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Date : 20080721

Dossier : A-395-07

Référence : 2008 CAF 241

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

RÉGENT LACROIX

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 14 mai 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

 

 


Date : 20080721

Dossier : A-395-07

Référence : 2008 CAF 241

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

RÉGENT LACROIX

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               La Loi de l'impôt sur le revenu exige, dans le cas de toute nouvelle cotisation hors de la période normale de nouvelle cotisation (la période statutaire), comme dans le cas de l'imposition d'une pénalité, que le ministre démontre qu'il y a eu inconduite de la part du contribuable dans la production de sa déclaration de revenu. Comment le ministre s'acquitte-t-il de ce fardeau lorsque la nouvelle cotisation, ou l'imposition de la pénalité, résulte de l'application de la méthode de l'avoir net? Le ministre peut-il conclure, à partir de l'écart entre l'actif d'un contribuable et le revenu qu'il a déclaré dans sa déclaration de revenu, d'une part, et de l'absence d'une explication crédible pour cet écart, d'autre part, à l'existence d'une faute justifiant l'établissement d'une nouvelle cotisation hors délai ou encore l'imposition d'une pénalité? Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu qu'il le pouvait. Avait-il raison?

 

LES FAITS

[2]               Au cours de l'année 2001, l'Agence du revenu du Canada (le ministre) demande à monsieur Régent Lacroix et à sa conjointe de préparer leur bilan personnel pour chacune des années d'imposition de 1995 à 2000. Le bilan de monsieur Lacroix fait état de liquidités totalisant            500 000 $ dans son actif dès l'année d'imposition 1995. L'existence de cette somme mène à un examen plus approfondi des affaires de monsieur Lacroix. Le ministre procède par la méthode de l'avoir net, ce qui révèle un écart important entre le bilan d'ouverture et le bilan de fermeture de monsieur Lacroix, écart qui est présumé être du revenu. En effet, le ministre conclut que monsieur Lacroix avait des revenus non déclarés au montant de 145 667 $ pour l'année d'imposition 1997, de 231 570 $ pour l'année d'imposition 1998, de 156 333 $ pour l'année d'imposition 1999 et de          26 103 $ pour l'année d'imposition 2000. Le ministre établit de nouvelles cotisations pour les années d'imposition en question dans lesquelles il ajoute ces montants au revenu de monsieur Lacroix. Or, deux de ces nouvelles cotisations sont établies hors de la période statutaire. Qui plus est, le ministre ne s'en tient pas à simplement majorer le revenu de monsieur Lacroix; il lui impose des pénalités parce que celui-ci a, semble-t-il, sciemment, ou en des circonstances équivalant à faute lourde, produit de fausses déclarations de revenu.

[3]               Ce faisant, le ministre n'a pas retenu l'explication fournie par monsieur Lacroix quant à la provenance des 500 000 $ en liquidités qui figurent dans son bilan de départ. Au dire de monsieur Lacroix, il s'agit d'un prêt que lui a consenti monsieur Gilles Pronovost. Monsieur Lacroix a fait la connaissance de ce dernier lorsqu'il est venu au secours du fils Pronovost qui risquait de se noyer. Ce fut le début d'une relation d'amitié entre les deux hommes au cours de laquelle monsieur Lacroix confia à l'autre son rêve de se constituer un portefeuille immobilier. Toujours reconnaissant du secours que monsieur Lacroix avait rendu à son fils, monsieur Pronovost a accepté de lui prêter   500 000 $ qu'il lui a transmis en plusieurs tranches au cours de deux ou trois années commençant en 1993, toujours en argent comptant. Monsieur Lacroix dit avoir déposé ces sommes dans un     coffre-fort situé dans sa résidence. D'après son bilan pour l'année 1995, monsieur Lacroix a accumulé ces sommes en espèces pendant quelques années avant de commencer à constituer son portefeuille immobilier. Dès 1996, il se porte acquéreur d'immeubles et devient propriétaire d'une vingtaine d'édifices selon son bilan personnel pour l'année 1999.

 

[4]               Le ministre procède à l'établissement de nouvelles cotisations à l'égard de monsieur Lacroix qui ne tarde pas à les contester. Lorsque le ministre confirme ces nouvelles cotisations, monsieur Lacroix dépose un avis d'appel pour chacune des années d'imposition en question, soit 1997, 1998, 1999 et 2000. Le tout fait l'objet d'un procès devant le juge Bédard de la Cour canadienne de l'impôt qui rejette chaque appel : voir Lacroix c. Canada, 2007 CCI 376, [2007] A.C.I. no 216. Après avoir exposé la preuve, de longs extraits du témoignage de monsieur Lacroix et de celui de monsieur Pronovost à l'appui, le juge fait état de ses conclusions quant à la crédibilité :

 

 

12. L'appréciation de la crédibilité de l'appelant et de monsieur Pronovost a joué un rôle important dans ma décision, compte tenu de la quasi-absence de preuve documentaire ou objective quant à l'utilisation par l'appelant des 500 000 $ en argent comptant et quant à l'origine des 500 000 $ en argent comptant qu'aurait détenus monsieur Pronovost. Je tiens à souligner que j'ai accordé peu de valeur probante aux témoignages de l'appelant, de sa conjointe et de monsieur Pronovost…

 

[5]               Le juge expose, l'une après l'autre, les nombreuses invraisemblances qui sous-tendent ses conclusions quant à la crédibilité des témoins. Cela fait, il s'exprime comme suit :

20. Mon examen de la preuve m'amène à conclure qu'il est plus probable qu'improbable que ces prêts n'ont jamais existé et que le billet (pièce A-4), la demande de remboursement (pièce A-8) et les chèques tirés à l'ordre de monsieur Pronovost ne sont que des trompe-l'œil visant à masquer la vérité. Il est ainsi difficile d'en arriver à une conclusion autre que celle que l'appelant a délibérément omis de déclarer des revenus de l'ordre de 516 000 $. À mon avis, le ministre s'est acquitté dans les présentes de son fardeau de la preuve et ainsi était en droit d'imposer les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi sur les revenus non déclarés par l'appelant. Puisque le fardeau de la preuve imposé au ministre en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi est moindre que celui qui lui est imposé en vertu du paragraphe 152(4), je suis aussi d'avis que le ministre était en droit d'établir de nouvelles cotisations. Enfin, je souligne que le ministre n'a pas, à mon avis, à identifier la source des revenus non déclarés de l'appelant lorsque ceux-ci sont établis par la méthode de l'avoir net.

 

 

 

[6]               L'appelant s'attaque aux conclusions du juge qui ne sont que des conclusions quant à la crédibilité des témoins qui ont comparu devant lui. Le juge ne décide jamais de la vraie source des fonds en question, de leur application ni de la vraie nature des relations entre monsieur Lacroix et monsieur Pronovost. Il se contente de dire qu'il ne croit pas leur témoignage et que les pièces qu'ils lui ont soumises ne sont que des artifices. Il n'y a donc aucune preuve devant le juge qui lui aurait permis de conclure que l'écart constaté par l'application de la méthode de l'avoir net n'était pas du revenu.

 

[7]               L'appelant estime que, nonobstant la grande déférence qu'une cour d'appel doit accorder aux conclusions de fait d'un juge de première instance, nous devons intervenir dans cette affaire parce que le juge a balayé du revers de la main tous les éléments de preuve qui appuyaient sa version des faits. Il insiste, par exemple, sur le fait qu'il y a en preuve un nombre de chèques visés à l'ordre de monsieur Pronovost émanant d'une fiducie sous le contrôle de monsieur Lacroix, ce qui prouve, selon lui, l'existence de ce prêt et de son remboursement, sauf pour 70 000 $. L'appelant attire notre attention sur d'autres éléments de preuve que le juge a eu tort de ne pas considérer ou qu'il n'a pas soupesés à leur juste valeur dans son appréciation de la crédibilité de l'appelant.

 

[8]               L'appréciation de la crédibilité est le propre du juge de première instance. Il n'y a rien de surprenant au fait que certains éléments de preuve appuient la version des faits proposée par l'une des parties tandis que d'autres la minent. Le juge de première instance est le mieux placé pour apprécier à leur juste valeur ces éléments disparates de preuve et de là, tirer les conclusions qui lui semblent s'imposer. En l'instance, le juge a bien pris note des éléments sur lesquels l'appelant insiste mais il ne les a pas retenus, les jugeant un artifice. Il n'y a rien, ni dans la preuve, ni dans la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) qui justifierait notre intervention. Le débat dans cet appel se situe à un autre niveau.

 

ANALYSE

[9]               Le rejet de l'explication fournie par monsieur Lacroix quant à l'écart entre son revenu déclaré et son actif ne justifie pas, en soi, une nouvelle cotisation hors de la période statutaire ni l'imposition d'une pénalité. Il reste donc deux questions en litige :

1. Le ministre était-il tenu de faire la preuve de la source du revenu constaté par l'application de la méthode de l'avoir net pour justifier l'inclusion de ce revenu dans le revenu imposable de monsieur Lacroix?

 

2. Le ministre s'est-il acquitté du fardeau qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe163(2) avant, dans un premier temps, d'établir une nouvelle cotisation hors de la période statutaire et, dans un second temps, d'imposer au contribuable une pénalité?

 

[10]           Il est à souligner que ce sont là deux questions distinctes. La question de la source du revenu attribué à monsieur Lacroix suivant l'application de la méthode de l'avoir net se pose même lorsque le ministre cherche à établir une nouvelle cotisation à l'intérieur de la période statutaire. On ne peut donc régler la première question en se fondant sur la jurisprudence qui ne traite que de la seconde question.

 

 

1- Le ministre était-il tenu de faire la preuve de la source du revenu constaté par l'application de la méthode de l'avoir net pour justifier l'inclusion de ce revenu dans le revenu imposable de monsieur Lacroix?

 

[11]           Monsieur Lacroix s'attaque à la décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt en se fondant sur la jurisprudence de celle-ci selon laquelle le ministre, dans l'application de la méthode de l'avoir net, doit non seulement démontrer que l'écart entre l'actif du contribuable et son revenu déclaré lui permet de conclure que le contribuable a touché un revenu non déclaré, mais aussi que la source de ce revenu doit être précisée:

77. Le ministre a la charge initiale de prouver qu'un contribuable a fait une présentation erronée des faits en produisant la déclaration de revenu. Il n'est pas suffisant que le ministre renvoie à un état de l'avoir net indiquant des divergences entre le revenu disponible et le revenu déclaré. Le ministre doit prouver que ce revenu supplémentaire provenait d'une source qui aurait dû être incluse dans la déclaration de revenu du contribuable. La charge incombant au ministre sera plus lourde si le contribuable présente des explications plausibles indiquant une source non imposable quant à ce revenu supplémentaire.

 

[C'est moi qui souligne.]

[Dowling c. Canada, [1996] A.C.I. no 301, [1996] 2 C.T.C. 2340, au paragraphe 77 (Dowling).]

 

[12]           Dans l'affaire Dowling, il s'agissait d'une nouvelle cotisation de plusieurs années d'imposition d'un golfeur professionnel déterminée par la méthode de l'avoir net. Deux des années où le ministre avait établi une nouvelle cotisation tombaient hors de la période statutaire. Le passage cité ci-dessus, sur lequel se fonde monsieur Lacroix, se situe dans l'analyse du fardeau qui incombe au ministre lorsqu'il tente d'établir une nouvelle cotisation hors de la période statutaire.

 

[13]           Tout comme dans le présent cas, monsieur Dowling avait une explication pour l'écart constaté à la suite de l'application de la méthode de l'avoir net. La Cour a rejeté cette explication mais elle s'est aussi penchée sur la théorie du ministre quant à la source du revenu non déclaré,  c'est-à-dire la sous-estimation du revenu produit par sa boutique de produits pour le golf. La Cour s'est livrée à cette analyse afin de déterminer si le ministre avait fait la preuve que monsieur Dowling avait, en connaissance de cause, fait une présentation erronée des faits dans sa déclaration de revenu. La Cour a alors analysé soigneusement la preuve pour conclure que la boutique de golf de monsieur Dowling avait une marge bénéficiaire de 60 % et non de 15 % comme il le prétendait. De là, la Cour concluait comme suit au paragraphe 95 :

95. Comme l'intimée (la Couronne) a démontré que l'appelant avait fait une présentation erronée des revenus qu'il avait tirés de son entreprise, l'étape suivante consistait à démontrer que cette présentation erronée avait été faite par négligence, inattention ou omission volontaire… En l'espèce, l'appelant a omis de conserver les bandes de la caisse enregistreuse comme documentation étayant ses ventes. De plus, il a combiné ses finances personnelles et les finances de son entreprise dans un seul compte bancaire. Ces façons de procéder représentaient de la négligence de la part de l'appelant…

 

[14]           Il ressort, à la lecture des motifs de la Cour, que celle-ci s'était penchée sur la question de la source du revenu afin de décider si, par rapport à cette source, le contribuable avait été négligent ou s'il avait agi sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. La question de la source du revenu se posait dans le contexte de la preuve d'inconduite de la part du contribuable.

 

[15]           Dans l'affaire Corriveau c. Canada, 97-767 (IT)I, [1998] A.C.I. no 1122, le même problème est survenu. L'application de la méthode de l'avoir net révélait un écart important entre le revenu déclaré dans la déclaration de revenu du contribuable et les ajouts à son actif au cours de la période en question. La Cour canadienne de l'impôt n'était pas satisfaite de la preuve produite par le ministre quant à la source de ce revenu, de sorte que la Cour était toujours dans le doute quant à la négligence, l'inattention, ou l'omission volontaire du contribuable :

31. Si je ne peux préciser la faute lourde de monsieur Corriveau, il m'est impossible de conclure que les conditions de l'application de l'article 163 de la Loi ont été remplies.

 

[Corriveau, au paragraphe 31.]

 

[16]           Encore une fois, la question de la source du revenu non déclaré se posait entièrement dans le contexte de la preuve de l'inconduite du contribuable dans la production de sa déclaration de revenu.

 

[17]           La Cour se livra à la même analyse dans l'affaire Léger c. Canada, 96-4799 (IT)G, [2000] A.C.I. no 911, aux paragraphes 48 à 51.

 

[18]           À mon avis, cette jurisprudence n'établit pas le principe selon lequel le ministre ne peut ajouter au revenu d'un contribuable le revenu non déclaré qu'il constate à la suite de l'application de la méthode de l'avoir net que s'il est en mesure d'établir la source de ce revenu. Notre système de perception d'impôt sur le revenu est fondé sur la déclaration du contribuable quant au revenu qu'il a touché au cours d'une année d'imposition. S'il arrive que le ministre doute, pour quelque raison que ce soit, de l'exactitude de la déclaration de revenu produite par le contribuable, il peut entreprendre l'enquête qui lui semble nécessaire. Il peut par la suite établir une nouvelle cotisation. Si le contribuable s'oppose à la nouvelle cotisation par voie d'avis d'appel, le ministre n'a pas à faire la preuve des faits à l'origine de la nouvelle cotisation. Il n'a qu'à étayer dans sa réponse à l'avis d'appel les faits qu'il a tenus pour acquis en établissant la nouvelle cotisation. Le contribuable, qui sait tout ce qu'il y a à savoir au sujet de ses affaires, a le fardeau de « démolir » les présomptions du ministre sinon ces présomptions sont présumées être vraies.

 

[19]           Cette façon de procéder a reçu l'approbation de la Cour suprême à de nombreuses reprises, dont l'affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, n'est qu'un exemple. Dans cette cause, la Cour s'exprime ainsi aux paragraphes 92-93 :

92 …En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions: (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la p. 1101), et la charge initiale de "démolir" les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486, Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à "démolir" les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus: First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

 

93 L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de "démolir" l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie: Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.)… Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite "démolit" les présomptions du ministre: voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.)…

 

[20]           L'application de la méthode de l'avoir net ne change rien à cette méthode de preuve. Dans la mesure où le ministre présume que le revenu constaté par l'application de la méthode de l'avoir net est un revenu imposable, il revient au contribuable de démolir cette présomption. Si celui-ci présente une preuve crédible que le montant en question n'a pas le caractère de revenu, le ministre doit alors aller au-delà de ses présomptions de fait et déposer la preuve de l'existence de ce revenu.

 

[21]           En l'instance, les faits tenus pour acquis par le ministre incluaient les suivants :

22. …

 

l) L'appelant n'a pas fait état de tous ses revenus dans ses déclarations d'impôt pour les années 1997, 1998, 1999 et 2000;

 

m) Suite à une vérification par la méthode de l'avoir net, le Ministre a constaté que l'appelant avait sous-estimé ses revenus imposables aux montants suivants…

 

                        1997                 145 667 $

                        1998                 231 570 $

                        1999                 156 333 $

                        2000                 26 103  $

 

            [C'est moi qui souligne.]

 

[22]           Le montant et le caractère du revenu non déclaré ayant été mis de l'avant par le ministre dans ses présomptions de fait, il incombait au contribuable de démontrer au juge de la Cour canadienne de l'impôt que les sommes constatées par l'application de la méthode de l'avoir net n'avaient pas le caractère de revenu imposable.

 

[23]           En l'instance, monsieur Lacroix n'a pas nié avoir eu accès à une source de fonds au-delà de son revenu déclaré mais il prétendait que ces fonds n'avaient pas valeur de revenu parce qu'ils n'étaient que des prêts que lui avait consentis son ami monsieur Pronovost. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt n'a pas retenu cette explication ce qui fait que les présomptions de fait du ministre, y compris celle quant au caractère imposable du revenu touché par monsieur Lacroix, sont présumées être vraies. La Cour était donc en mesure de conclure que monsieur Lacroix avait       sous-estimé son revenu imposable des montants précisés dans la réponse à l'avis d'appel pour chacune des années d'imposition en question.

 

[24]           Il n'y a rien dans ce raisonnement qui impose au contribuable un fardeau inéquitable. Le contribuable a la connaissance des faits et il est en mesure d'en faire la preuve. Il serait tout à fait irréaliste d'imposer au ministre le fardeau de mettre au jour la source d'un revenu dont l'existence même ne peut être constatée qu'indirectement, c'est-à-dire par l'application de la méthode de l'avoir net.

 

2. Le ministre s'est-il acquitté du fardeau qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe163(2) avant, dans un premier temps, d'établir une nouvelle cotisation hors de la période statutaire et, dans un second temps, d'imposer au contribuable une pénalité?

 

[25]           Les dispositions en question se lisent comme suit :

152.(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants:

 

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration:

 

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 

[…]

 

163.(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé «déclaration» au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants:…

 

[…]

 

152.(4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer's normal reassessment period in respect of the year only if

 

 

 

 

(a) the taxpayer or person filing the return

 

 

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or willful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

 

 

 

163.(2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a "return") filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the total of…

 

 

 

 

 

[26]           Bien que le ministre bénéficie des présomptions de fait qui sous-tendent la nouvelle cotisation, il ne jouit d'aucun avantage semblable pour ce qui est de la preuve des faits justifiant l'établissement d'une nouvelle cotisation hors de la période statutaire, ou encore des faits justifiant l'imposition d'une pénalité en raison de l'inconduite du contribuable dans la production de sa déclaration de revenu. Le ministre est indéniablement dans l'obligation de mettre en preuve les faits justifiant l'invocation de ces mesures exceptionnelles.

 

[27]           Dans l'affaire Richard Boileau c. M.N.R., 89 D.T.C. 247, la juge Lamarre Proulx s'exprimait ainsi à la page 250 :

L'appelant a été incapable de contredire les éléments de base des évaluations de la valeur nette. Cependant, cela ne suffit pas selon moi pour que le ministre s'acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe. En décider autrement serait enlever tout objet au paragraphe 163(3) en renversant sur l'appelant le fardeau de la preuve qui incombe au ministre.

 

[28]           Dans la même ligne de pensée, dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. c. Sa Majesté la Reine, [1994] 2 C.T.C. 2450, 95 D.T.C. 200, le juge Bowman s'exprima ainsi au paragraphe 27 :

27  Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller… Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité…

 

[29]           Ce dernier passage met en relief la dialectique propre à certaines nouvelles cotisations par l'application de la méthode de l'avoir net. En l'instance, le ministre constate un revenu non déclaré qu'il demande au contribuable de justifier. Celui-ci fournit une explication que ni le ministre ni la Cour canadienne de l'impôt ne jugent crédible. Il n'y a donc pas d'hypothèse viable et raisonnable qui pourrait porter le décideur à accorder le bénéfice du doute au contribuable. La seule hypothèse offerte est jugée non crédible.

[30]           Les faits en preuve, dans un tel cas, sont que la déclaration de revenu du contribuable fait une présentation erronée des faits et que la seule explication offerte par le contribuable est jugée non crédible. Évidemment, il doit y avoir une autre explication pour ce revenu. Il faut donc conclure que le contribuable a une source de revenu qu'il n'a pas déclarée, qu'il est au courant de cette source et qu'il refuse de la divulguer puisque les explications qu'il a offertes n'ont pas été jugées crédibles. En de telles circonstances, la conclusion que la fausse déclaration de revenu a été produite sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde me semble inéluctable. Cela justifie non seulement l'imposition d'une pénalité mais aussi l'établissement de la nouvelle cotisation hors de la période statutaire.

 

[31]           Le paragraphe 20 des motifs du juge Bédard, cité ci-dessus, fait état de cette situation précise, ce qui justifie amplement ses conclusions quant aux pénalités et à la nouvelle cotisation hors de la période statutaire.

 

[32]           Qu'en est-il alors du fardeau du ministre? Comment s'en acquitte-t-il? Il se peut que dans certaines circonstances, le ministre soit en mesure de faire une preuve directe de l'état d'esprit du contribuable lorsque ce dernier a produit sa déclaration de revenu. Mais dans la grande majorité des cas, le ministre ne pourra que miner la crédibilité du contribuable, soit par des éléments de preuve qu'il apporte, soit en contre-interrogatoire du contribuable. Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3).

 

[33]           Comme le dit si bien le juge Létourneau dans Molenaar c. Canada, 2004 CAF 349, 2004 D.T.C. 6688, au paragraphe 4 :

4. À partir du moment où le ministère établit selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d'un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d'identifier la source et d'établir la nature non imposable de ses revenus.

 

[34]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

     M. Nadon j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

     Johanne Trudel j.c.a. »

 

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-395-07

 

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR L'HONORABLE JUGE PAUL BÉDARD DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT, LE 14 JUIN 2007, DANS LE DOSSIER NO. 2004-757(IT)G

 

INTITULÉ :                                                                           RÉGENT LACROIX

                                                                                                et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   LE 14 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 21 JUILLET 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Philip Nolan

POUR L'APPELANT

 

Simon N. Crépin

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lavery, de Billy

Montréal (Québec)

POUR L'APPELANT

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE

 

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