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Date : 20080221

Dossier : A-527-06

Référence : 2008 CAF 69

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

ROMAIN RICHARD

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), les 19 et 21 février 2008

Jugement rendu à l’audience à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 21 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                LA JUGE TRUDEL


Date : 20080221

Dossier : A-527-06

Référence : 2008 CAF 69

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

ROMAIN RICHARD

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 21 février 2008)

 

LA JUGE TRUDEL

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission d’appel des pensions (la CAP) en date du 17 octobre 2006. La CAP a confirmé la décision, datée du 28 juillet 2004, par laquelle le tribunal de révision (le tribunal) a conclu que le défendeur était, en mai 1998, invalide au sens du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le RPC).

 

[2]               En application du paragraphe 84(2) du RPC, le tribunal étudiait la demande du défendeur de rouvrir une décision antérieure datée du 21 août 2000 (la décision de 2000).

 

Historique

[3]               M. Richard, le défendeur, a fait pour la première fois une demande de prestations d’invalidité en vertu du RPC en juillet 1999. Sa demande a été rejetée initialement et après réexamen par le ministre du Développement des ressources humaines (le ministre). Le tribunal a rejeté son appel dans la décision de 2000.

 

[4]               Le 23 mai 2002, le défendeur a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité en vertu du RPC.

 

[5]               De nouveau, le ministre a rejeté sa demande initialement (juillet 2002) et après réexamen (décembre 2002). Le défendeur a interjeté appel de la décision devant le tribunal.

 

[6]               Le 23 mars 2004, en attendant que la date de l’audience soit fixée, le défendeur a présenté au tribunal sa demande fondée sur le paragraphe 84(2) pour faire annuler ou modifier la décision de 2000 sur la base de « faits nouveaux ».

 

[7]               C’est cette demande qui a conduit le tribunal à décider, le 28 juillet 2004, que le défendeur était [traduction] « réputé invalide en mai 1998 aux fins de paiement … [et que] cette invalidité s’est poursuivie, sans interruption, jusqu’à la date de sa deuxième demande » (décision de 2004 du tribunal, page 7). Comme nous l’avons mentionné, la CAP a confirmé la décision, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Les prétentions du demandeur

[8]               Le demandeur prétend que la décision de la CAP est manifestement déraisonnable. Les motifs d’appel se dégagent des questions soumises à la Cour (mémoire du demandeur, paragraphe 61).

a.       La demande visant la réouverture de la première décision du tribunal, en date du 21 août 2000, fondée sur l’existence de « faits nouveaux » en application de l’article 84(2), était une contestation indirecte de la décision du ministre dans la deuxième demande, et était donc inappropriée;

b.      Les motifs fournis par la CAP dans sa décision du 17 octobre 2006 sont insuffisants et donc non susceptibles de contrôle;

c.       La preuve déposée par le défendeur à l’appui de sa demande visant la réouverture de la décision initiale du tribunal n’était pas suffisante pour satisfaire au critère des « faits nouveaux » :

                                                               i.      Premièrement, les « faits nouveaux » proposés pouvaient‑ils être découverts? Autrement dit, peut‑on affirmer que le défendeur n’avait pas connaissance des faits nouveaux au moment de l’audience devant le tribunal ou avant cette audience, et qu’il ne pouvait pas, en faisant preuve de diligence raisonnable, les avoir découverts plus tôt.

                                                             ii.      Deuxièmement, ces faits étaient-ils substantiels? Pouvait‑on raisonnablement s’attendre à ce qu’ils changent l’issue de la décision initiale du tribunal?

d.      Au cas où les documents constituaient des « faits nouveaux », la décision antérieure devait-elle être annulée ou modifiée sur le fondement de ces faits nouveaux?

 

[9]               Le défendeur n’a pas présenté d’observations.

 

Faits nouveaux et preuve antérieure

 

[10]           Dans sa demande de révision de la décision 2000, le défendeur indique au tribunal que deux documents datés du 21 juillet 2003 constituent des « faits nouveaux » : un rapport de densitométrie osseuse du rachis antéro‑postérieur et un rapport de densitométrie osseuse du fémur gauche (dossier du demandeur, vol. 1, pages 293 à 299).

 

[11]           Au paragraphe 2 de sa décision, la CAP présente sa tâche dans le cadre d’un appel d’une décision en vertu de l’article 84(2). On y lit :

[2]        […] la Commission doit tenir compte des faits sur lesquels reposait la décision originale du tribunal (dans le cas présent, ... [la décision de 2000]) et de la preuve admise à titre de « faits nouveaux » avant de rendre une décision sur le bien‑fondé de la demande.

 

[12]           La CAP ajoute :

[3]        Afin de pouvoir tenir compte d’éléments de preuve à titre de « faits nouveaux », cette preuve que l’on peut produire doit satisfaire à deux critères : 1) il n’aurait pas été possible de découvrir la preuve avant l’audience originale en exerçant une diligence raisonnable, et 2) il doit exister une possibilité raisonnable, et non une probabilité, que si cette preuve avait été admise, elle aurait pu inciter le tribunal de révision à modifier sa décision originale.

 

 

[13]           Au sujet du rapport du Dr Quintal de 2001, la CAP fait remarquer qu’il « n’existait [...] pas pour être découvert comme preuve en 2000 », et ne tient pas compte du fait qu’il devait avoir « exist[é] pour être découvert » au moment de la deuxième demande en mai 2002 (paragraphe 4).

 

[14]           Tout au long de sa décision, la CAP cite des rapports antérieurs signés par le Dr Quintal qui se trouvent dans le dossier du défendeur (paragraphes 4 à 7).

 

[15]           Au sujet des rapports de densitométrie osseuse, la CAP écrit qu’ils « n’existaient [...] pas lors de l’audience originale […] en juin 2000 […] bien qu’ils rejoignent à certains égards un rapport antérieur de densitométrie osseuse » (paragraphes 4 et 17).

 

[16]           Enfin, la CAP conclut que le défendeur « a clairement prouvé, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’une preuve indiscutable, en particulier la preuve médicale, qu’il était invalide […] en mai 1998 » (paragraphe 18).

 

Analyse

[17]           Pour avoir gain de cause, le demandeur doit démontrer que la décision de la CAP est manifestement déraisonnable (Taylor c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 293; Osborne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 412; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Patricio, 2004 CAF 409; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Wade, 2001 CAF 286).

 

[18]           Le tribunal devait décider d’abord si les deux documents pouvaient être admis comme faits nouveaux parce que (1) ils établissent l’existence d’un état qui existait au moment de la première audience, mais qui ne pouvait être découvert en faisant preuve de diligence raisonnable; (2) on peut s’attendre à ce que cette preuve ait une incidence sur l’issue de l’affaire (Mazzotta c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 297, paragraphe 54; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines c. McDonald), 2002 CAF 48, paragraphe 2; Leskiw c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 345, paragraphe 5; Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420, paragraphe 34).

 

[19]           Après avoir décidé que ces deux rapports constituent des « faits nouveaux », le tribunal devait décider si, compte tenu de ces rapports et des documents dont il était saisi le 21 août 2000, le défendeur était invalide au sens du RPC en mai 1998.

 

[20]           Le tribunal n’a pas procédé ainsi. Dans sa décision, il a renvoyé à l’ensemble du dossier de M. Richard et traité comme « faits nouveaux » non seulement les documents qui ont été présentés à ce titre par le défendeur, mais aussi deux autres documents qui étaient examinés lors de la deuxième demande. Il semble que le tribunal ait réuni deux procédures en une seule et entendu en même temps la demande régie par l’article 84(2) et l’appel de la deuxième demande. Il ressort toutefois clairement de la décision du tribunal que celui‑ci a interprété son mandat comme étant limité à l’examen effectué en vertu de l’article 84(2) : [traduction] « Il s’agit d’une demande fondée sur le paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, visant la réouverture de la décision du Tribunal de révision en date du 21 août 2000 » (dossier du demandeur, vol 1, onglet 3-P, page 81). [Non souligné dans l’original.]

 

[21]           En confirmant la décision du tribunal et son processus d’examen particulier de la demande du défendeur, la CAP a commis une erreur manifestement déraisonnable qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[22]           Tel que noté, le tribunal de révision a, tout au long de ce processus confus, traité comme « faits nouveaux »  des éléments de preuve qui avait été déposés par le défendeur dans le cadre de sa deuxième demande et qui se trouvaient alors devant le tribunal à la suite de son appel de la deuxième décision du ministre. J’estime que des « faits nouveaux » au sens du paragraphe 84(2) ne peuvent pas inclure des faits qui sont devant le tribunal dans le cadre d’un appel fondé sur le paragraphe 82(1).

 

[23]           Ainsi, les rapports de densitométrie osseuse de 2003 étaient les seuls documents susceptibles de constituer des « faits nouveaux ». On ne sait pas si le tribunal a examiné de façon indépendante ces rapports en tant que « faits nouveaux » : il n’a pas expressément mentionné les rapports de 2003 dans ses motifs; il a immédiatement commencé l’examen de la preuve soumise par le défendeur dans le cadre de sa deuxième demande, demande dont il n’était pas saisi à ce moment‑là.

 

[24]           Dans ces circonstances, il est préférable de laisser le tribunal statuer sur ce dossier en tout premier lieu.

 

Dépens et conclusions

 

[25]           Le demandeur réclame ses dépens. Étant donné que la décision de la CAP va plus loin que les allégations présentées dans la demande du défendeur fondée sur l’article 84(2) et que de nombreux motifs d’appel ont une incidence sur le processus d’examen du tribunal, nous pensons qu’il serait injuste de condamner le défendeur aux dépens.

 

[26]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans frais, et la décision de la Commission d’appel des pensions, en date du 17 octobre 2006, sera annulée. L’affaire sera renvoyée  à la Commission d’appel des pensions avec la directive qu’elle la renvoie à un tribunal de révision constitué différemment pour qu’il rende une nouvelle décision sur la demande du défendeur de rouvrir la décision du tribunal de révision datée du 21 août 2000 sur le fondement des « faits nouveaux » allégués, décrits comme étant un rapport de densitométrie osseuse du rachis anté‑postérieur et un rapport de densitométrie osseuse du fémur gauche, tous deux datés du 21 juillet 2003.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-527-06

 

 

INTITULÉ :                                                                           Procureur général du Canada c.

                                                                                                Romain Richard

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   les 19 et 21 février 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR                         LA JUGE TRUDEL

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               LA JUGE TRUDEL

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Allan Matte

POUR L’APPELANT/LE DEMANDEUR

 

M. Romain Richard

POUR L’INTIMÉ/LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r., sous-procureur général du Canada, Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANT/LE DEMANDEUR

 

M. Romain Richard (agissant pour son propre compte)

POUR L’INTIMÉ/LE DÉFENDEUR

 

 

 

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