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Date : 20080417

Dossier : A-105-08

Référence : 2008 CAF 141

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

En présence de madame la juge SHARLOW         

 

ENTRE :

eBAY CANADA LIMITED ET eBAY CS VANCOUVER INC.

appelantes

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 avril 2008.

Ordonnance rendue à Toronto (Ontario), le 17 avril 2008.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                  LA JUGE SHARLOW           

 


Date : 20080417

Dossier : A-105-08

Référence : 2008 CAF 141

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

En présence de madame la juge SHARLOW         

 

ENTRE :

eBAY CANADA LIMITED ET eBAY CS VANCOUVER INC.

 

appelants

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE SHARLOW

[1]               Les appelants eBay Canada Limited et eBay Cs Vancouver Inc. (ci-après collectivement désigné « eBay Canada ») a interjeté appel du jugement du juge Hughes daté du 13 février (2008 CF 180). Ce jugement autorise le ministre du Revenu national à exiger qu’eBay Canada, conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)), fournisse des renseignements au ministre au sujet des PowerSellers dont l’inscription à eBay indique une adresse au Canada. Les renseignements exigés comprennent les noms du PowerSellers, leurs coordonnées et le montant brut de leurs ventes annuelles sur eBay. J’ai devant moi une requête déposée par eBay Canada pour sursoir à l’exécution du jugement jusqu’au prononcé de l’appel. Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée.

Cadre légal

[2]               Le régime fiscal canadien est un régime d’autodéclaration et d’autocotisation. Il dépend en grande partie de l’honnêteté et de l’intégrité des contribuables qui doivent produire leurs déclarations annuelles dans laquelle ils fournissent une estimation de leur impôt sur le revenu à payer (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627). En même temps, le ministre responsable de l’administration et de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu obtient des pouvoirs conférés par la loi lui permettant de déceler les incidents d’inobservation et de prendre des mesures correctives.

 

[3]               Les pouvoirs du ministre comprennent certains outils qui lui permettent d’exiger la production de renseignements qu’il considère nécessaires à la réalisation de son mandat. L’un de ces outils figure au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Voici les passages pertinents en question :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), […] par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), […] by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenus ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

 

[4]               La disposition qui a précédé au paragraphe 231.2(1), l’ancien paragraphe 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1970‑71‑72, ch. 63, a été pris en considération dans James Richardson & Sons Limited c. M.N.R., [1984] 1 S.C.R. 614. Dans cette affaire, la juge Wilson, au nom de la Cour, a statué que l’ancien paragraphe 231(3), interprété de façon appropriée, ne permettait pas au ministre d’exiger qu’un courtier identifie ses clients afin que le ministre puisse déterminer si un examen approfondi des affaires fiscales du client était justifié.

 

[5]               Quelques changements ont été apportés à la Loi de l’impôt sur le revenu dans la réponse dans l’affaire James Richardson. L’adoption du paragraphe 231.2(2) a été l’un de ces changements.   Cela permet au ministre, dans certaines circonstances, d’exiger la production de renseignements au sujet de personnes non désignées nommément si le ministre obtient l’approbation d’un juge (un juge de la Cour fédérale ou un juge de la cour supérieur de la province ou du territoire approprié, conformément à l’article 213).

 

[6]               En temps normal, le ministre a recours au paragraphe 231.2(2) lorsqu’il souhaite vérifier si une catégorie déterminée de personnes s’est conformée à la Loi de l’impôt sur le revenu, et les renseignements qui traitent de cette question sont accessibles par une personne n’étant pas tenue par la loi de les fournir au ministre dans une déclaration de renseignements ou dans le cadre de l’examen de ses propres affaires fiscales par le ministre. Le paragraphe 231.2(2) est rédigé comme suit :

231.2 (2) Le ministre ne peut exiger de quiconque – appelé « tiers » au présent article – la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

231.2 (2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

 

[7]               En vertu du paragraphe 231.2(2), la cible de la requête ex parte – la personne qui sera tenue par la loi de satisfaire à l’exigence, si l’autorisation judiciaire est accordée, est appelée « tiers ». Les « personnes non désignées nommément » sont celles dont les affaires fiscales peuvent être examinées par le ministre si et lorsque des personnes non désignées nommément sont identifiées.

 

[8]               La procédure à suivre lorsque le ministre souhaite obtenir une autorisation judiciaire pour exiger la production de renseignements sur des personnes non désignées nommément est prévue aux paragraphes 231.2(3) à (6). Si la demande est accordée et le ministre agit en fonction de l’autorisation, le tiers peut demander un contrôle de l’autorisation au même juge ou à un juge de la même cour. Ce contrôle peut entraîner l’annulation, la confirmation ou la modification de l’autorisation. Les paragraphes 231.2(3) à (6) sont rédigés comme suit :

231.2 (3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément – appelée « groupe » au présent article – s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

231.2 (3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi.

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

(4) L’autorisation accordée en vertu du paragraphe (3) doit être jointe à l’avis visé au paragraphe (1).

(4) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), it shall be served together with the notice referred to in subsection 231.2(1).

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3) ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

(5) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), a third party on whom a notice is served under subsection 231.2(1) may, within 15 days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where the judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

(6) On hearing an application under subsection 231.2(5), a judge may cancel the authorization previously granted if the judge is not then satisfied that the conditions in paragraphs 231.2(3)(a) and 231.2(3)(b) have been met and the judge may confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met.

 

[9]               Lorsqu’une requête ex parte en vertu du paragraphe 231.2(3) est présentée à un juge de la Cour fédérale et qu’elle est accordée, l’autorisation judiciaire se traduit par un jugement. Si le tiers demande un contrôle de l’autorisation, un jugement supplémentaire sera prononcé en vue d’annuler, de confirmer ou de modifier l’autorisation. L’annulation, la confirmation ou la modification d’une autorisation peut faire l’objet d’un appel devant la Cour, conformément à l’article 27 de la Loi sur les Cours fédérales, (L.R.C. (1985), ch.  F.7).

 

[10]           Conformément au paragraphe 238(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’omission de se conformer à l’exigence de l’article 231.2 constitue une infraction. Une condamnation pour cette infraction peut entraîner une amende ou une peine d’emprisonnement ou les deux. De plus, l’article 231.7 prévoit que si une personne omet de satisfaire à l’exigence prévue à l’article 231.2, le ministre peut demander une ordonnance de. Le défaut d’obéir à une ordonnance peut entraîner une pénalité pour outrage au tribunal.

 

Faits

[11]           L’appelant eBay Canada Limited est une société canadienne établie à Toronto (Ontario). Une société suisse en est propriétaire à part entière, eBay International AG, et celle-ci est une filiale détenue à part entière par eBay Inc., une société des États-Unis dont le siège social est situé à San Jose en Californie.

 

[12]           L’appelant eBay CS Vancouver Inc. est une société canadienne établie à Burnaby (Colombie-Britannique). Il s’agit d’une filiale détenue à part entière par eBay Inc.

 

[13]           Le groupe de sociétés eBay exploite une plate-forme en ligne qui permet aux personnes d’acheter et de vendre des articles par Internet. Il exploite également un système appelé « PayPal » qui facilite le paiement de l’acheteur au vendeur. Aucune des sociétés d’eBay n’est partie aux ventes faites par eBay. Ils ne font que fournir le marché et les moyens qui permettent de réunir les acheteurs et les vendeurs en vue d’exécuter les opérations de vente.

 

[14]           Le marché d’eBay est exploité à l’échelle internationale. L’exploitation du marché d’eBay à l’extérieur des États-Unis est assurée par eBay International AG. Certains aspects de l’exploitation du marché d’eBay au Canada sont dirigés par l’intermédiaire d’eBay Canada. À ce stade-ci, il n’est pas nécessaire de décrire la façon dont le travail lié à l’exploitation du marché d’eBay est réparti entre eBay Inc., eBay International AG, eBay Canada Limited et eBay CS Vancouver Inc. Il suffit de confirmer que les renseignements que le ministre souhaite obtenir d’eBay Canada se trouvent sous forme électronique dans les serveurs qui sont situés aux États-Unis, dans les bureaux d’eBay Inc. De plus, le fait qu’eBay Canada a accès aux renseignements en question n’est pas contesté.

 

[15]           Une personne qui procède à un certain volume de ventes mensuelles par eBay et qui répond à certaines autres conditions peut être qualifié de « PowerSeller ». Un PowerSeller est admissible à certains avantages offerts par eBay, comme des services de soutien prioritaires et un accès à des promotions spéciales. Le statut de PowerSeller compte cinq niveaux allant de ventes mensuelles de 1 000 $ US à des ventes mensuelles de 150 000 $ US. 

 

[16]           Le 25 octobre 2006, le ministre a déposé une requête ex parte à la Cour fédérale (T‑1868‑06) en vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu visant une ordonnance autorisant le ministre à obliger eBay Canada à fournir :

[…] les renseignements et les documents suivants quant à toute personne qui (y compris les particuliers, les sociétés et les coentreprises) et qui a obtenu le statut de PowerSeller en vertu du programme PowerSeller d’eBay au Canada à un moment quelconque au cours des deux années civiles 2004 et 2005 :

a)      les renseignements sur le compte – le nom au complet, l’identificateur d’utilisateur, l’adresse postale, l’adresse de facturation, le numéro de téléphone, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique;

b)      les renseignements sur les ventes de marchandises – les ventes brutes annuelles.

 

Conformément à la terminologie utilisée au paragraphe 231.2(3), eBay Canada est le « tiers » et les personnes qui sont qualifiées pour le statut de PowerSeller en vertu du programme PowerSeller au Canada en 2004 et en 2005 sont les « personnes non désignées nommément ». 

 

[17]           La requête ex parte du ministre a été appuyée par l’affidavit d’un agent du fisc affirmant que les renseignements étaient demandés en vue de permettre au ministre de déterminer si les PowerSellers précisés s’étaient conformé à leurs obligations en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le 6 novembre 2006, le juge Hughes a accordé l’ordonnance demandée par le ministre, sauf qu’il a ajouté les mots « qui, selon vos dossiers, possède une adresse au Canada ». Ainsi, le ministre était autorisé à exiger qu’eBay Canada fournisse :

[…] les renseignements et les documents suivants quant à toute personne qui, selon vos dossiers, possède une adresse au Canada (y compris les particuliers, les sociétés et les coentreprises) et qui a obtenu le statut de PowerSeller en vertu du programme PowerSeller d’eBay au Canada à un moment quelconque au cours des deux années civiles 2004 et 2005 :

c)      les renseignements sur le compte – le nom au complet, l’identificateur d’utilisateur, l’adresse postale, l’adresse de facturation, le numéro de téléphone, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique;

d)      les renseignements sur les ventes de marchandises – les ventes brutes annuelles.

 

[18]           Le 15 novembre 2006, le ministre a signifié à eBay Canada les exigences et, conformément au paragraphe 231.2(4), une copie de l’autorisation accordée par le juge Hughes. Cela a donné à eBay Canada le droit de déposer une demande devant le juge Hughes en vertu du paragraphe 231.2(5) en vue d’un contrôle de l’autorisation.

 

[19]           Le 30 novembre 2006, eBay Canada a exercé ce droit en déposant une demande introductive (T-2124-06). Le juge Hughes a entendu la preuve orale en ce qui concerne la demande le 13 septembre 2007. Le 18 septembre 2007, il a émis des motifs et un jugement partiel dans lequel il a modifié son jugement du 6 novembre 2006 pour remplacer les mots « qui, selon vos dossiers, possède une adresse au Canada » par les mots « inscrite comme ayant une adresse au Canada ». Ce changement était fondé sur la preuve d’eBay voulant que les renseignements exigés par le ministre ne figuraient pas dans les dossiers qui appartiennent à eBay Canada, mais dans les dossiers appartenant à eBay Inc.

 

[20]           Le 18 septembre 2007, un jugement partiel exigeait également que les parties présentent d’autres arguments sur un point de droit qui était pris en considération par la Cour à ce moment dans Le Ministre du Revenu National c. Chambre Immobilière du Grand Montréal, (A-435-06). Le jugement dans cette affaire a été rendu le 2 novembre 2007 (2007 CAF 346). Une autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été demandée (dossier 32404 de la Cour suprême du Canada).

 

[21]           En temps opportun, les parties ont présenté leurs arguments au juge Hughes concernant l’affaire de la Chambre Immobilière du Grand Montréal. Le 13 février 2008, le juge Hughes a conclu que rien dans cette décision ne nécessitait qu’un changement soit apporté à son jugement antérieur. Par conséquent, il a confirmé son autorisation du 6 novembre 2006 assujettie au changement ordonné le 18 septembre 2007. Ainsi, conformément au jugement du juge Hughes daté du 13 février 2008, le ministre est autorisé à exiger qu’eBay fournisse :

[…] les renseignements et les documents suivants quant à toute personne inscrite comme ayant une adresse au Canada (y compris les particuliers, les sociétés et les coentreprises) et qui a obtenu le statut de PowerSeller en vertu du programme PowerSeller de eBay au Canada à un moment quelconque au cours des deux années civiles 2004 et 2005 :

e)      les renseignements sur le compte – le nom au complet, l’identificateur d’utilisateur, l’adresse postale, l’adresse de facturation, le numéro de téléphone, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique;

f)        les renseignements sur les ventes de marchandises – les ventes brutes annuelles.

 

[22]           Le 22 février 2008, le ministre a signifié à eBay Canada une lettre indiquant qu’eBay Canada devait fournir dans un délai de 45 jours les renseignements précisés dans le jugement.

 

[23]           Le 7 mars 2008, eBay Canada a interjeté appel du jugement du 13 février 2008. J’ai devant moi une requête d’eBay Canada en vue d’une ordonnance autorisant l’exécution de ce jugement en attendant le prononcé de l’appel.

 

[24]           Le jugement qui fait l’objet de l’appel a été exécuté le 22 février 2008, lorsque le ministre a signifié l’exigence à eBay Canada. Il s’ensuit qu’il est dorénavant trop tard pour formuler une ordonnance pour suspendre l’exécution du jugement. En réalité, eBay Canada demande une ordonnance de suspension du jugement en tant que tel. Cela mettrait en suspens l’obligation d’eBay Canada de se conformer à l’exigence du ministre. En conséquence, le ministre ne serait pas en mesure de s’appuyer sur le jugement comme fondement pour prendre une mesure d’application contre eBay Canada en ce qui concerne l’exigence prévue à l’article 231.2 jusqu’au prononcé de l’appel. J’ai abordé la requête en fonction de ce fondement.

 

[25]           La lettre d’exigence précise qu’eBay Canada devait fournir les renseignements requis dans un délai de 45 jours (soit 45 jours à partir du 22 février 2008). Bien que les deux parties aient pris des mesures raisonnables pour que cette requête soit traitée rapidement, le délai de 45 jours avait expiré avant que la requête d’eBay Canada soit entendue. Cependant, on m’a informé au cours de l’audience que le ministre avait accepté de reporter l’échéance en attendant le prononcé de l’appel.

 

Discussion

[26]           Les parties conviennent qu’une requête en sursis d’exécution d’un jugement en attendant le prononcé de l’appel devrait être déterminée selon les principes dans RJR – MacDonald Inc. c. Canada (procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Par conséquent, il est nécessaire de déterminer si eBay Canada a une cause défendable en appel, si eBay Canada subirait un préjudice irréparable si le sursis d’exécution n’était pas accordé et son appel obtenait gain de cause, et si la prépondérance des inconvénients penchait en faveur d’eBay Canada ou du ministre.

 

Cause défendable

[27]           Le ministre reconnaît qu’eBay Canada a une cause défendable dans le cadre d’un appel. À mon avis, cette concession est appropriée, étant donné le faible objectif pour la premier volet du critère dans RJR – MacDonald.

 

 

 

 

Préjudice irréparable

[28]           La requête d’eBay Canada en vue d’une suspension du jugement dans l’attente de l’appel s’appuie principalement sur le volet qui traite du préjudice irréparable du critère dans RJR – MacDonald. Conformément à RJR – MacDonald, le préjudice irréparable est un préjudice qui ne peut être quantifié en termes monétaires ou qui ne peut être renversé.    

 

[29]           Il est soutenu en faveur d’eBay Canada que la divulgation des renseignements en question entraînerait nécessairement un préjudice irréparable à eBay Canada, car la divulgation rendrait l’appel d’eBay Canada inutile ou futile. À l’appui de son argument, eBay Canada fait référence à Bisaillon c. Canada, (1999) 251 N.R. 225, [2000] 1 C.T.C. 179, 99 D.T.C. 5517 (C.A.F.), Bining c. Canada, 2003 CAF 286, et Rousseau c. 610, 2006 CAF 422.

 

[30]           Je résume l’affaire Bisaillon comme suit. Une société, Hypnat Ltée, devait 230 000 $ d’impôts. Une autre société, Hypnat Ltée, Courtier, devait à Hypnat Ltée une somme d’environ 1,6 million de dollars que le ministre avait saisi pour tenir compte de la dette fiscale de Hypnat Ltée. Le ministre souhaite déterminer si Hypnat Ltée, Courtier avait payé sa dette à Hypnat Ltée en contravention de la saisie. Hypnat Ltée était cliente de la Banque Laurentienne. Le ministre a signifié à la Banque Laurentienne l’exigence en vertu du paragraphe 231.2(1) de fournir les renseignements sur Hypnat Ltée, Courtier. M. Bisaillon, Hypnat Ltée, et Hypnat Ltée, Courtier (et non la Banque Laurentienne) ont déposé une demande devant la Cour fédérale pour contester la validité de l’exigence et ont demandé une ordonnance interlocutoire visant la suspension de l’exigence dans l’attente de la décision concernant sa demande de contrôle judiciaire. Cette requête a été rejetée. Les demanderesses ont interjeté appel devant cette cour et ont demandé une ordonnance visant la suspension de l’exigence en attendant la décision de l’appel. En ce qui concerne le préjudice irréparable, la Cour a conclu que si le sursis d’exécution n’était pas accordé et les renseignements étaient divulgués, l’appel deviendrait inutile et futile, causant un préjudice irréparable aux demanderesses. Cependant, le préjudice irréparable aux demanderesses était le résultat de la divulgation des renseignements liés à leurs propres affaires. La Cour n’a pas décidé et n’avait pas à décider si la cible de l’exigence, la Banque Laurentienne, subirait un préjudice irréparable en étant obligée de divulguer les renseignements sur les demanderesses. 

 

[31]           Dans Bining, le ministre avait signifié à M. Bining une exigence en vertu du paragraphe 232.2(1) de fournir des renseignements sur ses propres affaires fiscales. M. Bining a déposé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de cette exigence et a demandé une suspension dans l’attente de la décision concernant cette demande. La Cour fédérale a rejeté la requête en sursis d’exécution. M. Bining a interjeté appel de cette décision devant cette cour et a demandé la suspension de l’exigence en attendant l’appel. Une fois de plus, un préjudice irréparable a été constaté, car la divulgation des renseignements rendrait l’appel inutile, mais dans le contexte des renseignements liés aux affaires de M. Bining, et non aux affaires de toute autre personne.

 

[32]           Rousseau c. Wyndowe traite d’une situation semblable. Le Dr Wyndowe avait reçu l’ordre de la Cour fédérale de divulguer à M. Rousseau certaines des notes qu’il a prises pendant un examen médical de M. Rousseau aux fins d’assurance. La demande du Dr Wyndowe en vue d’une suspension du jugement dans l’attente de l’appel a été accordée, car la divulgation de ses notes rendrait son appel inutile. Cependant, cette conclusion a été faite dans le contexte d’une situation faisant en sorte que si l’appel du Dr Wyndowe était fondé, ses propres droits juridiques seraient atteints de façon irréparable par la divulgation.  

 

[33]           Il est soutenu en faveur d’eBay Canada que ces affaires traitent du principe selon lequel une personne, tenue de divulguer des renseignements à la suite d’une ordonnance de la Cour au sujet d’une autre personne, qui demande une suspension de ce jugement dans l’attente de l’appel subira toujours un préjudice irréparable, si la suspension n’est pas accordée. Je rejette cet argument. Je fais allusion à ces cas en tant qu’exemples de situations dans le cadre desquelles des personnes peuvent subir un préjudice irréparable si elles se voient refuser une suspension en attendant l’appel d’un jugement exigeant qu’ils divulguent ou fournissent des renseignements sur leurs propres affaires à une autre personne dont l’intérêt pour les renseignements est contraire à son propre intérêt. Dans ce cas, la question pertinente est de déterminer si eBay Canada subirait un préjudice irréparable si elle doit maintenant fournir au ministre les renseignements que le ministre demande au sujet des PowerSellers, et si plus tard il est déterminé que le ministre n’avait pas le droit d’exiger qu’eBay Canada fournisse ces renseignements.

 

[34]           Il est soutenu en faveur d’eBay Canada qu’une fois que les renseignements sur les PowerSellers sont divulgués au ministre, il est impossible de revenir en arrière. Je suis conscient que la divulgation de renseignements est un acte irréversible. En réponse à ce point, le ministre affirme qu’eBay Canada a la possibilité de demander une ordonnance, en se prévalant de l’un des recours offerts dans le cadre de l’appel, qui empêcherait le ministre d’utiliser les renseignements divulgués. La difficulté avec cette conclusion est qu’il n’est pas certain qu’une telle ordonnance serait accordée si l’appel obtenait gain de cause. Et même si elle l’était, cela serait inefficace si le ministre utilisait les renseignements divulgués avant le prononcé de l’appel.

 

[35]           Cependant, la question pertinente est de déterminer si eBay Canada subirait un préjudice irréparable à la suite de la divulgation et cela nécessite d’aborder de déterminer qu’il y aura préjudice. La réponse à cette question dépend de ce que le ministre fera vraisemblablement des renseignements, s’ils sont divulgués. Il semblerait que le ministre a l’intention d’utiliser les renseignements pour extraire et examiner les déclarations de revenus de 2004 et 2005 des PowerSellers dont l’identité est divulguée.   Je présume que le ministre entreprendrait les enquêtes qui pourraient être requises pour déterminer si les PowerSellers ont omis de déclarer des revenus provenant de leurs ventes sur eBay et si tel est le cas, ils feraient l’objet de nouvelles cotisations en conséquence (mettant de côté pour le moment la question voulant que certaines des déclarations de revenus pouvaient être prescrites lorsque le ministre serait en position d’établir les nouvelles cotisations).  

 

[36]           Le dossier ne contient aucune preuve voulant que toute mesures que le ministre peut prendre pour vérifier l’observation des PowerSellers en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou pour évaluer des PowerSellers qui ne sont peut-être pas conformes, entraînera un préjudice à eBay Canada, encore moins un préjudice irréparable.

 

[37]           Le dossier contient des documents qui pourraient permettre de suggérer qu’eBay Canada a des obligations contractuelles envers eBay Inc. concernant la non-divulgation de certains renseignements confidentiels sans le consentement d’eBay Inc. Il n’a pas été déterminé clairement si les renseignements demandés par le ministère au sujet des PowerSellers étaient des renseignements confidentiels tels que ceux qui sont précisés dans ces contrats. Même si les renseignements sur les PowerSellers sont des renseignements confidentiels en vertu de ces contrats, il n’est pas certain que l’obligation d’eBay Canada de ne pas divulguer des renseignements confidentiels serait violée ou pourrait l’être par la divulgation des renseignements en vertu d’une ordonnance de la cour (même une ordonnance de la cour qui fait l’objet d’un appel). De plus, même si une telle divulgation entraînait ou pouvait entraîner une telle violation, rien n’indique que cette situation causerait un préjudice à eBay Canada.

 

[38]           Je conclus qu’eBay Canada n’a pas établi qu’elle subira un préjudice si elle est obligée de divulguer les renseignements demandés par le ministre au sujet des PowerSellers. Il s’agit là d’un fondement suffisamment pour rejeter la requête d’eBay Canada pour une suspension.

 

La prépondérance des inconvénients

[39]           En ce qui concerne la question du troisième violet du critère de RJR – MacDonald, le ministre soutient que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre, puisque certains des renseignements demandés ont trait à l’année d’imposition 2004 et on peut présumer que la plupart des déclarations de revenus pour cette année seront prescrites en 2008 en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Certaines de ces déclarations sont peut-être déjà prescrites et chaque jour qui passe comporte un risque que d’autres deviennent prescrites. Je suis d’accord avec le ministre qu’il s’agit d’un élément pertinent à considérer dans de tels cas. Je tiens également à souligner que l’intérêt du ministre pour la réalisation de son mandat qui nécessite qu’il détermine si les PowerSellers ont respecté leurs obligations prévues par la loi coïncide avec l’intérêt public en ce qui concerne l’intégrité du régime fiscal canadien. Dans les circonstances de cette affaire, il s’agit d’une considération qui l’emporte sur tout intérêt que peut avoir eBay Canada de ne pas divulguer les renseignements sur les PowerSellers.

 

Indemnité si la suspension est accordée

[40]           Le ministre avait soutenu que si la suspension était accordée, elle devrait comprendre la condition qu’eBay Canada indemnise le ministre pour toute perte de recettes fiscales pour l’État en raison de la divulgation tardive des renseignements en question. Je ne suis au courant d’aucune affaire dans le cadre de laquelle une telle condition a été imposée dans le contexte d’un différend quant à la portée du pouvoir du ministre d’obliger un tiers à produire des renseignements au sujet de personnes non désignées nommément. J’estime qu’il est difficile d’imaginer une situation dans le cadre de laquelle il serait raisonnable d’imposer ce fardeau à un tiers. Dans ce cas, si j’avais décidé d’accorder la suspension, je n’aurais pas imposé une telle condition à eBay Canada.

 

Conclusion

[41]           La requête sera rejetée. Les dépens de la présente requête suivront l’issue de la cause.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-105-08       

 

INTITULÉ :                                                                           EBAY CANADA LIMITED ET AL c. MRN 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 14 AVRIL 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE:                                       LA JUGE SHARLOW

 

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 17 AVRIL 2008    

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Salvador M. Borraccia

Me Matthew J. Latella

 

POUR LES APPELANTS

 

Me Henry A. Gluch

Me Margaret Nott

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Baker & MacKenzie

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTS

 

John H. Sims, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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