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Date : 20080704

Dossier : A‑545‑07

Référence : 2008 CAF 231

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

DOW CHEMICAL CANADA INC.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 24 juin 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE BLAIS

LE JUGE EVANS

 


 

Date : 20080704

Dossier : A‑545‑07

Référence : 2008 CAF 231

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

DOW CHEMICAL CANADA INC.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s'agit d'un appel de la décision de la Cour canadienne de l'impôt par laquelle le juge suppléant Mogan (le juge de la Cour de l'impôt) a accueilli l'appel interjeté par Dow Chemical Canada Inc. (l'intimée ou Amalco) contre une détermination de perte établie sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), détermination par laquelle le ministre du Revenu national (le ministre) avait inclus la somme de 30 990 628 $ dans le calcul du revenu de l'intimée pour son année d'imposition 2001.

 

[2]               L'intimée est une société issue d'une fusion, et l'ajustement effectué par le ministre concerne une somme antérieurement déduite par l'une des sociétés qu'elle a remplacées, somme qui était restée impayée à la fin de la deuxième année d'imposition suivant l'année où l'engagement correspondant avait été contracté. L'appelante soutient que l'inclusion de cette somme dans le calcul du revenu de l'intimée est prescrite par les paragraphes 78(1) et 87(7) de la Loi, et que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne donnant pas effet à ces dispositions.

 

[3]               Il semble utile de reproduire immédiatement ici les passages pertinents de ces deux paragraphes :

78. (1) Lorsqu’une somme, relative à des dépenses déductibles et due par un contribuable à une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance au moment où les dépenses ont été engagées et à la fin de la deuxième année d’imposition qui suit celle durant laquelle ces dépenses ont été engagées, n’a pas encore été payée à la fin de la deuxième année d’imposition, il faut :

      a) soit inclure la somme ainsi impayée dans le calcul du revenu du contribuable pour la troisième année d’imposition suivant celle au cours de laquelle les dépenses ont été engagées;

 

78. (1) Where an amount in respect of a deductible outlay or expense that was owing by a taxpayer to a person with whom the taxpayer was not dealing at arm’s length at the time the outlay or expense was incurred and at the end of the second taxation year following the taxation year in which the outlay or expense was incurred, is unpaid at the end of that second taxation year, either

      (a) the amount so unpaid shall be included in computing the taxpayer’s income for the third taxation year following the taxation year in which the outlay or expense was incurred, or…

[Je souligne.]

 

87(7) Lorsqu’il y a eu fusion de plusieurs sociétés après le 6 mai 1974 et que :

a) d’une part, une dette ou autre engagement d’une société remplacée qui n’avait pas été réglé immédiatement avant la fusion est devenu une dette ou autre engagement de la nouvelle société lors de la fusion;

b) d’autre part, le montant que doit payer la nouvelle société à l’échéance de la dette ou de l’engagement est le même que celui que la société remplacée aurait dû payer à l’échéance,

les dispositions de la présente loi :

c) ne s’appliquent pas à l’égard du transfert de cette dette ou de cet autre engagement à la nouvelle société;

d) s’appliquent comme si la nouvelle société avait contracté la dette ou l’engagement au moment où la société remplacée l’a contracté en vertu de la convention conclue le jour où la société remplacée a conclu une convention en vertu de laquelle la dette ou l’engagement a été contracté.    […]

 

87(7) Where there has been an amalgamation of two or more corporations after May 6, 1974 and

(a) a debt or other obligation of a predecessor corporation that was outstanding immediately before the amalgamation became a debt or other obligation of the new corporation on the amalgamation, and

(b) the amount payable by the new corporation on the maturity of the debt or other obligation, as the case may be, is the same as the amount that would have been payable by the predecessor corporation on its maturity,

the provisions of this Act

(c) shall not apply in respect of the transfer of the debt or other obligation to the new corporation, and

(d) shall apply as if the new corporation had incurred or issued the debt or other obligation at the time it was incurred or issued by the predecessor corporation under the agreement made on the day on which the predecessor corporation made an agreement under which the debt or other obligation was issued,    …

[Je souligne.]

LES FAITS PERTINENTS

[4]               Les faits pertinents font l'objet d'un exposé conjoint des parties que cite intégralement la décision qui fait l’objet du présent appel (publiée sous la référence 2007 CCI 668) et qu'il ne paraît pas nécessaire de reproduire ici. Il suffira, pour les fins qui nous occupent, d'en donner le résumé qui suit.

 

[5]               En 1998, Union Carbide Corportion (UCC), en qualité de prêteur, et Union Carbide Canada Inc. (UCCI), en qualité d'emprunteur, ont conclu une convention de prêt (le prêt) revêtant la forme d'une ligne de crédit plafonnée à un milliard de dollars canadiens. Par la suite, en 1999, UCC a cédé ses droits sur le prêt à Union Carbide Canada Finance Inc. (UCCFI). Les parties s'accordent à reconnaître que, au moment où la convention de prêt a été conclue aussi bien qu'au moment de la cession, les trois sociétés en question (UCC, UCCI et UCCFI) étaient liées entre elles pour l'application de la Loi. (Les dispositions de la Loi se rapportant au lien de dépendance des entités constituées que concerne le présent appel, soit son sous-alinéa 251(2)c)(i), et ses paragraphes 251(3) et 251(3.1), sont reproduites en annexe A du présent exposé des motifs.)

 

[6]               Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition qui s'est terminée le 31 décembre 2000, UCCI a déduit la somme de 30 990 627 $ au titre d'intérêts courus pour l'année civile 2000. Aux fins du présent appel, l'intimée reconnaît que cette somme est restée impayée sur toute la durée pertinente.

 

[7]               Le 6 février 2001, Dow Chemical Company (Dow) a acquis le contrôle d'UCC. Par la suite, le 1er octobre 2001, UCCI a fusionné avec la filiale canadienne en propriété exclusive de Dow, Dow Chemical Canada Inc. (DCCI), sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44. La société issue de cette fusion, qui est l'intimée au présent appel, a conservé la dénomination de Dow Chemical Canada Inc. et, comme je l'ai précisé au début du présent exposé des motifs, sera ci‑après désignée « l'intimée » ou « Amalco ».

 

[8]               UCCI a eu deux années d'imposition dans l'année civile 2001 : une qui a commencé le 1er janvier et s'est terminée le 6 février du fait de l'acquisition de contrôle, et l'autre qui a commencé le 7 février et a pris fin le 30 septembre par suite de la fusion. La première année d'imposition d'Amalco a commencé le lendemain, soit le 1er octobre 2001, et s'est terminée le 31 décembre 2001. Les dispositions de la Loi qui ont déterminé ces années d'imposition abrégées sont ses paragraphes 249(4) et 87(2), qui portent respectivement ce qui suit :

249(4) En cas d’acquisition du contrôle d’une société à un moment donné (sauf une société étrangère affiliée d’un contribuable résidant au Canada, qui n’a pas exploité d’entreprise au Canada au cours de sa dernière année d’imposition commençant avant ce moment) par une personne ou un groupe de personnes, les règles suivantes s’appliquent dans le cadre de la présente loi :

 

a) sous réserve de l’alinéa c), l’année d’imposition de la société qui, sans le présent alinéa, comprendrait ce moment est réputée se terminer immédiatement avant ce moment;

b) une nouvelle année d’imposition de la société est réputée commencer à ce moment;

 

249(4) Where at any time control of a corporation (other than a corporation that is a foreign affiliate of a taxpayer resident in Canada and that did not carry on a business in Canada at any time in its last taxation year beginning before that time) is acquired by a person or group of persons, for the purposes of this Act,

(a) subject to paragraph 249(4)(c), the taxation year of the corporation that would, but for this paragraph, have included that time shall be deemed to have ended immediately before that time;

(b) a new taxation year of the corporation shall be deemed to have commenced at that time;

 

 

[Je souligne.]

 

87. (2) Lorsqu’il y a eu fusion de plusieurs sociétés après 1971, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) pour l’application de la présente loi, l’entité issue de la fusion est réputée être une nouvelle société dont la première année d’imposition est réputée avoir commencé au moment de la fusion et l’année d’imposition d’une société remplacée, qui se serait autrement terminée après la fusion, est réputée s’être terminée immédiatement avant la fusion;

 

 

 

87(2) Where there has been an amalgamation of two or more corporations after 1971 the following rules apply

 

(a) for the purposes of this Act, the corporate entity formed as a result of the amalgamation shall be deemed to be a new corporation the first taxation year of which shall be deemed to have commenced at the time of the amalgamation, and a taxation year of a predecessor corporation that would otherwise have ended after the amalgamation shall be deemed to have ended immediately before the amalgamation;

 

[Je souligne.]

 

[9]               Pour son année d'imposition qui s'est terminée le 31 décembre 2001, Amalco a déclaré une perte nette de 35 066 100 $ et une perte autre qu'en capital en année courante de 61 604 100 $. Après avoir communiqué une cotisation de confirmation, le ministre a établi une formule T7W‑C, puis une nouvelle cotisation ayant pour effet de réduire notablement ces pertes. L'un des ajustements sous-jacents à cette nouvelle cotisation était l'inclusion dans le revenu d'Amalco de la somme dont l'imputation est en litige dans le présent appel.

 

[10]           Amalco a contesté cet ajustement. Comme 2001 était pour elle une année d'imposition nulle, elle a demandé au ministre de déterminer le montant de ses pertes pour cette année. Le ministre a émis en réponse un avis de détermination de perte réduisant sa perte autre qu'en capital pour l'année courante à 9 381 511 $, au motif que les intérêts antérieurement courus et déduits par UCCI devaient être inclus dans le revenu d'Amalco pour son année d'imposition 2001.

 

[11]           Amalco a déposé un avis d'opposition, et le différend a en fin de compte été porté devant la Cour canadienne de l'impôt. Le juge de la Cour de l'impôt a fait droit à l'appel, au motif que les dispositions invoquées par le ministre, en particulier l'alinéa 87(7)b) de la Loi, n'étaient pas suffisamment précises pour autoriser l'ajustement.

 

[12]           C'est là la décision qui fait l'objet du présent appel.

 

LA DÉCISION DE LA COUR DE L'IMPÔT

[13]           Le juge de la Cour de l'impôt conclut que, si l'article 78 ne comporte aucune ambiguïté, l'article 87, lui, est ambigu (paragraphe 18 des motifs). Une condition importante que stipule le paragraphe 78(1) est qu'il existe un lien de dépendance entre le débiteur des dépenses déductibles et le créancier aussi bien au moment où ces dépenses ont été engagées qu'immédiatement avant la fusion. Le juge de la Cour d'impôt conclut qu'Amalco et UCCFI étaient liées entre elles [TRADUCTION] « immédiatement avant la fusion » (paragraphe 22 des motifs) :

[TRADUCTION] UCCI et UCCFI étaient liées entre elles immédiatement avant la fusion, puisqu'elles étaient toutes deux contrôlées par Dow; et UCCI était réputée avoir été liée à [l'intimée] sous le régime du paragraphe 251(3.1) comme il a été noté ci‑dessus. Sous le régime du paragraphe 251(3), deux sociétés sont réputées être liées entre elles si elles sont liées à la même société. Par conséquent, dans un sens hypothétique, [l'intimée] était liée à UCCFI immédiatement avant la fusion par l'effet des paragraphes 251(3) et 251(3.1).

 

 

[14]           Le juge de la Cour de l'impôt conclut ensuite qu'il n'existe pas de dispositions qui auraient pour effet qu'Amalco et UCCFI auraient été liées pendant l'année civile 2000, lorsque les frais d'intérêts ont été engagés (paragraphes 23, 26 et 27 des motifs). D'où il suit que l’exigence initiale d’un lien de dépendance prévue au paragraphe 78(1) n’était pas remplie.

 

[15]           Le juge de la Cour de l'impôt rejette le moyen invoqué pour le compte du ministre selon lequel le paragraphe 87(7), qui dispose que la Loi s'applique « comme si » Amalco avait contracté la dette, suffit à établir qu'Amalco et UCCFI étaient liées entre elles au moment où la dette a été contractée (paragraphe 24 des motifs) :

[TRADUCTION] Le sens manifeste du paragraphe 87(7) comprend toutes les dettes d'une société remplacée (qu'elles soient imputées au compte de revenu ou au compte de capital) qui deviennent des dettes de l'entité issue de la fusion. L'article 78 ne porte que sur les dépenses déductibles dans un contexte où le contribuable débiteur et le créancier ont un lien de dépendance. Pour ce qui concerne toutes les catégories de dettes, l'article 78 a un champ d'application restreint, tandis que le paragraphe 87(7) en a un beaucoup plus large. Je ne vois aucune raison de conclure que le législateur a conçu le paragraphe 87(7) en tenant compte de l'article 78. En fait, si le paragraphe 87(7) avait été rédigé dans le but de faire entrer les dispositions de l'article 78 dans le cadre des règles applicables à la fusion de sociétés, je m'attendrais à trouver dans ledit paragraphe des termes additionnels qui le rapprocheraient beaucoup plus dudit article.

 

[Je souligne.]

 

 

[16]           Le juge de la Cour de l'impôt invoque trois motifs à l'appui de cette conclusion (paragraphe 28 des motifs). Premièrement, rappelle‑t‑il, l'article 78 de la Loi dispose que le contribuable débiteur peut déduire une somme relative à des dépenses sans la payer ni l'inclure dans son revenu pour une période maximale de deux années d'imposition, soit en général 24 mois en tout. Selon le juge de la Cour de l'impôt, il serait contraire à l'objet de l'article 78 de la Loi d'exiger que cette somme soit incluse en l'occurrence dans le revenu de l'intimée, puisqu'il ne s'est pas écoulé deux années d'imposition de 12 mois à compter de l'engagement des dépenses correspondantes (paragraphes 29 à 33 des motifs).

 

[17]           Deuxièmement, se fondant sur l'arrêt de notre Cour La Reine c. Pan Ocean Oil Ltd., 94 DTC 6412 (Pan Ocean), le juge de la Cour de l'impôt conclut que l'intimée et UCCI sont des sociétés distinctes, de sorte que la première année d'imposition de l'intimée ne peut être considérée comme la troisième d'UCCI pour l'application de l'alinéa 78(1)a) de la Loi (paragraphes 34 à 37 des motifs).

 

[18]           Enfin, le juge de la Cour de l'impôt invoque le paragraphe 78(2) de la Loi, qui dispose explicitement que toute somme relative à des dettes antérieurement déduites d'une société liquidée doit être incluse dans le revenu du contribuable :

78(2) Lorsqu’une somme, relative à des dépenses déductibles et due par un contribuable qui est une société à une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance, n’a pas encore été payée au moment de la liquidation de la société qui est le contribuable et que cette liquidation a lieu avant la fin de la deuxième année d’imposition suivant celle au cours de laquelle les dépenses ont été engagées, la somme ainsi impayée doit être incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année d’imposition au cours de laquelle a eu lieu la liquidation.

 

78(2) Where an amount in respect of a deductible outlay or expense that was owing by a taxpayer that is a corporation to a person with whom the taxpayer was not dealing at arm’s length is unpaid at the time when the taxpayer is wound up, and the taxpayer is wound up before the end of the second taxation year following the taxation year in which the outlay or expense was incurred, the amount so unpaid shall be included in computing the taxpayer’s income for the taxation year in which it was wound up.

 

 

Il n'existe pas de dispositions semblables, raisonne‑t‑il, concernant les sociétés issues d'une fusion. Selon lui, il y a là une lacune, et il n'appartient pas aux tribunaux de remédier aux insuffisances des textes législatifs (paragraphes 38 à 42 des motifs).

 

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

L'appelante

[19]           Selon l'appelante, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en omettant de donner effet à l'alinéa 87(7)d). L'objet de cet alinéa est d'assurer la continuité entre la société remplacée et la nouvelle société en posant que la Loi s'applique « comme si » la nouvelle société avait existé au moment où la dette a été contractée (paragraphes 21 et 22 du mémoire de l'appelante). Par conséquent, Amalco doit être considérée comme si elle était UCCI, et puisqu'elle a admis qu'UCCI et UCCFI étaient liées entre elles au moment susdit, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant qu'il n'existait pas de lien de dépendance lorsque la dette a été contractée (paragraphes 31 et 32 du mémoire de l'appelante).

 

[20]           L'appelante conteste en outre les trois motifs distincts sur lesquels le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé pour refuser de donner effet au paragraphe 87(7) (paragraphes 34, 37 et 41 du mémoire de l'appelante). Elle soutient notamment qu'il n'y a pas de lacune dans la législation. Il faut édicter une disposition spéciale pour les liquidations, puisque les sociétés liquidées cessent d'exister, mais cela n'est pas nécessaire dans le cas des fusions (paragraphe 48 du mémoire de l'appelante).

 

L'intimée

[21]           L'intimée affirme que la conclusion du juge de la Cour de l'impôt est juste, mais elle n'adhère pas sans réserve au raisonnement qui l'y a conduit. En particulier, elle ne souscrit pas à sa constatation selon laquelle Amalco et UCCFI étaient liées entre elles [TRADUCTION] « immédiatement avant la fusion » sous le régime des paragraphes 251(3) et 251(3.1) (paragraphe 23 du mémoire de l'intimée). L'intimée fait remarquer que le paragraphe 251(3.1) ne prévoit pas de limite temporelle de cette nature (paragraphes 25 à 27 du mémoire de l'intimée). Le juge de la Cour de l'impôt, selon elle, aurait mal interprété aussi la portée du paragraphe 251(3) (paragraphes 30 à 35 du mémoire de l'intimée).

 

[22]           Cela dit, poursuit l'intimée, aucune des dispositions de l'article 251 n'a pour effet qu'Amalco puisse être réputée avoir été liée à UCCFI au moment où a été contracté l'engagement de payer les intérêts ni à aucun moment avant l'acquisition du contrôle (paragraphe 35 du mémoire de l'intimée). D'où il suit que le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de conclure que le paragraphe 78(1) ne peut être d'application puisque Amalco et UCCFI n'étaient pas liées entre elles en 2000, lorsque les dépenses déductibles ont été engagées.

 

[23]           Dans la mesure où le paragraphe 87(7) est pertinent, la seule question qui se pose à son propos est l'application de son alinéa d). Ici encore, l'intimée s'écarte de la logique suivie par le juge de la Cour de l'impôt. S'il est vrai que cet alinéa a pour effet qu'Amalco soit réputée avoir contracté en 2000 l'engagement de payer les intérêts, raisonne l'intimée, il n'a pas pour effet qu'Amalco soit réputée avoir été liée à UCCFI à ce moment (paragraphes 39 à 42 du mémoire de l'intimée). Il faudrait des termes plus explicites pour produire ce résultat.

 

[24]           Subsidiairement, l'intimée soutient que la deuxième année d'imposition d'UCCI (qui s'est terminée le 30 septembre 2001) ne peut être considérée comme la deuxième année d'imposition d'Amalco. L'intimée fait en outre valoir que la première année d'imposition d'Amalco (qui s'est terminée le 31 décembre 2001) ne peut être également considérée comme sa troisième. Ici encore, il faudrait des termes plus explicites pour que l'alinéa 87(7)d) ait l'effet que lui attribue l'appelante (paragraphes 47 à 55 du mémoire de l'intimée).

 

[25]           Enfin, l'intimée souscrit à la conclusion formulée par le juge de la Cour de l'impôt au paragraphe 40 de ses motifs, comme quoi il y a dans le paragraphe 78(1) une lacune que fait ressortir le texte plus explicite des dispositions relatives à la liquidation du paragraphe 78(2). L'intimée fait sienne la proposition selon laquelle il n'appartient pas aux tribunaux de combler les lacunes de la législation (paragraphes 56 à 65 du mémoire de l'intimée).

 

ANALYSE ET DÉCISION

[26]           Les parties s'accordent à reconnaître que l'interprétation du paragraphe 78(1) et de l'alinéa 87(7)d) soulève des questions de droit, lesquelles relèvent de la norme de la décision correcte; voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 33 et 36.

[27]           Appliquant cette norme, j'arrive à la conclusion que le juge de la Cour de l'impôt a mal interprété l'alinéa 87(7)d) et a commis une erreur susceptible de révision en omettant de donner effet à cet alinéa dans le contexte factuel de la présente espèce. Une fois qu'on a donné effet à cet alinéa, on ne peut que conclure que sont remplies les conditions auxquelles est subordonnée l'application du paragraphe 78(1).

 

[28]           Les questions d'interprétation de la Loi doivent être tranchées selon le principe formulé au paragraphe 21 de l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 :

[TRADUCTION] [...] il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

 

 

[29]           L'objet de l'article 87 ne fait aucun doute. Le fil conducteur de cet article est la transmission d'office des droits et obligations de la société remplacée à la « nouvelle société ». L'alinéa 87(7)d) dispose que la Loi doit être appliquée « comme si » toute dette ou tout autre engagement contracté par une société remplacée avait été contracté par la « nouvelle société ».

 

[30]           L'intimée fait observer avec raison qu'il convient de privilégier une interprétation étroite des dispositions déterminatives à la portée et au champ d'application ambigus; voir La Survivance c. Sa Majesté la Reine, 2006 CAF 129. Cependant, si la disposition déterminative est claire et dénuée d'ambiguïté, il faut y donner effet. Dans la présente espèce, aussi bien l'interprétation du sens manifeste des termes l'alinéa 87(7)d) que leur interprétation contextuelle révèlent, pour ce qui concerne les dettes contractées avant une fusion, que la société issue de celle‑ci doit être identifiée à la société remplacée à compter du moment où ces dettes ont été contractées.

 

[31]           Je ne vois pas sur quoi pourrait se fonder la prétention de l'intimée selon laquelle Amalco devrait être considérée comme ayant contracté l'engagement en 2000, mais sans égard pour le lien de dépendance qui existait à ce moment (paragraphes 38 et 41 du mémoire de l'intimée). Les termes « comme si » ne peuvent recevoir un sens aussi limité, et une telle interprétation irait à l'encontre de l'intention clairement exprimée par le législateur de faire inclure dans le revenu les dépenses déductibles dues à une personne liée à moins qu'elles ne soient payées avant la fin des deux années d'imposition suivantes.

 

[32]           Il n'est pas contesté que, lorsque UCCI a contracté l'engagement de payer les intérêts (soit en 2000), elle était liée à UCCFI, puisque les deux sociétés étaient contrôlées par UCC; voir le sous‑alinéa 251(2)c)(i), qui dispose que sont liées entre elles les sociétés contrôlées par la même personne. Si l'on veut donner effet à l'alinéa 87(7)d) et identifier l'intimée à UCCI au moment où a été contracté l'engagement de payer les intérêts, il faut conclure qu'Amalco était liée à UCCFI à ce moment.

 

[33]           Pour ce qui concerne l'autre moment pertinent, c'est‑à‑dire la fin de la deuxième année d'imposition d'UCCI suivant l'année où l'engagement de payer les intérêts a été contracté, Amalco est réputée sous le régime du paragraphe 251(3.1) avoir été liée à la société remplacée (UCCI) à cette date, soit avant la fusion, et l'intimée reconnaît qu'UCCI et UCCFI étaient aussi liées entre elles alors, puisqu'elles étaient toutes deux contrôlées par Dow (paragraphe 28 du mémoire de l'intimée).

 

[34]           Il s'ensuit que, par application du paragraphe 78(1) et contrairement à la conclusion du juge de la Cour de l'impôt, il y avait un lien de dépendance entre Amalco et UCCFI aussi bien au moment où les dépenses ont été engagées (en 2000) qu'à la fin de la deuxième année d'imposition suivant l'année où elles l'ont été.

 

[35]           Le juge de la Cour de l'impôt posait en outre que l'application du paragraphe 78(1) aux faits de la présente espèce irait à l'encontre de l'objet de ce paragraphe, au motif qu'il prévoirait un délai de deux périodes consécutives de 12 mois pour payer le montant déductible et qu'UCCI n'avait eu que 9 mois pour le faire (paragraphe 33 des motifs). Cependant, le paragraphe 78(1) parle bien d'« année[s] d'imposition » et non de [TRADUCTION] « périodes de 12 mois », et s'il est vrai que les années d'imposition font en général 12 mois, on trouve dans la Loi de nombreux cas où elles ont une durée moindre. À mon humble avis, le paragraphe 78(1) a été conçu pour s'appliquer aux cas où un montant déduit reste impayé après l'écoulement de deux années d'imposition, quelle qu'en soit la durée.

 

[36]           De même, j'estime l'intimée mal fondée en sa prétention comme quoi les trois années d'imposition visées au paragraphe 78(1), soit l'année de l'inclusion et les deux précédentes, doivent être celles du même contribuable. Bien sûr, tel est ordinairement le cas. Mais, comme nous l'avons vu plus haut, lorsqu'il y a fusion, l'alinéa 87(7)d) assimile la « nouvelle société » à la société remplacée sous le rapport des dépenses engagées par cette dernière, de sorte que, aux fins de l'établissement du traitement fiscal de ces dépenses, les deux dernières années d'imposition d'UCCI doivent être considérées « comme si » elles étaient des années d'imposition d'Amalco. Il ne sert à rien à l'intimée d'invoquer à cet égard l'arrêt de notre Cour Pan Ocean, précité, puisqu'il est sans conséquence qu'Amalco et UCCI soient par ailleurs des sociétés distinctes (paragraphe 15 de Pan Ocean).

 

[37]           Ajoutons enfin que l'article 78 ne comporte pas de lacune. Le paragraphe 78(2), sur lequel le juge de la Cour de l'impôt se fonde pour conclure à l'existence d'une lacune, concerne les liquidations. Il fallait pour ce cas une disposition particulière prévoyant explicitement l'inclusion de la somme impayée dans le calcul du revenu, étant donné que les sociétés liquidées cessent d'exister et ne peuvent donc avoir de troisième année d'imposition. Or une telle question ne se pose pas dans le contexte des fusions, ce qui explique que les dispositions applicables ne contiennent pas de termes semblablement explicites.

 

[38]           En résumé, l'alinéa 87(7)d) a pour effet que l'intimée doit être considérée comme si elle avait elle-même contracté l'obligation de payer les intérêts impayés et que, par conséquent, elle doit inclure cette somme dans le calcul de son revenu pour son année d'imposition 2001.

 

[39]           Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens devant notre Cour et en première instance, j'annulerais la décision du juge de la Cour de l'impôt et, rendant le jugement que ce dernier aurait dû rendre, je confirmerais l'avis de détermination du ministre sur le fondement que le montant de 30 990 628 $ a été valablement inclus dans le calcul du revenu de l'intimée pour son année d'imposition 2001.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d'accord

       Pierre Blais, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord

       John M. Evans, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE A

 

 

251(2) (2) Pour l’application de la présente loi, sont des «personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

      […]

c) deux sociétés :

(i)  si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes,

[…]

251(2) For the purpose of this Act, “related person”, or persons related to each other, are

      …

 

      (c) any two corporations

 

(i)     if they are controlled by the same person or group of persons,

 

 

251(3) Lorsque deux sociétés sont liées à une même société au sens du paragraphe (2), elles sont, pour l’application des paragraphes (1) et (2), réputées être liées entre elles.

251(3) Where two corporations are related to the same corporation within the meaning of subsection 251(2), they shall, for the purposes of subsections 251(1) and 251(2), be deemed to be related to each other.

 

 

251(3.1) Lorsqu’il y a eu fusion ou unification de plusieurs sociétés et que la nouvelle société formée à la suite de la fusion ou l’unification ainsi que toute société remplacée auraient été liées immédiatement avant la fusion ou l’unification, si la nouvelle société avait existé à ce moment et si les personnes qui étaient les actionnaires de la nouvelle société immédiatement après la fusion ou l’unification avaient été les actionnaires de la nouvelle société à ce moment, la nouvelle société toute société remplacée sont réputées avoir été des personnes liées.

 

 

251(3.1) Where there has been an amalgamation or merger of two or more corporations and the new corporation formed as a result of the amalgamation or merger and any predecessor corporation would have been related immediately before the amalgamation or merger if the new corporation were in existence at that time, and if the persons who were the shareholders of the new corporation immediately after the amalgamation or merger were the shareholders of the new corporation at that time, the new corporation and any such predecessor corporation shall be deemed to have been related persons.

 

[Je souligne.]


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A‑545‑07

 

APPEL D'UN JUGEMENT DU JUGE SUPPLÉANT MOGAN DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT EN DATE DU 1ER NOVEMBRE 2007, DOSSIER NO 2007 CCI 668

 

INTITULÉ :                                                               SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                    c.

                                                                                    DOW CHEMICAL CANADA INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         Calgary (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                       Le 24 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE BLAIS.

                                                                                    LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 4 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elena Sacluti

Bonnie Moon

 

POUR L'APPELANTE

 

Michel Bourque

Michael J. Flatters

Trevor Batty

POUR L'INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L'APPELANTE

 

Burnet, Duckworth & Palmer LLP

Calgary (Alberta)

POUR L'INTIMÉE

 

 

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