Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20080606

Dossier : A-449-97

Référence : 2008 CAF 167

ENTRE :

URBANDALE REALTY CORPORATION LIMITED

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS - MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]               L’appelante a formé le présent appel à l’encontre du jugement (23 mai 1997) par lequel la Cour fédérale, Section de première instance, avait rejeté son appel contre le jugement (29 décembre 1992) par lequel la Cour canadienne de l’impôt avait rejeté son appel à l’égard d’une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 1986. Le 10 février 2000, la Cour a accueilli le présent appel, avec dépens en appel et en première instance.

 

[2]               Par lettre datée du 22 septembre 2000, l’appelante a envoyé son mémoire de frais à l’intimée pour fins de paiement. Un échange de correspondance entre les avocats s’en est ensuivi. Dans une lettre datée du 20 mars 2001 adressée à l’appelante, l’intimée a indiqué que le dossier ne justifiait pas des dépens avocat‑client et a proposé de fixer les dépens à 7 806 $ et 7 450 $, en première instance et en appel respectivement, à la suite de la présentation d’un mémoire de frais approprié. Le dossier ne fait état d’aucune réponse de la part de l’appelante.

 

[3]               Le 8 décembre 2003, l’appelante a déposé des observations écrites et un affidavit à l’appui de son mémoire de frais en annexe d’une lettre demandant une convocation pour la taxation des dépens. L’avocat de l’appelante a ensuite assuré le suivi de cette demande auprès du greffe. Le 6 février 2004, j’ai ordonné au greffe de verser la note suivante (la note du 6 février 2004) au présent dossier ainsi qu’au dossier T-533-93 de la Cour fédérale :

[traduction] … J’ai examiné les documents relatifs à la taxation des dépens que StevenVictor [sic] a soumis pour l’appelante (demanderesse) et ai relevé certains problèmes potentiels. J’aurais ordonné que certains de ces problèmes soient abordés dans le cadre d’observations préliminaires, mais j’ai conclu que sa cliente et l’État se verraient épargner des dépenses inutiles si je l’appelais directement pour lui faire part de mes préoccupations. Nous nous sommes parlé le 5 février 2004, et j’ai soulevé les points suivants :

 

a)   Bien que cela ne soit pas fatal au processus de taxation, la Cour d’appel fédérale a indiqué, dans une remarque incidente formulée il y a plusieurs années, que les dépens relatifs aux deux instances (appel et première instance) ne devraient pas être réunis dans un seul mémoire de frais. Maintenant qu’il existe deux cours séparées et distinctes, il y a lieu d’assurer encore davantage cette séparation, même si je n’ai pas encore été saisi de la question.

 

b)      Bien que je sois disposé à examiner tout nouveau motif qu’il pourrait vouloir invoquer, je me suis penché sur la question de la compétence des officiers taxateurs qui sont aux prises avec des adjudications de dépens sans déterminants prévoyant l’application de barèmes supérieurs, comme en l’espèce, et ai conclu que je n’ai pas le pouvoir d’usurper la compétence de la Cour, fondée sur le paragraphe 400(1) des Règles, pour accorder des dépens supérieurs aux dépens « par défaut » de la Colonne III prévus par l’article 407 des Règles, comme des dépens avocat‑client ou les dépens partie‑partie de la Colonne V. J’ai pris note de l’absence, en l’espèce, d’une ordonnance « contraire » de la Cour selon l’article 407 des Règles. Le paragraphe 400(1) et l’article 407 des Règles ne font aucune mention des officiers taxateurs.

 

c)      Par contre, en l’absence d’une ordonnance « contraire » comme c’est le cas en l’espèce, les officiers taxateurs auraient compétence pour se prononcer sur le doublage prévu par l’article 420 des Règles.

 

J’ai souligné que, s’il souhaitait continuer à défendre la position de l’attribution de dépens avocat‑client ou de dépens fondés sur la Colonne V par un officier taxateur, j’aborderais la question dans le cadre d’observations préliminaires pour éviter que les deux parties soumettent des montants de dépens individuels qui ne seraient peut‑être pas défendables suivant les restrictions prévues par les Règles selon mon interprétation du jugement visé par la présente. J’ai dit que j’avais changé d’opinion sur certaines questions au fil des ans et que j’étais disposé à entendre ses arguments, mais que l’inclusion de l’officier taxateur dans la définition de « Cour » est un critère difficile à établir. Cependant, s’il souhaitait obtenir des directives de la Cour permettant l’application d’un barème de dépens plus élevé, il allait devoir procéder par voie de requête formelle. M. Victor a indiqué qu’il allait réfléchir avant de prendre sa décision.

 

[4]               Le 6 février 2004, l’intimée a déposé des affidavits en réponse accompagnés d’une lettre indiquant qu’ils se rapportaient à une taxation des dépens. Le 5 avril 2007, l’avocat de l’intimée a demandé où en était rendue la taxation des dépens. Le même jour, j’ai ordonné au greffe de faire parvenir une copie de la note du 6 février 2004 aux deux parties et d’aviser l’avocat de l’intimée que j’avais examiné les documents, mais que je n’avais rien trouvé qui indiquait que l’avocat de l’appelante avait par la suite pris contact avec le greffe pour réactiver la taxation des dépens.

 

[5]               Le dossier contient des lettres (27 octobre 2004, 9 avril 2006 et 17 mai 2007) envoyées par l’avocat de l’intimée à l’avocat de la partie adverse dans lesquelles il insiste pour que l’on fasse avancer la question des dépens, s’oppose à l’attribution de dépens avocat‑client et demande la présentation d’un mémoire de frais approprié établi sur la base partie‑partie. Par lettre datée du 4 septembre 2007 adressée à l’avocat de la partie adverse, l’avocat de l’intimée a révoqué toute offre de règlement en cours quant aux dépens et avisé l’appelante que son droit de tenter de récupérer les dépens était prescrit. Le 4 février 2008, l’appelante a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à l’officier taxateur de taxer ses dépens sur une base avocat‑client et, subsidiairement, une ordonnance prescrivant la taxation des dépens selon le double du montant maximum prévu à la Colonne V. L’intimée a déposé des documents dans lesquels elle s’opposait à la requête pour quatre motifs : a) la requête était prescrite; b) la requête avait été présentée en dehors du délai prescrit par l’article 403 des Règles; c) des dépens sur la base avocat‑client n’étaient pas justifiés; et d) des dépens plus élevés fondés sur la Colonne V n’étaient pas justifiés. La Cour a tranché la requête conformément au motif énoncé en b). Les paragraphes 6 à 14 suivants résument les positions que les parties ont respectivement exposées à la Cour quant au motif énoncé en a) seulement.

 

I. La position de l’intimée quant à la prescription en matière de dépens

[6]               L’intimée a fait valoir que l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50 (la LRCECA), s’applique :

Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans. [Non souligné dans l’original.]

 

Un « fait générateur » est un état de fait qui fonde une action en justice : voir Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94 [Markevich]. En l’espèce, le prononcé du jugement accordant les dépens est l’état de fait qui a donné naissance au fait générateur.

 

[7]               L’intimée a soutenu que l’arrêt Markevich portait que le terme « poursuite » pouvait englober les pouvoirs de recouvrement des impôts de l’État prévus par la loi, qui équivalent par leur objet et par leur effet à une action en justice, et que l’État, qui avait négligé d’exercer ces pouvoirs à l’intérieur du délai de six ans fixé par l’article 32 de la LRCECA, ne pouvait plus exiger le remboursement de la dette fiscale. Dans l’arrêt Doel c. Kerr, [1915] O.J. no 75 (C.A.) [Doel], on a conclu que le fait de ne pas avoir pris une mesure en vue de faire appliquer un jugement, à savoir une demande de renouvellement d’exécution, à l’intérieur du délai fixé par la loi pour intenter l’action elle‑même, faisait en sorte que cette demande était prescrite en vertu de ladite loi.

 

[8]               L’intimée a également fait valoir que, suivant les arrêts Markevich et Doel, les mesures comme la requête en réexamen de jugement prévue par l’article 397 des Règles, la requête visant à obtenir des directives quant aux dépens prévue par l’article 403 des Règles (la requête) et la demande de convocation pour la taxation des dépens prévue par l’article 406 des Règles (la demande) constituaient toutes des poursuites pour un fait générateur assujetties au délai de prescription de six ans fixé par l’article 32 de la LRCECA. L’article 30 de la LRCECA permet au ministre des Finances (le ministre) d’autoriser « sur réception d’un certificat règlementaire … le paiement, sur le Trésor, de toute somme d’argent accordée à une personne, par jugement contre l’État » pour mettre à exécution les jugements sur les dépens. Selon la remarque faite à l’égard de l’article 474 des Règles dans Brian J. Saunders et al., Federal Courts Practice 2008 (Toronto : Thomson Carswell, 2007), à la page 963, il existe un règlement provincial à l’égard d’un tel certificat, mais aucun à l’égard des certificats de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Ce qui permet de penser que, puisque la disposition de l’article 474 des Règles prévoyant la délivrance par le greffe d’un certificat de jugement va essentiellement dans le même sens que le règlement applicable aux cours provinciales, le ministre donnerait vraisemblablement suite au certificat visé par cette disposition.

 

[9]               L’intimée a également soutenu, en se fondant sur la décision Fegol c. Canada (Ministre du Revenu national), 1998 CarswellNat 2407 (C.F. 1re inst.), que puisque le certificat de jugement sur les dépens visé par l’article 474 des Règles ne peut être délivré tant que les dépens n’ont pas été quantifiés, la requête et la demande sont des tentatives de quantification des dépens et constituent, par conséquent, des poursuites ayant trait à l’adjudication des dépens assujetties au délai de prescription de six ans prévu par l’article 32 de la LRCECA. La première demande de convocation pour la taxation des dépens n’est pas pertinente puisqu’elle a été abandonnée. L’appelante n’a jamais déposé de mémoire de frais selon l’article 406 des Règles qui soit conforme au barème établi par l’article 407 des Règles. En l’espèce, le fait générateur, soit l’adjudication des dépens, prend naissance ailleurs que dans une province : voir l’article 28 de la LRCECA et l’arrêt Markevich.

 

[10]           L’intimée a fait valoir que, si la LRCECA ne s’applique pas à la requête et à la demande, alors la demande de dépens devrait être prescrite par application de la règle d’equity du manque de diligence. Le retard inexpliqué de presque huit ans en l’espèce a porté préjudice à l’intimée. Dans l’arrêt Maytag Corp. c. Whirlpool Corp., [2001] A.C.F. no 1262 (C.A.F.), la Cour a conclu que la question des dépens devrait être tranchée lorsqu’on se rappelle encore les circonstances de l’affaire. Comme il a été statué, dans Kumar c. Canada, [2006] A.C.F. no 1122 (O.T.), que le tarif le plus récent s’applique en matière de taxation des dépens, le retard est préjudiciable à l’intimée puisque l’appelante bénéficie en 2008 d’un barème de dépens plus élevé que celui applicable en l’an 2000.

 

II. La position de l’appelante quant à la prescription en matière de dépens

[11]           L’appelante a fait valoir que la requête et la demande ne sont pas des « poursuites » au sens de l’article 32 de la LRCECA. Même si la LRCECA ne définit pas le terme « poursuites », il devrait être interprété, compte tenu de la définition de ce terme énoncée au paragraphe 1.03(1) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194 (les Règles de l’Ontario) et adoptée dans plusieurs autres provinces, comme une « action ou requête ». L’appelante a convenu que, selon l’arrêt Markevich, les autres procédures prévues par la loi qui ressemblent aux actions en justice ou fournissent une solution de rechange à celles‑ci constituent également des « poursuites » au sens de l’article 32 de la LRCECA, mais a soutenu que la requête et la demande ne constituent pas de telles solutions de rechange et sont plutôt des étapes d’une action en justice plus vaste et de la procédure d’appel s’y rapportant. La requête et la demande ne constituent donc pas des « poursuites » au sens de l’article 32 de la LRCECA. Compte tenu de la définition traditionnelle du terme « poursuites » comme une action ou une requête, ce sont plutôt l’action en justice plus vaste, et la procédure d’appel s’y rapportant dans le cadre de laquelle la requête et la demande ont été présentées, qui constituent des « poursuites » au sens de cette disposition.

 

[12]           L’appelante a soutenu que le fait générateur, au sens de l’article 32 de la LRCECA, était la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1986 de l’appelante, et non l’adjudication de dépens effectuée dans le cadre de sa contestation réussie de ladite nouvelle cotisation. L’adjudication de dépens ne constitue pas un fait générateur au sens où l’entend l’arrêt Markevich, à la page 112, soit un état de fait qui fonde une action en justice, et ne peut faire l’objet d’une action, demande ou autre procédure indépendante. L’appelante ne peut donc poursuivre l’intimée pour ses dépens dans le cadre d’une poursuite distincte. L’adjudication de dépens est plutôt le résultat de la contestation réussie ayant fait suite au réel fait générateur, à savoir la nouvelle cotisation.

 

[13]           Subsidiairement, l’appelante a fait valoir que la demande, qui a été faite en décembre 2003 et était accompagnée de documents à l’appui des articles de dépens, a été présentée à l’intérieur du délai de prescription de six ans. Le dossier confirme que l’avocat de l’appelante a assuré le suivi de la demande auprès de l’officier taxateur et a par la suite reçu des directives qui ont peut‑être été mal interprétées. Cela ne signifie aucunement que l’appelante a abandonné la demande. La position défendue par l’intimée est absurde quand elle sait fort bien que l’appelante a demandé, en temps opportun, une convocation pour la taxation selon l’article 406 des Règles d’un mémoire de dépens fondé sur la Colonne V plutôt que sur la Colonne III du tarif. Le simple fait d’avoir tenté d’obtenir des dépens plus élevés ne prive pas l’appelante de son droit aux dépens. L’intimée savait que les problèmes de santé du directeur de l’appelante avaient fait en sorte qu’il avait été difficile pour l’avocat de celle‑ci d’obtenir des instructions.

 

[14]           L’appelante a soutenu que le comportement de l’intimée, à savoir l’absence de réponses en temps utile aux communications et demande de l’appelante, l’absence de preuve de préjudice et le fait de ne pas avoir averti l’appelante, durant les six années qui ont suivi le jugement, que la notion de préjudice pourrait être invoquée et d’avoir attendu jusqu’en septembre 2007 pour soudainement modifier sa position quant au droit aux dépens en alléguant l’existence d’un retard et d’un préjudice, l’empêche d’invoquer la règle du manque de diligence. Le dossier confirme que l’appelante a fait des efforts pour faire avancer le processus de quantification de l’adjudication de dépens, et que l’intimée savait depuis septembre 2000 que l’appelante avait l’intention de demander des dépens avocat‑client et, subsidiairement, à compter de décembre 2003, des dépens plus élevés fondés sur la Colonne V.

 

III. Taxation

[15]           Le 4 mars 2008, la Cour a ordonné que [traduction] « la requête de l’appelante visant à obtenir que des directives soient données à l’officier taxateur soit rejetée avec dépens » et a également prononcé des motifs d’ordonnance (la décision sur la requête). Par la suite, l’avocat de l’appelante a demandé qu’une date soit fixée pour la taxation des dépens et a indiqué que, compte tenu de la décision sur la requête, elle ne demandait plus de dépens avocat‑client, mais persistait à demander des dépens équivalant au double du montant maximum prévu à la Colonne V, y compris tous les débours et la TPS.

 

[16]           L’intimée a répliqué en faisant état des documents de requête déposés lors de l’audition de la requête et a soutenu que la question de la prescription du droit de l’appelante à la taxation des dépens n’était toujours pas tranchée puisque, dans la décision sur la requête, on avait rejeté la demande de dépens avocat‑client, au motif qu’elle avait été présentée hors délai, et refusé de statuer sur la demande de dépens fondés sur la Colonne V. Je pense que ces observations, bien que généralement correctes, méritent quelques précisions en ce qui concerne la décision sur la requête.

 

[17]           La décision sur la requête se compose de quatre paragraphes. Dans le premier paragraphe, on fait l’historique du litige et de la requête. Dans le deuxième paragraphe, la requête est rejetée au motif qu’elle a été présentée en dehors du délai de 30 jours prescrit par l’article 403 des Règles, qui court à compter de la date du jugement. Le troisième paragraphe, où on affirme que même si une prorogation de délai avait été accordée, l’appelante était loin d’avoir établi qu’il y a lieu d’attribuer des dépens avocat‑client, constitue, à mon avis, une simple remarque incidente. Le quatrième paragraphe, qui traite de la demande subsidiaire de dépens plus élevés (Colonne V), constitue également une remarque incidente.

 

[18]           L’appelante a répliqué à la position de l’intimée en se fondant également sur les documents de requête qu’elle avait soumis à la Cour. Elle a prétendu que l’intimée avait déjà fait valoir que la taxation des dépens était prescrite, position qui a été rejetée par la décision sur la requête, plus précisément à son quatrième paragraphe, qui se lit ainsi :

Enfin, en ce qui concerne la requête subsidiaire visant à obtenir la taxation des dépens selon un barème plus élevé, la seule justification possible d’une adjudication de dépens supérieurs au tarif habituel tient à ce que l’appelante ait fait une ou plusieurs offres de règlement qui n’ont pas été acceptées. Il y a des situations où une offre écrite de règlement peut justifier l’adjudication de dépens plus élevés selon les Règles des Cours fédérales : voir les articles 419 et 420 des Règles. De façon générale, la partie qui demande une telle adjudication doit établir que le jugement obtenu était au moins aussi avantageux que les conditions de l’offre de règlement. À mon avis, il est loisible à l’officier taxateur d’envisager, dans tous les cas, l’application possible de ces dispositions, et ce, même si aucune directive n’a été donnée en vertu de l’article 403 des Règles. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s’il y a eu ou non, en l’espèce, des offres de règlement entraînant l’application des articles 419 et 420 des Règles.

 

Je ne suis pas d’accord. Les documents de requête de chacune des parties séparaient clairement les observations sur la question de la prescription de celles concernant les trois autres questions, soit celles ayant trait à la présentation hors délai de la demande de directives selon l’article 403 des Règles, aux directives ordonnant l’attribution de dépens avocat‑client et à celles ordonnant l’attribution de dépens fondés sur la Colonne V. La question de la prescription de la taxation des dépens se serait inscrite dans l’examen de la question de la prescription de la requête elle‑même, et n’a certainement pas fait partie des facteurs pris en compte pour rendre la décision sur la requête ayant donné lieu au rejet de la requête. La décision sur la requête ne traite pas de la question de la prescription de la requête, et je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la Cour a déjà été saisie de la question du droit à la taxation des dépens. Par conséquent, je conclus que cette question n’est pas chose jugée et que l’intimée peut me la soumettre. Les présents motifs en disposent à titre d’objection préliminaire.

 

[19]           Tout malentendu engendré par la note du 6 février 2004 l’a été par inadvertance. Je n’y ai pas énoncé la raison d’être de mes préoccupations parce que j’ai estimé que l’appelante devait avoir la possibilité d’exposer entièrement sa position sur ma compétence en matière d’augmentation des dépens avant qu’une décision soit prise. C’est encore mon sentiment compte tenu de l’avis de l’appelante indiquant qu’elle entend toujours demander des dépens fondés sur la Colonne V.

 

[20]           Je me risquerai toutefois à faire quelques observations à l’intention des avocats. L’article 405 des Règles dispose que les dépens « sont taxés par l’officier taxateur ». L’article 407 des Règles précise que « [s]auf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie‑partie sont taxés en conformité avec la colonne III ». L’article 10 de la Loi sur le service administratif des tribunaux judiciaires (la LSATJ) prévoit la nomination du personnel nécessaire à sa mise en œuvre. L’entrée en vigueur de la Loi sur les Cours fédérales, le 2 juillet 2003, n’a rien changé au régime de base des dépens et aux principes connexes qui s’appliquaient jusque‑là et qui sont devenus immédiatement applicables à compter de cette date aux affaires introduites devant la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale, l’article 191 de la LSATJ disposant, à titre de mesure transitoire, que les Règles demeuraient en vigueur. Les dispositions transitoires 185(14) et 187(2) de la LSATJ prévoyaient respectivement mon transfert au Service administratif des tribunaux judiciaires qui fournit des services de greffe à ces deux Cours (ainsi qu’à la Cour d’appel de la cour martiale et à la Cour canadienne de l’impôt) et le maintien en vigueur de mon ordonnance de nomination comme officier taxateur à l’égard des dépens attribués dans les deux Cours. Le paragraphe 5(1) de la Loi sur les Cours fédérales définit la Cour d’appel fédérale comme se composant du juge en chef et de douze autres juges. L’article 2 des Règles précise que le terme « Cour » s’entend, selon le cas, de la Cour d’appel fédérale. Cette disposition prévoit également que l’« officier taxateur » s’entend d’« un fonctionnaire du greffe désigné à ce titre par ordonnance de la Cour, un juge ou un protonotaire. Dans le cas d’un renvoi, l’arbitre qui le préside est assimilé à un officier taxateur ». Je tombe dans la première catégorie, soit celle d’un fonctionnaire du greffe désigné à ce titre par ordonnance de la Cour. L’officier taxateur n’entre pas dans la composition de la Cour d’appel fédérale définie au paragraphe 5(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Il s’ensuit que le terme « Cour », tel qu’il est défini à l’article 2 des Règles, ne m’inclut pas. Je n’ai connaissance d’aucune compétence de l’officier taxateur, autre que celle attribuée à la Cour par le paragraphe 400(1) et l’article 407 des Règles, qui me permette de modifier valablement l’adjudication de dépens effectuée par la Cour en accordant des dépens fondés sur la Colonne V au lieu des dépens de la Colonne III prévus par la disposition applicable par défaut contenue dans l’article 407 des Règles.

 

[21]           Je conviens avec l’appelante qu’elle a pris, au cours des six années qui ont suivi le jugement, des mesures en vue de faire quantifier l’adjudication des dépens au moyen de la taxation. Il arrive qu’un mémoire de frais établi selon un autre barème que le barème par défaut de la Colonne III prévu par l’article 407 des Règles soit présenté, donne lieu à une objection d’irrégularité et soit examiné par l’officier taxateur dans le cadre de l’analyse de sa compétence et des paramètres sous‑jacents à l’adjudication des dépens, mais cela ne signifie pas que la partie qui demande la taxation a renoncé à son droit de faire taxer les dépens. Le fait de persister à défendre un mémoire de frais établi d’une manière apparemment non conforme au tarif et à l’adjudication des dépens peut conduire à une diminution des dépens en vertu de l’article 409 et des alinéas 400(3)i) (conduite ayant pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance) et o) (toute autre question jugée pertinente) des Règles. Ces mêmes facteurs pourraient être invoqués devant l’officier taxateur pour justifier l’attribution de dépens moins élevés à la suite, par exemple, d’un retard à entamer la procédure de taxation, et ce, même si l’article 406 des Règles ne prévoit aucun délai pour demander une convocation. De telles circonstances pourraient avoir une incidence sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 408(3) des Règles, lequel permet à l’officier taxateur de « taxer et accorder ou refuser d’accorder les dépens de la taxation à l’une ou l’autre partie ». La taxation des dépens aura lieu.

 

[22]           Je me risquerai à faire une remarque incidente au sujet de la position de l’intimée sur l’article 32 de la LRCECA. Si les arrêts Markevich et Doer et les Règles de l’Ontario n’avaient pas existé, j’aurais probablement abordé la question de la prescription de la façon suivante. Dans le Jowitt’s Dictionary of English Law, 2e éd. (London : Sweet & Maxwell Limited, 1997), vol. 1, John Burke définit le « fait générateur » comme [traduction] « le fait ou la combinaison de faits qui donne naissance à un droit de poursuivre » et affirme qu’il [traduction] « consiste en deux choses, l’acte fautif et le dommage qui en a résulté ». Si on résume la position de l’appelante, la nouvelle cotisation correspondrait à l’acte fautif et le paiement d’un impôt plus élevé au dommage qui en a résulté. Le jugement, qui pourrait comprendre, comme en l’espèce, une adjudication de dépens, statuant sur ledit fait générateur en fait une chose jugée. Comme la question des dépens est incorporée dans le jugement, et je suppose qu’une adjudication de dépens constitue une décision définitive explicite quant au droit aux dépens au sens du paragraphe 400(1) des Règles, qui prévoit que « [l]a Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer », la question du droit aux dépens est chose jugée et ne peut faire l’objet d’une procédure ou action indépendante visant à obtenir une autre adjudication autrement que dans le cadre d’un processus sanctionné par la loi, comme un appel en bonne et due forme interjeté à l’encontre du jugement accordant les dépens.

 

[23]           Je pense que la définition que le Jowitt donne au « fait générateur » vise une action ou un appel, mais non le processus interlocutoire qui s’inscrit dans chacun d’eux. Le processus de quantification de l’adjudication des dépens contenue dans un jugement est accessoire au jugement, et donc de nature interlocutoire. Je ne crois tout simplement pas que l’article 32 de la LRCECA vise un tel processus interlocutoire, et l’intimée ne peut donc soulever la question du retard que dans le cadre d’une argumentation visant à faire diminuer les dépens en fonction des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles. Je signale que si l’intimée était une partie autre que l’État, et donc assujettie à des procédures d’exécution, l’État n’étant pas assujetti à de telles procédures en vertu de l’article 29 de la LRCECA, l’appelante pourrait avoir de la difficulté à faire exécuter la taxation des dépens compte tenu de l’alinéa 434(1)a) qui exige une autorisation de la Cour pour qu’un bref d’exécution puisse être délivré lorsque six ans ou plus se sont écoulés depuis la date du jugement.

[24]           Ces observations ne disposent toutefois pas directement de la position de l’intimée. Dans l’arrêt Markevich, on a examiné les pouvoirs de recouvrement de créances fiscales dont le ministre est investi en vertu des paragraphes 223(2) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permettent à l’État d’enregistrer un certificat pour le montant censément payable, sans qu’il y ait d’abord eu adjudication à la suite d’une audience, en le produisant à la Cour fédérale et d’engager les procédures visant à en obtenir le paiement comme s’il s’agissait d’un jugement de la Cour fédérale. Après avoir qualifié cette procédure de « mesure de recouvrement », la Cour a conclu qu’elle était visée par les dispositions en matière de prescription qui figurent à l’article 32 de la LRCECA. Le commentaire de jurisprudence dit ceci, à la page 96 :

le membre de phrase dans le texte anglais « proceedings [. . .] in respect of a cause of action », à l’art. 32, selon son sens ordinaire, vise aussi les mesures de recouvrement prises par le ministre en application de la loi.  Il serait absurde de conclure que le législateur veuille que cette disposition s’applique aux actions en justice et non aux mesures de recouvrement prévues par la loi, qui servent la même fin.  Les justifications qui sous‑tendent l’application des dispositions en matière de prescription aux procédures auxquelles l’État est partie s’appliquent tant aux procédures judiciaires qu’aux procédures non judiciaires en cause en l’espèce.  Ne pas appliquer l’art. 32 aux procédures qui équivalent par leur objet et par leur effet à une action en justice ferait obstacle à l’objectif de cette disposition.  L’historique législatif de l’art. 32 appuie aussi l’inférence que le législateur veut que cette disposition s’applique également aux procédures non judiciaires….

 

[25]           Je pense que l’intimée soutient que l’article 32 de la LRCECA vise différentes formes de processus, qu’il s’agisse d’une procédure initiale comme une action ou un appel, de procédures non judiciaires comme les mesures de recouvrement de créances fiscales prises par l’État en application de la loi, d’une procédure interlocutoire comme l’avis de requête en directives à l’officier taxateur ou d’une procédure réglementaire comme la demande de taxation des dépens prévue par l’article 406 des Règles. Les Règles de l’Ontario, qui établissent une distinction entre l’avis de requête et la procédure initiale, ne sont pas pertinentes quant à la position de l’intimée parce que l’arrêt Markevich a statué que seule une loi fédérale peut limiter l’application de l’article 32 à l’ensemble des poursuites auxquelles l’État est partie. À la page 114 de l’arrêt Markevich, on peut lire que l’article 32 « vise entre autres des mécanismes administratifs qui permettent à l’État de parvenir exactement au même résultat que par voie judiciaire ». On n’y fait aucune mention du processus interlocutoire. Un processus interlocutoire comme la demande de taxation des dépens est accessoire au « même résultat » et ne peut donc pas permettre de parvenir « exactement au même résultat que par voie judiciaire ». J’aurais conclu que le délai de prescription prévu à l’article 32 de la LRCECA ne s’applique pas à une taxation des dépens.

 

[26]           Le certificat de taxation suivant sera émis :

JE CERTIFIE PAR LES PRÉSENTES que je rejette l’objection préliminaire de l’intimée voulant que l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, empêche l’appelante de faire taxer ses dépens pour cause de prescription.

 

 

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 6 juin 2008

 

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, L.L.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        A-449-97

 

INTITULÉ :                                       URBANDALE REALTY CORPORATION LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

 

MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS :                   CHARLES E. STINSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 6 JUIN 2008

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Stephen Victor

 

POUR L’APPELANTE

Michael Ezri

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kimmel Victor Ages

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

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