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Date : 20080430

Dossier : A-169-08

Référence : 2008 CAF 165

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

JADWIGA PALKA

PAULA PALKA

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

 

Audience tenue par téléconférence à Ottawa et Toronto (Ontario), le 30 avril 2008.

Ordonnance et motifs de l’ordonnance prononcés à Ottawa (Ontario), le 30 avril 2008.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                         LE JUGE EVANS

 


 

Date : 20080430

Dossier : A-169-08

Référence : 2008 CAF 165

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

JADWIGA PALKA

PAULA PALKA

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]               La Cour statue sur une requête présentée par Jadwiga Palka et sa fille, Paula Palka, en vue d’obtenir la suspension de leur renvoi vers le pays de leur nationalité, la Pologne, en attendant que notre Cour ait tranché l’appel dont elle est saisie. Leur renvoi est prévu pour le 3 mai 2008. J’ai entendu la requête par téléconférence en présence des avocats des parties. 

 

[2]               Les Palka interjettent appel d’une décision de la Cour fédérale en date du 13 mars 2008 (2008 CF 342) par laquelle la juge Mactavish a rejeté la demande présentée par les Palka en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution a refusé d’accorder le report de leur renvoi du Canada, qui était alors prévu pour le 13 juin 2007, tant que leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’aurait pas été tranchée.

 

[3]               La juge Mactavish a estimé que la demande de contrôle judiciaire était théorique et elle a refusé de l’examiner sur le fond. Elle a fondé sa conclusion quant au caractère théorique sur le fait qu’un autre juge de la Cour fédérale avait sursis à l’exécution du renvoi des Palka prévu pour le 13 juin 2007, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur leur demande de contrôle judiciaire du refus de l’agent de reporter leur renvoi. La juge Mactavish n’a pas retenu la thèse défendue tant par les Palka que par l’intimé, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, suivant laquelle le fait que la date prévue du renvoi était passée ne rendait pas l’affaire théorique parce qu’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était encore en instance. Elle a certifié une question en vue d’un appel sur la question du caractère théorique.

 

[4]               Pour donner une idée générale du contexte dans lequel a été introduite la présente requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’il ait été statué sur l’appel interjeté par les Palka de la décision de la juge Mactavish, je vais résumer les principales étapes de leur dossier en matière d’immigration, qui traîne en longueur et qui est embrouillé. Elles sont arrivées au Canada en avril 1997. En 1999, elles ont demandé qu’on leur reconnaisse le statut de réfugié en invoquant la violence conjugale dont Jadwiga avait été victime de la part de son mari. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande au motif que les éléments de preuve présentés par Jadwiga n’étaient pas crédibles. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été rejetée par la Cour fédérale en octobre 2001.

 

[5]               En août 2006, les Palka ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) fondée sur leur crainte de subir des sévices de la part du mari de Jadwiga et elles ont soumis de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la Commission. L’agent d’ERAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne « réfutaient » pas la conclusion défavorable tirée par la Commission au sujet de la crédibilité et il a rejeté la demande en janvier 2007. Le renvoi des appelantes était prévu pour le 21 mars 2007, mais il a par la suite été reporté en juin 2007 pour permettre à Paula de terminer son année scolaire au Canada. La Cour fédérale a débouté les Palka en janvier 2008 de leur demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR.

 

[6]               Dans l’intervalle, en septembre 2006, les Palka ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Leur demande reposait principalement sur les éléments suivants : leur établissement au Canada; la présence au Canada d’autres membres de la famille et le fait que le père de Jadwiga a besoin de soins; l’intérêt supérieur de Paula, qui est âgée de 15 ans; et leur crainte de subir des violences en Pologne. Ainsi que je l’ai déjà fait observer, aucune décision n’a encore été rendue au sujet des raisons d’ordre humanitaire.

 

[7]               Peu de temps après que la juge Mactavish eut rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution refusant d’accorder le report de leur renvoi prévu pour le 13 juin 2007, les Palka ont reçu pour directive de se présenter pour leur renvoi le 3 mai 2008. Elles n’ont pas demandé le contrôle judiciaire de cette directive.

 

[8]               La décision de surseoir au renvoi du Canada d’une personne qui n’est pas citoyenne canadienne relève du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes qui, pour exercer le pouvoir discrétionnaire dont il est investi, doit appliquer le critère à trois volets régissant l’octroi d’une injonction interlocutoire (Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1998), 86 N.R. 302 (CAF)). Ainsi, pour obtenir le sursis qu’elles réclament, les Palka doivent établir : (i) que leur appel de la décision de la juge Mactavish soulève une question sérieuse à juger; (ii) qu’elles subiront un préjudice irréparable si le sursis ne leur est pas accordé; (iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis et le maintien du statu quo en attendant qu’il ait été statué sur leur appel. Je vais examiner à tour de rôle chacun des volets de ce critère.

 

(i) Y a-t-il une question sérieuse à juger?

[9]               En principe, il est facile de satisfaire au critère de la « question sérieuse ». Il devrait être facile de persuader un juge de notre Cour qu’une question certifiée en vue d’un appel par un juge de la Cour fédérale n’est ni futile ni vexatoire. Le ministre fait toutefois valoir qu’il est nécessaire d’aller au-delà de la question du caractère théorique qui a été certifiée par la juge Mactavish pour examiner le fond de la demande de contrôle judiciaire, en l’occurrence, la légalité de la décision prise par l’agent d’exécution, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de refuser de reporter le renvoi des Palka en attendant qu’il ait été statué sur leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le ministre affirme que, comme l’octroi d’un sursis permettrait aux appelantes d’obtenir l’essentiel des réparations qu’elles sollicitent dans leur demande de contrôle judiciaire, le critère de la « question sérieuse » est plus exigeant qu’à l’habitude et requiert que le demandeur démontre qu’il obtiendra probablement gain de cause.

 

[10]           Comme j’ai conclu que les Palka ne peuvent satisfaire aux deux autres volets du critère, je suis disposé à présumer, aux fins de la présente requête, que la question certifiée est la question pertinente. Ainsi que le ministre l’a reconnu, cette question n’est ni futile ni vexatoire.

 

(ii) Préjudice irréparable

[11]           Les Palka affirment que, si on les renvoie en Pologne, elles subiront divers types de préjudices irréparables, à savoir la perte de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire; le préjudice psychologique que Jadwiga subira si elle est contrainte de retourner en Pologne, et le fait que l’appel de la décision de la juge Mactavish dont elles ont saisi notre Cour deviendra illusoire. 

 

[12]           Avant d’examiner ces observations en détail, je tiens à souligner que les préjudices qu’entraîne habituellement l’expulsion du Canada ne peut constituer un préjudice irréparable au sens du critère de l’arrêt Toth; sinon, le sursis serait la norme et le renvoi l’exception : Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 4 R.C.F. 210, au paragraphe 34, au risque de dénaturer l’intention du législateur suivant laquelle ceux qui font l’objet d’une mesure de renvoi valide doivent quitter sur-le-champ et la mesure doit être exécutée dès que les circonstances le permettent (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, paragraphe 48(2)).

 

a) Demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire 

[13]           Les Palka soutiennent que leur renvoi immédiat nuira à leur demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Je ne suis pas de cet avis. Les avocats ont reconnu que l’instruction de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par les Palka se poursuivra, même après leur renvoi du Canada. Si la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est accueillie après leur renvoi, elles pourront être autorisées à revenir au Canada.

 

[14]           L’existence d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en instance a souvent été considérée comme ne constituant pas un préjudice irréparable, surtout lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la demande n’a pas été présentée en temps opportun après le rejet de la demande d’asile et l’examen des risques avant le renvoi. L’avocat affirme que ses clientes étaient justifiées d’attendre cinq ans avant de présenter leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire pour pouvoir démontrer leur établissement au Canada. Il s’agit d’une décision de stratégie dont les appelantes doivent assumer les conséquences.

 

[15]           Les appelantes n’ont par ailleurs pas présenté d’éléments de preuve tendant à démontrer que leur renvoi rendra illusoire leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le fait de leur refuser un sursis ne détruira pas leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire dans la mesure où celle-ci est fondée sur les liens que les appelantes ont créés avec le Canada depuis qu’elles s’y trouvent, ainsi que sur d’autres facteurs tels que leur famille, leur travail, leurs amis et l’établissement scolaire que Paula fréquente, surtout si, comme leur avocat l’affirme, leur demande est [traduction] « exceptionnellement solide sur le fond ».

 

[16]           Les Palka invoquent l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 470, pour étayer leur thèse sur ce point. Il convient toutefois de signaler que les faits de l’affaire Owusu étaient inusités et qu’ils étaient très différents de ceux de la présente espèce : la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire de M. Owusu reposait sur sa capacité de continuer à envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins de son enfant au Ghana grâce à l’emploi qu’il exerçait au Canada.

 

b) Préjudice psychologique

[17]           Jadwiga table sur le rapport d’un psychologue qui affirme qu’elle subirait un préjudice psychologique si elle devait retourner en Pologne. À mon avis, ce rapport ne constitue pas un fondement probatoire suffisant pour établir l’existence d’un préjudice irréparable. En premier lieu, ce rapport était en grande partie fondé sur ce que Jadwiga avait raconté au psychologue au sujet des expériences qu’elle avait vécues. La Commission a toutefois jugé que le témoignage que Jadwiga avait donné au sujet de la violence conjugale dont elle se disait victime n’était pas crédible et l’agent d’ERAR a estimé que cette conclusion n’était pas réfutée par les nouveaux éléments de preuve. Deuxièmement, Jadwiga et le psychologue ne s’étaient rencontrés qu’une seule fois et rien ne permettait de penser qu’un suivi avait été fait. Troisièmement, le rapport avait été établi en 2006 pour appuyer Jadwiga dans les démarches qu’elle avait entreprises pour demeurer au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire et ce rapport était donc jusqu’à un certain point intéressé. Quatrièmement, le stress et la dépression causés par un éventuel renvoi du Canada sont des facteurs qui ne sont pas très pertinents dans ce contexte, étant donné qu’ils sont des conséquences inhérentes à l’application de la Loi.

 

c) Caractère illusoire de l’appel

[18]           Les Palka soutiennent que, si on leur refuse le sursis qu’elles réclament, leur appel de la décision de la juge Mactavish sera illusoire, étant donné qu’il sera rejeté en raison de son caractère théorique, ce qui, à leur avis, constitue un préjudice irréparable. Je ne suis pas de cet avis.

 

[19]           Premièrement, même si leur appel est théorique, la Cour peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, décider de l’examiner quand même au motif que la question certifiée par la juge Mactavish peut se poser de nouveau et être susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux. À cet égard, je relève que la question certifiée a fait l’objet d’autres décisions de la Cour fédérale et qu’elle présente de toute évidence un certain degré de difficulté.

 

[20]           Deuxièmement, même si le refus d’accorder un sursis ne rend pas l’appel illusoire, cette mesure n’entraîne pas nécessairement un préjudice irréparable. Tout dépend des faits de l’espèce (El Ouadi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42). Dans le cas qui nous occupe, la Commission et l’agent d’ERAR ont rendu des décisions défavorables en réponse à des demandes fondées sur une crainte de subir un préjudice corporel en Pologne. Vu ces conclusions, je ne suis pas convaincu que les déclarations relatées contenues dans l’affidavit qui a été souscrit aux fins de la présente instance établissent que Jadwiga serait exposée à un risque de violence si elle retournait en Pologne.

 

(iii) Prépondérance des inconvénients

[21]           À mon avis, la prépondérance des inconvénients ne favorise pas l’octroi d’un sursis. Certes, les Palka sont au Canada depuis une dizaine d’années, et il semble qu’elles aient réussi à s’établir et à vivre une vie irréprochable. Compte tenu de la période de temps qu’elles ont passé ici, de la présence de membres de leur famille au Canada, de l’état de santé du père de Jadwiga et du fait qu’elles ont de meilleures chances d’améliorer leur sort si elles demeurent au Canada, il est tout à fait compréhensible qu’elles souhaitent rester au Canada.

 

[22]           Ce n’est cependant pas le critère qui s’applique dans le cas d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Malgré les nombreuses démarches qu’elles ont entreprises tant sur le plan administratif que sur le plan légal, aucun statut ne leur a été reconnu au Canada. Les litiges doivent prendre fin. Accorder une autre remise de leur renvoi irait à l’encontre de l’intérêt public au sens de la Loi. Les appelantes ne m’ont pas persuadé que leur intérêt à demeurer au Canada devrait l’emporter sur l'intérêt du public dans l'application régulière de la loi. Je refuse de reporter une fois de plus leur renvoi.

 

 

 

[23]           Pour ces motifs, la requête sera rejetée.

 

 

j.c.a.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE D’APPEL

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-169-08

 

 

INTITULÉ :                                                  JADWIGA PALKA

                                                                        PAULA PALKA

                                                                                                            appelantes

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

            intimé

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE À OTTAWA ET TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 30 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis S. Patel

POUR LES APPELANTES

 

Jamie Todd

David Cranton

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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