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Date : 20080320

Dossier : A-79-07

Référence : 2008 CAF 108

 

 

CORAM :       LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

et WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC

 

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et RANBAXY LABORATORIES LIMITED

 

intimés

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 mai 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 mars 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE LINDEN

                                                                                                                        LE JUGE RYER

 

 


Date : 20080320

Dossier : A-79-07

Référence : 2008 CAF 108

 

 

CORAM :       LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

et WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC

 

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et RANBAXY LABORATORIES LIMITED

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de l’appel d’une ordonnance du juge von Finckenstein de la Cour fédérale, 2007 CF 91, en date du  25 janvier 2007, rejetant la demande de Pfizer Canada Inc. et Warner‑Lambert Company, LLC (collectivement Pfizer) présentée en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, en vue d’obtenir une ordonnance qui interdirait au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (AC) à Ranbaxy Laboratories Limited (Ranbaxy) à l’égard de l’atorvastatine calcique et ce, jusqu’à expiration du brevet canadien no 2,021,546 (le brevet 546).

 

[2]               Pfizer demande à la Cour d’annuler l’ordonnance du juge von Finkenstein et de prononcer une ordonnance d’interdiction, avec dépens pour l’appel et la demande.

 

LES FAITS

[3]               Le brevet américain 4,681,893 (le brevet 893) et son équivalent canadien, le brevet 1,268,768 (le brevet 768 ) englobent une importante classe de composés hypocholestérolémiants appelés statines, qui diminuent la production de cholestérol dans l’organisme humain en inhibant l’HMG‑CoA réductase, enzyme qui participe à la biosynthèse du cholestérol.

 

[4]               Le 29 avril 1997, le brevet 546 a été délivré à Warner-Lambert Company, prédécesseur de l’appelante Warner-Lambert Company, LLC. La date du dépôt du brevet est le 19 juillet 1990 et la date de publication, le 22 janvier 1991. Il expire le 19 juillet 2010.

 

[5]               Le brevet 546 revendique une sélection des composés visés par les brevets 893 et 768. Il contient 12 revendications concernant le lactone, l’acide dihydroxy et cinq sels pharmaceutiquement acceptables de l’atorvastatine.

 

[6]               L’atorvastatine est un énantiomère. Les énantiomères sont des molécules qui possèdent la même structure chimique, mais qui diffèrent du point de vue des arrangements tridimensionnels de leurs atomes. Chaque énantiomère est l’image miroir non superposable de l’autre énantiomère. Un mélange racémique ou un racémate est un mélange composé des deux énantiomères d’une molécule en proportions égales (50/50). Bien que les énantiomères aient les mêmes propriétés physiques, chimiques et spectrales, leurs propriétés biologiques varient souvent. En général, un énantiomère est actif sur le plan biologique alors que l’autre est inactif. De ce fait, l’énantiomère actif est généralement deux fois plus actif que le racémate.

 

[7]               Les brevets 546 et 768 sont inscrits sur la liste de brevets à l’égard de comprimés d’atorvastatine calcique de 10 mg, 20 mg, 40 mg et 80 mg (sel de calcium de l’atorvastatine) et sont commercialisés par Pfizer sous le nom commercial LIPITOR.

 

[8]               Ranbaxy a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès du ministre en vue d’obtenir un AC pour son produit pharmaceutique RAN‑ATORVASTATIN, comparant celui‑ci à LIPITOR pour démontrer sa bioéquivalence. Dans sa PADN, Ranbaxy renvoie aux brevets 546 et 768, conformément à la réglementation.

 

[9]               Le 31 janvier 2005, Ranbaxy a envoyé un avis d’allégation (AA) à Pfizer dans lequel elle a allégué qu’advenant la fabrication, l’utilisation ou la vente de son produit, elle ne contreferait pas le brevet 768, et que le brevet 546 était invalide pour cause d’évidence, de double brevet, d’insuffisance et d’antériorité.

 

[10]           Pfizer a répondu à l’AA de Ranbaxy en déposant, le 17 mars 2005, un avis de demande par lequel elle a contesté les allégations que l’on retrouve dans l’AA et a soutenu que celles-ci n’étaient pas justifiées.

 

LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

[11]           Le 25 janvier 2007, le juge von Finkenstein a rejeté la demande d’interdiction de Pfizer. Premièrement, il a conclu que l’allégation d’absence de contrefaçon du brevet 768 n’était pas justifiée. Ranbaxy n’a pas porté en appel cette conclusion. Deuxièmement, pour ce qui est du brevet 546, le juge a conclu que le brevet était invalide parce qu’il ne respectait pas les exigences du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi).

 

[12]           Le juge des demandes a commencé son examen des allégations formulées à l’encontre du brevet 546 en interprétant la revendication 6 du brevet, qui revendique le sel de calcium de l’atorvastatine. Bien que la revendication 6 constitue la seule revendication en litige en l’espèce, les revendications 1, 2 et 6 sont pertinentes. Elles sont ainsi rédigées :

 

[traductionRevendication 1

Acide [R-(R*,R*)]-2-(4-fluorophényl)-β,δ-dihydroxy-5-(1-méthyléthyl)-3-phényl-4-[(phénylamino)carbonyl]-1H-pyrrole-1-heptanoïque, ou (2R‑trans)‑5‑(4‑fluorophényl)‑2‑(1‑méthyléthyl‑N,4‑diphényl‑1‑[2‑(tétrahydro-4-hydroxy-6-oxo-2H-pyran-2-yl)éthyl]-1H-pyrrole-3-carboxamide; et leurs sels pharmaceutiquement acceptables.

 

Revendication 2

Un composé énuméré à la revendication 1, l’acide [R-(R*,R*)]-2-(4‑fluorophényl)-β,δ-dihydroxy-5-(1-méthyléthyl)-3-phényl-4-[(phénylamino)carbonyl]-1H-pyrrole-1-heptanoïque.

 

Revendication 6 

 

Le sel hémicalcique du composé visé par la revendication 2.

 

 

[13]           Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 1471 (Novopharm), le juge von Finkenstein a de même été appelé à interpréter la revendication 6 du brevet 546. Dans cette affaire, il a simplifié les revendications pertinentes de la manière suivante (au paragraphe 35) :

[traduction] Heureusement, ces formules complexes ont reçu des noms plus simples, de façon que les revendications 1, 2 et 6 se lisent plus facilement :

 

Revendication 1 : atorvastatine sous forme acide ou sous forme lactonique; et les sels pharmaceutiquement acceptables de ces formes.

 

Revendication 2 : atorvastatine sous forme acide.

 

Revendication 6 : sel hémicalcique du composé visé par la revendication 2.

 

 

[14]           Il a ensuite interprété la revendication 6 de la façon suivante (au paragraphe 44) :

[traduction] Après avoir lu le brevet et pris en considération l’avis des experts de façon à le lire comme le ferait une personne versée dans l’art, la Cour conclut que la divulgation indique ce qui suit :

 

– L’atorvastatine sous sa forme lactonique et sous sa forme acide à cycle ouvert correspondante, de même que les sels pharmaceutiquement acceptables de ces formes, sont utiles pour abaisser le taux de cholestérol chez les mammifères, y compris chez l’humain.

 

– L’atorvastatine sous sa forme lactonique et sous sa forme acide à cycle ouvert correspondante, de même que les sels pharmaceutiquement acceptables de ces formes, inhibent de façon inattendue et surprenante la biosynthèse du cholestérol; le résultat inattendu réside dans le fait que l’atorvastatine a une activité inhibitrice dix fois supérieure à celle du mélange racémique. Les données relatives à cette activité dix fois supérieure sont issues d’un essai d’inhibition de la synthèse du cholestérol (essai CSI), qui est divulgué dans le brevet 893. Tous les composés utilisés pour l’essai CSI ont été préparés de la façon indiquée dans le brevet 893.

 

– La réalisation privilégiée de l’invention décrite dans le brevet 546 est le sel hémicalcique de la forme acide de l’atorvastatine.

 

– Les composés de la forme lactonique et de la forme acide à cycle ouvert correspondante, de même que leurs sels pharmaceutiquement acceptables, ont tous une utilité équivalente en général.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           Comme le juge von Finkenstein n’a pas trouvé de différences notables entre les témoignages des experts qui lui ont été présentés dans l’affaire Novopharm, précitée, et ceux présentés en l’espèce, il a donc adopté la même interprétation que dans Novopharm (paragraphe 62). Suivant cette interprétation, le brevet 546 assure que l’atorvastatine a une activité dix fois supérieure à celle du mélange racémique. Le sel de calcium de l’atorvastatine est la réalisation privilégiée de l’invention.

 

[16]           Après avoir interprété la revendication 6 du brevet 546, le juge s’est penché sur l’allégation formulée par Ranbaxy dans son AA, à savoir que le brevet 546 ne décrivait pas de façon exacte et complète l’invention, dérogeant ainsi au paragraphe 27(3) de la Loi. Il a donc examiné les données obtenues par Pfizer dans deux types d’essais.

 

[17]           Le premier type d’essai est un test d’inhibition de la synthèse du cholestérol (Cholesterol Synthesis Inhibition, ou CSI). Il s’agit d’une épreuve in vitro qui mesure l’effet d’un composé à l’étude sur toute la voie de biosynthèse du cholestérol. La capacité du composé d’inhiber la réaction est exprimée par la valeur CI50, qui représente la quantité du composé requise pour inhiber de 50 % la biosynthèse du cholestérol. Plus la CI50 est faible, plus le composé est actif.

 

[18]           Le second type est l’essai d’inhibition rapide de la synthèse du cholestérol (Acute Inhibition of Cholesterol Synthesis, ou AICS). C’est un test in vivo qui évalue la mesure dans laquelle un composé ou ses métabolites sont absorbés, transportés et exercent finalement dans le foie une activité qui inhibe la biosynthèse du cholestérol.

 

1.         Données d’essai CSI

[19]           Le brevet 546 renvoie à un seul ensemble de données d’essai CSI pour étayer la revendication d’une activité supérieure de l’atorvastatine par rapport au racémate. Le juge des demandes était d’avis, pour deux motifs, qu’on ne pouvait se fier aux données pour étayer la revendication d’une activité inhibitrice dix fois plus puissante. Premièrement, les données ont trait au sel de sodium de l’atorvastatine et non au sel de calcium. Il est donc impossible de tirer des conclusions sur un sel à partir des données sur un autre sel. Deuxièmement, l’activité censément dix fois supérieure se fonde sur une moyenne des données obtenues pour le sel racémique dans cinq expériences différentes. La moyenne des résultats d’essai CSI pour le racémate d’atorvastatine ne fournit pas un résultat scientifiquement valable.

 

[20]           Pfizer a présenté au juge des demandes les résultats de l’essai CSI 118, qui compare le sel de calcium de l’atorvastatine avec le sel racémique de l’atorvastatine. Le juge des requêtes a conclu que les données n’étaient pas fiables parce que le composé étudié n’a pas été complètement dissous dans la solution-mère. La concentration du composé étudié dans la solution n’étant pas connue, il était impossible de quantifier les résultats de l’essai.

 

2.         Données d’essai AICS

[21]           Bien qu’aucune donnée d’essai AICS n’ait été citée dans le brevet 546 à l’appui de l’activité accrue de l’atorvastatine, le juge des demandes a néanmoins examiné les données. Il s’agissait d’une comparaison en parallèle du sel de calcium racémique de l’atorvastatine et du sel de calcium de l’atorvastatine. Selon le juge des demandes, les données d’essai AICS étaient un indicateur fiable de la capacité inhérente de l’atorvastatine calcique ou de son racémate d’inhiber la synthèse du cholestérol. Les données ont révélé que le sel de calcium de l’atorvastatine avait une activité un peu plus de deux fois supérieure seulement à celle du sel racémique de l’atorvastatine.

 

[22]           Selon le juge des demandes, les données n’ont pas prouvé la promesse d’une activité dix fois supérieure et, en conséquence, il a conclu que la divulgation faite dans le brevet 546 était insuffisante parce qu’elle ne respectait pas les exigences du paragraphe 27(3) de la Loi :

[122]      Bien que ces affaires placent sans aucun doute la barre très basse en ce qui concerne le paragraphe 27(3), en l'espèce, Pfizer n'a pas dépassé cette barre. Essentiellement, le brevet 546 renferme deux assertions, l'une concernant l'activité et l'autre, le sel privilégié. Selon la première assertion, il y a une inhibition inattendue et surprenante de la biosynthèse du cholestérol en raison de l'activité dix fois supérieure de l'atorvastatine calcique par rapport au sel calcique du racémate. Cependant, d'après la preuve présentée, cette assertion est fausse. Les seules données fiables, celles de l'essai AICS, laissent croire à une activité qui dépasse à peine de deux fois l'activité supérieure attendue lorsque le racémate est dédoublé en ses énantiomères individuels. C'est très loin d'une activité dix fois supérieure.

 

[123]     Je ne vois pas en quoi ce serait là une description « exacte et complète » de l'invention. Le breveté est tenu à la véridicité, concernant la nature de l'invention, dans la divulgation du brevet. Ce principe a été examiné par Harold G. Fox à la page 188 de The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969 :

 

[traduction] Si un terme est employé de manière inexacte, mais que le contexte révèle suffisamment la nature de son emploi, le brevet reste valide. De même, le mémoire descriptif n'est pas invalidé par la seule présence d'erreurs d'écriture ou assimilées, ou d'autres fautes et inexactitudes mineures que la personne du métier relèvera et corrigera spontanément. Cette règle, cependant, n'est applicable que si les erreurs et inexactitudes sont manifestes au vu du mémoire descriptif. Si elles n'apparaissent qu'après un supplément d'expérimentation ou si elles équivalent à une présentation inexacte des faits, même immédiatement perceptible pour la personne du métier, le mémoire descriptif est insuffisant. Le breveté ne peut compter sur la compétence et les connaissances du destinataire pour corriger les erreurs ou les fausses promesses dont serait entaché le mémoire descriptif.

 

[124]      Dans la présente espèce, l'affirmation du caractère dix fois supérieur de l'activité est manifeste au vu du mémoire descriptif. Or cette présentation des faits se révèle inexacte, n'étant pas étayée par les données proposées. En conséquence, je conclus à l'invalidité du brevet 546 au motif de sa non-conformité aux dispositions du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[23]           Devant le juge des demandes, Ranbaxy a également soutenu que le brevet 546 n’identifiait pas les propriétés physiques de l’atorvastatine calcique servant à étayer la revendication qu’il s’agit de la réalisation privilégiée de l’invention; il n’y avait pas non plus de données à l’appui d’une telle revendication. Après avoir constaté que l’affirmation voulant qu’il y ait une activité dix fois supérieure était incorrecte, le juge des demandes n’a pas estimé nécessaire de vérifier l’affirmation selon laquelle le sel de calcium de l’atorvastatine était la réalisation privilégiée de l’invention.

 

[24]           Ayant a conclu que Pfizer n’a pas prouvé que l’allégation d’insuffisance était injustifiée, le juge des demandes n’a pas considéré les autres allégations d’invalidité formulées par Ranbaxy dans son AA.

 

LA LÉGISLATION PERTINENTE

[25]           Le paragraphe 27(3) de la Loi est ainsi rédigé :

 (3) Le mémoire descriptif doit :

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

 

 

(3) The specification of an invention must

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[26]           Le présent appel soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Le juge des demandes s’est-il trompé en rejetant la demande pour cause d’insuffisance?

3.                  Les allégations d’invalidité pour cause d’évidence, d’antériorité ou de double brevet sont‑elles justifiées?

 

ARGUMENTATION DE PFIZER

[27]           Pfizer soutient que le juge des demandes a commis les erreurs suivantes :

1.                  Il a erronément interprété le paragraphe 27(3) de la Loi et a ignoré la jurisprudence de la Cour suprême du Canada selon laquelle un brevet n’a pas à « décrire [...] en quoi l’invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile ».

2.                  Il a mal interprété l’enseignement et la promesse contenus dans le brevet. Ce dernier promet que l’énantiomère atorvastatine possède une activité surprenante et inattendue d’inhibition de la synthèse du cholestérol qui est supérieure à celle du mélange racémique. Bien que le brevet renferme des données tirées de l’essai CSI qui font état d’une augmentation par un facteur de dix de l’activité, il s’agit d’une épreuve in vitro. Rien n’indique que l’atorvastatine calcique in vivo manifestera une telle activité accrue.

3.                  Il s’est trompé en rejetant les données d’essai CSI, en particulier les données provenant de l’essai CSI 118, comme étant peu fiables. L’essai CSI 118 fournissait les meilleures données, car il s’agissait d’une expérience en parallèle où l’on a comparé l’atorvastatine calcique avec le mélange racémique correspondant et l’énantiomère opposé. Ce test met en évidence une augmentation par un facteur d’environ dix de l’activité in vitro de l’atorvastatine calcique par rapport à son racémate. Le juge des demandes n’aurait pas dû rejeter ces données parce qu’on n’avait pas obtenu une suspension uniforme du composé dans la solution‑mère. La méthode de Pfizer n’exigeait pas une dissolution complète du composé étudié. Ranbaxy n’a pas fourni à la Cour de données pour réfuter les résultats de l’essai CSI 118 ou pour contredire l’activité surprenante et inattendue de l’atorvastatine, même si elle avait effectué ses propres tests.

4.                  Le juge a commis une erreur en se fiant aux données de l’essai AICS. Ce test n’est pas un indicateur fiable de l’activité inhérente ou intrinsèque de l’atorvastatine. Il s’agit d’une expérience in vivo qui mesure la biodisponibilité d’un composé. Même si les données de l’essai AICS étaient considérées fiables, elles révèlent l’activité surprenante du sel de calcium de l’atorvastatine par rapport à son racémate. Alors qu’on se serait attendu à une activité deux fois plus grande, les résultats de l’AICS montrent que cette activité est trois fois supérieure.

5.                  Le juge n’a pas apprécié adéquatement la preuve d’experts. Son rôle était de soupeser la preuve et de tirer des conclusions de fait. Il n’a pas expliqué pourquoi il privilégiait le témoignage des experts de Ranbaxy.

6.                  Ses conclusions ne concordent pas avec celles énoncées dans la décision Novopharm, précitée, où il a tranché que le brevet 546 était un brevet de sélection valide qui comportait des avantages surprenants et inattendus par rapport à ceux offerts par la classe d’agents à laquelle appartient le produit revendiqué. Il n’y a aucune différence notable entre la preuve présentée dans cette affaire et la présente espèce.

 

[28]           Pfizer prétend également que les autres motifs d’invalidité soulevés par Ranbaxy dans son AA ne sont pas fondés.

 

ARGUMENTATION DE RANBAXY

[29]           Ranbaxy est en désaccord avec la position de Pfizer et fait valoir que le juge des demandes ne s’est pas trompé en concluant que l’allégation d’invalidité pour cause d’insuffisance était justifiée.

1.                  Il a appliqué le bon critère juridique en considérant le droit relatif à l’insuffisance.

2.                  Il n’a pas fait d’erreur en concluant que le brevet 546 promet que l’atorvastatine a une activité dix fois supérieure à celle du mélange racémique.

3.                  Il n’a pas fait d’erreur en concluant que les données présentées n’étayaient pas la promesse d’une activité dix fois supérieure.

4.                  Il n’a pas fait d’erreur en concluant que le brevet 546 était insuffisant parce que l’avantage dix fois supérieur qui était promis n’existait pas.

5.                  Sa décision n’est pas incompatible avec sa décision antérieure dans Novopharm, précitée. Il y avait des différences marquées entre les dossiers de ces deux affaires.

 

[30]           Ranbaxy soutient de plus que les autres allégations d’invalidité énoncées dans l’AA sont justifiées.

 

ANALYSE

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

[31]           La détermination du critère juridique applicable est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. L’interprétation d’un brevet est aussi une question de droit susceptible de contrôle selon la même norme : Whirlpool c. Camco, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 76.

 

2.         Le juge des demandes s’est-il trompé en rejetant la demande pour cause d’insuffisance?

[32]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que le juge des demandes a eu tort de rejeter la demande de Pfizer sur le fondement de l’insuffisance. Il a mal défini la portée de l’exigence de divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi et, ce faisant, il a permis à Ranbaxy d’attaquer, par un autre moyen, l’utilité, la nouveauté et/ou l’évidence du brevet. Son raisonnement est incompatible avec l’objet du paragraphe 27(3).

 

A)        L’exigence de divulgation sous l’empire de la Loi

[33]           Le paragraphe 27(3) de la Loi édicte que le mémoire descriptif d’une invention (qui comprend la divulgation et les revendications du brevet) doit :

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

 

i)          L’objet du paragraphe 27(3)

[34]           L’exigence de divulgation sous l’empire de la Loi est le pivot de tout le système des brevets : voir Consolboard Inv. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 517; Pioneer Hi Bred Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, au paragraphe 23. L'octroi d'un brevet est un genre de contrat entre l'État et l'inventeur par lequel ce dernier reçoit le droit exclusif d'exploiter pendant une certaine durée son invention en échange de la divulgation intégrale de son invention et du mode d'opération de celle-ci au public : voir Pioneer Hi Bred, précité, au paragraphe 23. La description de l'invention qui y est faite est la raison pour laquelle l'inventeur obtient un monopole sur l'invention pour un certain nombre d'années : voir Consolboard, précité, à la page 517. La Cour suprême a cité en l’approuvant (par exemple, dans Consolboard, précité, à la page 517; dans Pioneer Hi Bred, précité, au paragraphe 23) le paragraphe suivant de Harold G. Fox dans Canadian Patent Law and Practice, 4e éd. (1969), à la page 163 :

[traduction] L'octroi est accordé pour une double considération: d'abord, il doit y avoir une invention nouvelle et utile, et deuxièmement, en échange de l'octroi d'un brevet, l'inventeur doit donner au public une description adéquate de l'invention avec des détails suffisamment complets et exacts pour permettre à un ouvrier versé dans l'art auquel se rapporte l'invention de construire ou d'utiliser l'invention quand sera terminée la période de monopole. La description contenue dans le mémoire descriptif a pour fonction de permettre la construction et l'utilisation des dispositifs qu'il contient après l'expiration du brevet, et aussi de permettre aux autres de connaître avec une certaine exactitude les frontières du privilège exclusif sur lesquelles ils ne peuvent pas empiéter tant que l'octroi est valide.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

ii)        La portée du paragraphe 27(3)

[35]           Dans Pioneer Hi Bred, précité, au paragraphe 27, la Cour suprême du Canada a ainsi expliqué la portée du paragraphe 27(3) :

Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l'invention. Afin d'être complète, celle-ci doit remplir deux conditions: l'invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l'É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l'invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu'ambiguë alors qu'un manquement à la seconde l'invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l'art ou le domaine de l'invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 563; Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1113), et d'utiliser l'invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l'inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316).

 

 

[36]           Dans Hughes and Woodley on Patents, 2e éd., volume 1, à la page 333, les auteurs décrivent ainsi l’exigence voulant qu’une divulgation soit suffisante :

[traduction] L’insuffisance vise à établir si le mémoire descriptif suffit pour permettre à une personne versée dans l’art de comprendre comment ce qui fait l’objet du brevet est fabriqué [...] Une allégation d’insuffisance est une attaque technique qui ne devrait pas servir à repousser un brevet pour une invention méritoire; une telle attaque sera couronnée de succès lorsqu’une personne versée dans l’art ne pourra mettre en pratique l’invention.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           Le paragraphe 27(3) de la Loi n’exige pas qu’un breveté explique à quel point son invention fonctionne bien par rapport à d’autres inventions. On n’exige pas de lui qu’il décrive en quoi son invention est nouvelle ou utile, et il n’est pas non plus obligé de « de vanter l'effet ou l'avantage de sa découverte s'il décrit son invention de manière à la produire » : voir Consolboard, précité, à la page 526.

 

iii)       Les brevets de sélection

[38]           Le droit en ce qui concerne les brevets de sélection a été expliqué par notre Cour dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214, où, aux paragraphes 3 à 5, le juge Malone a statué :

[3]        Il existe deux catégories générales de brevets de produit chimique : les « brevets d'origine », qui portent sur une invention source comportant la découverte d'une nouvelle réaction ou d'un nouveau composé, et les « brevets de sélection », qui supposent un choix entre des composés connexes procédant du composé original qui ont été décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d'origine (voir In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents, (1930) 47 R.P.C. 283, p. 321, juge Maugham).

[4]        Il y a peu de jurisprudence canadienne sur la question des brevets de sélection, mais la décision I.G. Farbenindustrie a bien défini les principaux éléments de ce type de brevets, et lord Diplock l’a citée en l’approuvant dans une affaire de la Chambre des lords où il a statué que [traduction] « l'étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu'un ou plusieurs éléments d'une catégorie de produits antérieurement connue offre certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n'auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite » (voir Beecham Group Ltd. c. Bristol Laboratories International S.A., [1978] R.P.C. 521, p. 579). Tous les éléments de la catégorie connue qui sont revendiqués doivent posséder les avantages spéciaux, lesquels doivent différer des avantages qu'une personne versée dans l'art se serait attendue à trouver dans un grand nombre d'éléments de la catégorie antérieurement divulguée (c.-à-d. une qualité d'une nature particulière) (voir I.G. Farbenindustrie, p. 323).

 

[5]        Les brevets de sélection encouragent les chercheurs à continuer d'exercer leur génie inventif de façon à découvrir de nouveaux avantages à des composés appartenant à la catégorie connue. Ils peuvent être demandés pour une sélection opérée dans une catégorie comportant des milliers d'éléments ou n'en comportant que deux (voir, par exemple, I.G. Farbenindustrie, p. 323 et E.I. Dupont de Nemours & Co (Witsiepse's) Application, [1982] F.S.R. 303 (C.L), p. 310).

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[39]           Dans la décision Beecham Group, précitée, à la page 579, lord Diplock a déclaré que, en ce qui regarde les brevets de sélection, [traduction] « la contrepartie pour le monopole octroyé à l’inventeur est la divulgation publique qu’il fait, dans son mémoire descriptif, des avantages spéciaux que les composés sélectionnés possèdent » [non souligné dans l’original]. Ce passage a été cité et approuvé par la Cour fédérale à plusieurs reprises : voir Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 1471, au paragraphe 49; Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 390, au paragraphe 56.

 

[40]           De plus, dans Patent Law of Canada (Gordon F. Henderson ed., Carswell Legal Publications, 1994), les auteurs écrivent aux pages 211 et 212 :

[traduction] Lorsque l’invention consiste à sélectionner un ou plusieurs éléments d’un groupe connu antérieurement en se fondant sur la découverte que les éléments sélectionnés ont un avantage inconnu auparavant, et que les autres n’ont pas, l’avantage doit être divulgué dans le mémoire descriptif pour constituer une divulgation complète de l’invention. Cependant, comme dans d’autres affaires, ce qui est revendiqué n’est pas l’avantage, mais les éléments sélectionnés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[41]           Le paragraphe 11.12 de l’édition actuelle du Manual of Patent Office Practice nous apprend ce qui suit sur le sujet des brevets de sélection :

[traduction] La sélection d'éléments dans une classe de substances connue auparavant peut être brevetable si la substance choisie est non évidente et peut produire un résultat nouveau et utile. Il faut qu'elle présente un avantage particulier, et que cet avantage, nouvelle propriété ou usage nouveau, soit défini de manière complète dans la description. Par ailleurs, la définition de la substance devrait être énoncée en des termes explicites dans la revendication.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[42]           Les passages ci-dessus donnent à penser que l’exigence de divulgation peut être un peu plus rigoureuse pour les brevets de sélection. Notre Cour a examiné des brevets de sélection seulement dans deux affaires. Cependant, elle n’a pas, dans un cas comme dans l’autre, permis de penser qu’un degré plus élevé de divulgation serait exigé : voir Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214; Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc, 2006 CAF 421.

 

[43]           En l’espèce, le juge von Finkenstein n’a pas déterminé que le brevet 546 était un brevet de sélection. Toutefois, dans l’affaire Novopharm, précitée, il a de fait conclu que le brevet 546 était un brevet de sélection valide (au paragraphe 96). Bien que la décision Novopharm ait été portée en appel, et que l’affaire ait été entendue par notre Cour, les parties ont réglé l’affaire avant qu’une décision ne soit rendue.

 

[44]           Dans la présente affaire, Pfizer affirme que le brevet 546 est un brevet de sélection. Ranbaxy, pour sa part, adopte une position complètement différente. Au paragraphe 13 de son mémoire, elle déclare :

[traduction] […] Pfizer soutient que la revendication 6 du brevet 546 est une sélection parmi le genre de composés revendiqués dans le brevet 893. Cet argument ne tient pas compte du fait qu’à la revendication 5, le brevet 893 revendique spécifiquement la forme lactonique du racémate d’atorvastatine.

 

 

[45]           L’argument de Ranbaxy semble être que le brevet 546 n’est pas un brevet de sélection étant donné qu’il revendique des composés se rapportant à un autre brevet. Cette position ne tient pas compte du fait que sélectionner une classe plus étroite de composés se rapportant à un brevet de genre est la nature même du brevet de sélection. Ranbaxy elle-même se reporte au brevet 546 comme à un brevet de sélection plus loin dans son mémoire, au paragraphe 72 :

[traduction] […] Lorsqu’un inventeur a l’intention de faire une sélection fondée sur un avantage particulier, il doit décrire l’avantage particulier que rend l’invention nouvelle par rapport à l’état antérieur de la technique.

 

 

[46]           À mon avis, il ne fait aucun doute que le brevet 546 est un brevet de sélection. Il englobe le lactone, la forme acide et les sels pharmaceutiquement acceptables de l’atorvastatine, un des nombreux composés visés par les brevets 768 et 893. Le brevet est fondé sur le fait que les composés qui sont revendiqués comportent un avantage particulier, à savoir l’activité surprenante et inattendue d’inhibition de la biosynthèse du cholestérol, c’est‑à‑dire une activité plus de deux fois supérieure. Le sel de calcium de l’atorvastatine, le composé spécifiquement visé par la revendication 6, est la réalisation privilégiée de l’invention : voir le brevet 546, dossier d’appel, volume 1, page 91.

 

B)        La divulgation de l’invention dans le brevet 546

[47]           Voici les paragraphes du brevet 546 qui sont pertinents quant à l’augmentation promise de l’action inhibitrice de l’atorvastatine sur la biosynthèse du cholestérol :

 

[traduction]

CONTEXTE DE L’INVENTION

 

[…]

 

Les trans-(±)-5-(4-fluorophényl)-2-(1-méthyléthyl)-N,4-diphényl-1-[2-tétrahydro-4-hydroxy-6-oxo-2H-pyran-2-yl)éthyl]-1H-pyrrole-3-carboxamides sont parmi les composés du brevet américain 4,681,893 qui sont utiles en tant qu’inhibiteurs de la biosynthèse du cholestérol. Ces composés comprennent en gros des 4‑hydroxypyran-2-ones et les acides à cycle ouvert correspondants qui en sont dérivés.

 

Il a été inattendu de découvrir que l’énantiomère ayant la forme R de l’acide à cycle ouvert du trans-5-(4-fluorophényl)-2-(1-méthyléthyl)-N,4-diphényl-1-[2-tétrahydro-4-hydroxy-6-oxo-2H-pyran-2-yl)éthyl]-1H-pyrrole-3-carboxamide, c’est‑à‑dire l’acide [R-(R*,R*)]-2-(4-fluorophényl)-β,δ-dihydroxy-5-(1‑méthyléthyl)-3-phényl-4-[(phénylamino)carbonyl]-1H-pyrrole-1-heptanoïque, possédait une activité inhibitrice surprenante de la biosynthèse du cholestérol (dossier d’appel, volume 1, page 91).

 

[…]

 

Toutefois, à la lumière de ces divulgations au sujet de l’état antérieur de la technique, une personne versée dans l’art pourrait ne pas prévoir l’activité inhibitrice inattendue et surprenante de la biosynthèse du cholestérol que possède la présente invention (dossier d’appel, volume 1, page 92).

 

[…]

 

DESCRIPTION DÉTAILLÉE DE L’INVENTION

 

[…]

 

Les composés décrits dans la présente invention et particulièrement ceux ayant la formule I inhibent la biosynthèse du cholestérol comme le confirme l’essai CSI divulgué dans le brevet américain 4,681,893. Les données obtenues par l’essai CSI sur le composé I, son énantiomère, le composé II, et le racémate de ces deux composés sont les suivantes :

 

Composé

CI50 (micromoles/litre)

Isomère [R-(R*R*)]

0,0044

Isomère [S-(R*R*)]

0,44

Racémate

0,045

 

Par conséquent, la présente invention est la composition pharmaceutique préparée à partir du composé de la formule I ou II ou ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

Ces compositions sont préparées de la façon décrite dans le brevet américain 4,681,893 (dossier d’appel, volume 1, page 99).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[48]      En ce qui concerne le choix du sel, la divulgation de l’invention dans le brevet 546 nous apprend ce qui suit :

[traduction] Les sels pharmaceutiquement acceptables appropriés visés par l’invention sont ceux dérivés de bases telles que l’hydroxyde de sodium, l’hydroxyde de potassium, l’hydroxyde de lithium, l’hydroxyde de calcium, le 1‑désoxy-2-(méthylamino)-D-glucitol, l’hydroxyde de magnésium, l’hydroxyde de zinc, l’hydroxyde d’aluminium, l’hydroxyde ferreux ou ferrique ou l’hydroxyde d’ammonium ou encore d’amines organiques telles que la N‑méthylglucamine, la choline, l’arginine et d’autres amines similaires. De préférence, les sels de lithium, de calcium, de magnésium, d’aluminium et les sels ferreux ou ferriques sont préparés à partir du sel de sodium ou de potassium en ajoutant le réactif approprié à une solution du sel de sodium ou de potassium; ainsi, en ajoutant du chlorure de calcium à une solution du sel de sodium ou de potassium du composé de la formule I, on obtiendra son sel de calcium.

 

[…]

 

La réalisation privilégiée de la présente invention est l’acide [R-(R*R*)]-2‑(4‑fluorophényl)-β,δ-dihydroxy-5-(1-méthyléthyl)-3-phényl-4-[(phénylamino)carbonyl]-1H-pyrrole-1-heptanoïque, un sel hémicalcique (dossier d’appel, volume 1, page 95).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

C)        Les allégations d’insuffisance dans l’AA

[49]           Dans son AA, Ranbaxy allègue que [traduction] « le brevet 546 est valide pour cause d’insuffisance » (dossier d’appel, volume 1, page 234). Les passages pertinents figurent aux pages 20 et 21 de l’AA (dossier de l’appel, volume 1, pages 243 et 244) :

[traduction] La divulgation de l’invention dans le brevet 546 ne décrit pas de façon suffisamment complète ou exacte l’invention revendiquée, dérogeant ainsi aux paragraphes 27(3) et 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 et ses modifications. La divulgation de l’invention ne démontre pas qu’il y a  un aspect nouveau ou inventif, comme on le revendique.

 

En introduction de la divulgation de l’invention dans le brevet 546, on lit ceci à la page 1, lignes 14 à 22 : « il a été inattendu de découvrir que l’énantiomère ayant la forme R de l’acide à cycle ouvert du [lactone], c’est‑à‑dire [l’acide d’atorvastatine], possédait une activité surprenante d’inhibition de la biosynthèse du cholestérol ».

 

La seule preuve fournie à l’appui de l’allégation que l’invention décrite a des propriétés surprenantes et inattendues est un seul ensemble de données d’essai CSI censé démontrer l’efficacité de chacun des deux énantiomères trans et le racémate trans qui sont décrits à la page 8, lignes 12 à 16, de la façon suivante :

 

 

COMPOSÉ

CI50 (micromoles/litre)

Isomère [R-(R*R*)]

0,0044

Isomère [S-(R*R*)]

0,44

Racémate

0,045

 

Le témoignage du Dr Scallen au procès américain tenu à la fin de 2004 au Delaware et portant sur le brevet américain correspondant (5,273,995) a démontré que le tableau ci‑dessus n’est pas représentatif de toutes les données recueillies par Pfizer, et que les expériences CSI n’ont pas non plus été effectuées correctement. Ranbaxy se fonde sur la transcription non confidentielle du témoignage du Dr Scallen lors du procès américain dans l’affaire Pfizer, Inc., et al., c. Ranbaxy Laboratories et al., no de greffe 03-209-JJF, le 3 décembre 2004.

 

Le Dr Scallen a témoigné que les résultats des tests inclus dans le brevet 546 se limitaient à une sélection non représentative et incomplète des expériences CSI in vitro. Plus précisément, le Dr Scallen a témoigné que lorsqu’une partie ou la totalité de la sélection représentative des expériences CSI menées par Pfizer étaient prises en considération, les données dans l’ensemble étaient extrêmement variables, et que l’on ne pouvait tirer de conclusions scientifiquement valides à partir de l’ensemble des données. Pour reprendre les paroles du Dr Scallen, « rien de scientifique n’est possible dans ces circonstances ».

 

De plus, comme l’a expliqué le Dr Scallen, Pfizer a effectué des expériences AICS in vitro plus fiables qui n’ont pas été incluses dans le brevet 546. Il a avancé que ces expériences AICS révélaient une différence par un facteur d’environ deux entre le racémate et l’énantiomère R‑(R*R*). Il a indiqué que ses conclusions concernant les données de l’essai AICS concordaient avec les conclusions tirées par Pfizer, dans des notes de service internes, après examen des mêmes données. Le Dr Scallen a déclaré que ses conclusions allaient dans le sens de celles tirées par Pfizer, selon lesquelles, comme prévu, l’atorvastatine calcique est deux fois plus puissante que le sel de calcium racémique qui contient 40 % de l’isomère inactif.

 

Ranbaxy fait également valoir que Pfizer n’a pas demandé à son employé qui avait effectué les tests AICS de témoigner au procès. Cet employé a conclu, d’après les deux expériences in vivo, que l’énantiomère R‑(R*R*) était seulement deux fois plus actif que le racémate, et que les résultats n’étaient pas surprenants ni inattendus.

 

L’inventeur a accès à toutes les données des essais CSI, COR et AICS et a apparemment choisi uniquement les parties non représentatives de ces données pour appuyer l’activité « surprenante » alléguée de l’énantiomère R.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[50]           Ranbaxy conteste la promesse faite par Pfizer dans le brevet 546, à savoir que l’atorvastatine présente une activité accrue surprenante et inattendue par rapport au racémate. Pour ce faire, elle attaque la fiabilité des données qui sous-tendent cette promesse. Plus précisément, Ranbaxy soutient que la seule preuve à l’appui de l’allégation voulant que l’invention décrite ait des propriétés surprenantes et inattendues est un unique ensemble de données d’essai CSI, qui n’est pas représentatif de l’éventail des données colligées par Pfizer dans le cadre des expériences CSI. Les données d’essai CSI dans leur ensemble présentaient une très grande variabilité et étaient plus fiables. Les données obtenues par Pfizer lors des expériences AICS, qui ne sont pas incluses dans le brevet 546, étaient plus fiables et révélaient une différence par un facteur de deux seulement entre l’atorvastatine et son racémate.

 

[51]           Ces allégations, bien qu’elles figurent sous la rubrique intitulée « suffisance » dans l’AA, n’ont rien à voir, selon moi, avec l’exigence de divulgation énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi. Elles sont plutôt pertinentes pour l’analyse de l’utilité, de la nouveauté et/ou de l’évidence de l’invention visée par un brevet. Cela ressort clairement du premier paragraphe de l’AA précité, selon lequel [traduction] « [l]a divulgation de l’invention ne démontre pas qu’il y ait aspect nouveau ou inventif, comme on le revendique ». Ce que conteste réellement Ranbaxy dans son AA sous la rubrique « suffisance » est le fait que Pfizer ait obtenu un brevet de sélection sans avoir fourni des données fiables démontrant que la classe étroite de composés sélectionnés était meilleure que les composés se rapportant au brevet de genre.

 

D)        Les erreurs du juge des demandes

[52]           À mon avis, le juge des demandes s’est trompé sur deux points. Premièrement, il a commis une erreur en estimant que le brevet 546 assure que l’atorvastatine a une activité dix fois supérieure à celle du mélange racémique. Deuxièmement, il s’est trompé en centrant son analyse au regard du paragraphe 27(3) sur la question de savoir si les données étayent la promesse faite dans le brevet.

 

i)          L’interprétation du brevet

[53]           L’arrêt American Cyanamid c. Ethicon Limited, [1979] R.P.C. 215, à la page 261 (Ch. D.) établit que bien qu’un breveté ne soit pas obligé de promettre un résultat dans le brevet, s’il le fait, il sera tenu de remplir sa promesse.

 

[54]           Le juge des demandes a commis une erreur d’interprétation lorsqu’il a estimé que le brevet 546 assure que l’atorvastatine a une activité dix fois supérieure à celle du mélange racémique. L’assurance donnée est plutôt que les composés en cause [traduction] « inhibent de façon inattendue et surprenante la biosynthèse du cholestérol », soit par une activité deux fois supérieure (dossier d’appel, volume 1, page 92). Bien que le brevet 546 se reporte ensuite aux données CSI figurant dans un tableau pour appuyer cette promesse, à mon avis, les données illustrent tout au plus l’ampleur de cette promesse in vitro.

 

[55]           Du fait qu’un brevet s’adresse, quant au fond, à une personne versée dans l’art, ses revendications doivent être interprétées en fonction de leur objet, comme le ferait une personne versée dans l’art : voir Whirlpool, précité, au paragraphe 49, et Consolboard, précité, à la page 521. Une personne versée dans l’art sera intéressée de savoir si les composés revendiqués par le brevet 546 augmentent l’activité in vivo. Elle saura que les données CSI, qui représentent l’activité d’un composé in vitro, ne reflètent pas l’activité du composé in vivo. Elle n’estimera pas que le brevet promet l’augmentation exacte de l’activité indiquée dans le tableau de données CSI. Je ne peux accepter l’argument de Ranbazy selon lequel [traduction] « le breveté avait l’intention que les données figurant dans le brevet assurent une activité dix fois supérieure en inhibant la biosynthèse du cholestérol chez les humains, pas seulement dans une éprouvette » (mémoire de Ranbaxy, paragraphe 23).

 

ii)        L’analyse au regard du paragraphe 27(3)

[56]           Le juge des demandes a eu tort d’interpréter l’exigence de divulgation du paragraphe 27(3) de la Loi comme exigeant qu’un breveté appuie son invention sur des données. Ce faisant, il a confondu l’exigence qu’une invention soit nouvelle, utile et non évidente avec l’exigence, suivant le paragraphe 27(3), que le mémoire descriptif divulgue « l’usage » auquel l’invention se prêtait selon l’inventeur : Consolboard, précité, à la page 527. La question de savoir si un breveté a obtenu suffisamment de données pour étayer son invention n’est pas pertinente, à mon sens, au regard de l’application du paragraphe 27(3). L’analyse à cet égard met en cause le caractère suffisant de la divulgation et non le caractère suffisant des données sous-jacentes à l’invention. Permettre à Ranbaxy d’attaquer l’utilité, la nouveauté et/ou l’évidence du brevet 546 par le biais de l’exigence de divulgation élargit indûment la portée de l’obligation de l’inventeur suivant le paragraphe 27(3), et ignore l’objet de cette disposition.

 

[57]           Bien qu’il soit vrai que le paragraphe 27(3) exige que l’inventeur « décrive d’une façon exacte et complète » son invention, cette disposition veut qu’on s’assure que le breveté fournit l’information nécessaire à la personne versée dans l’art pour qu’elle utilise l’invention avec le même succès que le breveté. La Cour suprême du Canada, dans Consolboard, précité, à la page 526, a cité en l’approuvant le passage suivant de R. c. American Optical Company et al. (1950), 11 Fox Pat. C. 62, à la page 85 :

[traduction] […] Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l’invention et son emploi aux fonctionnements prévus par l’inventeur de telle sorte que le public, c’est‑à‑dire les personnes versées dans l’art, puissent, en n’ayant que le mémoire descriptif, utilisé l’invention avec le même succès que l’inventeur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[58]           C’est le paragraphe 53(1) de la Loi, et non le paragraphe 27(3), qui exige que le mémoire descriptif d’un brevet soit conforme à la vérité et n’induise personne en erreur. Le paragraphe 53(1) est ainsi rédigé :

Nul en certains cas, ou valide en partie seulement

 

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

 

 

Void in certain cases, or valid only for parts

 

53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

 

 

[59]           Seules deux questions sont pertinentes aux fins du paragraphe 27(3) de la Loi. En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne-t-elle? : voir Consolboard, précité, à la page 520. Dans le cas de brevets de sélection, répondre à la question « En quoi consiste l’invention? » suppose la divulgation des avantages conférés par la sélection. Si le mémoire descriptif du brevet (divulgation et revendications) répond à ces questions, l’inventeur a respecté son engagement. En l’espèce, le brevet 546 répond à chacune de ces questions.

 

[60]           En quoi consiste l’invention? L’invention consiste dans le fait d’avoir identifié un énantiomère et, en particulier, le sel de calcium de cet énantiomère, qui inhibe mieux la biosynthèse du cholestérol qu’on le prévoirait compte tenu des connaissances communes et de l’état antérieur de la technique au moment de la demande de brevet.

 

[61]           Comment fonctionne-t-elle? Le brevet 546 énonce les méthodes de production des composés visés par le brevet.

 

[62]           Je conclus aussi que la divulgation ne devient pas insuffisante du fait que le brevet 546 ne fournit pas de justification expliquant pourquoi le sel de calcium de l’atorvastatine est la réalisation privilégiée de l’invention. Comme je l’ai déjà indiqué, il n’est pas exigé que le breveté explique dans sa divulgation pourquoi et comment son invention est utile. Le lecteur averti, qui lit la divulgation dans son ensemble, comprendrait que le brevet revendique que le sel de calcium de l’atorvastatine est le composé visé par le brevet 546, lequel démontre le résultat inattendu d’une inhibition de la biosynthèse du cholestérol du fait qu’il a les propriétés physiques privilégiées. Pfizer n’était pas tenue d’inclure dans le brevet 546 des données appuyant sa déclaration que le sel de calcium de l’atorvastatine est la réalisation privilégiée de l’invention, non plus qu’elle était tenue d’expliquer en quoi le sel de calcium était la réalisation privilégiée.

 

E)        Conclusion au sujet de la divulgation suivant le paragraphe 27(3)

[63]           Le juge des demandes s’est trompé en interprétant la promesse du brevet et en déterminant mal la portée de l’exigence de divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi lorsqu’il s’est demandé s’il y avait suffisamment de données pour étayer la promesse du brevet. Un tel examen excède la portée de la disposition. Attaquer un brevet de sélection au motif qu’il n’existe pas de données pour étayer l’avantage revendiqué est certainement pertinent aux fins de la validité (très probablement en ce qui regarde la question de l’utilité), mais ne l’est pas aux fins de la divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi.

 

[64]           Le brevet doit divulguer l’invention et comment elle est fabriquée. Le brevet 546 fait cela. Il divulgue également les avantages sous-tendant la sélection. C’est là, à mon avis, la portée de l’exigence énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi, dont l’objet est de permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser pleinement l’invention sans avoir à faire montre d’un esprit inventif.

 

F)         Les assertions d’évidence, de double brevet et d’antériorité sont-elles justifiées?

[65]           Je me penche maintenant sur les assertions d’évidence, de double brevet et d’antériorité de Ranbaxy. Vu sa conclusion en ce qui concerne la question relative au paragraphe 27(3), le juge n’a pas formulé de conclusions sur la question de savoir si les assertions de Ranbaxy étaient justifiées sous ces rubriques.

 

[66]           Dans son AA, Ranbaxy prétend que le brevet 546 est invalide pour cause d’évidence, de double brevet et d’antériorité. Pfizer répond à ces assertions en disant que, le brevet 546 est un brevet de sélection, sa validité dépend uniquement du fait que les composés sélectionnés présentent des avantages inattendus par rapport à la classe dont ils sont issus.

 

[67]           Dans la décision Novopharm, précitée, le juge von Finckenstein a examiné, pour ce qui est du brevet 546, les assertions d’invalidité pour cause d’évidence, de double brevet et d’antériorité, et a conclu qu’elles n’étaient pas justifiées. Cette conclusion était fondée sur celle portant que le brevet 546 était, à sa face même, un brevet de sélection valide qui revendique, pour l’atorvastatine, un avantage dix fois supérieur par rapport au mélange racémique. À son avis, le fait que le brevet 546 soit une sélection valide fournissait une réponse exhaustive aux assertions d’invalidité (voir les paragraphes 56 et 96 de ses motifs). En concluant ainsi, le juge a souligné que les assertions d’invalidité de Novopharm, fondées sur l’antériorité, l’évidence et le double brevet, n’attaquaient pas le brevet 546 au motif qu’il ne constituait pas une sélection valide, non plus qu’elles ne contestaient son utilité.

 

[68]           En l’espèce, Ranbaxy conteste la validité du brevet 546 pour cause d’évidence, de double brevet et d’antériorité, mais il n’attaque pas, sous ces rubriques, le caractère suffisant des données sous-tendant l’invention revendiquée dans le brevet 546. Je tire donc la même conclusion que le juge von Finkenstein dans Novopharm, précitée, c’est‑à‑dire que l’AA ne constitue pas un fondement suffisant permettant de contester les données sous-tendant le brevet 546.

 

[69]           À sa face même, le brevet 546 est un brevet de sélection, dont la validité dépend du fait qu’il présente des avantages inattendus par rapport à la classe dont il est issu. En omettant d’attaquer les données sous-tendant la sélection sous les rubriques d’antériorité, d’évidence et de double brevet, Ranbaxy n’a pas contesté la validité de la sélection. En conséquence, comme l’a statué le juge Finkenstein dans Novopharm, précitée, point n’est besoin d’examiner les assertions de Ranbaxy sous ces rubriques. Toutefois, je dirai néanmoins quelques mots en ce qui concerne les questions de double brevet et d’antériorité.

 

i)          Double brevet :

[70]           Ranbaxy soutient, dans son AA, qu’un certain nombre des revendications du brevet 546 sont invalides pour cause de double brevet (dossier d’appel, volume 1, pages 239 et 240) :

[traduction] Le brevet canadien no 1,330,441 (le brevet 441), intitulé « Procédé pour la synthèse d’inhibiteurs de la synthèse du cholestérol, de type trans‑6-[2‑(pyrrol‑1‑YL substitué)alkyl]pyran‑2‑one », a été déposé le 7 février 1989, et les dates de priorité sont le 22 février 1988 et le 1er février 1989, d’après les demandes de brevets américains nos 158,439 et 303,733, respectivement, délivrés également à Warner‑Lambert. Le brevet 441 a été déposé plus d’un an avant le dépôt du brevet 546.

 

Le brevet 441 divulgue des procédés pour la préparation, entre autres, du lactone d’atorvastatine, de l’acide d’atorvastatine et de leurs sels pharmaceutiquement acceptables. En outre, la divulgation du brevet 441 décrit l’acide d’atorvastatine à la page 22, lignes 1 à 3 : « Un acide dihydroxy et ses sels pharmaceutiquement acceptés, correspondant au cycle lactonique ouvert des composés de la formule structurale 1. »

 

Le brevet 441 indique à la page 2, lignes 2 à 7, les procédés divulgués dans le brevet américain 893 :

 

[…] ne donnent pas des produits énantiomériquement purs. Les matières produites au moyen des méthodes précédentes peuvent être séparées en produits énantiomériquement purs, mais le procédé est très coûteux, prend du temps et entraîne la perte de plus de 50 % de la matière première.

 

L’objet de la présente invention est un procédé amélioré pour la préparation des composés décrits ci‑dessus à l’aide d’une nouvelle méthode de synthèse.

 

L’exemple 3 du brevet 441 illustre deux méthodes pas à pas pour produire le lactone d’atorvastatine.

 

De plus, le brevet 441 divulgue que l’énantiomère unique R(R*R*) est particulièrement utile comme agent hypolipémiant et hypocholestérolémiant (page 1, I.18‑25) et qu’il s’agit de l’isomère privilégié (page 44, I.33‑35).

 

[71]           En ce qui concerne plus particulièrement la revendication 6 du brevet 546, le AA mentionne ce qui suit (dossier d’appel, volume 1, page 241) :

[traduction] Comme nous l’avons indiqué précédemment, la revendication 6 du brevet 546 nomme le sel hémicalcique de l’acide d’atorvastatine décrit à la revendication 2 du brevet 546. La revendication 12 du brevet 441 revendique, entre autres, des procédés pour la fabrication d’acide d’atorvastatine et de ses sels pharmaceutiquement acceptables. Le brevet 441 (page 20, I.16) indique que les sels de calcium sont des sels pharmaceutiquement acceptés. Le sel de calcium de l’acide d’atorvastatine serait un produit évident pour la personne versée dans l’art qui a pris connaissance de la divulgation de l’invention et de l’article de Monkhouse, précité.

 

En conséquence, la revendication 6 du brevet 546 ne visait pas un élément brevetable distinct de celui de la revendication 12 du brevet 441. La revendication 6 du brevet 546 était donc dépourvue de nouveauté ou d’ingéniosité par rapport à la revendication 12 du brevet 441, et elle est invalide parce qu’il s’agit d’un double brevet.

 

 

[72]           Sur le sujet du double brevet, l’AA conclut ainsi (dossier d’appel, volume 1, page 241) :

[traduction] Les composés du brevet 546 ne créent pas une nouvelle invention par rapport aux produits finaux des procédés décrits dans le brevet 441. Ainsi, les revendications 1, 2, 3, 6, 11 et 12 du brevet 546 ne présentent aucune nouveauté ni ingéniosité par rapport aux revendications 12 et 14 du brevet 441 et, en conséquence, les revendications 1, 2, 3, 6, 11 et 12 du brevet 546 sont invalides pour cause de double brevet.

 

 

[73]           Dans son avis de demande, Pfizer répond à cette assertion de la façon suivante (dossier d’appel, volume 1, page 83) :

[traduction] Le brevet 441 comprend des revendications relatives à un procédé amélioré pour la préparation de composés […]. Il ne revendique pas [des composés][…] comme molécules ayant une activité étonnamment puissante d’inhibition de la biosynthèse du cholestérol ou d’autres caractéristiques inattendues. Le brevet 441 ne revendique pas non plus l’atorvastatine calcique comme composé présentant une activité étonnamment puissante d’inhibition de la biosynthèse du cholestérol ou d’autres propriétés inattendues.

 

En outre, l’assertion de double brevet fondé sur le brevet 441 ne peut être justifiée, car le brevet 546 expire avant le brevet 441 et ne prolonge pas le monopole conféré par le brevet 546.

 

La revendication 6 du brevet 546 vise un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications du brevet 441. Il ne s’agit donc pas d’un double brevet comme le soutient Ranbaxy.

 

 

[74]           Résumé à sa plus simple expression, l’argument de Ranbaxy porte que les revendications de procédé du brevet 441 et les revendications de produit du brevet 546 sont, en réalité, deux aspects de la même invention. Aussi il en résulte qu’il n’y a pas d’ingéniosité dans le fait de prendre les produits divulgués dans le brevet 441 et de les breveter séparément dans le cadre du brevet 546. Le brevet 546 n’est donc pas manifestement distinct du brevet 441.

 

[75]           Dans l’arrêt Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, aux paragraphes 67 et 68, le juge Sharlow a ainsi résumé le droit sur la question des doubles brevets :

[67]      Le concept du « double brevet » renvoie à une certaine jurisprudence élaborée pour empêcher les « renouvellements à perpétuité » des brevets. Le renouvellement à perpétuité est le prolongement indu du monopole conféré par la loi au breveté grâce à des brevets successifs obtenus pour des ajouts évidents ou non inventifs (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 37).

[68]      Jusqu'à présent, la jurisprudence a défini deux catégories de double brevet. Dans la première catégorie, celle du « brevet pour la même invention », deux brevets sont identiques ou il y a « identité » des revendications des deux brevets. La seconde catégorie, celle du « double brevet relatif à une évidence », a une portée un peu plus large. Dans ce type de double brevet, il n'y a pas « identité » des revendications des deux brevets; cependant le dernier brevet comporte des revendications qui ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles de l'autre brevet, ou ne comporte aucune nouveauté ou ingéniosité.

 

[76]           À mon avis, les assertions de double brevet ne sont pas justifiées. Le brevet 441 se rapporte à des procédés, alors que le brevet 546 se rapporte à des composés. Comme l’ont expliqué Hughes et Woodley (aux paragraphes 15, page 172), [traduction] « un brevet antérieur pour un produit fabriqué par un procédé revendiqué n’invalide pas un brevet postérieur pour le produit en soi pour cause de double brevet » (voir Aventis Pharma Inc. c. Mayune Pharma (Canada) Inc., [2005] A.C.F. no 1437, aux paragraphes 72 à 76 (Q.L.)).

 

[77]           De plus, selon Hughes et Woodley (paragraphe 15, page 172), [traduction] « lorsqu’un brevet est considéré comme un brevet de sélection adéquat, donc non évident, il n’y a pas de double brevet » (voir Glaxo SmithKline Inc. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 886, au paragraphe 48 (Q.L.)).

 

[78]           J’endosse donc la conclusion suivante du juge von Finkenstein dans Novopharm, précitée :

[100]    Pour qu'il y ait double brevet relatif à la même invention, il faut qu'il y ait identité des revendications. Or, comme le brevet 441 est un brevet de procédé, il ne porte évidemment pas sur la même invention que le brevet 546, qui revendique un composé. De plus, étant donné que le brevet 546 porte sur une sélection à partir du groupe de composés divulgué par le brevet 768 (l'équivalent canadien du brevet américain 893), ses revendications ne sont manifestement pas identiques à celles du brevet 768.

[101]    Pour ce qui est du double brevet relatif à une évidence, les revendications ou la divulgation du second brevet doivent présenter le caractère de la nouveauté ou de l'ingéniosité pour qu'il soit valide (voir Sanofi-Synthelabo Canada Inc., précitée, au paragraphe 86).

[102]    La Cour ayant conclu qu'il constitue un brevet de sélection, le brevet 546 présente par définition le caractère de la nouveauté. Il ne peut donc être invalide au motif du double brevet relatif à une évidence.

 

                        ii)        Antériorité

[79]           Ranbaxy soutient que le brevet 546 est précédé par le brevet 768 qui divulgue l’atorvastatine calcique. L’AA attaque ainsi la nouveauté du brevet 546 (dossier d’appel, volume 1, page 244) :

[traduction] Si, selon l’interprétation donnée au brevet 768, ses revendications sont considérées inclure l’énantiomère R(R*R*), alors les revendications 1, 2, 3, 6, 11 et 12 du brevet 546 sont invalides pour absence de nouveauté au regard du brevet américain 893 (qui correspond au brevet 768). Suivant cette interprétation, le brevet 893 divulguerait l’énantiomère R(R*R*) et des sels pharmaceutiquement acceptables pour utilisation à titre d’agent hypocholestérolémique ou hypolidémique. Tous les éléments essentiels des revendications 1, 2, 3, 6, 11 et 12 du brevet 546 se retrouveraient alors dans le brevet américain 893. Ces revendications ne seraient pas nouvelles, et seraient donc invalides.

 

 

[80]           Pfizer répond ainsi à cette allégation dans son avis de demande (dossier d’appel, volume 1, page 83) :

[traduction] Ranbaxy prétend aussi que la revendication 6 du brevet 546 est invalide pour absence de nouveauté au regard du brevet 893. Cette affirmation est sans fondement. La revendication 6 du brevet 546 revendique un sujet qui est nouveau par rapport à la divulgation du brevet 893. La revendication 6 n’est pas précédée par le brevet 893.

 

 

[81]           Le critère applicable en matière d’antériorité a été énoncé par notre Cour dans Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, et a été repris par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Electro Santé Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 168 :

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[82]            Dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214, notre Cour a dit clairement qu’il était difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité. Au paragraphe 36, le juge Malone déclare :

[36]     Il s'agit d'un critère exigeant. Le juge de première instance a estimé qu'une personne versée dans l'art ne saurait pas pourquoi le bésylate s'impose comme l'un des premiers choix, ignorerait s'il forme un sel à l'état solide et ne connaîtrait pas les propriétés particulières du bésylate ou l'avantage qu'elles constituent pour des préparations pharmaceutiques. Il a donc conclu qu'elle n'arriverait pas infailliblement à l'invention revendiquée. Cette conclusion n'est pas entachée d'une erreur manifeste et dominante parce que des éléments de preuve permettaient au juge de la tirer.

 

 

[83]           À mon avis, l’allégation d’antériorité n’est pas justifiée. La revendication d’un composé chimique particulier ne peut avoir été anticipée par une antériorité citée qui porte seulement sur une vaste classe de genre de composés à laquelle appartient le composé  en cause, parce que cette antériorité ne donne pas de directives menant infailliblement au composé particulier (voir Sanofi‑Synthelab Canada Inc. et al. c. Apotex Inc. et al. (2005), 39 C.P.R. (4th) 202, au paragraphe 55, confirmé, 2006 CAF 421, aux paragraphes 25 à 27; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1087 (Q.L.), 77 C.P.R. (3d) 547 (1re inst.); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214, [2006] A.C.F. no 894 (Q.L.)). Ranbaxy n’a pas prétendu que l’antériorité montre que le sel de calcium de l’atorvastatine aurait une activité inhibitrice supérieure à celle qu’on prévoyait, c’est‑à‑dire deux fois supérieure.

 

CONCLUSION

[84]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’interdirais au ministre de délivrer à Ranbaxy un avis de conformité en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues pour l’atorvastatine calcique, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet 546. J’adjugerais aussi à Pfizer ses dépens relativement à l’appel et à la demande.

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            A.M. Linden, j.c.a.  »

 

« Je suis d’accord.

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., dipl. trad.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-79-07

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                PFIZER CANADA INC. et WARNER-LAMBERT COMPANY, LLC. c. MINISTRE DE LA SANTÉ et RANBAXY LABORATORIES LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 22 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LINDEN

                                                                                                LE JUGE RYER

 

DATE :                                                                                   Le 20 mars 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Shaughnessy

Peter Wilcox

Grant Worden

 

POUR LES APPELANTES

 

Ronald Dimock

Angela Furlanetto

David Reive

POUR L’INTIMÉE, RANBAXY LABORATORIES LTD.

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Dimock Stratton, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE, RANBAXY LABORATORIES LTD.

 

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