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Date : 20080505

Dossier : 08-A-11

Référence : 2008 CAF 168

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de  MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

AIR CANADA, la SOCIÉTÉ EN COMMANDITE JAZZ AIR, représentée par son commandité,

Commandité Gestion Jazz Air inc., exerçant ses activités sous le nom d'Air Canada Jazz

 

demanderesses

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

LA SUCCESSION D’ERIC NORMAN, DE JOANNE NEUBAUER et

le CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES

 

intimés

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 5 mai 2008.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20080505

Dossier : 08-A-11

Référence : 2008 CAF 168

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de  MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

AIR CANADA, JAZZ AVIATION LP, représentée par son partenaire général,

Commandité Gestion Jazz Air inc., exerçant ses activités sous le nom d’Air Canada Jazz et WEST JET

demanderesses

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

LA SUCCESSION D’ERIC NORMAN, DE JOANNE NEUBAUER et

le CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

  • [1] En réponse à la requête des demanderesses (Air Canada, la Société en commandite Jazz Air et West Jet) visant à en appeler de la décision nº 6-AT-A-2008 de l’Office des transports du Canada (la décision « Une personne, un tarif (1P1F) »), l’Office a déposé un mémoire détaillé de fait et de droit (le « mémoire »). Dans son mémoire, l'Office reconnaît que les demanderesses n’ont soulevé aucune question de compétence. L’Office est d’avis que son droit légal d’être entendu relativement à l’appel (se reporter au paragraphe 41(4) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi)) lui permet de participer au débat au-delà des simples questions de compétence et de ses procédures administratives.

  • [2] Les demanderesses ont demandé la radiation du mémoire de l'Office au motif que son mémoire constitue une défense de sa décision sur le fond et qu’il est inapproprié.

 

  • [3] L'Office s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 (CAIMAW) pour faire valoir qu’un tribunal administratif peut défendre sa propre décision lorsqu’il soutient que la décision est manifestement déraisonnable :

À mon avis, le Conseil a qualité pour agir devant notre Cour afin d'y présenter des arguments non seulement pour lui expliquer le dossier dont elle est saisie, mais également pour montrer qu'il avait compétence pour ouvrir l'enquête et qu'il n'a pas perdu cette compétence en raison d'une interprétation manifestement déraisonnable de ses pouvoirs.

 

[CAIMAW, au paragraphe 35.]

 

 

  • [4] La Cour a appuyé son raisonnement en renvoyant à la décision B.C.G.E.U. c. British Columbia (Industrial Relations Council) (B.C.C.A.), 26 C.B.L.R. 2d) 145, où la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déclaré, à la page 153 :

[traduction] [m]ais lorsque la question revient à déterminer, comme c’est le cas en ce qui concerne le critère de la décision manifestement déraisonnable, si la décision était raisonnable, il y a une raison de politique forte qui pousse à permettre au tribunal de faire des observations. Autrement dit, le tribunal est le mieux placé pour attirer l’attention de la Cour sur ces enjeux, enracinés dans la compétence ou les connaissances spécialisées du tribunal, qui peuvent rendre raisonnable ce qui semblerait autrement déraisonnable pour quelqu’un qui ne connaît pas les subtilités du domaine spécialisé. Dans certains cas, il peut arriver que les parties au litige ne présentent pas adéquatement ces enjeux au tribunal, soit parce qu’elles ne les perçoivent pas, soit parce qu’elles ne considèrent pas qu’il est dans leur intérêt de les souligner.

 

 

  • [5] Dans la mesure où cette analyse repose sur l’idée qu’une décision manifestement déraisonnable peut faire l’objet d’un contrôle parce qu’elle est prise par excès de compétence, elle a été dépassée par les événements. La compétence d’un tribunal et le fait qu’une décision administrative soit susceptible d’un contrôle sont deux notions distinctes, en ce sens que même si une décision fondée sur une erreur manifestement déraisonnable peut faire l’objet d’un contrôle, elle ne peut faire l’objet d’un contrôle lorsqu’elle entraînerait nécessairement un excès de compétence.

 

  • [6] Le contrôle judiciaire d’une décision ne dépend plus d’une allégation d’excès de compétence : se reporter au paragraphe 28 de Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] S.C.J. Nº 9 :

La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.

 

 

  • [7] Dans cette mesure, le fait qu’une partie conteste une décision au motif qu’elle est manifestement déraisonnable ne soulève pas automatiquement (et ne l’a pas fait depuis un certain temps) une question de compétence. Par conséquent, l’arrêt CAIMAW doit être appliqué avec soin. En l’espèce, il est admis qu’aucune question de compétence, au sens de la validité, n’est soulevée de sorte que le tribunal n'a pas à démontrer qu’il n’a pas outrepassé sa compétence en prenant sa décision, même si une partie soulève le caractère manifestement déraisonnable de cette dernière.

 

  • [8] En ce qui concerne le motif de politique avancé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, à savoir que l’explication d’un tribunal peut rendre raisonnable ce qui semble déraisonnable pour quelqu’un qui n’a pas l’expertise du tribunal, le mémoire de l'Office ne semble pas contenir de telle explication. Le Tribunal examine chacun des arguments des demanderesses, renvoie aux paragraphes de sa décision où la question a été réglée et conclut, dans la plupart des cas, que sa décision était fondée sur son évaluation de la preuve et qu’elle n’était pas entêtée, arbitraire ou prise sans tenir compte de la preuve (se reporter aux paragraphes 25, 33, 42 et 47). Sur d’autres points, le Tribunal a plaidé le bien-fondé de l’opposition : [traduction] « les questions soulevées par les demanderesses ne révèlent aucun point important à soulever ni aucune question de droit qui soit relativement discutable » (alinéa 49), « l'Office a clairement appliqué le bon critère à cette question et à d’autres questions connexes lorsqu’elle a énoncé sa conclusion sur la contrainte excessive... » (alinéa 52), « l'Office soutient respectueusement qu’elle a examiné cet argument et les preuves à l’appui, puis qu’il a conclu qu’il n’était pas en mesure d’en évaluer l’incidence [suivi d’un renvoi au passage pertinent de la décision] » (alinéa 57).

 

  • [9] À mon avis, le mémoire de l'Office ne soulève aucun argument qui n’a pas été présenté par les intimés ou qui n’aurait pas pu l’être.

 

  • [10] Même si l'Office avait démontré, dans l’exercice de son expertise, que quelque chose qui semblait déraisonnable était en fait raisonnable, que pourrait faire une cour de révision de ces observations? Dans l’arrêt Dunsmuir, la majorité de la Cour suprême a décrit le contenu de la notion du caractère raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[Dunsmuir, au paragraphe 47.]

 

 

 

 

  • [11] Dans la mesure où l’arrêt CAIMAW laisse entendre qu’un tribunal peut remédier à toute lacune dans la justification, la transparence et l’intelligibilité de sa décision au moyen d’un mémoire d’arguments à l’appui de la décision, il doit être considéré comme ayant été dépassé par l’élaboration de la loi. Si le caractère raisonnable d’une décision dépend de sa transparence et de son intelligibilité, c’est-à-dire de la qualité des motifs invoqués pour l’appuyer, il me semble qu’une décision qui ne peut être appuyée que par des faits ou des arguments qui ne se trouvent pas dans les motifs mêmes est déraisonnable. Autrement, cela reviendrait à donner à un tribunal la possibilité de présenter des motifs supplémentaires sous le couvert d’un mémoire des faits et du droit chaque fois qu’une de ses décisions est contestée.

 

  • [12] Dans l’ensemble, je ne crois pas que le mémoire déposé par l'Office respecte les principes énoncés dans l'arrêt CAIMAW. Il s’agit simplement d’une reformulation de la position du Tribunal sur le fond de l’affaire. Cela crée un air de partisanerie dans une affaire où l’une des conséquences possibles est une ordonnance selon laquelle la totalité ou une partie de la décision doit être renvoyée à l’Office pour qu’il l’examine en suivant les directives données par la Cour. L'Office doit préserver son impartialité et son apparence d’impartialité, nonobstant la qualité que lui confère le paragraphe 40(4). Il ne peut le faire s’il adopte une position défavorable à l’égard des demanderesses.

 

 

 

 

 

 

  • [13] Par conséquent, il y aura une ordonnance selon laquelle le mémoire de l'Office et les documents à l’appui ne doivent pas être pris en compte dans la décision relative à la demande d’autorisation d’appel. Étant donné que l'Office a admis que l’appel ne soulève aucune question de compétence, il ne servira à rien de lui permettre de déposer un autre mémoire.

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  08-A-11

 

INTITULÉ :  AIR CANADA, la SOCIÉTÉ EN COMMANDITE JAZZ AIR, représentée par son commandité, Commandité Gestion Jazz Air inc., exerçant son activité sous le nom d'Air Canada Jazz et West Jet, et L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et la Succession d’Eric Norman, Joanne Neubauer et le Conseil des Canadiens avec déficiences

 

DEMANDE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE :
Le 5 mai 2008

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Gerard Chouest

Ioana Bala

 

POUR LES DEMANDERESSES, Air Canada, la Société en commandite Jazz Air, représentée par son commanditaire, Commandité Gestion Jazz Air inc., exerçant ses activités sous le nom d’Air Canada Jazz et West Jet

 

Elizabeth Barker

Andray Renaud

 

Ritu Khullar

 

David Baker

POUR l’Office des transports du Canada

 

POUR Linda-McKay-Panos

 

POUR LES DÉFENDEURS, la Succession d’Eric Norman, Joanne Neubauer et le Conseil des Canadiens avec déficiences


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bersenas Jacobsen Chouest

Thomson Blackburn LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES, Air Canada, la Société en commandite Jazz Air, représentée par son commanditaire, Commandité Gestion Jazz Air inc., exerçant ses activités sous le nom d’Air Canada Jazz et West Jet

 

Elizabeth Barker

Andray Renaud

Gatineau (Québec)

 

Chivers Carpenter

Edmonton (Alberta)

 

Bakerlaw

Toronto (Ontario)

POUR l’Office des transports du Canada

 

 

POUR Linda McKay-Panos

 

 

POUR LES DÉFENDEURS, la Succession d’Eric Norman, Joanne Neubauer et le Conseil des Canadiens avec déficiences

 

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