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Date : 20071101

Dossier : A-407-06

Référence : 2007 CAF 353

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

PIERRE ROY

Intimé

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 30 octobre 2007.

Jugement rendu à Québec (Québec), le 1er novembre 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 

 


 

Date : 20071101

Dossier : A-407-06

Référence : 2007 CAF 353

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

PIERRE ROY

Intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision rendue par le juge Tardif de la Cour canadienne de l’impôt, qui accueillait un appel à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R., 1985, c. E-15 (la Loi), pour la période du 1er novembre 1996 au 31 janvier 2000, et annulait la cotisation.

 

[2]               L’appelante, au nom du ministre du Revenu national, soumet que le juge Tardif a commis une erreur manifeste et dominante en écartant la cotisation au motif que l’intimé avait agi avec soin, diligence et compétence pour prévenir le manquement de la compagnie de verser le montant de taxes nettes perçues en vertu de la Loi.

 

FAITS PERTINENTS

[3]               Durant la période en litige, soit de 1996 à 2000, l’intimé était l’unique administrateur de la compagnie Piemar Son et Vision Inc., compagnie inscrite aux fins de l’application de la Taxe sur les produits et services (TPS) et de l’application de la Taxe de vente du Québec (TVQ). Il est utile de rappeler pour une meilleure compréhension du litige que la TVQ est une taxe prélevée et administrée par le ministère du Revenu du Québec (Revenu Québec) et la TPS est une taxe prélevée par le ministère du Revenu national (Revenu Canada) mais dont l’administration a été confiée à Revenu Québec par voie d’entente administrative fédérale-provinciale.

 

[4]               Suite à une vérification en octobre 1996, Revenu Québec agissant en vertu de la Loi sur la taxe de vente du Québec, L.R.Q. c. T-0.1. (Loi sur la taxe de vente) a cotisé la compagnie à l’égard de TVQ non perçues sur des commissions pour la période du 1er aout 1992 au 30 avril 1996.

 

[5]               Non satisfait de cette cotisation, Pierre Roy, à titre d’administrateur de la compagnie, s’engagea dans une véritable croisade. D’une part, il s’est opposé et a fait valoir auprès de Revenu Québec que ces commissions n’étaient pas des fournitures taxables en vertu de la Loi sur la taxe de vente puisque reçues de sociétés situées à l’extérieur du Québec.

[6]               D’autre part, l’appelant fit en sorte que la compagnie retarde ou cesse d’effectuer ses remises à compter de l’année 1997. Il semble qu’initialement du moins, l’intimé ait pris cette décision en faisant le pari qu’il aurait gain de cause dans son contentieux portant sur la TVQ, et que les excédents de TVQ compenseraient pour les taxes impayées (Transcription, à la p. 47). Ainsi, la compagnie produisit en retard et sans remises ses déclarations pour les périodes se terminant le 31 janvier 1997, le 30 avril 1997 et le 31 octobre 1997. Elle cessa également de produire ses déclarations pour les périodes du 1er novembre 1997 jusqu’au 31 janvier 2000 (Dossier d’appel, à la p. 146; Transcription, aux pp.49, 66 et 89).

 

[7]               Le ou vers le 23 janvier 2001, la direction de l’interprétation de Revenu Québec arrivait à la conclusion que les commissions reçues par la compagnie de clients situés hors Québec n’étaient pas des fournitures taxables en vertu de la Loi sur la taxe de vente. Une entente intervint entre Revenu Québec et la compagnie en date du 18 décembre 2001, selon laquelle une TVQ non perçue de
8 191 $ était annulée et les intérêts étaient ajustés en conséquence.

 

[8]               Peu de temps après la signature de cette entente, la compagnie par l’entremise de l’intimé, accepta de produire les déclarations qu’elle avait fait défaut de produire et amenda celles qui étaient inexactes, mais toujours sans remises de taxes.

 

[9]               En date du 9 novembre 2001, un certificat était enregistré en Cour fédérale contre la compagnie pour un montant de 6 024,02 $ pour TPS non remise ainsi que les intérêts et pénalités afférents. Un deuxième certificat était enregistré le 25 octobre 2002 pour un montant de 18 624,25 $ toujours pour TPS non remise, intérêts et pénalités (Dossier d’appel, aux pp.118, 121).

 

[10]           Dans une lettre écrite en date du 23 mai 2003, l’intimé demandait à Revenu Québec d’annuler les pénalités et les intérêts pour la période en litige au motif que des montants supérieurs aux taxes exigibles (TPS et TVQ confondues) avaient été payés par la compagnie (Dossier d’appel, à la p.74). Plus précisément, il prétendait qu’une TVQ de 11 365,45 $ et une TPS de 37 188,43 $ étaient dues par la compagnie pour cette période. Par contre, il prétendait qu’une somme de
62 616,64 $ avait été payée au titre de ces taxes pendant la période.

 

[11]           Revenu Québec, dans une lettre datée du 17 octobre 2003 (Dossier d’appel, à la p.142), refusait d’annuler les pénalités et intérêts en ces termes:

Vous indiquez que les droits en TVQ-TPS pour la période d’avril 1996 à octobre 2000 s’élèvent à 48 842,88 $ et que les paiements effectués sur ces droits s’élèvent à 62 616,64 $. L’étude de votre dossier démontre que, pour la période visée, les droits sont de 49 666,20 $ alors que les paiements effectués sur ces droits sont de 44 982,74 $. L’écart dans les paiements s’explique par le fait que, des paiements que vous avez identifiés, ont servi à payer d’autres sommes dues que celles pour la période visée.

 

[12]           Une somme de 23 068 $ fut par la suite cotisée entre les mains de l’intimé, en tant qu’administrateur de la compagnie pour tenir compte des montants que la compagnie était en défaut de payer (moins un montant 1 580 $ présumément crédité dans l’intérim). Cette cotisation, qui est celle qui fait l’objet du litige, fut émise en vertu de l’article 323 de la Loi. Le montant cotisé représente une TPS de l’ordre de 11 973,31 $ et des intérêts et pénalités de l’ordre de 4 368,11 $ et
6 726,94 $ respectivement. Un tableau sommaire des déclarations TVQ-TPS reçues et des crédits accaparés pour les périodes se rapportant à cette cotisation est reproduit à la page 145 du Dossier d’appel.

 

[13]           Après s’être opposé sans succès à cette cotisation, l’intimé s’est pourvu en appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Le 4 juillet 2006, le juge Tardif accueillait l’appel et annulait la cotisation au motif que l’intimé avait agi avec diligence pour prévenir le manquement de la compagnie à ses obligations fiscales.

 

[14]           Au soutien de son appel, l’appelante prétend que la preuve ne donnait pas ouverture à cette conclusion. Selon elle, le juge Tardif a commis une erreur manifeste et dominante en se fondant sur des considérations sans pertinence et en ignorant la preuve pour conclure que l’intimé avait agi avec diligence.

 

CADRE LÉGISLATIF

[15]           Les paragraphes 323(1) et (3) de la Loi sont pertinents au dénouement du litige. Ils prévoient respectivement :

323. (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

Diligence

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

323. (1) If a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3) or to pay an amount as required under section 230.1 that was paid to, or was applied to the liability of, the corporation as a net tax refund, the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit or pay, as the case may be, the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay the amount and any interest on, or penalties relating to, the amount.

Diligence

(3) A director of a corporation is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.

 

[Je souligne]

ANALYSE ET DÉCISION

[16]           L’appelant a concédé devant le juge Tardif que la compagnie était légalement redevable de la TPS qui fut cotisée entre ses mains. Il fut aussi concédé qu’au moment du procès, la compagnie n’avait aucun bien et avait cessé toute activité. Le juge Tardif devait donc se demander si l’intimé avait agi avec diligence pour prévenir ce « manquement » au sens du paragraphe 323(3).

 

[17]           L’essentiel du raisonnement du juge Tardif pour justifier la conclusion à laquelle il en est venu se retrouve aux paragraphes 15 à 19 de ses motifs. Je crois utile de citer ces paragraphes dans leur entièreté :

[14]    À plusieurs reprises, j'ai affirmé [en cours d’instance] que les accises (sic) de notre système fiscal reposent sur l'auto-cotisation en vertu de laquelle une comptabilité raisonnablement cohérente doit avoir été effectuée par le contribuable pour en permettre l'analyse et la vérification en tout temps. Une telle comptabilité exige également la possession de toutes les pièces et documents pertinents de manière à pouvoir valider les donnés enregistrées dans les divers livres.

 

[15]    Faute d'une telle comptabilité, les personnes visées par une vérification s'exposent à des conséquences fâcheuses.

 

[16]    Inversement, l'État doit être en mesure de fournir à tout contribuable toutes les explications demandées et cela, dans un langage comptable accessible de manière à ce que le contribuable puisse bien comprendre la situation. Chose certaine, tout contribuable a le droit à un compte rendu dans un langage comptable clair. Prétendre que le travail a été réalisé par un logiciel et que le résultat ainsi obtenu est fiable, correct et incontestable n'est absolument pas suffisant, tout particulièrement si la personne visée ou son représentant ne comprend pas les renseignements qui lui sont fournis.

 

[17]    En l'espèce, non seulement l'appelant n'a pas été insouciant, négligent, téméraire ou irresponsable, mais il a manifesté un intérêt constant pour le règlement de son dossier. Son entêtement à vouloir comprendre son dossier est une preuve irréfutable qu'il s'occupait de son affaire et qu'il ne voulait avoir à sa charge que les montants qu'il devait au fisc, c'est tout. Il s'agissait là d'une demande fort légitime et il avait pleinement droit d'obtenir des réponses claires à ses questions.

 

[18]    Je ne vois strictement rien dans ce dossier qui me permette de conclure que l'appelant a manqué de vigilance et a été négligeant ou insouciant; au contraire, la prépondérance de la preuve est à l'effet qu'il a été très actif, voire même agressif quant cela s'avérait nécessaire pour régler son dossier. Cela ressort très clairement du témoignage de l'appelant, mais aussi d'une façon très éloquente et convaincante de certains procès-verbaux consignés par la personne responsable de son dossier relatif au nombre exceptionnel d'interventions de l'appelant qui voulait savoir précisément la façon dont l'intimée avait géré son travail.

 

[19]    Pour ces raisons, l'appel est accueilli et la cotisation est annulée.

 

[18]           En résumé dit le juge, l’intimé avait droit à des réponses claires, et ne les a pas obtenues. Non seulement ce dernier n’a pas été irresponsable, mais il a manifesté un intérêt constant dans le règlement de son dossier. Dans les circonstances, il était justifié d’avoir agi de façon active voir même agressive. Le comportement de l’intimé est, selon le juge Tardif, à l’antipode de celui de l’administrateur insouciant, et c’est ainsi qu’il conclut que l’intimé a agi avec diligence raisonnable.

 

[19]           Avec égard, ce raisonnement est fonction du comportement de l’appelant après que la compagnie eut manqué à son obligation de remettre les taxes exigibles. Il ne tient pas compte du comportement de l’intimé lors de ces omissions et surtout du fait que c’est l’appelant qui a décidé que la compagnie à compter de 1997 cesserait d’effectuer les versements de TPS exigibles en vertu de la Loi et de produire ses déclarations. Si le juge Tardif avait pris en compte le fait que c’est l’appelant qui est à l’origine des manquements de la compagnie, je ne vois pas comment il aurait pu conclure que ce dernier avait agi avec diligence « pour prévenir » ces manquements comme l’exige le paragraphe 323(3) de la Loi.

 

[20]           De fait, l’intimé n’a jamais nié que c’est lui qui a décidé que la compagnie cesserait de faire ses versements, ni que celle-ci était redevable de la TPS, telle que cotisée. La vraie plainte de l’intimé est que Revenu Québec a mal affecté les montants à sa disposition en se payant la TVQ en priorité sur la TPS (Transcription, à la p. 54). Selon l’appelant, la compagnie ne devrait aucun montant au titre de la TPS et des intérêts et des pénalités y afférents si ces montants avaient été correctement affectés.

 

[21]           Dans la mesure où l’intimé voulait se dégager de sa responsabilité solidaire au motif que sa compagnie avait déjà payé les montants qu’on lui réclame, c’était à lui d’en faire la preuve. Or, malgré les nombreuses questions soulevées sur ce front, le juge Tardif a été incapable de tirer de conclusion à cet égard.

 

[22]           Il est vrai que l’intimé escomptait que les crédits issus d’un éventuel remboursement seraient affectés à la TPS, ce qui n’a pas été fait. Cependant, la Loi sur le Ministère du Revenu, L.R.Q., c. M-31 prévoit à son article 31 que les deniers issus d’un remboursement d’une loi fiscale québécoise peuvent être affectés en priorité au paiement d’une dette exigible en vertu d’une autre loi fiscale québécoise. La preuve révèle que pendant la période pertinente la compagnie était redevable de TVQ ainsi que de déductions à la source en vertu de la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3, ce qui explique pourquoi le remboursement ne fut pas affecté à la TPS.

 

[23]           J’ajouterais que l’intimé a reconnu devant le premier juge être au courant de la politique applicable à la compensation TPS/TVQ (Transcription, à la p. 55), laquelle est reproduite sur les formulaires de remises (Dossier d’appel, aux pp. 132 à 140):

 

Le ministre peut refuser la compensation TPS/TVH–TVQ à un inscrit qui a d’autres dettes envers le gouvernement du Canada ou le gouvernement du Québec (même s’il existe une entente en vue d’un règlement d’une dette fiscale), ou qui n’a pas produit une déclaration prévue pour une période antérieure.

 

On peut constater qu’au-delà du fait que des montants étaient exigibles en vertu de lois fiscales québécoises, Revenu Québec n’avait, selon cette politique, aucune obligation d’affecter des montants au paiement de la TPS avant que l’intimé produise ses déclarations en 2002.

 

[24]           Pour ces motifs, l’appel sera accueilli, la décision du juge Tardif sera infirmée et rendant le jugement que le juge Tardif aurait dû rendre, l’appel de l’intimé devant la Cour canadienne de l’impôt sera rejeté et la cotisation émise en date du 18 novembre 2003 sera confirmée. Conformément à l’article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R., 1985, c. T-2, l’intimé aura tout de même droit à des dépens raisonnables encourus par suite du présent appel.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-407-06

 

INTITULÉ :                                                                           Sa Majesté la Reine c. Pierre Roy

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 30 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Noël

 

ONT SOUSCRIT :                                                                Le juge Létourneau

                                                                                                La juge Trudel

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 1er novembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Philippe Morin

 

POUR L’APPELANTE

 

 

M. Pierre Roy

POUR LUI-MÊME

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VEILLETTE, LARIVIÈRE

Ministère du Revenu du Québec

Québec (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

 

M. Pierre Roy

 

 

POUR LUI-MÊME

 

 

 

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