applique pas à une organisation à l’égard des renseignements personnels qu’elle recueille, utilise ou communique dans une province dont la législature a le pouvoir de régir la collecte, l’utilisation ou la communication de tels renseignements ». Le paragraphe 30(2) accorde à la province trois ans à compter de l’entrée en vigueur de l’article 30 (c’est-à-dire jusqu’au 1er janvier 2001) pour adopter une telle loi. À défaut par la province d’adopter une telle loi, la partie I s’applique.

 

[15]           Le paragraphe 30(1.1) de la LPRPDE prévoit que la Partie I « ne s’applique pas à une organisation à l’égard des renseignements personnels sur la santé qu’elle recueille, utilise ou communique », mais uniquement pour une période d’un an à compter de l’entrée en vigueur de l’article 30 (c’est-à-dire jusqu’au 1er janvier 2001) (paragraphe 30(2.1)).

 

[16]           L’alinéa 26(2)b) de la LPRPDE habilite le gouverneur en conseil, s’il est convaincu qu’une loi provinciale essentiellement similaire à la partie I de la LRPPDE s’applique à une organisation ou à une activité, à exclure l’organisation, l’activité ou la catégorie de l’application de la partie I à l’égard de la collecte, de l’utilisation ou de la communication de renseignements personnels qui s’effectue à l’intérieur de la province en cause.

 

[17]           À la suite des événements à l’origine du présent appel, l’Ontario a adopté la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (L.O. 2004, ch. 3, annexe A). Cette loi s’applique à la fourniture de soins de santé et aux « dépositaires de renseignements sur la santé ». Il est acquis aux débats qu’elle ne s’applique pas aux médecins qui effectuent des examens médicaux indépendants.

 

[18]           Le 28 novembre 2005, « convaincu » que la loi ontarienne en question était « essentiellement similaire à la partie I de la LPRPDE », le gouverneur en conseil a pris un décret excluant de l’application de la partie 1 de la LPRPDE « tout dépositaire de renseignements sur la santé qui est assujetti à la [loi ontarienne] » (DORS/2005-399). Il est acquis aux débats que cette exemption ne s’applique pas aux médecins qui effectuent des examens médicaux indépendants en Ontario.

 

[19]           f)          Renseignements sur le produit du travail

Le docteur Wyndowe n’a pas directement affirmé que les notes pouvaient être considérées comme ce qu’on appelle en droit de la protection de la vie privée des « renseignements sur le produit du travail ».

 

[20]           On trouve une définition utile des « renseignements sur le produit du travail » à l’article 1 de la Personal Information Protection Act de la Colombie-Britannique (SBC 2003, ch. 63) :

[traduction]

 

« renseignements sur le produit du travail » Renseignements préparés ou recueillis par une personne ou un groupe de personnes dans le cadre de leurs fonctions. Sont exclus les renseignements personnels concernant une personne qui n’a ni préparé ni recueilli les renseignements.

 

[21]           La Colombie-Britannique a donc exclu les « renseignements sur le produit du travail » de la définition des « renseignements personnels ». L’Alberta a refusé d’en faire autant, expliquant que [traduction] « l’approche contextuelle actuelle offre une plus grande souplesse qu’une exclusion catégorique » (Rapport final, novembre 2007, de l’Alberta Select Special Personal Information Protection Act Review Committee, aux pages 25 et 26).

 

[22]           Au palier fédéral, le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique a formulé la recommandation suivante dans le quatrième rapport qu’il a déposé à la Chambre des Communes le 2 mai 2007 :

Renseignements sur le produit du travail

 

Recommandation 2

 

Le Comité recommande que la LPRPDE soit modifiée pour y inclure une définition du « produit du travail » qui précise explicitement que ce dernier ne constitue pas des renseignements personnels aux fins de la Loi. La définition devrait s’inspirer de la définition des « renseignements sur le produit du travail » contenue dans la Loi sur la protection des renseignements personnels de la Colombie-Britannique, de la définition proposée au Comité par IMS Canada et de l’approche adoptée au Québec dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé à l’égard des renseignements personnels de professionnels.

 

[23]           En réponse au Rapport, le gouvernement a choisi de mener d’autres consultations avant d’accepter cette recommandation :

Réponse

Le gouvernement reconnaît que la question du produit du travail revêt une grande importance à plusieurs intervenants. Dans son rapport, le Comité a reconnu l’appel fait par les parties intéressées du secteur privé en vue de fournir plus de clarté et de certitude à la LPRPDE relativement à cet aspect pour faciliter la planification des entreprises et les aider dans leurs efforts à se conformer à la Loi.

Parallèlement, le gouvernement ne doit pas perdre de vue les préoccupations exprimées par la commissaire à la protection de la vie privée et par d’autres au sujet des conséquences négatives non voulues sur la protection des renseignements personnels à cause d’une exclusion du produit du travail.

Pour demeurer fidèle à l’approche générale de la LPRPDE, il est important d’établir un équilibre entre un régime de protection des renseignements personnels propice aux entreprises et le besoin de maintenir le niveau de protection actuellement prévu par la Loi. Pour ce motif, le gouvernement prendra l’engagement de mener d’autres consultations et d’examiner comment on peut répondre au besoin des organisations en matière de collecte, d’utilisation et de communication des renseignements sur le produit du travail d’une manière qui pose le moins de risque pour la protection des renseignements personnels.

Comme le propose le Comité, le gouvernement tiendra compte des diverses approches, y compris celles proposées dans les mémoires au Comité et celles contenues dans les lois provinciales en matière de protection des renseignements personnels.

 

[24]           Dans ces conditions, il aurait été pour le moins prématuré de la part de l’appelant et peu avisé de la part de notre Cour de conclure à une exclusion implicite des « renseignements sur le produit du travail » de la définition des « renseignements personnels ».

 

Analyse

[25]           Dans la mesure où les questions qui nous sont soumises sont de pures questions de droit (en l’occurrence des questions portant sur l’interprétation de la loi) ou des questions de droit que l’on peut isoler de questions mixtes de droit et de fait, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte.

 

[26]           A)        La common law

L’appelant soutient tout d’abord que, comme la LPRPDE ne supplante pas de façon claire et sans équivoque les règles de common law relatives au droit de consulter son propre dossier de santé, c’est la common law qui devrait s’appliquer. Selon cet argument, en common law, le droit de consulter ses propres dossiers médicaux n’est reconnu que lorsqu’il existe un rapport fiduciaire entre le médecin et le patient (voir l’arrêt McInerney c. MacDonald, [1992] 2 R.C.S. 138). Comme il n’existe pas de relation fiduciaire entre l’assuré et le médecin de l’assureur qui effectue un examen médical indépendant (voir l’arrêt X(Minors) c. Bedfordshire County Council, [1995] 3 All E.R. 353 (C.L.)), l’assuré n’a pas le droit de consulter ses dossiers médicaux.

 

[27]           Je ne suis pas convaincu que, en common law, l’assuré n’a aucun droit d’accès à ses dossiers médicaux. En tout état de cause, je suis d’avis que la common law ne devrait pas l’emporter lorsque l’objet même de la LPRPDE est d’offrir aux Canadiens de nouvelles garanties en matière de protection de la vie privée dont ils ne jouissent pas en vertu de la common law.

 

[28]           La LPRPDE traite explicitement des « renseignements médicaux personnels », tout d’abord dans l’article consacré aux définitions, puis dans celui relatif aux dispositions transitoires (article 30), et, enfin, au Neuvième principe — Accès aux renseignements personnels, où le principe 4.9.1, à l’annexe I, prévoit que « [d]ans le cas de renseignements médicaux sensibles, l’organisation peut préférer que ces renseignements soient communiqués par un médecin ». S’il existe des règles de common law sur cette question, il est indéniable qu’elles ont été supplantées par la Loi.

 

[29]           B)        Activités commerciales

Suivant l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE, la partie I s’applique aux renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués « dans le cadre d’activités commerciales ».

 

[30]           Le paragraphe 2(1) définit comme suit l’expression « activité commerciale » :

« activité commerciale » Toute activité régulière ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur nature, y compris la vente, le troc ou la location de listes de donneurs, d’adhésion ou de collecte de fonds.

“commercial activity” means any particular transaction, act or conduct or any regular course of conduct that is of a commercial character, including the selling, bartering or leasing of donor, membership or other fundraising lists.

 

[31]           L’appelant s’interroge sur le caractère commercial d’un examen médical indépendant, et se demande s’il est suffisant pour faire relever les notes du docteur Wyndowe du champ d’application de la LPRPDE. L’appelant se fonde sur l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, au paragraphe 69, où la juge Desjardins examinait l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information, en ce qui concerne l’obligation de divulguer les renseignements fournis par des tiers. Voici ce qu’elle déclare :

 

[69]      Le bon sens et l’aide des dictionnaires (Air Atonabee Ltd c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 F.T.R. 194, à la page 208) nous enseignent que le mot « commercial », appliqué à un renseignement, intéresse en soi le commerce. Il ne s’ensuit pas que, du seul fait que les activités de NAV CANADA consistent à fournir, contre rémunération, des services de navigation aérienne, les renseignements recueillis durant un vol peuvent être qualifiés de « commerciaux ».

 

 

[32]           L’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information dispose :

 

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

 

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

. . .

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

 

[33]           De toute évidence, l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information est très différent de l’expression « activité commerciale » que l’on trouve à l’article 4 de la LPRPDE. Si l’on tient compte des principes énoncés dans l’arrêt Englander c. Telus Communications Inc., 2004 CAF 387, il ne conviendrait tout simplement pas d’appliquer une interprétation de l’alinéa 20(1)b) à une disposition de la LPRPDE qui, de toute façon, n’est pas libellée de la même façon.

 

[34]           Il ressort nettement du dossier que le docteur Wyndowe a recueilli les renseignements de M. Rousseau dans le cadre de l’examen médical indépendant qu’il a effectué pour le compte de l’assureur. Dans le cas qui nous occupe, le docteur Wyndowe semble répondre précisément à la définition que l’on trouve à l’alinéa 4(1)a) : il a recueilli les renseignements de M. Rousseau « dans le cadre » d’un examen médical indépendant.

 

[35]           La question qui se pose est celle de savoir si l’examen médical indépendant constituait une activité qui « revêtait un caractère commercial de par sa nature » au sens de l’article 2. L’opération conclue entre la société du docteur Wyndowe et Maritime Life, qui payait les frais de l’examen médical indépendant, revêtait un caractère commercial. La relation qui existait entre M. Rousseau et Maritime Life avait elle aussi de toute évidence un caractère commercial : elle est régie par le contrat conclu entre M. Rousseau et son assureur aux termes duquel M. Rousseau a vraisemblablement payé des primes (à moins que son employeur n’ait payé les primes à sa place dans le cadre de la rémunération qu’il versait à M. Rousseau) et il a en conséquence droit ou non à des prestations.

 

[36]           Compte tenu de ces deux relations commerciales – celle existant, d’une part, entre la société du docteur Wyndowe et Maritime Life et celle existant, d’autre part, entre M. Rousseau et Maritime Life – j’ai du mal à croire qu’en introduisant une troisième relation – entre le docteur Wyndowe et M. Rousseau – on ferait ainsi échec au caractère commercial de toute l’opération. À mon avis, le docteur Wyndowe est simplement le représentant médical de Maritime Life. Si le docteur Wyndowe travaillait à temps plein comme médecin pour Maritime life, le caractère commercial de l’opération ne ferait aucun doute; le fait d’être examiné par lui ne représenterait alors qu’une des étapes que M. Rousseau devait franchir pour percevoir ses prestations. En ce sens, l’examen médical s’apparenterait à l’obligation de remplir la formule exigée par Maritime Life pour commencer à percevoir des prestations. Le simple fait que le docteur Wyndowe soit un consultant indépendant engagé par Maritime Life ne change rien au fait que l’opération globale conserve son caractère commercial. Cela ne change rien non plus au fait que M. Rousseau ne faisait que ce que le contrat qu’il avait conclu avec Maritime Life l’obligeait à faire pour continuer à recevoir ses prestations, c’est‑à‑dire se soumettre à un examen médical indépendant.

 

[37]           Il ressort des Débats du Sénat du 4 novembre 1999 (2e session, 36e Parlement, volume 138, fascicule 6) et des Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie du 25 novembre 1999 (fascicule 1) que des députés étaient préoccupés tant par les incidences constitutionnelles de la LPRPDE que par l’opportunité de faire relever le secteur des soins de la santé du champ d’application de la Loi. Des préoccupations ont également été exprimées au sujet de la possibilité de séparer les activités commerciales et les activités non commerciales dans le secteur des soins de la santé. Mme Perrin, d’Industrie Canada, a reconnu que ce projet de loi « concerne des organisations ayant des activités commerciales » et que « [c]ela comprendrait par exemple les compagnies d'assurances qui pour l'instant ne sont pas assujetties aux lois sur la protection des renseignements médicaux au niveau provincial ». Elle a ajouté :

 

[…] il est indispensable qu'un fichier médical soit protégé lorsqu'il arrive dans les dossiers d'une compagnie d'assurances. C'est ce que l'on obtiendra par ce projet de loi (15 novembre 1999)

 

 

[38]           M. Binder, sous-ministre adjoint à Industrie Canada, a ajouté :

 

Nous parlons des données dans les entreprises commerciales. Les activités médicales sans rapport avec les activités commerciales ne sont pas touchées par ce projet de loi.

 

[39]           Ma conclusion que les notes prises par un médecin à l’occasion d’un examen médical indépendant effectué à la demande d’une compagnie d’assurance sont prises « dans le cadre d’une activité commerciale » ne contredit pas, en conséquence, ce que le législateur semble avoir envisagé.

[40]           C)        Renseignements personnels

Le paragraphe 2(1) de la LPRPDE définit comme suit l’expression « renseignement personnel » : « Tout renseignement concernant un individu identifiable ». La loi a donc une portée très large.

 

[41]           Quant à l’expression « renseignement personnel sur la santé », la Loi en donne la définition suivante :

« renseignement personnel sur la santé »
"personal health information"

« renseignement personnel sur la santé » En ce qui concerne un individu vivant ou décédé :

a) tout renseignement ayant trait à sa santé physique ou mentale;

b) tout renseignement relatif aux services de santé fournis à celui-ci;

c) tout renseignement relatif aux dons de parties du corps ou de substances corporelles faits par lui, ou tout renseignement provenant des résultats de tests ou d’examens effectués sur une partie du corps ou une substance corporelle de celui-ci;

d) tout renseignement recueilli dans le cadre de la prestation de services de santé à celui-ci;

e) tout renseignement recueilli fortuitement lors de la prestation de services de santé à celui-ci.

 

"personal health information"
« renseignement personnel sur la santé »

"personal health information", with respect to an individual, whether living or deceased, means

(a) information concerning the physical or mental health of the individual;

(b) information concerning any health service provided to the individual;

(c) information concerning the donation by the individual of any body part or any bodily substance of the individual or information derived from the testing or examination of a body part or bodily substance of the individual;

(d) information that is collected in the course of providing health services to the individual; or

(e) information that is collected incidentally to the provision of health services to the individual.

Cette définition, en particulier celle que l’on trouve à l’alinéa a), a une portée remarquablement vaste.

 

[42]           Même si la Loi définit ces deux expressions sans renvoyer l’une à l’autre, il est évident que les « renseignements personnels sur la santé » constituent une sous-catégorie des « renseignements personnels ».

 

[43]           Hormis l’article relatif aux définitions, le seul autre endroit de la LPRPDE où il est fait mention de « renseignements personnels sur la santé » est le paragraphe 30(1.1) et le paragraphe 30(2.1), qui sont des dispositions transitoires qui reportent d’un an après l’entrée en vigueur de l’article 30 l’application de la LPRPDE en ce qui concerne les « renseignements personnels sur la santé ». Comme on peut aisément le penser, ce délai s’explique par le fait que l’on veut accorder aux médecins devant être visés par cette disposition le temps nécessaire pour se préparer en vue de l’application de la LPRPDE.

 

[44]           La conclusion que les « renseignements personnels sur la santé » constituent une sous-catégorie des « renseignements personnels » est par ailleurs confirmée par le Neuvième principe, qui traite de l’accès aux renseignements personnels. Ainsi que je l’ai déjà précisé, le principe 4.9.1 prévoit que « dans le cas de renseignements médicaux sensibles, l’organisation peut préférer que ces renseignements soient communiqués par un médecin » (non souligné dans l’original). Ainsi, les « renseignements médicaux » qui sont des « renseignements personnels sur la santé » sont forcément des « renseignements personnels ».

 

[45]           Il n’y a par ailleurs pas de doute ─ et je n’ai pas entendu l’appelant prétendre le contraire ─ que les notes prises par un médecin dans le cadre d’un examen médical indépendant font partie des dossiers médicaux de la personne qui fait l’objet de cet examen. Et il n’y a aucun doute que les dossiers médicaux d’une personne font partie des « renseignements personnels sur la santé » de cette même personne.

 

[46]           L’avocat de l’appelant table fortement sur le jugement Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail) (C.F. 1re inst.), [1996] 3 C.F. 609, dans lequel la Cour fédérale a jugé que les notes de travail prises par les commissaires au cours d’une audience du Conseil canadien des relations du travail ne constituaient pas des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, mais sur un autre moyen, (2000) 180 F.T.R. 313 (C.A.).

 

[47]           Dans cette décision, la Cour a essentiellement décidé que la divulgation des notes contreviendrait au privilège décisionnel, aussi appelé immunité judiciaire, que les tribunaux administratifs peuvent revendiquer et compromettrait le fonctionnement du Conseil et le déroulement d'enquêtes licites au sens de l’exception contenue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[48]           Cette décision ne s’applique donc guère aux faits de la présente espèce.

 

[49]           Compte tenu du fait que la Commissaire à la protection de la vie privée reconnaît que les notes en question renferment des renseignements qui sont personnels à M. Rousseau, ainsi que des renseignements qui ne le sont pas, on pourrait dire qu’en fin de compte M. Rousseau a un droit d’accès aux renseignements qu’il a communiqués au médecin, ainsi qu’à l’opinion finale que le médecin a formulée sous forme de rapport à l’assureur. Conformément au Principe 4.9.1. de l’annexe I de la LPRPDE, il est aussi possible à M. Rousseau de faire apporter les corrections appropriées aux renseignements qu’il a communiqués au médecin ou que celui-ci a notés, et de rectifier les erreurs contenues dans l’avis final motivé du médecin au sujet de son état de santé. Mais c’est au médecin qu’il appartient de formuler un avis final à partir des renseignements personnels communiqués à l’origine par M. Rousseau.

 

[50]           Dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (précité, au paragraphe 8), notre Cour a reconnu que « les mêmes renseignements peuvent être “personnels” pour plusieurs personnes » (au paragraphe 15). Il se peut, en fin de compte, que certains renseignements contenus dans les notes soient personnels tant pour M. Rousseau que pour le docteur Wyndowe. Il faudrait alors se livrer à un exercice de pondération semblable à celui proposé par notre Cour dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information).

 

Conclusion et dispositif

[51]           J’en arrive par conséquent à la conclusion que M. Rousseau a un droit d’accès aux parties des notes prises par le docteur Wyndowe qui constituent ses renseignements personnels.

 

[52]      Je suis d’avis d’accueillir l’appel en partie, d’annuler la décision de la Cour fédérale, de faire droit en partie à la demande de M. Rousseau et d’accorder à M. Rousseau l’accès aux notes dans la mesure où elles constituent ses « renseignements personnels ».

 

[53]           Je suis d’avis de renvoyer l’affaire à la Commissaire à la protection de la vie privée pour qu’elle détermine, en consultation avec l’avocat du docteur Wyndowe, les parties des notes qui doivent être communiquées à M. Rousseau.

 

[54]           Les parties n’ont pas réclamé de dépens.

 

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs.

     Le juge M. Nadon »

 

« Je souscris à ces motifs.

     La juge Johanne Trudel »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-551-06

 

INTITULÉ :                                                                           Jeffrey P. Wyndowe

                                                                                                c. Jacques Rousseau et autre

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 22 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE DÉCARY

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 1er février 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mary M. Thomson

Me Blair Trudell

POUR L’APPELANT

 

 

Me J. Morris Cooper

 

 

Me Steven Welchner

Me Patricia Kosseim

 

POUR L’INTIMÉ –

Jacques Rousseau

 

POUR L’INTIMÉE – la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

J. Morris Cooper Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

 

POUR LE DÉFENDEUR –

Jacques Rousseau

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR – la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

 

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