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Date : 20080612

Dossier : A-313-07

Référence : 2008 CAF 212

 

CORAM :       LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON                

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DES AHOUSAHT,

LA BANDE INDIENNE DES DITIDAHT

LA BANDE INDIENNE DES EHATTESAHT

LA BANDE INDIENNE DES HESQUIAHT

LA BANDE INDIENNE DES HUPACASATH

LA BANDE INDIENNE DES HUU-AY-AHT

LA BANDE INDIENNE DES KA :’YU :K’T’H/CHE :K’TLES7ET’H’

LA BANDE INDIENNE DES MOWACHAHT / MUCHALAHT

LA BANDE INDIENNE DES NUCHATLAHT

LA BANDE INDIENNE DES TLA-O-QUI-AHT

LA BANDE INDIENNE DES TOQUAHT

LA BANDE INDIENNE DES TSESHAHT

LA BANDE INDIENNE DES UCHUCKLESAHT et

LA BANDE INDIENNE DES UCLUELET

appelantes

et 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

intimé

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 avril 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 juin 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

MOTIFS CONCORDANTS :                                                                                      LE JUGE NOËL

                                                                                                                                   LE JUGE RYER

 


 

Date : 20080612

Dossier : A-313-07

Référence : 2008 CAF 212

 

CORAM :       LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON                

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DES AHOUSAHT,

LA BANDE INDIENNE DES DITIDAHT

LA BANDE INDIENNE DES EHATTESAHT

LA BANDE INDIENNE DES HESQUIAHT

LA BANDE INDIENNE DES HUPACASATH

LA BANDE INDIENNE DES HUU-AY-AHT

LA BANDE INDIENNE DES KA :’YU :K’T’H/CHE :K’TLES7ET’H’

LA BANDE INDIENNE DES MOWACHAHT / MUCHALAHT

LA BANDE INDIENNE DES NUCHATLAHT

LA BANDE INDIENNE DES TLA-O-QUI-AHT

LA BANDE INDIENNE DES TOQUAHT

LA BANDE INDIENNE DES TSESHAHT

LA BANDE INDIENNE DES UCHUCKLESAHT et

LA BANDE INDIENNE DES UCLUELET

appelantes

et

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               La Cour statue sur l’appel d’un jugement en date du 29 mai 2007 (2007 CF 567) par lequel le juge Blais de la Cour fédérale (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a rejeté la demande présentée par les appelantes en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches et des Océans (le ministre ou l’intimé) de mettre en œuvre à compter d’avril 2006 un projet pilote sur trois ans pour la pêche commerciale des poissons démersaux dans le Pacifique (le projet pilote).

 

[2]               Devant le juge de première instance, les appelantes, quatorze Premières nations (les Premières nations Nuu-chah-nulth ou les appelantes), dont les terres sont situées sur la côte ouest de l’île de Vancouver, soutenaient que le ministre n’avait pas préservé l’honneur de la Couronne et ne s’était pas acquitté de son obligation de consulter les Premières nations Nuu-chah-nulth et de trouver des accommodements à leurs préoccupations avant de mettre en œuvre le projet pilote.

 

[3]               Pour rejeter la demande de contrôle judiciaire des appelantes, le juge Blais a conclu que le ministre n’avait pas manqué à son obligation constitutionnelle de consulter prévue au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Constitution).

 

LES FAITS

[4]                Dans les motifs qu’il a exposés pour justifier sa décision, le juge Blais a examiné de façon attentive et approfondie les faits se rapportant aux questions litigieuses qui lui étaient soumises. Bien qu’il soit un peu long, le résumé que le juge a fait de la preuve est essentiel pour bien comprendre les questions en litige dans le présent appel. Avant de reproduire les paragraphes pertinents des motifs du juge, il est utile de dire quelques mots au sujet des raisons qui ont incité le ministre à adopter le projet pilote.

 

[5]               Il existe plus d’une soixantaine d’espèces différentes de poissons sur la côte du Pacifique, et sept flottes différentes. En raison de la nature de la pêche, les espèces s’entremêlent, ce qui crée ce qu’on appelle dans l’industrie, des « prises accessoires ». En effet, le pêcheur qui est titulaire d’un permis pour une espèce de poisson, par exemple, le flétan, peut fort bien capturer d’autres poissons alors qu’il essaie de prendre du flétan. C’est ce qu’on appelle une prise accessoire. En pareil cas, comme les pêcheurs ne peuvent garder que le poisson qu’ils sont autorisés à capturer, ils doivent remettre à l’eau les poissons qui ne sont pas visés par le permis de pêche et, selon le type de poissons ainsi remis à l’eau, les risques que le poisson meure lorsqu’il est remis à l’eau sont très élevés. C’est nettement le cas du sébaste.

 

[6]               En 2001, le ministre a décidé qu’il était nécessaire de mettre en œuvre des réformes dans le secteur des pêches de poissons démersaux de la côte du Pacifique, sans quoi il faudrait procéder à d’importants contingentements. Les changements proposés visaient à régler les problèmes de conservation et de protection touchant des espèces de sébastes en voie de disparition ou en péril et la mortalité accessoire ainsi qu’à permettre au ministère des Pêches et des Océans (le MPO) d’évaluer les stocks avec précision en améliorant la surveillance et la déclaration des prises pour toutes les espèces.

 

[7]               En juin 2003, la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, a été édictée. En vertu de cette loi, le boccacio a été désigné comme espèce menacée et onze autres espèces de sébastes se sont vues attribuer une priorité élevée en vue d’une éventuelle désignation à titre d’« espèce menacée » au sens de la Loi.

 

[8]               En mars 2005, le MPO a décidé qu’à compter de la saison de pêche 2006, toutes les sorties de pêche commerciale de poissons démersaux feraient l’objet d’une surveillance électronique des prises. Cette surveillance a été jugée nécessaire pour comptabiliser avec précision toutes les prises effectuées par les bateaux de pêche, qu’il s’agisse des prises débarquées ou prises remises à l’eau en mer. Par ce moyen, le MPO croyait qu’il disposerait de renseignements plus exacts lui permettant de déterminer tout excédent du total autorisé des captures (TAC) dans une pêche commerciale du poisson de fond déterminée. Disposant ainsi de renseignements plus exacts, le MPO pouvait envisager sérieusement la fermeture anticipée de la pêche dès que le TAC était atteint.

 

[9]               Il est en conséquence devenu essentiel d’instaurer un système de contingents individuels (CI) afin d’éviter une fermeture précoce des pêches, ce qui, il va sans dire, aurait perturbé gravement la vie quotidienne des pêcheurs et des collectivités qui dépendent de la pêche. Pour pouvoir gérer efficacement la pêche commerciale et pour garantir le succès de ses plans de gestion, le MPO devait compter sur l’appui des intéressés, y compris sur celui des appelantes. C’est dans ce contexte que l’exercice de consultation des intéressés a eu lieu.

 

[10]           Je reproduis maintenant les paragraphes 6 à 23 des motifs du juge :

[6]     Des discussions entre le MPO et des associations industrielles ont commencé en mars 2003 et ont mené à l’élaboration de documents de travail et à la création du Comité consultatif sur l’intégration des pêches commerciales des poissons démersaux (CCIPCPD), qui comprenait des représentants de l’industrie des pêches commerciales, dont les quatre principales associations industrielles du secteur des pêches de poissons démersaux, ainsi que la province de la Colombie‑Britannique et le MPO. Le CCIPCPD comprenait aussi des représentants de communautés côtières, du Marine Conservation Caucus, du Sport Fish Advisory Board et de la British Columbia Aboriginal Fisheries Commission (BCAFC). Il convient de noter que la BCAFC a désigné une personne du NTC pour agir comme son représentant en 2004 et en 2005. Bien que le représentant désigné n’ait pas assisté aux quatre réunions du CCIPCPD en 2004, la BCAFC a été représentée aux réunions de 2005, d’abord par un pêcheur commercial du NTC et ensuite par un employé du NTC.

[7]        Le CCIPCPD a créé un comité composé de seize de ses membres, le Commercial Industry Caucus (CIC), qui a préparé la proposition qui est devenue plus tard le plan pilote. Ce comité ne comprenait aucun représentant autochtone.

[8]        En mars 2005, toutes les personnes admissibles à un permis de pêche commerciale de poissons démersaux au piège et à la ligne et tous les propriétaires de bateaux utilisés pour ces pêches ont été informés, dans une lettre envoyée par le MPO, qu’un système obligatoire de surveillance totale en mer serait instauré à compter de 2006. Toujours en mars 2005, la Commercial Industry Caucus Pilot Integration Proposal (la proposition de réforme) a été présentée au CCIPCPD et au MPO.

[9]      La consultation des intéressés au sujet de la proposition de réforme a débuté en juin 2005. À cette fin, le MPO a d’abord créé un site Web, qui fournissait des renseignements sur la proposition de réforme et sur les différentes politiques qui ont mené à cette proposition. Il a ensuite envoyé une lettre, accompagnée d’un guide de consultation, à tous les titulaires de permis de pêches de poissons démersaux pour les inviter à faire part au MPO de leurs commentaires au sujet de la proposition de réforme. Des lettres et des guides de consultation ont également été envoyés à toutes les Premières nations côtières de la Colombie‑Britannique pour recueillir leurs observations. La deuxième phase de la consultation a eu lieu en octobre et novembre 2005, lorsque des représentants du MPO se sont rendus dans quatre villes de la province pour engager des discussions avec les intéressés. Le dernier stade du processus de consultation a consisté en des discussions bilatérales avec les Premières nations touchées. Cela dit, les demanderesses n’ont pas été invitées à prendre part à ces discussions bilatérales planifiées parce que le défendeur ne considérait pas que la proposition de réforme avait un effet préjudiciable sur les droits ancestraux qu’elles revendiquaient.

[10]      Les demanderesses notent qu’elles ont soulevé l’idée d’une consultation bilatérale auprès des Premières nations Niu-chah-nulth une première fois en janvier 2005, puis à nouveau lors des réunions du CCIPCPD du 15 avril 2005 et du 30 mai 2005.

[11]      La première réunion entre des représentants du MPO et des représentants des demanderesses au cours de laquelle la proposition de réforme aurait dû être discutée est la réunion du GTTC qui devait avoir lieu en septembre 2005. Cependant, le NTC a annulé cette réunion parce que le chef du service des pêches du NTC, M. Hall, n’était pas disponible.

[12]      La réunion a été reportée au 18 novembre 2005, date à laquelle Mme Trager, représentant le MPO, a rencontré des représentants du NTC pour discuter de différentes questions liées aux pêches, dont la proposition de réforme. Il y a eu une autre rencontre entre des représentants du MPO et des demanderesses le 28 novembre 2005, au cours de laquelle Mme Trager a fait une présentation sur la proposition de réforme et a répondu à des questions.

[13]      Une autre réunion du CTTC a eu lieu le 29 novembre 2005, mais la discussion a porté uniquement sur le projet de protocole de consultation proposé par les demanderesses dans une lettre datée du 23 novembre 2005, qui permettrait de procéder à des consultations sur plusieurs questions liées aux pêches, dont la proposition de réforme. Ce protocole de consultation comportait six étapes :

 

1.          Identification des propositions de politique

2.          Explication et discussion initiale des propositions de politique

3.          Communication et étude de renseignements additionnels

4.          Réponse des Nuu-chah-nulth

5.          Réponse du MPO

6.          Accommodement

 

[14]      Le défendeur a accepté d’étudier le protocole de consultation, puis, dans une lettre datée du 20 décembre 2005, M. Sprout a fait savoir qu’ils attendaient encore des commentaires de leurs collègues à Ottawa, mais que le MPO était essentiellement d’accord sur les cinq premières étapes du protocole de consultation, et il proposait que les parties entreprennent immédiatement ces étapes.

[15]      Une réunion ultérieure a eu lieu le 23 janvier 2006, mais la discussion a porté seulement sur le protocole de consultation, puisque les demanderesses soutenaient qu’elles n’étaient pas prêtes à discuter de la proposition de réforme tant que le MPO ne se serait pas engagé à adhérer au protocole de consultation proposé. Lors de cette réunion, M. Kadowaki a informé les représentants des demanderesses que le MPO était essentiellement d’accord sur les cinq premières étapes du protocole de consultation, mais que la sixième étape dépendrait des résultats des cinq premières étapes. En outre, M. Kadowaki a déclaré dans son affidavit qu’il a insisté sur l’urgence de l’initiative relative aux poissons démersaux, puisqu’une des pêches importantes de poissons démersaux ouvrirait en mars 2006, et qu’il était donc impératif que les consultations soient entreprises de toute urgence. Il a aussi indiqué que le MPO n’était pas prêt à accepter l’échéancier proposé aux termes du protocole de consultation concernant cette initiative.

[16]      Une autre tentative a été faite en vue d’organiser une rencontre au cours de la première semaine de février 2006 afin de passer à la troisième étape du protocole de consultation, mais les demanderesses ont rejeté la proposition de rencontre, en réitérant qu’elles n’étaient pas prêtes à entreprendre des consultations sur des questions de fond avant qu’il y ait entente sur le protocole de consultation. M. Hall a affirmé que la rédaction de questions pour la troisième étape avait été entreprise mais que, [traduction] « dans l’attente de l’entente sur le protocole de consultation et eu égard à d’autres activités plus prioritaires au cours des dernières semaines », elle n’avait pas été hautement prioritaire.

[17]      Dans une lettre datée du 16 février 2006, M. Kadowaki a écrit que [traduction] « le MPO est d’accord sur bon nombre des aspects du protocole de consultation que vous avez proposé, et nous croyons qu’il peut servir de fondement à un cadre utile et pratique de consultation. » M. Kadowaki a aussi réitéré l’urgence des consultations au sujet de la proposition de réforme, puisque l’on envisageait de mettre en œuvre la réforme proposée à compter de la saison de pêche de 2006.

[18]      Les demanderesses prétendent que le MPO a accepté par cette lettre d’être lié par le protocole de consultation, tandis que le défendeur soutient que le MPO n’a pris aucun engagement semblable. Le défendeur affirme également qu’il faut lire cette lettre à la lumière de la lettre précédente envoyée par Mme Trager et datée du 16 janvier 2006, dans laquelle elle écrivait aux demanderesses que le MPO envisageait de mettre en œuvre la proposition de réforme pour la saison de pêche de 2006, ainsi qu’à la lumière de l’affidavit de M. Kadowaki, dans lequel celui‑ci affirme que l’on a clairement fait savoir aux demanderesses que le MPO n’acceptait pas l’échéancier proposé.

[19]      Le 20 février 2006, les demanderesses ont fait savoir qu’elles étaient prêtes à faire avancer le processus de consultation et à passer à l’étape 3 de leur protocole de consultation. Elles ont donc envoyé 102 questions à Mme Trager.

[20]      Le 24 février 2006, une autre réunion a eu lieu, au cours de laquelle le MPO a donné des ébauches de réponses à certaines des questions soumises. Le MPO a répondu plus tard à 94 des 102 questions dans un courriel envoyé le 13 mars 2006.

[21]      Il n’y a eu aucune autre réunion après cela, mais les parties ont continué à échanger de la correspondance. Les demanderesses ont notamment envoyé des lettres dans lesquelles elles se plaignaient de ne pas être consultées et exprimaient leur opposition à la proposition de réforme. Une lettre a aussi été envoyée pour tenter d’obtenir une rencontre avec le ministre lors de son séjour dans la région en mars 2006. Bien que le ministre ne les ait pas rencontrées à cette occasion, le défendeur fait remarquer qu’il y avait eu une rencontre entre le ministre et les Premières nations Nuu-chah-nulth en janvier 2006.

[22]      Une série de notes de service ont été envoyées au ministre les 17 février 2006, 17 mars 2006, 31 mars 2006 et 5 avril 2006, dans lesquelles les préoccupations exprimées par les Premières nations sont clairement signalées. En particulier, la première note de service décrit avec force détails l’opposition des Premières nations, notamment celle du NTC.

[23]      Lorsqu’elle a été publiée en avril 2006, la proposition finale correspondait dans une large mesure à la proposition que le CIC avait présentée au CCIPCPD, bien qu’on y ait apporté certains changements, notamment les modifications suivantes : la proposition serait mise en œuvre à titre de plan pilote sur une période de trois ans; la réallocation de contingents entre permis au sein d’une même pêche de poisson démersal serait permise à titre temporaire uniquement pendant l’année de pêche en cours; le MPO s’engageait à reconnaître aux Premières nations un historique de capture additionnel de morue-lingue et de chien de mer sous forme d’attribution de contingents pour ces poissons.

 

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[11]           Après avoir exposé les questions litigieuses qui lui étaient soumises de même que l’étendue de l’obligation du ministre de consulter les appelantes et après s’être demandé si les mesures prises par le ministre étaient suffisantes pour qu’on puisse considérer qu’il s’était acquitté de son obligation de consultation et après s’être interrogé sur la réparation que la Cour devait, le cas échéant, accorder, le juge s’est inspiré de l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, de la Cour suprême pour définir les principes applicables. Le juge a plus particulièrement cité les paragraphes 16, 20, 27 et 35 de l’arrêt Haïda, précité, dans lequel la Cour suprême a jugé que (i) lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis à l’article 35 de la Constitution, la Couronne doit agir honorablement et, pour ce faire, elle doit consulter et, s’il y a lieu, accommoder les peuples autochtones; (ii) l’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un droit ancestral sur lequel la conduite envisagée par la Couronne est susceptible d’avoir un effet préjudiciable.

 

[12]           Le juge a ensuite précisé la nature du droit ancestral en cause. Il a estimé que le droit que possédaient les appelantes était celui de pêcher à des fins commerciales, ce qui l’a amené à faire observer que, même s’il ne contestait pas que la Couronne était au courant des revendications des appelantes en matière de droits de pêche à des fins commerciales, le ministre remettait en question l’idée selon laquelle les mesures prévues par le projet pilote étaient susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur le droit ancestral en question des appelantes.

 

[13]           Pour ce qui est de l’argument des appelantes suivant lequel leur droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles était également compromis, le juge a conclu que, comme les appelantes n’avaient réussi à identifier aucun effet préjudiciable sur ce droit, il s’ensuivait que le ministre n’avait aucune obligation de les consulter à ce titre.

 

[14]           Le juge s’est ensuite penché sur la portée de l’obligation de consultation du ministre en ce qui concerne le droit des appelantes de pêcher à des fins commerciales. Il a tenté de déterminer où se situait cette obligation sur le continuum dont la Cour suprême avait discuté dans l’arrêt Haïda, précité. Il a amorcé son analyse en expliquant que, pour pouvoir déterminer l’étendue et la teneur de l’obligation de consulter, il était essentiel d’établir le droit ancestral qui donne naissance à cette obligation. Pour appuyer ses dires, il a cité les paragraphes 43 à 45 de l’arrêt Haïda, précité. Ainsi que je l’ai déjà précisé, le juge a conclu que le droit en litige consistait en un droit de pêcher à des fins commerciales.

 

[15]           Le juge a ensuite passé en revue les arguments avancés par les deux parties au sujet de l’étendue de l’obligation du ministre à la lumière de la preuve et de certains arrêts de la Cour suprême, en l’occurrence les arrêts Haïda, précité, Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388, R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, et R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723. Le juge en est arrivé à la conclusion que toute atteinte aux droits des appelantes de pêcher à des fins commerciales, ou tout effet préjudiciable touchant ces droits, serait limité, et que l’obligation du ministre de consulter les appelantes se situait à l’extrémité inférieure du continuum. Voici en quels termes le juge a formulé sa conclusion, au paragraphe 46 de ses motifs :

[46]       Après avoir examiné soigneusement les observations des deux parties à la lumière de la jurisprudence applicable, je suis convaincu que toute atteinte aux droits des demanderesses de pêcher à des fins commerciales, ou tout effet préjudiciable touchant ces droits, découlant du plan pilote serait limité, particulièrement compte tenu du fait que le défendeur poursuivait un objectif impérieux et réel de conservation de la ressource en cause au profit de tous les Canadiens, y compris des demanderesses. Pour cette raison, je conclus que l’obligation de consulter les demanderesses et de tenir compte de leurs préoccupations se serait située à l’extrémité inférieure du continuum.

 

[16]           Le juge a ensuite examiné la question de savoir si les mesures prises par le ministre étaient suffisantes pour respecter son obligation de consulter. Il s’est en premier lieu attardé à la période au cours de laquelle la proposition de réforme avait été élaborée. À son avis, le ministre n’était pas tenu, à cette étape, de mener des consultations bilatérales parce que son obligation de consulter se situait à l’extrémité inférieure du continuum, de sorte que la participation des appelantes au processus multilatéral par l’entremise du CCIPCPD était telle que le ministre n’était pas tenu de prendre de mesures additionnelles pour consulter les appelantes.

 

[17]           Le juge a ensuite abordé la période de temps qui avait commencé après que la proposition de réforme eut été soumise au ministre. Il a signalé que, s’il était vrai que les appelantes avaient seulement reçu une copie officielle de la proposition de réforme en juin 2005, elles étaient au courant depuis janvier 2005 de l’orientation générale que prenait la proposition de réforme en raison de la participation au CCIPCPD d’un de leurs représentants désigné. Le juge a fait observer qu’après que la proposition de réforme eut été présentée au ministre, le MPO avait entrepris un processus de consultation des intéressés, auquel les appelantes avaient été invitées à participer en remplissant un questionnaire écrit pour formuler des commentaires au sujet de la proposition et en participant à des rencontres avec les intéressés. Le juge a également fait remarquer que les appelantes étaient bien au fait de la principale question soulevée par la proposition de réforme, à savoir l’imposition de contingents individuels, qui existait déjà pour la majorité des pêches de poissons démersaux depuis 1997, et à laquelle elles s’opposaient en principe. Le juge a poursuivi en faisant observer que, bien que le ministre n’ait pas prévu au départ de mener des consultations bilatérales avec les appelantes, parce qu’il croyait que des consultations multilatérales seraient suffisantes pour répondre à leurs préoccupations, il avait néanmoins accepté de mener une certaine forme de consultations bilatérales. Le juge a ensuite souligné que ce dont les appelantes se plaignaient essentiellement était le fait que les consultations n’avaient pas été menées à terme avant que le ministre fasse connaître sa décision de mettre en œuvre le projet pilote, ce qui, à leur avis, était attribuable au fait que le MPO avait attendu jusqu’à la toute fin avant d’entamer des consultations, de sorte qu’il ne restait plus assez de temps pour mener le processus de consultation jusqu’à son terme.

 

[18]           Après avoir souligné que le ministre soutenait que le fait que les consultations bilatérales n’avaient pas été menées à terme était attribuable au refus des appelantes d’engager des discussions sérieuses sur le fond des questions soulevées par la proposition de réforme, le juge a expliqué que, bien que le MPO eusse pu entamer un processus de consultation bilatérale plus tôt qu’il ne l’avait fait, c’est-à-dire en novembre 2005, le MPO « ne pouvait pas tout faire en même temps » (paragraphe 59). Il a également expliqué que les appelantes étaient en partie responsables des retards accumulés au cours des consultations bilatérales.

 

[19]           Aux paragraphes 64, 65 et 66 de ses motifs, le juge résume son opinion sur la question et exprime sa conclusion que le ministre n’a pas manqué à son obligation de consulter les appelantes avant de mettre en œuvre le projet pilote avant que les discussions bilatérales ne soient terminées :

[64]      En résumé, un représentant des demanderesses a été désigné par la BCAFC pour assister aux réunions du CCIPCPD, permettant ainsi aux demanderesses de se tenir au courant, quoique indirectement, des travaux que menait le CIC relativement à la proposition de réforme. Lorsque le MPO a été prêt à mener des consultations auprès des intéressés, on a envoyé aux demanderesses une lettre leur expliquant la situation, de même qu’une copie de la proposition de réforme et un questionnaire écrit leur permettant de communiquer leurs observations au ministre. Les demanderesses ont aussi participé à une des rencontres avec les intéressés tenue en novembre 2005. Il y a également eu deux rencontres bilatérales avec les demanderesses en novembre 2005, au cours desquelles la proposition de réforme a été discutée. Les demanderesses ont alors soumis au défendeur une proposition de protocole de consultation et ont par la suite refusé de discuter de questions de fond pendant deux mois et demi, insistant pour que le ministre accepte d’abord ce protocole avant d’aller plus loin. Lorsque le processus de consultation a repris en février, les demanderesses ont transmis plus de cent questions au MPO et le défendeur insiste pour dire qu’un bon nombre d’entre elles ne présentait aucun lien évident avec un intérêt autochtone susceptible de donner naissance à l’obligation de consulter. Le MPO s’est néanmoins efforcé de donner autant de réponses que possible dans un laps de temps très court. Entre‑temps, une série de notes de service ont été rédigées à l’intention du ministre relativement à la proposition de réforme, qui décrivaient les grandes lignes de l’opposition des Premières nations, notamment celle des demanderesses. Enfin, lorsque le plan pilote a été adopté, il comportait certaines modifications importantes visant à répondre aux préoccupations des intéressés, notamment le fait qu’il s’agissait maintenant d’un projet pilote d’une durée de trois ans. Il y avait aussi un engagement exprès envers les Premières nations à leur reconnaître un historique de capture additionnel de morue-lingue et de chien de mer sous forme d’attribution de contingents de morue‑lingue et de chien de mer. Cette mesure, selon le défendeur, visait à répondre aux préoccupations soulevées par le NTC et d’autres Premières nations relativement au contingent et aux espèces non visées, de même qu’à compenser les coûts additionnels que la mise en œuvre du plan pilote pourrait éventuellement occasionner pour les demanderesses. Ainsi, il est clair que l’on a intégré au plan pilote une mesure visant à prendre en compte les effets potentiellement préjudiciables de la proposition de réforme évoqués par les demanderesses.

[65]      Bien que le défendeur admette que les consultations bilatérales avec les demanderesses n’ont pas été menées à terme avant que le ministre prenne une décision au sujet du plan pilote, je conviens avec le défendeur que les demanderesses ont eu suffisamment d’occasions de participer au processus pour considérer que le ministre s’est acquitté de l’obligation de consultation qui lui incombait en l’espèce, et que certains des retards qui ont empêché la conclusion des consultations avant la prise de la décision sont imputables aux demanderesses.

[66]      Étant donné les consultations multilatérales qu’a tenues le MPO et auxquelles les demanderesses ont pris part, les questions de conservation en jeu, l’incidence potentielle sur les pêches de poissons démersaux de l’instauration du régime de surveillance totale de toutes les prises pour la saison de pêche de 2006 sans l’introduction de contingents individuels transférables et que le plan a été instauré uniquement à titre de projet pilote pour une période de trois ans, je suis convaincu que la décision du ministre de procéder sans attendre la conclusion des consultations bilatérales avec les demanderesses était justifiée et que cela ne constitue pas un manquement à son obligation de consulter les demanderesses.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A.        Prétentions et moyens des appelantes

[20]           Les appelantes affirment que, comme la mise en œuvre du projet pilote « serait susceptible » de porter atteinte à leurs droits ancestraux, c’est-à-dire à leur droit de pêcher à des fins commerciales et à leur droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles, il s’ensuit que l’intimé était tenu de les consulter. Elles affirment que le refus de l’intimé de les consulter au sujet des incidences autres que celles relatives à leur droit de pratiquer la pêche commerciale était une erreur de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte et que le juge Blais a commis une erreur de droit en n’appliquant pas cette norme lorsqu’il a examiné la décision de l’intimé. Les appelantes affirment également que le juge a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant qu’elles n’étaient pas concernées par les incidences du projet pilote sur leur droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles.

 

[21]           En ce qui concerne l’étendue de l’obligation de consulter, les appelantes affirment que le juge Blais a commis une erreur de droit en limitant leur droit d’être consultées à leur droit de pêcher à des fins commerciales et en estimant que l’obligation du ministre se situait à l’extrémité inférieure du continuum. Se fondant sur les arrêts R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, et R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, les appelantes affirment que la question de savoir si la conduite de l’intimé était justifiée dépend de l’ampleur des consultations menées plutôt que de la réponse à la question de savoir si les mesures prises par l’intimé visaient la conservation. Elles soutiennent de plus que le juge a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de chacun des aspects du projet pilote pour déterminer s’il était justifié, et elles soulignent que le principal objectif des contingents individuels transférables n’était pas la conservation.

 

[22]           Les appelantes affirment également que le juge Blais a commis une erreur en concluant que l’intimé avait respecté son obligation de consulter parce qu’il s’est trompé sur l’ampleur des consultations qui devaient être menées. Les appelantes affirment en outre qu’on ne peut invoquer les consultations multilatérales des intéressés, la nature du projet pilote, les mesures d’accommodation prises par l’intimé et leur conduite pour supprimer leur droit d’être véritablement consultées.

 

[23]           En ce qui concerne la question des consultations multilatérales, les appelantes affirment que le juge a commis une erreur en concluant que ces consultations étaient suffisantes pour respecter l’obligation qu’avait l’intimé de les consulter. À leur avis, les consultations qui ont eu lieu n’étaient pas suffisantes, même en considérant que l’obligation de consulter se situe à l’extrémité inférieure du continuum.

 

[24]           Les appelantes ajoutent que c’est à tort que le juge a tenu compte de l’urgence de mettre en œuvre le projet pilote et le fait que celui-ci avait seulement une durée de trois ans pour décider que le ministre s’était acquitté de son obligation de les consulter et de trouver des accommodements. À leur avis, l’obligation de consulter dépend de la solidité du droit revendiqué et de la gravité de l’atteinte, de sorte que même si le projet pilote était un projet expérimental, sa mise en œuvre était quand même susceptible d’avoir des incidences sérieuses sur leurs droits. En ce qui concerne les accommodements trouvés par l’intimé, les appelantes affirment que les allocations relatives à la morue-lingue et au chien de mer accordées aux Premières nations étaient des mesures unilatérales qui ne sauraient satisfaire à l’obligation de l’intimé de les consulter.

 

[25]           Les appelantes soutiennent enfin que le juge a commis une erreur en concluant que leur conduite a d’une certaine manière eu pour effet de limiter la portée de leur droit d’être consultées. Elles affirment qu’on ne peut leur reprocher d’avoir réclamé constamment la tenue de consultations bilatérales conformément au cadre proposé dans l’arrêt Haïda, précité.

 

B.        Prétentions et moyens de l’intimé

[26]           L’intimé affirme que c’est à bon droit que le juge Blais a conclu que les effets préjudiciables sur les droits des appelantes étaient limités et que l’obligation de consulter ne valait que pour le droit des appelantes de pêcher à des fins commerciales. En ce qui concerne le droit des appelantes de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles, l’intimé soutient que le projet pilote n’a aucune incidence sur ce droit, étant donné que l’attribution de contingents se rapportant à ces droits devait se faire avant toute attribution de contingents dans le secteur de la pêche commerciale. L’intimé affirme donc que c’est à juste titre que le juge a conclu que la mise en œuvre du projet pilote n’aurait aucune incidence sur le droit des appelantes de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles parce qu’elle n’aurait aucune « incidence sérieuse » sur ce droit. L’intimé affirme en outre que les incidences éventuelles sur le processus de négociation des traités n’entraîneraient pas une obligation de consulter.

 

[27]           Pour ce qui est de l’étendue de l’obligation de consulter, l’intimé affirme que c’est à juste titre que le juge a estimé que les incidences négatives sur le droit des appelantes de pêcher à des fins commerciales étaient limitées. D’ailleurs, suivant l’intimé, il n’a pas été démontré que la pêche en souffrirait ou que le projet pilote causerait des dommages irréparables. L’intimé affirme que c’est à tort que les appelantes soutiennent que le juge a fondé sa conclusion quant à l’étendue de l’obligation sur le fait qu’on avait affaire à un droit commercial et que toute incidence était justifiée puisque l’objectif visé par le projet pilote était la conservation de la ressource. En réalité, le juge a fondé sa conclusion sur le fait que le seul présumé droit qui subirait un impact était un droit commercial et que les incidences sur ce droit seraient limitées en raison notamment de l’aspect conservation du projet pilote.

 

[28]           Tout en reconnaissant que les consultations n’ont pas abouti à un résultat jugé satisfaisant par les appelantes avant que le ministre ne prenne sa décision, l’intimé fait valoir que c’est à bon droit que le juge Blais a conclu que le ministre n’avait pas manqué à son obligation de consulter, en soulignant que rien n’obligeait le ministre de mener les consultations à une fin satisfaisante pour les Premières nations, d’autant plus que l’échec des consultations est imputable en partie aux appelantes. L’intimé ajoute que la thèse des appelantes au sujet des contingents individuels s’était cristallisée lorsque les rencontres bilatérales ont eu lieu en février 2006 et que, suivant l’arrêt Taku, précité, les consultations pouvaient alors prendre fin. L’intimé fait également valoir que l’urgence de prendre une décision en raison des inquiétudes exprimées au sujet de la conservation de la ressource est un facteur dont il y a lieu de tenir compte pour définir l’étendue de l’obligation du ministre de consulter.

 

[29]           L’intimé soutient qu’en dernière analyse, c’est à bon droit que le juge a conclu que la participation des appelantes au processus multilatéral, ajouté au fait que l’obligation de consulter se situait à l’extrémité inférieure du continuum, étaient suffisants pour respecter toute obligation de consulter les appelantes au cours de la phase d’élaboration de la proposition de réforme. La participation des appelantes ne constituait cependant qu’un des facteurs qui, ajouté à d’autres, permettait de conclure que le ministre avait respecté son obligation de consulter.

 

[30]           Sur la question des accommodements, l’intimé affirme que, pendant la plus grande partie de la période en cause, les appelantes n’ont pas consulté les représentants du ministre et que les occasions de discuter d’accommodements étaient limitées. Qui plus est, bien que le MPO ait tenté de consulter les appelantes au sujet de la possibilité de mettre à leur disposition des contingents supplémentaires pour répondre à leurs préoccupations, les appelantes ne seraient plus intéressées à consulter le MPO après avoir été informées que le ministre mettrait le projet pilote en œuvre en avril 2006.

 

[31]           Pour le cas où la Cour conclurait que le ministre a manqué à son obligation de consulter et d’accommoder les appelantes, l’intimé affirme que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en n’annulant pas le projet pilote. Le ministre propose plutôt d’autres réparations telles qu’une déclaration portant sur la nécessité de consulter davantage les intéressés, des directives sur la portée, la teneur et l’échéancier des consultations, ainsi qu’une autorisation accordée aux parties de demander d’autres directives.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[32]           L’appel soulève les questions suivantes :

1.      Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le droit en litige était celui des appelantes de pêcher à des fins commerciales?

2.      Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que l’obligation de consulter du ministre se situait à l’extrémité inférieure du continuum?

3.      Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le ministre s’était acquitté de son obligation de consulter et d’accommoder?

 

ANALYSE

A.        Norme de contrôle

[33]           Le juge de première instance n’a pas précisé quelle était la norme de contrôle qui s’appliquait à la décision du ministre de mettre en œuvre le projet pilote. Dans l’arrêt Haïda, précité, la Cour suprême a proposé les balises suivantes en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à une décision de Sa Majesté ayant donné lieu à l’obligation de consulter :

 

61.          Quant aux questions de droit, le décideur doit, en règle générale, rendre une décision correcte : voir, par exemple, Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, 2003 CSC 55. Par contre, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, l’organisme de révision peut devoir faire preuve de déférence à l’égard du décideur. L’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit en ce sens qu’elles définissent une obligation légale. Cependant, la réponse à ces questions repose habituellement sur l’appréciation des faits. Il se peut donc qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur. La question de savoir s’il y a lieu de faire montre de déférence et, si oui, le degré de déférence requis dépendent de la nature de la question dont était saisi le tribunal administratif et de la mesure dans laquelle les faits relevaient de son expertise : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Paul, précité. En l’absence d’erreur sur des questions de droit, il est possible que le tribunal administratif soit mieux placé que le tribunal de révision pour étudier la question, auquel cas une certaine déférence peut s’imposer. Dans ce cas, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement la norme de la décision raisonnable. Dans la mesure où la question est une question de droit pur et peut être isolée des questions de fait, la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, lorsque les deux types de questions sont inextricablement liées entre elles, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement celle de la décision raisonnable : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

 

62.          Le processus lui‑même devrait vraisemblablement être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » : Gladstone, précité, par. 170. Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite mais une mesure raisonnable. Comme il est précisé dans Nikal, précité, par. 110, « [l]e concept du caractère raisonnable doit [. . .] entrer en jeu pour ce qui [. . .] concern[e] l’information et la consultation. [. . .]  Dans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation de justifier. »  Le gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation.

 

63.          Si le gouvernement n’a pas bien saisi l’importance de la revendication ou la gravité de l’atteinte, il s’agit d’une question de droit qui devra vraisemblablement être jugée selon la norme de la décision correcte. Si le gouvernement a raison sur ces points et agit conformément à la norme applicable, la décision ne sera annulée que si le processus qu’il a suivi était déraisonnable. Comme il a été expliqué précédemment, l’élément central n’est pas le résultat, mais le processus de consultation et d’accommodement.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Ainsi, à mon avis, la détermination de l’existence et de la portée de l’obligation de consulter ou d’accommoder est une question de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Toutefois, lorsque Sa Majesté a tranché correctement la question, sa décision ne sera annulée que si le processus de consultation et d’accommodement était déraisonnable. À mon avis, l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême ne change rien à la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce.

 

B.        Existence de l’obligation de consulter ou d’accommoder

[35]           Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Haïda, précité, l’obligation de la Couronne de consulter prend naissance lorsque la Couronne « a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci » (Haïda, précité, au paragraphe 35) (voir aussi le jugement Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests), [1997] 4 C.N.L.R. 45 (B.C.S.C.), à la page 71). À titre de corollaire à cette proposition, signalons que l’obligation de consultation est vite déclenchée (arrêt Mikisew, précité, au paragraphe 55).

 

[36]           Dans le cas qui nous occupe, le ministre ne conteste pas le fait qu’il avait connaissance des droits ancestraux revendiqués par les appelantes. Il n’admet cependant pas que les appelantes ont une cause solide et, à l’appui de cet avis, il invoque l’arrêt R. c. NTC Smokehouse, [1996] 2 R.C.S. 672, dans lequel la Cour suprême a jugé que deux des Premières nations appelantes n’étaient titulaires d’aucun droit de pêcher à des fins commerciales.

 

[37]           Les appelantes affirment que la mise en œuvre du projet pilote risque de porter atteinte à d’autres droits que celui de pêcher à des fins commerciales. Premièrement, en ce qui concerne les incidences éventuelles du projet pilote sur la négociation de traités et sur les intérêts socioéconomiques des collectivités des Premières nations, j’abonde dans le sens du juge de première instance lorsqu’il affirme que, comme la négociation de traités constitue un processus distinct, les incidences en question ne donneraient pas lieu à une obligation de consulter. Pour ce qui est de leur droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles, le juge a conclu ─ et je suis entièrement d’accord avec lui ─ que les appelantes n’avaient présenté aucun élément de preuve à l’appui de leur argument que ces droits étaient « susceptibles » de subir un effet préjudiciable. Même si l’obligation de consultation est vite déclenchée (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388, au paragraphe 55), de simples observations ne sont, selon moi, pas suffisantes pour démontrer que le projet pilote serait susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur le droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles.

 

[38]           J’estime par conséquent que le juge Blais n’a pas commis d’erreur en concluant que l’intimé avait estimé à juste titre que le droit des appelantes de pêcher à des fins commerciales était le seul droit sur lequel le projet pilote était susceptible d’avoir des effets préjudiciables. Bien que le juge n’ait pas précisé quelle était la norme de contrôle qui s’appliquait, il ressort de ses motifs qu’il n’a pas fait preuve de retenue judiciaire et qu’il a par conséquent appliqué la norme de la décision correcte.

 

C.        Étendue de l’obligation de consulter

[39]           L’étendue de l’obligation de consulter dépend non seulement de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit revendiqué, mais aussi de la réponse à la question de savoir si ce droit est limité et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit revendiqué (Haïda, précité, aux paragraphes 39 et 68). La Cour suprême a bien précisé que lorsque le droit ancestral en cause est limité ou que la gravité des effets préjudiciables potentiels est mineure, l’obligation se situe à l’extrémité inférieure du continuum. Voici ce que la Cour a déclaré, aux paragraphes 43, 44 et 45 de l’arrêt Haïda, précité :

¶ 43         Sur cette toile de fond, je vais maintenant examiner le type d’obligations qui peuvent découler de différentes situations. À cet égard, l’utilisation de la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

 

44         À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise  à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

 

 

45         Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[40]           Le poids qu’il convient d’accorder à chacun des facteurs mentionnés dans l’arrêt Haïda, précité, dépend des faits de l’espèce. Ainsi, un facteur peut s’avérer décisif lorsqu’il s’agit de situer l’obligation de consulter sur le continuum. Dans l’arrêt Première nation crie Mikisew, précité, la Cour a jugé que l’obligation de la Couronne de consulter se situait à l’extrémité inférieure du continuum, malgré le fait que le droit en cause ─ le droit issu d'un traité de pratiquer la chasse et le piégeage ─ était certain et que les effets étaient clairs, démontrés et manifestement préjudiciables à l’exercice ininterrompu des droits de chasse et de piégeage.

 

[41]           Dans le cas qui nous occupe, malgré le fait qu’il semblait avoir accepté que les appelantes avaient présenté à première vue une preuve solide en ce qui concerne leur droit de pêcher à des fins commerciales, le juge a néanmoins conclu que l’obligation du ministre de consulter se situait à l’extrémité inférieure du continuum parce que « toute atteinte aux droits des [appelantes] de pêcher à des fins commerciales, ou tout effet préjudiciable touchant ces droits, découlant du projet pilote serait limité, particulièrement compte tenu du fait que le défendeur poursuivait un objectif impérieux et réel de conservation de la ressource en cause au profit de tous les Canadiens, y compris des [appelantes] » (motifs du juge, au paragraphe 46).

 

[42]           Il semble que le juge en soit arrivé à cette conclusion en partie en raison de l’argument du ministre suivant lequel un gouvernement peut légitimement poursuivre une large gamme d’objectifs qui peuvent justifier une atteinte aux droits ancestraux en litige. Pareille justification d’une atteinte conduirait à conclure à une obligation de consulter minimale. Cette conclusion soulève la question de savoir si la doctrine de la justification, élaborée dans les arrêts Sparrow et Gladstone, précités, s’applique aux cas où l’étendue de l’obligation de consulter est en litige.

 

[43]           Dans l’arrêt Première nation crie Mikisew, précité, la Cour suprême a discuté de l’application de l’arrêt Sparrow, précité, dans le contexte de l’analyse de l’obligation de la Couronne de consulter :

56                 En résumé, les négociations menées en 1899 constituaient la première étape d’un long voyage qui n’est pas à la veille de se terminer. À la lumière des faits de la présente affaire, nous devons ajouter aux deux restrictions inhérentes aux droits de chasse, de pêche et de piégeage que le Traité no 8 accorde aux Indiens qui ont été dégagées dans l’arrêt Badger (limites géographiques et mesures spécifiques de réglementation gouvernementale), une troisième restriction, soit le droit pour la Couronne de prendre des terres aux termes du traité, un droit qui est lui‑même assujetti à l’obligation de tenir des consultations et, s’il y a lieu, de trouver des accommodements aux intérêts des premières nations avant de réduire le territoire sur lequel leurs membres peuvent continuer à exercer leurs droits de chasse, de pêche et de piégeage. Comme nous l’avons vu, cette troisième restriction (qui n’était pas en cause dans Badger) est tout à fait justifiée par l’historique des négociations qui ont mené à la signature du Traité no 8 ainsi que par l’honneur de la Couronne.

 

57                 Comme je l’ai affirmé au début, l’honneur de la Couronne imprègne chaque traité et l’exécution de chaque obligation prévue au traité. En conséquence, le Traité no 8 est à l’origine des droits de nature procédurale des Mikisew (p. ex. la consultation) ainsi que de leurs droits substantiels (p. ex. les droits de chasse, de pêche et de piégeage). Si la Couronne avait foncé pour mettre en œuvre le projet de route d’hiver sans consultation adéquate, elle aurait violé ses obligations procédurales, outre le fait que les Mikisew auraient peut‑être pu établir que la route d’hiver violait en plus les obligations substantielles que le traité impose à la Couronne.

 

58                 Selon l’arrêt Sparrow, non seulement les droits protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne sont pas absolus, mais leur violation peut être justifiée par la Couronne dans certaines circonstances précises. Les droits que le Traité no 8 confère aux Mikisew sont protégés par l’art. 35. La Couronne ne cherche pas à justifier au sens de l’arrêt Sparrow les lacunes de sa consultation en l’espèce. Il reste donc à répondre à la question de savoir si, dans les mesures qu’elle a prises, la Couronne a respecté son obligation de consulter honorablement la Première nation Mikisew.

 

(3) Le processus suivi en l’espèce par la ministre, par l’intermédiaire de Parcs Canada, était‑il suffisant?

 

59                 Dans les cas où, comme en l’espèce, la Cour est en présence d’une « prise » projetée, il n’est pas indiqué (même si on a conclu que la mesure envisagée, si elle était mise en œuvre, porterait atteinte aux droits de chasse et de piégeage issus du traité) de passer directement à une analyse fondée sur l’arrêt Sparrow. La Cour doit d’abord examiner le processus selon lequel la « prise » doit se faire, et se demander si ce processus est compatible avec l’honneur de la Couronne. Dans la négative, la première nation peut obtenir l’annulation de l’ordonnance de la ministre en se fondant sur le motif relatif au processus, peu importe que les faits de l’affaire justifient par ailleurs une conclusion que les droits de chasse, de pêche et de piégeage ont été violés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[44]           Vu ce qui précède, je suis d’avis que le juge de première instance a eu tort de se fier aux raisons invoquées par le ministre pour justifier l’atteinte portée au droit des appelantes de pêcher à des fins commerciales à l’étape où il était appelé à définir la portée de l’obligation de consulter du ministre. Même si le juge n’a pas expressément dit dans ses motifs qu’il se fondait sur l’arrêt Sparrow, précité, et sur l’arrêt subséquent Gladstone, précité, de la Cour suprême, il a néanmoins cité des passages de ces décisions pour qualifier d’« impérieux et réel » l’objectif de conservation de la ressource du ministre. Ainsi qu’il ressort nettement de l’arrêt Première nation crie Mikisew, précité, la Cour suprême considère le processus suivi et l’obligation de consulter qui en découle comme une question distincte de celle de savoir si l’on a porté atteinte à un droit ancestral et si cette atteinte est justifiée. L’objectif de conservation de la ressource du projet pilote n’était, à mon sens, pas pertinent à cette étape de l’analyse, sauf dans la mesure où la poursuite de l’objectif de la conservation aurait un impact minimal sur le droit ancestral en cause.

 

[45]           La démarche que devait adopter le juge de première instance consistait, à mon avis, à se demander si la revendication autochtone était peu solide, si le droit ancestral était limité ou si le risque d’atteinte était faible. Bien que le juge se soit mépris dans l’approche qu’il a adoptée, je suis néanmoins convaincu que c’est à raison qu’il a conclu que l’obligation de consulter du ministre se situait à l’extrémité inférieure du continuum. À l’instar du juge de première instance, je suis convaincu que les incidences négatives du projet pilote sur le droit des appelantes de pêcher à des fins commerciales seraient limitées. La preuve ne permet pas de savoir avec certitude en quoi précisément le projet pilote aurait des répercussions négatives sur le droit des appelantes. Ce qui est clair, toutefois, c’est que la mise en œuvre du projet pilote ne nuirait pas à la pêche et qu’elle ne comportait pas de risque élevé de causer des dommages irréparables.

 

[46]           À l’instar du juge de première instance, je conclus donc que l’obligation du ministre se situe à l’extrémité inférieure du continuum. Je répète que, bien que le juge ne mentionne pas quelle norme de contrôle il appliquait, il ne semble pas avoir fait preuve de retenue de sorte qu’à mon avis, il a appliqué la norme de la décision correcte.

D.        L’obligation de consulter a-t-elle été respectée?

[47]           Ayant conclu que le ministre avait correctement défini le droit qui donnait lieu à l’obligation de consulter ainsi que l’étendue de cette obligation, le juge a ensuite abordé la question de savoir si le processus de consultation et d’accommodement mis en œuvre par le ministre était raisonnable. Après avoir examiné la preuve et la jurisprudence, il a conclu que « la décision du ministre de procéder sans attendre la conclusion des consultations bilatérales avec les [appelantes] était justifiée et que cela ne constitue pas un manquement à son obligation de consulter les [appelantes] » (motifs du juge, au paragraphe 66).

 

[48]           Plus particulièrement, le juge s’est d’abord arrêté à la période au cours de laquelle la proposition de réforme avait été élaborée. Il a conclu qu’au cours de cette période, il n’était pas nécessaire de procéder à des consultations bilatérales et que la participation des appelantes au processus multilatéral par l’entremise du CCIPCPD était suffisante pour satisfaire à l’obligation du ministre. En ce qui concerne la période au cours de laquelle le ministre avait soumis la proposition de réforme à la discussion, le juge a estimé que malgré le fait que les consultations bilatérales entamées avec les appelantes n’avaient pas été menées à terme, le ministre s’était néanmoins acquitté de son obligation de les consulter. Pour en arriver à cette conclusion, le juge a fait observer qu’en raison de leurs agissements, les appelantes étaient en partie responsables des retards qui avaient empêché de terminer le processus de consultation bilatérale avant que le ministre ne prenne sa décision.

 

[49]           La réponse à la question de savoir si l’obligation de consulter et d’accommoder du ministre était raisonnable dépend essentiellement de l’étendue de l’obligation de consulter. Lorsqu’elle se situe à l’extrémité inférieure du continuum, l’obligation de l’intimé se limite peut-être à celle d’aviser les intéressés des mesures qu’il entend prendre, de divulguer les renseignements et de discuter des questions soulevées en réponse à l’avis.

 

[50]           En l’espèce, il n’y a aucun doute à mon avis que l’intimé a nettement manifesté son intention de répondre véritablement aux préoccupations des Autochtones en menant des consultations sérieuses. Je ne vois aucune raison de me dissocier de la conclusion du juge suivant laquelle le ministre a donné aux appelantes une possibilité suffisante de participer au processus. Le juge a également conclu ─ et je n’ai aucune raison de ne pas souscrire à son opinion ─ que les appelantes étaient en partie responsables des retards accumulés au cours des consultations.

 

[51]           Dans l’arrêt R. c. Douglas, 2007 BCCA 265, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [2007] C.S.C.R. no 352 (QL), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est penchée sur la question de savoir si la tenue de consultations multilatérales était suffisante pour satisfaire à l’obligation du ministre de consulter. La Cour a jugé que, compte tenu de la nature des pêches, du nombre de Premières nations en cause et du manque d’unanimité entre elles, les consultations conjointes qui avaient été menées étaient raisonnables et appropriées, étant donné que le MPO avait fourni aux Premières nations les renseignements, l’aide technique et les moyens nécessaires pour exprimer leurs préoccupations :

[traduction]

 

40     Dans le cas qui nous occupe, le MPO a mené des consultations suivies et approfondies avec les Premières nations du fleuve Fraser au sujet de ses objectifs en matière de conservation. Compte tenu de la nature de la pêche au saumon dans le fleuve Fraser, du nombre de Premières nations en cause et du manque d’unanimité entre elles sur des points importants, l’accent que le MPO a mis sur les consultations conjointes était raisonnable et approprié, étant donné que le MPO a fourni aux Premières nations les renseignements, l’aide technique et les moyens nécessaires. Le MPO a accordé aux Premières nations la possibilité d’exprimer leurs préoccupations et il leur a accordé les ressources nécessaires pour faciliter la tenue de rencontres. Le MPO a rajusté les cibles d’échappement et les taux d’exploitation en réponse aux préoccupations des Premières nations. En agissant ainsi, le MPO se conformait au critère posé dans les arrêts Halfway River, précité, et Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388, au paragraphe 64. Comme les Cheam ont refusé de participer aux consultations conjointes, le MPO a tenté de les consulter séparément. Le juge de première instance a conclu ─ et le juge d’appel s’est dit du même avis ─ que les mesures prises par le MPO pour assurer la participation de la bande de Cheam aux consultations étaient raisonnables et qu’elles avaient été prises de bonne foi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[52]           Dans l’arrêt Douglas, précité, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a également conclu que les Premières nations étaient tenues de faire preuve de bonne foi dans leurs consultations avec le ministre et qu’elles ne pouvaient, par leurs agissements, entraver inutilement le processus de consultation. Au paragraphe 39 de ses motifs, la Cour cite le passage suivant de l’arrêt Halfway River First Nation, précité, dans lequel a été précisé l’obligation réciproque des Premières nations dans le cadre du processus de consultation :

161.    […] Les peuples autochtones assument réciproquement l'obligation d'exprimer leurs intérêts et leurs préoccupations après avoir eu la possibilité d'examiner l'information fournie par la Couronne et de participer de bonne foi à la consultation de toutes les façons possibles. Ils ne peuvent faire obstacle au processus consultatif en refusant de rencontrer leurs interlocuteurs, en refusant de participer ou en imposant des conditions déraisonnables […]

 

[53]           Dans l’arrêt Douglas, précité, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a poursuivi en expliquant que les Premières nations n’avaient pas respecté leur obligation réciproque de mener à terme le processus de consultation dans la mesure où leurs membres avaient délibérément fait obstacle aux tentatives de consultation du ministre :

[traduction]

 

45     Enfin, il est illogique de conclure que le MPO n’a pas consulté suffisamment les Cheam parce qu’il ne les a pas consultés sur un point mineur, alors que le juge de première instance a conclu que la bande de Cheam n’avait pas donné suite aux demandes répétées de rencontre, de consultation ou de réponse qui lui avaient été adressées sur des points majeurs. Fait important à signaler, les Cheam ont négligé de faire connaître concrètement leurs besoins en réponse à la demande expresse que le MPO leur avait faite. Les Cheam n’ont pas respecté leur obligation réciproque de mener à terme les consultations. Estimer que les membres d’une Première nation qui ont délibérément fait obstacle à toutes les tentatives de consultation du ministre et qui ont en conséquence manqué à leurs propres obligations devraient obtenir réparation pour la violation de leur droit ancestral parce que le gouvernement ne les a pas consultés sur un point mineur dépasse de beaucoup ce qui est exigé pour justifier la conduite du MPO. Suivant l’arrêt Sparrow de la Cour suprême du Canada, l’obligation du MPO consistait à préserver l’honneur de la Couronne et à tenir compte du caractère unique de la relation entre la Couronne et les peuples autochtones. Ainsi que le juge de première instance l’a dit : [traduction] « Le refus des Cheam d’assister à des rencontres, de communiquer et de participer à des discussions en groupe a des incidences directes sur l’assertion que les mesures prises par le gouvernement pour les consulter sont viciées » (au paragraphe 73).

 

 

 

[54]           Il découle de l’arrêt Haïda, précité, que, pour déterminer si le ministre s’est acquitté de son obligation de consulter, la perfection n’est pas requise. Dans la mesure où le ministre a déployé des efforts raisonnables pour informer et consulter les Premières nations qui étaient susceptibles d’être touchées par les mesures qu’il entendait prendre, le ministre a satisfait à son obligation. Ainsi que la juge en chef McLauchlin l’explique, au paragraphe 39 de l’arrêt Haïda :

[39]      Le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder varie selon les circonstances. La nature précise des obligations qui naissent dans différentes situations sera définie à mesure que les tribunaux se prononceront sur cette nouvelle question. En termes généraux, il est néanmoins possible d’affirmer que l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre.

 

 

[55]           À mon avis, dans le cas qui nous occupe, le ministre a pris des mesures suffisantes pour s’acquitter de son obligation de consulter. Même s’ils n’étaient pas parfaits, les gestes qu’il a accomplis étaient raisonnables et appropriés dans les circonstances. Le fait que le MPO s’est engagé à continuer de consulter les appelantes et à leur attribuer des contingents pour la morue-lingue et le chien de mer pour tenir compte des incidences éventuelles du projet pilote sur leur droit de pêcher à des fins commerciales témoigne de sa bonne foi. D’ailleurs, les appelantes ne prétendent pas que le MPO a agi de mauvaise foi.

 

[56]           Je conclus donc que le juge Blais n’a pas commis d’erreur justifiant l’annulation de sa décision en concluant que le ministre a respecté son obligation de consulter les appelantes.

 


DISPOSITIF

[57]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

            Marc Noël, j.c.a.  »

 

« Je souscris à ces motifs.

            C. Michael Ryer, j.c.a.  »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          A-313-07

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE LE 29 MAI 2007 (2007 CF 567) DANS LE DOSSIER T-781-06

 

INTITULÉ :                                                         BANDE INDIENNE DES AHOUSAHT ET AL c.

                                                                              LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 23 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                           LE JUGE NOËL

                                                                              LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                        Le 12 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

John R. Rich

Maegen M. Giltrow

 

POUR LES APPELANTES

 

Paul F. Partridge

R.S. Whittacker

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ratcliff & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES APPELANTES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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