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Date : 20080627

Dossier : A-171-07

Référence : 2008 CAF 225

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE BLAIS                  

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

JANUSZ J. KAMINSKI

demandeur

et

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 juin 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 juin 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     LE JUGE BLAIS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

 

 


 

Date : 20080627

Dossier : A-171-07

Référence : 2008 CAF 225

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE BLAIS                  

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

JANUSZ J. KAMINSKI

demandeur

et

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BLAIS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 6 mars 2007 (appel 24548) par laquelle la Commission d’appel des pensions (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par M. Janusz J. Kaminski (le demandeur). La Commission a estimé que le demandeur n’avait pas réussi à établir le bien-fondé de sa prétention qu’il est « invalide » au sens du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, parce qu’il n’était pas atteint d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée comme l’exige le paragraphe 42(2) :

Personne déclarée invalide :

42. (2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa  :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

 

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès

 

When Person Deemed Disabled:

42. (2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death;

 

 

RAPPEL DES FAITS

[2]        Né en Pologne en 1951, le demandeur a travaillé dans ce pays pendant douze ans comme briqueteur d’ouvrages en briques réfractaires. Après un court séjour en Allemagne, il est arrivé au Canada en 1988, où il a adhéré au syndicat des briqueteurs, avec lequel il a travaillé de 1990 à 2000. Il a été radié du syndicat en septembre 2000 pour défaut de paiement de ses cotisations. Il a expliqué que le syndicat ne lui fournissait plus suffisamment de travail pour faire vivre sa famille et payer en même temps ses cotisations. Il n’a pas travaillé depuis 2000.

 

[3]        Le demandeur a par la suite reçu des prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) en août 2002, mais les versements ont cessé en novembre 2002 parce qu’il n’avait pas respecté les directives et les exigences du Programme. Il avait en particulier refusé de suivre la formation que lui offrait le POSPH et refusé de se chercher un nouvel emploi à moins que cet emploi ne lui permette de se former comme artiste. Son désir de devenir un artiste est devenu tellement envahissant qu’il refusait d’envisager tout autre type de travail.

 

[4]        Le 2 janvier 2003, le demandeur a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il a expliqué qu’il avait cessé de travailler à cause d’une « pénurie de travail », mais qu’à compter d’avril 2001, il s’est senti incapable de travailler en raison de son état de santé. Il a précisé que les affections médicales invalidantes dont il était atteint étaient les suivantes : douleurs vives aux bras, aux coudes et aux poignets, douleurs dans la région supérieure et dans la région inférieure du dos, aux genoux et aux chevilles et craquements dans toutes ses articulations. Sa demande a été rejetée une première fois et à la suite d’un réexamen le 19 février 2003 et le 21 juillet 2003 respectivement. Il a été débouté de l’appel qu’il a interjeté devant le tribunal de révision.

 

[5]        Le demandeur a obtenu l’autorisation d’interjeter appel devant la Commission de la décision du tribunal de révision. Dans une décision unanime datée du 6 mars 2007, la Commission a rejeté son appel. Pour statuer sur l’appel, la Commission a entrepris un examen approfondi de la preuve médicale, en insistant beaucoup sur ce qu’elle estimait être le défaut du demandeur de chercher à se recycler ou de se trouver un emploi convenable et sur le fait qu’il n’avait pas suivi les traitements qui lui avaient été recommandés par les divers spécialistes médicaux qu’il avait consultés. La Commission a finalement conclu qu’un diagnostic de fibromyalgie, seul ou de concert avec un diagnostic d’ostéoarthrite ou de dépression, ne permettait pas nécessairement de conclure à l’existence d’une invalidité au sens du Régime de pensions du Canada.

 

QUESTION EN LITIGE

[6]        Voici la question litigieuse soulevée dans la présente demande :

            La Commission a-t-elle commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant que le demandeur n’était pas « invalide » au sens du Régime de pensions du Canada?

 

NORME DE CONTRÔLE

[7]        Par suite de l’arrêt récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL), les deux variantes de la norme de la décision raisonnable, à savoir la norme de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter, ont été fondues en une seule, de sorte qu’il n’y a plus qu’une seule norme de contrôle, celle de la décision raisonnable. En conséquence, pour décider dans un cas déterminé laquelle des deux normes de contrôle qui restent s’applique, à savoir la norme de la décision correcte et celle de la décision raisonnable, la Cour a proposé une démarche en deux étapes :

Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle (idem, au paragraphe 62).

 

[8]        Compte tenu de la jurisprudence antérieure suivant laquelle il est « bien établi en droit que la norme applicable à l'égard des décisions de la Commission décidant s'il y a invalidité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Osborne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 412, [2005] A.C.F. no 2043 (QL), au paragraphe 3), je suis d’avis que, depuis l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle appropriée pour ce qui est de la présente question mixte de fait et de droit est désormais celle de la décision raisonnable. En conséquence, l’intervention de notre Cour ne sera justifiée que si la décision contestée n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[9]        Pour obtenir gain de cause dans sa demande, le demandeur doit établir selon la prépondérance des probabilités qu’il souffrait d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée qui le rendait incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au sens des articles 42 et 44 du Régime de pensions du Canada.

 

[10]      Le rôle de notre Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, ne consiste pas à soupeser de nouveau la preuve qui a déjà été évaluée par la Commission, mais à vérifier si la Commission a commis une erreur qui justifie l’infirmation de sa décision compte tenu de l’ensemble de la preuve dont elle disposait.

 

[11]      La période minimale d'admissibilité du demandeur a pris fin le 31 décembre 2002. Je suis convaincu que, compte tenu du dossier qui lui était soumis, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il souffrait à l’époque d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada. Je constate à ce propos que la Commission a dûment tenu compte de l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance, y compris de la preuve médicale objective provenant des médecins qui avaient traité le demandeur, ainsi que du témoignage de vive voix donné par le demandeur et de celui du témoin expert du ministre, la Dre Laura Heung.

 

[12]      La Dre Debra Feldman, qui a traité le demandeur, a consigné les affections médicales mentales et physiques suivantes dans son rapport médical du 18 décembre 2002 : arthrose,  fibromyalgie et dépression. Cependant, en juin 2002, la Dre Elaine Soucy, rhumatologue,

s’est dite d’avis que l’arthrose du demandeur était [traduction] « modérée » et « peu

prononcée ». De plus, tout en confirmant le diagnostic de fibromyalgie, la Dre Soucy s’est contentée de proposer au demandeur de prendre un myorelaxant et de faire de l’exercice. Elle ne s’est pas prononcée sur l’aptitude au travail du demandeur.

 

[13]      La Commission ne mentionne pas dans ses motifs la déclaration que la Dre Feldman a faite dans son rapport du 17 décembre 2002, suivant laquelle elle estimait que le demandeur n’était pas en mesure d’exercer un emploi en raison de son invalidité. Toutefois, lorsqu’on examine le dossier médical dans son ensemble et que l’on tient compte des propos laconiques de la Dre Feldman, cet élément de preuve n’est pas significatif au point où l’omission de la Commission d’en parler justifierait l’intervention de la Cour.

 

[14]      Il ressort également de la preuve que le demandeur n’était pas réceptif aux traitements proposés par son médecin de famille traitant et par les spécialistes qu’il a rencontrés. Il refusait de prendre des médicaments.

 

[15]      Pour ce qui est des perspectives d’emploi du demandeur, la Commission a relevé que le demandeur avait lui-même reconnu dans son témoignage qu’il ne s’était pas cherché de travail, ce qui avait été par la suite confirmé par le témoignage de sa femme et par la preuve documentaire tenant à démontrer son refus catégorique d’accepter tout travail ne lui permettant pas de réaliser son projet de poursuivre une carrière artistique. En fait, le demandeur a admis en toute franchise devant la Commission qu’il aurait continué à travailler comme briqueteur en 2002 s’il n’avait pas été licencié.

 

[16]      La loi exige que l’on vérifie si l’intéressé est capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. Le demandeur doit donc être prêt à accepter des offres d’emploi qui ne se rapportent pas à sa passion. J’estime que, même s’ils sont catégoriques, les motifs de la Commission sur ce point sont déterminants :

 

M. Kaminski a sans doute raison quant à son potentiel comme artiste. Toutefois, dans le « monde réel », chacun doit trouver un moyen pratique pour subvenir à ses besoins s’il n’a pas les moyens financiers de réaliser son rêve. Nous n’avons pas toujours le luxe de poursuivre l’emploi de notre choix. (Appel 24548, précité, au paragraphe 34).

 

[17]      Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Le défendeur n’a pas réclamé de dépens et aucuns ne lui seront adjugés.

 

 

« Pierre Blais »

j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs.

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-171-07

 

INTITULÉ :                                                   JANUSZ J. KAMINSKI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BLAIS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE SEXTON

                                                                        LE JUGE EVANS

                                                                       

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour son propre compte

LE DEMANDEUR

 

Patricia Harewood

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s/o

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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