ENTRE :
LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,
LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES
et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et
Requête écrite décidée sans comparution des parties.
Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 1er mai 2008.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE EVANS
Date : 20080501
Dossier : A‑478‑07
Référence : 2008 CAF 166
Présent : LE JUGE EVANS
ENTRE :
LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,
LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES
et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
appelants
et
MININGWATCH CANADA
intimée
LE JUGE EVANS
[1] Il s'agit d'une requête formée par MiningWatch Canada, l'intimée dans un appel (dossier de la Cour no A‑478‑07) interjeté par le ministre des Pêches et des Océans, le ministre des Ressources naturelles et le procureur général du Canada (les ministres) contre la décision de la Cour fédérale MiningWatch Canada c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2007 CF 955.
[2] MiningWatch demande dans la présente requête deux mesures principales de redressement : i) une ordonnance interdisant aux ministres de soulever certaines questions constitutionnelles dans l'appel à moins de signifier d'abord un avis de question constitutionnelle conformément à l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7; et ii) une ordonnance lui accordant la possibilité de présenter des éléments de preuve de faits constitutionnels, si les ministres signifient un tel avis.
[3] Le paragraphe 57(1) dispose ce qui suit :
57. (1) Les lois fédérales … ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d'appel fédérale … ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).
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57. (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament … is in question before the Federal Court of Appeal … the Act … shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).
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[4] Les ministres intimés contestent la requête au motif que leur appel ne met pas en cause la constitutionnalité de la disposition en litige, ni son applicabilité ou son effet relativement aux faits de la présente espèce et que, par conséquent, l'article 57 n'est pas d'application. Ils affirment se fonder plutôt, pour dissiper l'ambiguïté de la disposition en question, sur la présomption que l'intention du Parlement est de légiférer dans le cadre de sa compétence constitutionnelle. Ainsi, soutiennent-ils, puisqu'ils ne demandent pas à la Cour de donner une interprétation atténuante de la disposition en litige en vue d'en éviter une application inconstitutionnelle, l'article 57 n'est pas d'application et il n'est pas nécessaire de signifier un avis de question constitutionnelle.
[5] Les prétentions des ministres sont étayées par un exposé des faits et du droit déposé par la Red Chris Development Company Ltd. et la BCMetals Corporation dans le cadre des appels réunis (dossier de la Cour no A‑479‑07).
[6] L'instance sous-jacente à l'appel dont découle la présente requête est une demande de contrôle judiciaire formée par MiningWatch contre des décisions et autres actes administratifs du ministre des Pêches et des Océans et du ministre des Ressources naturelles touchant l'évaluation environnementale d'un projet d'exploitation minière dans le Nord de la Colombie-Britannique.
[7] Pour établir les obligations légales pertinentes de ces ministres, il est important de définir le « projet » dont il s'agit : voir les articles 18 et 21 de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la LCEE). Le juge Martineau a conclu que, pour l'application de l'article 21, la définition du « projet » est celle qu'en donnent ses promoteurs et que, si ce projet est visé dans la liste d'étude approfondie, il relève dans son ensemble de la procédure de l'étude approfondie.
[8] Selon les ministres, le juge des demandes a commis une erreur de droit en décidant en ce sens, étant donné que le terme « projet » doit recevoir une interprétation plus étroite et signifie le projet tel que la portée en est déterminée par l'« autorité responsable », et que de cette portée dépend celle de l'étude environnementale nécessaire. Ils invoquent plusieurs moyens à l'appui de cette prétention, notamment la présomption que l'intention du Parlement est de légiférer conformément à la répartition des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces, lesquels se partagent les attributions en matière d'environnement.
[9] Par conséquent, font valoir les ministres, ils n'utilisent pas la répartition constitutionnelle des compétences pour donner une interprétation atténuante de la disposition en litige afin de faire en sorte qu'elle n'ait pas la portée excessive que le Parlement aurait eue en vue. Ils affirment invoquer plutôt la présomption que le Parlement n'a pas pour intention de légiférer hors de sa compétence constitutionnelle, entre autres moyens visant à dissiper l'incertitude sur la signification que ce dernier attribuait au terme « projet ». Il n'est donc pas nécessaire, affirment-ils, de signifier un avis de question constitutionnelle, puisqu'ils n'attaquent pas la validité constitutionnelle de l'application de ce terme à des faits auxquels le Parlement aurait eu le dessein de le voir appliquer.
[10] L'examen des écritures des parties, y compris de l'exposé des faits et du droit déposé par les ministres à l'appui de leur appel, ne me convainc pas que la signification d'un avis de question constitutionnelle soit nécessaire dans le présent cas. En effet, les ministres ne demandent pas que des dispositions de la LCEE soient « déclarées invalides, inapplicables ou sans effet » au sens de l'article 57. Il me paraît plutôt qu'ils invoquent les limites constitutionnelles de la compétence du Parlement comme motif pour donner une interprétation étroite du terme ambigu « projet » tel qu'il est employé aux articles 18 et 21 de la LCEE. Les ministres avancent aussi d'autres moyens à l'appui de leur conception de la signification que le Parlement attribuait au terme « projet » dans ce contexte, notamment l'arrêt Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610, 2006 CAF 31, le fait que cette interprétation permet le maintien d'un lien entre la compétence fédérale et le type d'évaluation nécessaire, et les conséquences « absurdes » qu'aurait l'interprétation adoptée par le juge Martineau.
[11] Il appartient évidemment à la formation qui entendra l'appel de décider si ces arguments peuvent entraîner la conviction en dernière analyse. Cependant, le fait qu'ils soient invoqués dans les conclusions écrites des ministres montre pour moi qu'ils utilisent ici la présomption de compatibilité avec la Constitution comme un outil d'interprétation et non comme un moyen de droit visant à réduire la portée autorisée par la Constitution de la disposition en litige, qui, correctement interprétée, identifierait le « projet » à la définition qu'en donnent ses promoteurs.
[12] En conséquence, je refuse d'ordonner aux ministres de ne pas retrancher de leur exposé des faits et du droit les paragraphes où ils exposent leurs moyens fondés sur la compatibilité avec la Constitution. Il n'est pas nécessaire de rendre une ordonnance interdisant aux ministres d'attaquer la constitutionnalité de la disposition elle-même, ou encore son applicabilité ou son effet relativement aux faits de la présente espèce, à moins de signifier un avis de question constitutionnelle sous le régime de l'article 57.
[13] Cependant, je me rends bien compte aussi que la jurisprudence invoquée par MiningWatch (en particulier l'opinion dissidente du juge Bastarache dans Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476) peut rendre difficile en pratique de tracer la ligne de démarcation entre l'utilisation de la compatibilité avec la Constitution comme outil d'interprétation et comme moyen à l'appui d'une interprétation « atténuante ». Il reste donc possible pour la formation qui entendra l'appel de conclure que l'avocat des appelants utilise la répartition constitutionnelle des compétences pour donner une interprétation atténuante du terme « projet » de manière à lui attribuer un sens plus étroit que le Parlement n'en avait l'intention et que, un avis n'ayant pas été signifié sous le régime de l'article 57, la Cour ne peut recevoir ce moyen. Évidemment, l'avocat peut de son côté écarter ce risque en signifiant un avis, par supplément de précaution, dans les dix jours suivant la date fixée pour l'audience de l'appel.
[14] Comme les pièces de la présente requête ne m'ont pas convaincu de la nécessité de la signification d'un avis sous le régime de l'article 57, je n'ai pas à examiner la deuxième mesure de réparation que demande MiningWatch, soit la possibilité de produire des moyens de preuve de faits constitutionnels. Elle pourra, le cas échéant, soulever cette question à l'audience.
[15] Pour ces motifs, la requête sera rejetée avec dépens.
« John M. Evans »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-478-07
INTITULÉ : LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
appelants
et
MININGWATCH CANADA
intimée
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : LE 1ER MAI 2008
PRÉTENTIONS ÉCRITES :
POUR LES APPELANTS
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POUR L'INTIMÉE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ministère de la Justice
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POUR LES APPELANTS
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Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR L'INTIMÉE
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