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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20080725

Dossier : 08‑A‑32

Référence : 2008 CAF 247

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE RYER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE SYNDICAT CANADIEN

DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

appelant

et

CANWEST MEDIAWORKS INC.

intimée

 

LE CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION

ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

intervenant

 

 

Requête jugée sur dossier, sans comparution des parties.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2008.

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                       LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE RYER

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20080725

Dossier : 08‑A‑32

Référence : 2008 CAF 247

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE RYER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE SYNDICAT CANADIEN

DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

appelant

et

CANWEST MEDIAWORKS INC.

intimée

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]               Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (le SCEP) a formé par procédure écrite une requête en autorisation d'interjeter appel d'une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), décision supposée être contenue dans une lettre en date du 28 février 2008 portant la signature de M. Michel Arpin, vice-président à la radiodiffusion du CRTC (la lettre de M. Arpin).

 

[2]               Cette lettre a été écrite en réponse à une plainte du SCEP touchant certains changements structurels décidés par CanWest Media Works Inc. (CanWest), lesquels, affirme le SCEP, enfreindraient la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et son règlement d'application, ainsi que les modalités de la licence de radiodiffusion de CanWest. Le SCEP disait craindre que ces changements, s'ils étaient mis en œuvre, n'entraînent des pertes d'emplois importantes pour ses membres, et demandait au CRTC de tenir une audience publique sur sa plainte en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion.

 

[3]               Le contenu de la lettre de M. Arpin peut se résumer comme suit : i) comme le SCEP n'avait pas étayé ses allégations d'éléments de preuve, l'auteur ne pouvait conclure que les projets de CanWest enfreindraient les conditions de sa licence; ii) aucun élément ne tendait à établir que CanWest manquait aux obligations afférentes à sa licence au moment considéré; et iii) il ne convenait pas de tenir une audience publique pour l'instant puisque le Conseil, si cela se révélait nécessaire, examinerait ces questions de plus près lors du renouvellement de la licence de CanWest en 2009, lorsqu’auraient été mis à exécution les projets que contestait le SCEP.

 

[4]               Par suite, la plainte du SCEP n'a été mise à l'ordre du jour d'aucune réunion du CRTC ou de ses délégués autorisés à rendre des décisions exécutoires, ni n'a donné lieu à d'autres mesures.

 

[5]               Par ordonnance en date du 11 juin 2008, le juge Noël a accordé au CRTC l'autorisation d'intervenir dans la requête en autorisation d'interjeter appel de la lettre de M. Arpin formée par le SCEP sous le régime du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion.

31. (1) Sauf exceptions prévues par la présente partie, les décisions et ordonnances du Conseil sont définitives et sans appel.

 

(2) Les décisions et ordonnances du Conseil sont susceptibles d’appel, sur une question de droit ou de compétence, devant la Cour d’appel fédérale. L’exercice de cet appel est toutefois subordonné à l’autorisation de la cour, la demande en ce sens devant être présentée dans le mois qui suit la prise de la décision ou ordonnance attaquée ou dans le délai supplémentaire accordé par la cour dans des circonstances particulières.

31. (1) Except as provided in this Part, every decision and order of the Commission is final and conclusive.

 

(2) An appeal lies from a decision or order of the Commission to the Federal Court of Appeal on a question of law or a question of jurisdiction if leave therefor is obtained from that Court on application made within one month after the making of the decision or order sought to be appealed from or within such further time as that Court under special circumstances allows.

 

 

[6]               Le CRTC a soutenu devant le juge Noël que la lettre de M. Arpin ne constituait pas une « décision du Conseil » pour l'application du paragraphe 31(2) et que, comme il n'y avait pas de décision qui pût faire l'objet d'un appel, il convenait de rejeter la requête en autorisation d'interjeter appel du SCEP. CanWest n'a pas fait valoir ce moyen dans sa réponse à la requête en autorisation du SCEP.

 

[7]               Le juge Noël a accordé au CRTC l'autorisation d'intervenir dans la requête du SCEP en autorisation d'interjeter appel, à la condition qu'il produise des éléments de preuve et présente des observations touchant sa procédure d'administration des plaintes et le point de savoir si la lettre de M. Arpin était une « décision » dont il pouvait être interjeté appel. Le CRTC a rempli cette condition en déposant un dossier comprenant un affidavit de M. Robert A. Morin, son secrétaire général, et un exposé des faits et du droit.  

 

[8]               Je pense comme le CRTC que la lettre de M. Arpin n'est pas une « décision  » au sens du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion et que doit être par conséquent rejetée la requête en autorisation d'interjeter appel du SCEP.

 

[9]               Notre Cour a tranché une question à peu près identique dans Centre de recherche-action sur les relations raciales c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (2000), 266 N.R. 344 (C.A.F.) [Centre de recherche-action]. Le juge Strayer, écrivant au nom de la Cour, y fait observer que le Conseil se compose de ses membres à temps plein et à temps partiel et que, comme la lettre en question dans cette affaire portait la signature du directeur exécutif de la radiodiffusion du CRTC, elle ne pouvait pas constituer une « décision » du CRTC susceptible de faire l'objet d'un appel sous le régime du paragraphe 31(2).

 

[10]           Le SCEP veut établir une distinction d'avec Centre de recherche-action en invoquant le fait que la lettre en question dans cette affaire avait été rédigée par un membre du personnel du CRTC, alors que la lettre qui nous occupe dans la présente espèce a été écrite par le vice-président de cet organisme. Je ne puis accepter ce moyen. La question centrale est celle de savoir si le vice-président avait, en vertu des dispositions législatives applicables, le pouvoir de rendre une « décision du Conseil » touchant la plainte.

 

[11]           La Loi sur la radiodiffusion confère au CRTC, entre autres pouvoirs, ceux de tenir des audiences publiques et de rendre des décisions sur les plaintes qui lui sont présentées. 

18.(3) Les plaintes et les observations présentées au Conseil, de même que toute autre question relevant de sa compétence au titre de la présente loi, font l’objet de telles audiences, d’un rapport et d’une décision — notamment une approbation — si le Conseil l’estime dans l’intérêt public.

18.(3) The Commission may hold a public hearing, make a report, issue any decision and give any approval in connection with any complaint or representation made to the Commission or in connection with any other matter within its jurisdiction under this Act if it is satisfied that it would be in the public interest to do so.

 

[12]           Par ailleurs, la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. 1985, ch. C‑22 (la Loi sur le CRTC), porte que le Conseil est composé des membres à temps plein et des membres à temps partiel nommés par le gouverneur en conseil.

 

3.(1) Est constitué le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, composé d’au plus treize membres à temps plein et six membres à temps partiel, nommés par le gouverneur en conseil.

3.(1) There is hereby established a commission, to be known as the Canadian Radio-television and Telecommunications Commission, consisting of not more than thirteen full-time members and not more than six part-time members, to be appointed by the Governor in Council.

 

[13]           La Loi sur le CRTC dispose aussi que le quorum du Conseil est constitué par la majorité de ses  membres à temps plein et la majorité de ses membres à temps partiel.

10.(3) Le quorum est constitué par la majorité de chaque catégorie de conseillers en fonction.

10.(3) A majority of the full-time members from time to time in office and a majority of the part-time members from time to time in office constitute a quorum of the Commission.

 

[14]           Cependant, la Loi sur la radiodiffusion autorise le président du Conseil à former des comités de trois membres au moins chacun pour connaître et décider, au nom du Conseil, des affaires dont ce dernier est saisi.

20.(1) Le président du Conseil peut former des comités — composés d’au moins trois conseillers dont deux à temps plein — chargés de connaître et décider, au nom du Conseil, des affaires dont celui-ci est saisi.

20.(1) The Chairperson of the Commission may establish panels, each consisting of not fewer than three members of the Commission, at least two of whom shall be full-time members, to deal with, hear and determine any matter on behalf of the Commission.

 

[15]           En outre, la Loi sur la radiodiffusion permet au Conseil de déléguer des pouvoirs aux comités spéciaux ou permanents qu'il constitue par règlement administratif.

11.(1) Le Conseil peut, par règlement administratif :

[…]

b) régir le déroulement de ses réunions, ainsi que la constitution de comités spéciaux et permanents, la délégation de fonctions aux comités et la fixation de leur quorum;

 

11.(1) The Commission may make by-laws

(b) respecting the conduct of business at meetings of the Commission, the establishment of special and standing committees of the Commission, the delegation of duties to those committees and the fixing of quorums for meetings thereof;

 

[16]           En vertu de ce pouvoir, le Conseil a constitué par son Règlement no 26 un comité de radiodiffusion composé de tous ses membres, avec un quorum de trois. Il a délégué à ce comité, entre autres pouvoirs, celui « de décider aux termes du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion s'il serait dans l'intérêt public de tenir une audience publique au sujet des plaintes [...] présentées au Conseil [...] ».

 

[17]           Il ressort à l'évidence de ces dispositions qu'aucun membre du CRTC pris individuellement, que ce soit le vice-président à la radiodiffusion ou un autre, n'est habilité à exercer les pouvoirs d'origine législative du CRTC, y compris celui que lui confère le paragraphe 18(3) touchant les plaintes. Par conséquent, la lettre de M. Arpin ne peut être une « décision du Conseil » pour l'application du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion.

 

[18]           Le SCEP fait en outre valoir que, contrairement à la lettre examinée dans Centre de recherche-action, la lettre de M. Arpin ne dit pas qu'elle n'est pas une décision du CRTC ni n'indique qu'elle exprime seulement l'opinion personnelle de son auteur. À mon sens, ces facteurs ne peuvent conférer au vice-président à la radiodiffusion un pouvoir légal dont il n'est pas revêtu, de manière à faire de sa lettre une « décision du Conseil ». De même, ce n'est pas parce que les Règles de procédure du CRTC et la « fiche-info » n'expliquent peut-être pas suffisamment la procédure d'administration des plaintes du CRTC, et que le Règlement no 26 du Conseil, qui délègue au Comité de radiodiffusion le pouvoir de tenir des audiences publiques conféré au CRTC par le paragraphe 18(3), n'est pas accessible au public, que la lettre de M. Arpin peut être assimilée à une « décision du Conseil ».

 

[19]           Bien que les facteurs ci‑dessus ne fassent pas de la lettre de M. Arpin une décision du Conseil pour l'application du paragraphe 31(2), ils donnent néanmoins à penser que le CRTC pourrait prendre des mesures beaucoup plus efficaces afin que les plaignants comprennent l'effet des lettres de ce genre et sa procédure d'administration des plaintes, et sachent qui est habilité à prendre des décisions en son nom. Le fait que l'avocat expérimenté engagé par CanWest n'ait pas songé à mettre en question la nature juridique de la lettre de M. Arpin constitue une indication de plus de la nécessité pour le CRTC de faire mieux comprendre sa procédure aussi bien à ceux dont il réglemente l'activité qu'aux autres intéressés.

 

[20]           Le SCEP se fonde en outre sur les insuffisances supposées de la procédure du CRTC, et sur le fait qu'il était raisonnable de sa part de conclure du contenu de la lettre de M. Arpin et de l'identité de son auteur que cette lettre constituait une décision, pour demander que le CRTC soit condamné aux dépens afférents à la requête rejetée en autorisation d'interjeter appel.

 

[21]           Le juge Noël a ordonné que les parties à la demande du CRTC tendant à obtenir l'autorisation d'intervenir dans la requête en autorisation d'interjeter appel supportent leurs propres dépens. S'il est vrai que la position du SCEP m'inspire une certaine sympathie, il me paraîtrait injustifié d'ordonner au CRTC, partie intervenante dans la présente requête en autorisation d'interjeter appel, de payer les dépens y afférents du requérant débouté. 

[22]           Cependant, étant donné les circonstances décrites aux paragraphes 18 à 20 ci‑dessus et le fait que, en dépit de la décision antérieure de notre Cour dans l'affaire Centre de recherche-action, CanWest n'ait pas soulevé l'exception d'incompétence, je n'adjugerais pas de dépens dans le cadre de la requête en autorisation d'interjeter appel.

 

[23]           Pour ces motifs, je refuserais l'autorisation d'interjeter appel de la lettre de M. Arpin et rejetterais la requête formée en ce sens par le SCEP, sans dépens.   

 

 

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d'accord.

            C. Michael Ryer j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                08‑A‑32

 

INTITULÉ :                                                               SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

                                                                                    c.

                                                                                    CANWEST MEDIAWORKS INC.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE RYER

                                                                                    LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 25 juillet 2008

 

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES :

 

Howard Goldblatt

POUR L'APPELANT

 

Martha A. Healey

Andrew Sunter

 

Ivan G. Whitehall, c.r.

Benoit M. Duchesne

POUR L'INTIMÉE

 

 

POUR L'INTERVENANT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sack Goldblatt Mitchell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

 

Ogilvy Renault LLP

Ottawa (Ontario)

 

Heenan Blaikie LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

POUR L'INTERVENANT

 

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