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Date : 20190117


Dossier : A-65-18

Référence : 2019 CAF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST

appelante

et

NAVSUN HOLDINGS LTD.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario) le 23 octobre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 17 janvier 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 


Date : 20190117


Dossier : A-65-18

Référence : 2019 CAF 10

[CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST

appelante

et

NAVSUN HOLDINGS LTD.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Sadhu Singh Hamdard Trust interjette appel d’une décision de la Cour fédérale du 17 janvier 2018 (2018 CF 42, le juge Southcott) rejetant son appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) (2015 COMC 214). Dans cette décision, la Commission a accueilli l’opposition de l’intimée à l’emploi proposé par l’appelante du mot servant de marque « AJIT » en liaison avec des publications imprimées et des journaux, au motif qu’il n’était pas suffisamment distinctif.

[2]  Les parties publient chacune un journal en pendjabi appelé « AJIT ».

[3]  Le journal de l’appelante est un quotidien fondé en Inde. Il est distribué au Canada depuis 1968. Entre 1970 et 2010, le journal de l’appelante a connu son plus grand tirage au Canada de 1990 à 1993, période au cours de laquelle il avait en moyenne 29 abonnements annuels. Le journal de l’intimée, par contre, est publié chaque semaine depuis 1993 environ et est distribué à Vancouver et dans la région du Grand Toronto. Au moment de déposer son opposition, l’intimée tirait son journal à environ 11 000 exemplaires par semaine à Vancouver et à 13 000 exemplaires par semaine à Toronto.

[4]  Pour évaluer le caractère distinctif de la marque AJIT, la Commission s’est appuyée sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Bojangles’ International LLC c. Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657 [Bojangles’], dans laquelle le juge Noël a énoncé la norme servant à prouver qu’une marque de commerce est suffisamment bien connue pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque. Selon ce critère, une marque « doit être connue au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif établi d’une autre marque, et sa réputation au Canada devrait être importante, significative ou suffisante » (Bojangles’ au paragraphe 34). Après examen de la preuve, la Commission a conclu que la marque de l’intimée était suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque faisant l’objet de la demande présentée par l’appelante.

[5]  Saisie de l’appel, la Cour fédérale a conclu que la Commission avait appliqué le bon critère juridique, à savoir celui qui est énoncé dans Bojangles’. Elle a rejeté l’argument selon lequel l’arrêt de la Cour dans l’affaire Miranda Aluminum Inc. c. Miranda Windows & Doors Inc., 2010 CAF 104 [Miranda], et en particulier son paragraphe 29, modifiait le critère classique du caractère distinctif comme il est énoncé dans Bojangles’. Le juge a fait observer que l’arrêt Miranda ne modifiait pas le critère à appliquer pour établir si l’usage d’une marque a « détruit » le caractère distinctif de la marque d’une autre partie. La question demeure de savoir si le caractère distinctif de la marque a été annulé.

[6]  Le juge a fait remarquer qu’en 2010, l’appelante avait modifié l’enregistrement de sa marque pour qu’elle vise « les publications imprimées et journaux », plus précisément en n’appliquant plus l’enregistrement à des « publications, des journaux et des magazines imprimés et électroniques ». Le juge a aussi souligné que la question de savoir si le lectorat en ligne était visé par l’enregistrement constituait une nouvelle question, soulevée pour la première fois à l’audition de l’appel. Il a conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés par les parties, y compris la preuve concernant le lectorat en ligne et les abonnements au journal en Inde, n’auraient pas eu d’incidence importante sur la décision de la Commission.

[7]  La norme de contrôle applicable à un appel d’une décision rendue par la Cour fédérale à l’égard d’une décision de la Commission consiste à décider si la Cour fédérale a déterminé la norme de contrôle appropriée et, le cas échéant, si elle l’a appliquée correctement. Il s’agit essentiellement d’un nouvel examen des questions (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559). L’examen des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit auxquelles la Cour fédérale a répondu en première instance est régi par la norme établie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (voir aussi l’arrêt Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, au paragraphe 88). Les conclusions de la Cour fédérale sur l’importance des nouveaux éléments de preuve de caractère distinctif font donc l’objet d’un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (U-haul International Inc. c. U Box It Inc., 2017 CAF 170, au paragraphe 25; Saint Honore Cake Shop Limited c. Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, au paragraphe 20).

[8]  Je traite d’abord de l’argument de l’appelante selon lequel le juge a commis une erreur en excluant les nouveaux éléments de preuve.

[9]  Le juge a fait remarquer que les nouveaux éléments de preuve étaient axés sur la notoriété de la marque découlant du lectorat en ligne et de la connaissance de la marque chez les personnes qui ont immigré au Canada en provenance de l’Inde. Comme la question, si elle était bien formulée, était de savoir si la marque était distinctive dans le contexte de son emploi en liaison avec des documents imprimés, l’utilisation en ligne ne pouvait pas constituer un « emploi » en liaison avec des documents imprimés. Le juge a également conclu que la preuve de lectorat en Inde parmi les membres de la communauté pendjabie qui ont depuis immigré au Canada ne pouvait pas être considérée comme un usage au Canada qui rend une marque distinctive (Boston Pizza International Inc. c. Boston Chicken Inc., 2003 CAF 120, au paragraphe 13; Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 C.F. 536, au paragraphe 28, confirmé par 2002 CAF 169). Comme l’a souligné il y a longtemps le juge Tomlin dans la décision Impex Electrical Ltd. c. Weinbaum (1927), 44 R.P.C. 405, à la page 410 :

[traduction] Pour déterminer si la marque est distinctive, nous ne devons considérer que notre marché intérieur. À cette fin, on ne peut prendre en considération les marchés étrangers, à moins que la preuve ne montre que des marchandises vendues dans notre pays portaient une marque étrangère et que, de ce fait, on établit un rapport entre la marque ainsi utilisée et le fabricant de ces marchandises.

[10]  Compte tenu de ce qui précède, le juge a conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient ni pertinents ni importants. La preuve concernant le lectorat en ligne ne démontrait pas un emploi en liaison avec la marque que l’appelante cherchait à enregistrer, et toute notoriété au sein de la communauté immigrante pendjabie tirée du lectorat en Inde n’équivalait pas à un emploi au Canada, comme l’exige la loi. Je ne vois aucune erreur dans ce raisonnement.

[11]  La Cour fédérale a donc examiné le reste de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable. Le juge a considéré que la question du caractère distinctif en était une de fait. Les conclusions de fait qui ne sont pas touchées par les nouveaux éléments de preuve demeurent assujetties à la norme de la décision raisonnable (Eclectic Edge Inc. c. Gildan Apparel (Canada) LP, 2015 CF 1332, aux paragraphes 43 à 48; Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.) au paragraphe 51 [Molson].

[12]  Dans la mesure où la Cour fédérale a appliqué le bon critère juridique en matière de caractère distinctif, il n’est pas nécessaire de décider si le juge a choisi la norme de contrôle appropriée. La question de savoir laquelle des deux normes s’applique à l’examen du caractère distinctif par la Commission ‑ celle de la décision raisonnable, car il s’agit d’une question de droit qui relève du domaine d’expertise du registraire (Molson au paragraphe 51), ou celle de la décision correcte ‑ n’est d’aucune importance. Il ne peut y avoir toute une gamme de critères possibles du caractère distinctif, ce qui est caractéristique de la norme de la décision raisonnable et de la déférence qu’elle appelle. De plus, si la norme est celle de la décision raisonnable, il ne peut y avoir qu’un seul résultat raisonnable, soit le critère énoncé dans Bojangles’ (voir McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 38; Walchuk c. Canada (Justice), 2015 CAF 85, au paragraphe 32; voir aussi Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 42 à 49). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte en l’espèce donne le même résultat (Sturgeon Lake Cree Nation c. Hamelin, 2018 CAF 131, au paragraphe 45).

[13]  Aux termes de l’alinéa 38(2)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), une demande d’enregistrement d’une marque de commerce peut faire l’objet d’une opposition au motif que la marque n’est pas distinctive. La Loi définit « distinctive » comme se disant de toute marque « qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. » Cette définition concorde avec le principe fondamental du droit des marques de commerce selon lequel une marque est avant tout un indicateur de source (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (CFDPI) à la p. 270; Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, au paragraphe 39, [2005] 3 R.C.S. 302).

[14]  L’évaluation par la Commission du caractère distinctif doit porter sur la question de savoir si une marque permet véritablement de distinguer les produits et services particuliers d’un commerçant aux yeux du public acheteur ou consommateur pertinent (Suzanne’s Inc. c. Auld Phillips Ltd., 2005 CAF 429, au paragraphe 5 [Suzanne’s]. Si une marque n’est pas en mesure de le faire, l’action n’est pas pertinente. Le caractère distinctif est avant tout une question de fait.

[15]  Les questions de savoir si l’appelante était ou non la première à utiliser la marque au Canada et si l’emploi subséquent par l’intimée constituait une contrefaçon ne sont d’aucune importance lorsque, comme en l’espèce, les parties utilisent la marque concurremment depuis plus d’une décennie, et que, pendant cette période, l’intimée a su acquérir une notoriété liée à sa marque au Canada suffisante pour que soit annulé le caractère distinctif de la marque de l’appelante. Comme le souligne la Cour dans l’arrêt Farside Clothing Ltd. c. Caricline Ventures Ltd., 2002 CAF 446, au paragraphe 9 [Farside Clothing], l’emploi antérieur constituant une contrefaçon peut faire perdre à une marque son caractère distinctif, la portée d’une telle érosion demeurant une question de fait à considérer dans chaque cas. En cas de poursuite pour commercialisation trompeuse, une partie peut invoquer le présumé emploi constituant une contrefaçon pour contester le caractère distinctif.

[16]  Il incombe à un commerçant de protéger le caractère distinctif de sa marque, même en cas de contrefaçon (voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 26, [2006] 1 R.C.S. 772; Suzanne’s aux paragraphes 6 et 7; Farside Clothing au paragraphe 9). Les nouveaux éléments de preuve concernant le lectorat du journal de l’appelante ne peuvent rien y changer. Il appartenait à l’appelante de prendre des mesures suffisantes pour protéger ses droits à la marque contestée, ce qu’elle n’a pas fait.

[17]  Devant la Cour fédérale, et devant notre Cour, l’appelante a fait valoir qu’un principe juridique interdit à une partie de se fonder sur son emploi d’une marque de commerce portant à confusion pour contester le droit d’une autre personne à la marque. Le juge a rejeté cet argument et a eu raison de le faire. Le critère est, non pas de savoir si la marque de l’intimée distinguait ses propres publications, mais plutôt de savoir, comme il est établi dans la décision Bojangles’, si, à la date du dépôt de l’opposition, l’emploi par l’intimée de sa propre marque avait annulé le caractère distinctif de la marque de l’appelante. La Commission a conclu que la marque de l’intimée était suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque de l’appelante et, comme le juge de la Cour fédérale, j’estime que cette conclusion était raisonnable.

[18]  Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

David Stratas j.c.a.»

«Je suis d’accord.

Judith Woods j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 17 JANVIER 2018 PAR LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER NO T-185-16 (2018 CF 42)

DOSSIER :

A-65-18

 

INTITULÉ :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST c. NAVSUN HOLDINGS LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

date de l’audience :

LE 23 OCTOBRE 2018

motifs du jugement :

le juge RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

DATE des motifs :

le 17 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Ronald E. Dimock

David G. Allsebrook

pour l’appelante

Tamara Ramsey

Bettina Xue Griffin

pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LUDLOWLAW

Toronto (Ontario)

pour l’appelante

Chitiz Pathak LLP

Toronto (Ontario)

pour l’intimée

 

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