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Date : 20080929

Dossier : A-114-08

Référence : 2008 CAF 287

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

appelante

et

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY,

ELI LILLY AND COMPANY LIMITED et ELI LILLY SA

 

intimées

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 juin 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2008.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                            LE JUGE RYER

 


 

Date : 20080929

Dossier : A-114-08

Référence : 2008 CAF 287

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

appelante

et

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY,

ELI LILLY AND COMPANY LIMITED et ELI LILLY SA

 

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel d’un jugement du juge Lemieux de la Cour fédérale, daté du 3 mars 2008, 2008 CF 281, rejetant avec dépens l’appel interjeté par Novopharm Limited (l’appelante ou Novopharm) à l’encontre d’une ordonnance de la protonotaire Tabib, datée du 15 novembre 2007, 2007 CF 1195.

 

[2]               Le présent appel porte sur la décision de la protonotaire d’accueillir, en partie seulement, la requête de Novopharm présentée en vertu de l’article 227 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), en vue d’obtenir une ordonnance obligeant notamment les intimées à signifier des affidavits de documents plus complets.

 

LES FAITS

[3]               Le 24 avril 1991, les intimées ont déposé une demande en vue d’obtenir le brevet canadien n° 2,041,113 (le brevet 113), qui a été délivré le 14 juillet 1998. Le composé revendiqué par le brevet 113, qui constitue un brevet de sélection, est l’olanzapine, dont on dit qu’elle est utile dans le traitement de désordres du système nerveux central comme la schizophrénie, les maladies schizophréniformes, la manie aiguë et les troubles d’anxiété légère. Les intimées, qui commercialisent l’olanzapine sous la marque ZYPREXA, prétendent qu’elle a des propriétés antipsychotiques atypiques et un profil d’effets secondaires amélioré par rapport aux médicaments antipsychotiques qui étaient utilisés auparavant et qu’il s’agit d’un nouveau produit au sens de l’article 55.1 de la Loi sur les brevets, L.R. 1985, ch. P-4.

 

[4]               Le 27 avril 2007, dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 455, la juge Gauthier de la Cour fédérale a accordé aux intimées, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les avis de conformité), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité permettant à Apotex Inc. de commercialiser son produit d’olanzapine au Canada. La Cour a rejeté les allégations d’invalidité du brevet 113 formulées par Apotex.

 

[5]               Le 5 juin 2007, dans Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 596, le juge Hughes de la Cour fédérale a rejeté la demande des intimées visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Novopharm pour son produit NOVO-OLANZAPINE. Le juge Hughes a jugé le brevet 113 invalide au motif de l’insuffisance de la divulgation contenue dans le brevet. Par conséquent, le ministre a délivré un avis de conformité à Novopharm, dont le produit d’olanzapine se trouve maintenant sur le marché.

 

[6]               Le 6 juin 2007, les intimées ont intenté contre Novopharm une action en contrefaçon du brevet 113.

 

[7]               Le 20 juin 2007, la protonotaire Tabib a ordonné que l’action soit une instance à gestion spéciale et, sous réserve de toute directive ou ordonnance, a établi un échéancier pour tous les stades ultérieurs de l’action. L’échéancier fixait des dates pour le dépôt et la signification de la défense et demande reconventionnelle de Novopharm, de la réponse et défense reconventionnelle des intimées et, en particulier, fixait la date du 14 septembre 2007 pour la signification et le dépôt des affidavits de documents respectifs avec la possibilité pour chaque partie de signifier à l’autre partie une demande de production de documents dont elle croit qu’ils existent, sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de l’autre partie et auraient dû être mentionnés dans l’affidavit de documents de la partie adverse mais ne l’ont pas été, l’autre partie devant répondre à cette demande dans les vingt et un jours suivant sa signification. L’ordonnance prévoyait l’interrogatoire préalable d’un représentant de Novopharm par les intimées au cours de la semaine du 15 octobre 2007 pendant une journée. L’interrogatoire de représentants des intimées était prévu pour novembre ou décembre 2007.

 

[8]               Le 6 juillet 2007, Novopharm a déposé une défense et demande reconventionnelle dans laquelle elle allègue que le brevet 113 est invalide pour diverses raisons, notamment l’absence des avantages revendiqués dans le brevet 113, et demande des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité. Il faut noter que Novopharm ne conteste pas le fait que son produit d’olanzapine contrefait le brevet 113.

 

[9]               Le 19 juillet 2007, les intimées ont déposé une réponse et défense reconventionnelle dans laquelle elles dénient les allégations de Novopharm et allèguent que l’olanzapine comporte des [traduction] « avantages substantiels », « possède les avantages indiqués dans le brevet 113 » et « présente un meilleur profil d’effets secondaires que les agents antipsychotiques connus antérieurement » (voir les paragraphes 22 à 30 de la réponse et défense reconventionnelle des intimées).

 

[10]           Les intimées ont signifié leur affidavit de documents à la fin d’août 2007. De manière plus précise, la défenderesse Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly Canada) a signifié son affidavit de documents le 22 août 2007, les intimées Eli Lilly and Company et Eli Lilly Company Ltd. ont signifié leurs affidavits de documents le 24 août 2007 et l’intimée Eli Lilly S.A. a signifié son affidavit de documents le 29 août 2007.

 

[11]           Selon l’ordonnance de la protonotaire, les parties devaient se demander l’une à l’autre la correction des insuffisances dans le processus de communication des documents. Après que les intimées ont signifié leurs affidavits de documents, l’avocat de Novopharm a signifié aux intimées deux demandes de production de documents additionnels auxquelles les intimées ont donné une réponse en partie positive, ce qui a amené la production des documents suivants : la présentation de drogue nouvelle (PDN) d’Eli Lilly Canada à Santé Canada, la mise à disposition de la demande de nouvelle drogue (NDA, New Drug Application) d’Eli Lilly Canada aux États-Unis, des communications entre Eli Lilly Canada et son agent de brevets au Canada et la déclaration déposée par les intimées dans la procédure en responsabilité du fait du produit intentée aux États-Unis.

 

[12]           En raison de son insatisfaction à l’égard des documents produits par les intimées et avant la tenue de tout interrogatoire préalable, Novopharm a présenté une requête, datée du 5 octobre 2007, en vue d’obtenir une ordonnance obligeant notamment les auteurs des affidavits de documents de chacune des intimées à se soumettre à un contre-interrogatoire sur leurs affidavits de documents respectifs et obligeant les intimées à signifier des affidavits de documents plus complets.

 

[13]           Le 15 novembre 2007, la protonotaire Tabib a prononcé l’ordonnance que le juge Lemieux a confirmée dans son ordonnance du 3 mars 2008 et qui fait maintenant l’objet du présent appel.

 

[14]           Avant de passer à l’ordonnance de la protonotaire, je tiens à signaler que la validité du brevet 113 avait déjà fait l’objet de procédures entre les parties. De façon plus précise, la validité de la contrepartie américaine du brevet 113 a fait l’objet d’une procédure aux États-Unis entre les intimées, d’une part, et la société mère (Teva) et la société sœur (Zenith) de Novopharm, d’autre part. Également, comme je l’ai indiqué auparavant, la validité du brevet 113 avait été débattue dans une procédure intentée en vertu du Règlement sur les avis de conformité.

 

L’ORDONNANCE DE LA PROTONOTAIRE

[15]           Aux paragraphes 4 à 7 de ses motifs, la protonotaire Tabib a commencé par exposer le contexte dans lequel elle devait trancher les questions soulevées dans la requête de Novopharm. Plus particulièrement, elle a indiqué que le débat devant elle portait sur les avantages ou les désavantages de l’olanzapine revendiqués dans le brevet 113. Après avoir exposé les prétentions respectives des parties, elle a conclu que les documents pertinents par rapport à la question susmentionnée devaient être communiqués par les intimées et qu’elles ne devaient pas se limiter à communiquer les documents de la période antérieure à la délivrance du brevet. Elle a expliqué sa position de la façon suivante :

[4]        Tous les documents dont Novopharm allègue qu’ils existent et n’ont pas été produits ont trait en fin de compte à la question du profil d’effets secondaires de l’olanzapine. Tous les arguments de Novopharm sur la pertinence ou l’utilité de ces documents portaient que ces documents établiraient, dans un sens ou dans l’autre, ou seraient susceptibles de lancer une enquête qui permettrait d’établir, dans un sens ou dans l’autre :

a)        si l’olanzapine avait, à la date de priorité, à la date de dépôt ou à la date de délivrance du brevet, les avantages revendiqués dans le brevet;

b)        si, de façon objective à la date d’aujourd’hui, l’olanzapine présente en fait ces avantages;

c)        si, jusqu’à la délivrance du brevet, Lilly était au courant de faits touchant ces questions qu’elle a omis de divulguer à l’examinateur de brevets.

 

[5]        Sur le plan de la pertinence juridique – soit de savoir si les faits donnent lieu à une cause défendable juridiquement dans un procès – Lilly ne conteste pas que les faits énumérés aux alinéas a) et c) ci-dessus soulèvent des questions raisonnablement plaidables et elle soutient qu’elle a bien communiqué tous les documents pertinents par rapport à ces questions, selon son interprétation de la pertinence pour l’application de l’article 222 des Règles des Cours fédérales.

 

[6]        S’agissant des faits indiqués à l’alinéa b) ci-dessus, Lilly prend la position que, peu importe que le brevet soit attaqué sur le fondement de l’évidence, de l’antériorité, de l’absence de prédiction valable, de l’absence d’utilité, de l’inexécution d’une promesse ou d’une omission ou addition importante, l’existence des avantages doit s’apprécier sur la base de l’état des connaissances des personnes du métier, au plus tard, à la date d’accessibilité. Elle soutient que toute connaissance acquise après cette date ne peut aucunement être considérée par la Cour et n’est donc pas pertinente. Malgré cette position, Lilly soutient qu’elle a produit les documents pertinents par rapport au profil d’effets secondaires de l’olanzapine jusqu’en 2001, inclusivement. Selon sa position, peu importe qu’il existe ou non d’autres documents postérieurs à 2001 (et c’est à Novopharm qu’il incombe d’établir leur existence), elle n’est pas obligée de les communiquer.

 

[7]        Après avoir considéré attentivement les actes de procédure, je suis convaincue que les actes de procédure de Novopharm soulèvent bien l’inexistence des avantages divulgués ou revendiqués dans le brevet comme un fait objectif à apprécier à la date de l’instruction et que Lilly n’a fait aucun aveu qui aurait soustrait ce moyen à la contestation. Les arguments de Lilly sont convaincants, notamment son dernier argument portant qu’un brevet ne peut être valide à la date de l’octroi et devenir invalide avec le temps, mais je ne puis conclure qu’il soit évident et manifeste que les arguments de Novopharm sur la question soient dénués de toute chance de succès. Je conclus donc que les documents pertinents par rapport à cette question devaient être communiqués par Lilly; par conséquent, quand j’examinerai si Novopharm a établi qu’il existe des documents pertinents en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly qui n’ont pas été produits, j’inclurai dans ma considération les documents pertinents par rapport à la question de savoir si les avantages existent en fait conformément à l’état de la technique après la date d’accessibilité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Elle a ensuite abordé la question du critère juridique dans l’application du paragraphe 222(2) des Règles. Au paragraphe 18 de ses motifs, la protonotaire a expliqué en ces termes la notion de « pertinence » dans l’application de l’article 222 des Règles :

18.       Toutefois, je souscris à la position prise par le protonotaire Hargrave dans la décision Seaspan [Seaspan International Ltd. c. Ewa (Navire), [2004] A.C.F. n° 161, 2004 CF 124], selon laquelle le concept de promotion de la cause de la partie adverse ou de la démolition de sa propre cause est central pour la pertinence, à la fois d’après le critère formulé dans l’arrêt Peruvian Guano [Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Company (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.)] et d’après la formulation stricte du paragraphe 222(2) des Règles. À moins que la partie produisant l’affidavit compte invoquer un document lors de l’instruction, elle n’est pas obligée de le communiquer à moins [traduction] qu’« on p[uisse] raisonnablement supposer » que le document nuirait à sa propre cause, ferait avancer celle de son adversaire ou serait [traduction] « susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences ».

 

 

[17]           Sur le fondement de ce critère, la protonotaire a conclu que Novopharm n’avait pas droit à la communication de tout document en la possession, sous l’autorité ou sous la garde des intimées qui « pourrait » avoir trait aux questions soulevées dans les actes de procédure. Par conséquent, elle a conclu que les affidavits de documents des intimées n’étaient pas à première vue insuffisants, comme le plaidait Novopharm. Aux paragraphes 22 et 23 de ses motifs, elle a écrit :

[22]      Je conclus donc que, aussi bien en fonction du critère large du « lancement d’une enquête » que sur la base d’une interprétation plus stricte du paragraphe 222(2) des Règles, Novopharm n’a pas droit à la communication de tous les documents en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly qui ont trait aux faits plaidés, qu’ils puissent ou non aider directement ou indirectement sa cause. Novopharm n’a pas droit à la communication de tous les documents en la possession de Lilly pour examiner elle-même s’ils pourraient être utiles. À moins qu’elle puisse établir que le processus de contrôle de Lilly était inadéquat, Novopharm doit se contenter des déclarations sous serment figurant dans les affidavits de documents de Lilly, portant que l’auteur de l’affidavit a fait procéder avec diligence à une recherche dans les dossiers, a pris les renseignements appropriés et a communiqué, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, tous les documents qui sont susceptibles d’être préjudiciables à la cause de Lilly ou de faire avancer celle de Novopharm.

 

[23]      Par conséquent, s’agissant du grief général de Novopharm voulant que les affidavits de documents de Lilly soient, à première vue, insuffisants parce qu’ils ne font pas état de tous les documents communiqués par Lilly dans le contexte de la procédure aux États-Unis, alors qu’ils « ont trait » clairement aux questions en litige dans la présente affaire, je le juge infondé.

 

 

[18]           La protonotaire est ensuite passée à la question de savoir si la méthode adoptée par les intimées pour déterminer quels documents dans une catégorie plus grande de documents devaient être communiqués était raisonnable et suffisante. Bien qu’elle ait conclu que les auteurs des affidavits des intimées n’avaient pas procédé de façon déraisonnable, elle n’a pas exclu la possibilité que l’intimée puisse avoir omis de communiquer ces documents qui, selon ce que plaidait Novopharm, étaient pertinents et n’avaient pas été communiqués. Aux paragraphes 25 et 26 de ses motifs, elle a expliqué son raisonnement de la manière suivante :

 [25] … Quoi qu’il en soit, je suis convaincue que, dans les circonstances de la présente affaire, les auteurs d’affidavit de Lilly n’ont pas procédé de façon déraisonnable. Je n’accepte pas la thèse que les Règles exigent, en droit, que l’auteur de l’affidavit, dans chaque cas, examine personnellement chaque document individuel. Tout ce que les Règles exigent, c’est que l’auteur de l’affidavit fasse procéder à une recherche diligente et prenne des renseignements appropriés pour les besoins de la communication dans l’affidavit de documents. Le principal auteur d’affidavit de Lilly, ayant notamment aussi participé à la communication de documents aux États-Unis, estimait qu’une recherche diligente avait déjà été effectuée pour les besoins de la procédure aux États-Unis et a pris des renseignements, qui semblent à première vue raisonnables et appropriés, pour déterminer lesquels parmi ces documents correspondaient à la définition de la pertinence au paragraphe 222(2) des Règles. Je ne vois rien à reprocher à cette façon de procéder en général.

 

[26]      Cela étant dit, il se peut que cette façon de procéder se soit révélée en pratique peu sûre ou insuffisante dans la mesure où elle a laissé échapper des documents pertinents. L’examen des documents qui seraient manquants, selon ce que prétend Novopharm, devrait indiquer si Lilly, malgré une méthode apparemment raisonnable de sélection des documents, a laissé échapper des documents pertinents et devrait donc être obligée de procéder à une nouvelle appréciation de ses documents.

 

 

[19]           Par suite de la conclusion ci-dessus, la protonotaire a ensuite porté son attention sur les catégories suivantes de documents : 1) les documents relatifs aux essais cliniques, 2) les notes et documents internes relatifs aux données des essais cliniques, 3) la correspondance entre les intimées et les autorités de la santé, 4) les documents découlant des procédures en responsabilité du fait du produit, 5) les rapports d’expert provenant d’autres procédures et 6) les éléments de l’état de la technique produits dans l’action fondée sur le brevet aux États-Unis.

 

a)         Les documents relatifs aux essais cliniques

[20]           À l’égard de ces documents, la protonotaire a pris note du fait que les intimées avaient produit les documents créés jusqu’en 2001, mais n’avaient produit aucun document créé ultérieurement. Parce qu’elle était convaincue que ces documents étaient pertinents à l’égard des allégations de Novopharm relatives à l’inexistence des avantages revendiqués ou divulgués dans le brevet 113, la protonotaire a conclu que les intimées devraient examiner leurs dossiers pour déterminer si des documents relatifs aux essais cliniques avaient été créés après 2001 et, le cas échéant, les inclure dans des affidavits de documents plus complets.

 

b)         Les notes internes et autres documents relatifs aux essais cliniques

[21]           Comme dans le cas des documents relatifs aux essais cliniques, les notes et les documents internes relatifs aux essais cliniques créés avant 2001 ont aussi été produits par les intimées. Par contre, aucun document de ce type créé après 2001 n’a été produit. La protonotaire a conclu que ces documents n’étaient pas pertinents à moins que les intimées « ai[en]t fait sur ces questions des déclarations officielles équivalant à des aveux » (paragraphe 30 des motifs de la protonotaire). Elle a dit ensuite que, même si ces documents pouvaient être considérés comme « pertinents » au sens du paragraphe 222(2) des Règles, elle exercerait son pouvoir discrétionnaire de dispenser les intimées de l’obligation de les communiquer. La protonotaire a néanmoins conclu qui si l’un de ces documents contenait des déclarations « pouvant nuire à Lilly », il devrait être communiqué par les intimées. Au paragraphe 32 de ses motifs, elle a écrit :

[32]     Novopharm soutient que ces communications pourraient contenir des déclarations pouvant nuire à Lilly, par exemple, des déclarations reconnaissant que certains renseignements étaient connus de Lilly à l’époque de l’instruction de la demande de brevet, mais n’ont pas été divulgués à l’examinateur de brevets. De toute évidence, si des documents internes de Lilly contiennent de telles déclarations, ces documents sont pertinents et doivent être communiqués. Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, cela ne donne toujours pas à Novopharm le droit d’obtenir la production d’une catégorie complète de documents non pertinents pour qu’elle puisse s’assurer que Lilly n’a pas laissé échapper ceux qui étaient pertinents. Néanmoins, il appert que Lilly n’aurait pas inclus dans son examen par rapport à leur pertinence éventuelle les documents créés après 2001. Elle devrait donc, au titre de son obligation continue de communication de la preuve, se renseigner dans la mesure du raisonnable ou prendre des mesures raisonnables pour que les documents internes qui pourraient contenir de tels aveux compromettants soient examinés et communiqués, s’ils existent.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

c)         La correspondance entre les intimées et les autorités de la santé

[22]           Se fondant sur le raisonnement qu’elle a appliqué aux notes et documents internes se rapportant aux essais cliniques, la protonotaire a jugé que la correspondance entre les intimées et les autorités de la santé après 2001 n’était pas « pertinente » dans la mesure où elle ne ferait pas avancer la cause de Novopharm, ni ne nuirait pas à celle des intimées ou ne serait pas susceptible de lancer une enquête entraînant l’une ou l’autre de ces deux conséquences.

 

d)         Les documents découlant des procédures en responsabilité du fait du produit

[23]           En s’appuyant sur Apotex Inc. c. Merck & Co. (2004), 33 C.P.R. (4th) 387 (C.F.), au paragraphe 15, conf. par (2005), 38 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.), la protonotaire a jugé que ces documents, en règle générale, n’étaient pas pertinents. Elle a ensuite dit que des documents particuliers pourraient néanmoins être pertinents par rapport aux questions « correctement soulevées dans la présente action » (paragraphe 40 des motifs de la protonotaire). À son avis, les documents qui tendent à établir que les intimées avaient intentionnellement induit en erreur l’examinateur de brevets ou omis de fournir des renseignements pertinents devaient être communiqués. Par conséquent, elle a conclu que les documents qui tendaient à établir ce que les intimées savaient, à l’époque de l’instruction de la demande de brevet, au sujet du profil des effets secondaires de l’olanzapine étaient pertinents, la date limite étant fixée au 14 juillet 1998, date de délivrance du brevet.

 

[24]           Par conséquent, les documents R, S, T, U et V, créés avant 2001, étaient pertinents, puisqu’ils tendaient à établir une conscience chez les intimées du fait que certaines formules de déclarations pouvaient être considérées comme trompeuses et une connaissance ou une conscience chez elles de certains effets secondaires du ZYPREXA dans la période antérieure à la délivrance du brevet. La protonotaire a donc ordonné aux intimées de communiquer ces documents dans leurs affidavits de documents. Toutefois, à l’égard des documents O, P et Q, créés au cours de la période allant de 2001 à 2003, elle a conclu qu’ils n’étaient pas pertinents. À son avis, la connaissance subjective des intimées après la date de délivrance du brevet n’était pas pertinente. Elle a conclu cette partie de son analyse en disant, au paragraphe 46 :

[46]     Je souligne ici le fait que les documents R à V sont pertinents en raison des renseignements particuliers qu’ils contiennent. S’agissant du document R en particulier, on ne peut raisonnablement supposer que d’autres documents que l’on peut décrire comme appartenant à la même catégorie de documents (par exemple, la correspondance entre X et Y, en l’an Z, concernant le Zyprexa) contiennent nécessairement ce type de renseignements et il se peut qu’ils ne soient pas pertinents. Novopharm n’a droit qu’à la communication des documents de cette catégorie qui sont pertinents; elle a le droit de savoir que Lilly a examiné ses documents pour identifier et communiquer tout document qui peut contenir des renseignements semblablement pertinents. Ainsi qu’il a été mentionné auparavant, Novopharm n’a pas droit d’obtenir la communication de la catégorie de documents tout entière pour s’assurer qu’on n’a pas laissé échapper de documents pertinents.

 

 

e)         Les rapports d’expert provenant d’autres procédures

[25]           La protonotaire Tabib a jugé que les rapports d’expert provenant d’autres procédures, manifestement créés après la date de délivrance du brevet, n’étaient pas pertinents et que les intimées n’avaient pas l’obligation de les communiquer dans leurs affidavits de documents. Toutefois, dans la mesure où ces rapports pouvaient mener à des renseignements concrets pertinents, ces renseignements devaient être communiqués par les intimées dans la mesure où ils étaient sous leur autorité, en leur possession et sous leur garde.

 

f)          Les éléments de l’état de la technique produits dans l’action fondée sur le brevet aux États-Unis

[26]           S’agissant de ce type de documents, la protonotaire a jugé que les documents qui traitaient la question de l’inexistence objective des avantages revendiqués ou divulgués dans le brevet 113 et l’absence d’utilité objective de l’invention, éléments qui pourraient tendre à faire avancer la cause de Novopharm ou à nuire à celle des intimées, devaient être communiqués.

 

[27]           Enfin, la protonotaire n’a pas accordé une prorogation du délai pour l’interrogatoire préalable d’un représentant de Novopharm, puisqu’elle était d’avis que Novopharm n’avait pas établi qu’elle subirait un préjudice résultant du devancement de l’interrogatoire préalable, alors qu’il était possible qu’elle reçoive d’autres documents communiqués par les intimées. Toutefois, elle a accordé une brève prorogation de délai de manière à permettre à Novopharm d’entreprendre ses interrogatoires préalables des intimées et des inventeurs. Elle a aussi rejeté la demande de Novopharm visant à contre-interroger les auteurs des affidavits des intimées et les avocats qui avaient signé les certificats joints aux affidavits de documents, à être informée de l’identité des représentants choisis par les intimées pour l’interrogatoire préalable et à obtenir que tout l’interrogatoire préalable se déroule à Toronto et à Ottawa.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[28]           S’agissant de la norme de contrôle, le juge Lemieux a statué qu’il n’examinerait pas l’ordonnance de la protonotaire Tabib de novo, parce qu’elle ne constituait pas une ordonnance ayant une influence déterminante sur la solution définitive de l’action. Il a ensuite dit qu’il n’interviendrait pas à moins que la protonotaire ait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Le juge a aussi dit que la protonotaire Tabib, du fait qu’elle était responsable de la gestion de l’instance, avait droit à un degré supplémentaire de déférence et que, dans ce contexte, la Cour fédérale n’interviendrait que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé.

 

[29]           Malgré cette conclusion, le juge Lemieux a jugé que la communication de documents dans le cadre d’un affidavit de documents relevait de la pertinence plutôt que du pouvoir discrétionnaire. Il a ensuite dit que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par le protonotaire en vertu de l’article 227 des Règles n’avait trait qu’aux mesures de réparation possibles lorsqu’il juge qu’un affidavit de documents est inexact ou insuffisant. Il a jugé toutefois que le protonotaire reste investi d’un pouvoir discrétionnaire de restreindre la portée de l’interrogatoire préalable s’il n’est pas du tout susceptible de faire avancer la position juridique de la partie qui interroge, s’il faudrait beaucoup de temps, d’efforts et de dépenses pour obtenir une réponse de peu de valeur ou si la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue.

 

[30]           Le juge Lemieux a ensuite traité les arguments particuliers de Novopharm. Il a rejeté sa position selon laquelle la protonotaire avait commis une erreur de droit en acceptant que la communication partielle de documents avant le commencement des interrogatoires préalables oraux constitue une pratique admissible. À son avis, les motifs de la protonotaire n’allaient pas dans ce sens, et il a souligné le fait que la protonotaire avait ordonné la production de documents pour le 15 décembre 2007, soit bien avant le début des interrogatoires oraux.

 

[31]           S’agissant de la question de savoir si la protonotaire avait commis une erreur dans l’application du critère de la pertinence dans le cadre du paragraphe 222(2) des Règles, le juge a conclu que, lorsqu’on lisait les motifs de la protonotaire dans leur totalité, il était manifeste qu’elle avait appliqué correctement le critère de la pertinence. Le juge a ensuite formulé, au paragraphe 77 de ses motifs, les commentaires suivants :

77.     Dans la mesure où l’exemple qu’elle a donné au paragraphe 19 de ses motifs s’écarte du critère exposé au paragraphe 222(2) des Règles, point sur lequel je ne suis pas obligé de me prononcer, il a été donné en obiter et n’a pas eu d’effet sur son application correcte du critère tel qu’elle l’avait formulé au paragraphe précédent.

 

 

[32]           Le juge a de plus conclu que la protonotaire n’avait pas imposé à Novopharm l’obligation d’établir qu’un document qui n’avait pas été produit par les intimées satisfaisait au critère du lancement d’une enquête. Il était convaincu que la protonotaire avait seulement exigé de Novopharm qu’elle démontre l’existence d’une probabilité raisonnable qu’un document aurait eu l’une des conséquences souhaitées ou aurait pu mener à l’une de celles-ci.

 

[33]           Aussi le juge Lemieux a-t-il jugé que la protonotaire n’avait pas commis d’erreur de droit ni exercé son pouvoir discrétionnaire de façon irrégulière lorsqu’elle a exclu de la production des documents strictement pertinents lorsque leur production ne serait d’aucun secours à Novopharm.

 

[34]           Enfin, le juge a conclu que Novopharm n’avait pas réussi à démontrer que la protonotaire Tabib avait commis une erreur manifeste et dominante dans ses conclusions de fait.

 

[35]           Pour ces motifs, le juge a rejeté l’appel de Novopharm avec dépens.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[36]           Au paragraphe 64 de son mémoire, Novopharm formule ainsi les questions qui, à son avis, doivent être tranchées dans le présent appel :

[traduction]

a)            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

b)            La protonotaire a-t-elle commis une erreur de principe en entérinant et en adoptant une approche fragmentée de la communication de la preuve?

c)            La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans l’interprétation et l’application du critère de la pertinence prévu à l’article 222 des Règles en prétendant établir des distinctions avec des arrêts contraignants de la Cour d’appel et, en particulier, en reformulant le critère pour exiger une « probabilité raisonnable » qu’un document (non vu par la Cour et par la partie qui le demande) mène à des « renseignements utiles »?

d)            La protonotaire a-t-elle commis une erreur en supprimant pratiquement des portions de la défense de Novopharm par son refus d’accorder à Novopharm la communication de la preuve sur des questions manifestement soulevées dans la demande reconventionnelle et clairement niées par Lilly?

e)            Est-ce une erreur de tirer des conclusions sur les renseignements que des documents « peuvent raisonnablement être censés contenir » alors qu’on n’a vu ni les documents eux-mêmes ni la moindre preuve quant à leur contenu?

 

LES OBSERVATIONS DES PARTIES

a)         Les observations de l’appelante

[37]              La formulation que donne Novopharm de la norme de contrôle est quelque peu confuse. Novopharm commence par dire que la Cour ne devrait pas modifier la décision du juge à moins qu’elle soit mal fondée ou manifestement erronée. Novopharm soutient aussi que le juge Lemieux a dit à bon droit que la pertinence ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire et que la norme de contrôle applicable à la décision de la protonotaire à l’égard de la pertinence des catégories de documents était celle de la décision correcte. Toutefois, Novopharm suggère ensuite que la Cour doit examiner si le juge a commis une erreur de droit, ou si des conclusions de fait ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou résultent de quelque erreur manifeste et dominante. Dans le cas où l’ordonnance de la protonotaire Tabib serait discrétionnaire, Novopharm fait valoir que sa décision avait une influence déterminante sur l’issue du principal ou était manifestement erronée.

 

[38]           Novopharm prétend que la protonotaire Tabib a commis une erreur de principe en acceptant que la communication partielle de documents avant les interrogatoires préalables constitue une pratique admissible. Selon l’appelante, la protonotaire était d’avis que les plaintes de Novopharm devaient être traitées au moyen de demandes informelles et lors de l’interrogatoire préalable. Une telle approche à plusieurs cycles d’interrogatoires préalables augmente le risque de ne pas déceler des documents essentiels que les intimées n’ont pas produits et n’est pas juste pour l’appelante.

 

[39]           Sur la question de savoir si la protonotaire a appliqué le bon critère de la pertinence, l’appelante soutient qu’elle a commis une erreur de droit en établissant une distinction avec les arrêts SmithKline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, [2002] 4 C.T.C. 93, et Apotex Inc. c. Canada (2005), 41 C.P.R. (4th) 97 (C.A.F.). L’appelante plaide également que la protonotaire a commis une erreur dans l’application du « critère du lancement d’une enquête » lorsqu’elle a dit, au paragraphe 19 de ses motifs :

19.     Autrement dit, il ne suffit pas qu’un document ait trait simplement aux faits en litige. Si, par exemple, un document peut seulement être interprété raisonnablement comme appuyant la cause de la partie procédant à la communication de la preuve, et qu’on ne peut démontrer qu’il peut mener à des renseignements que l’on peut raisonnablement supposer utiles à la partie adverse, il n’est pas nécessaire de faire état de son existence dans un affidavit de documents. […]

 

 

[40]           Novopharm suggère que cette conclusion obligeant la partie cherchant à obtenir la communication d’un document à démontrer qu’un document qui n’a pas été produit mènerait à des renseignements répondant au critère du « lancement d’une enquête » place la barre à une hauteur inatteignable. Cette conclusion de la protonotaire laisse également de côté le principe énoncé par la Cour dans l’arrêt Apotex, précité, selon lequel tous les documents pertinents par rapport à une question en litige entre les parties doivent figurer dans un affidavit de documents, sans égard au fait que la partie déposant l’affidavit compte ou non invoquer le document. Selon l’appelante, le juge a commis une erreur en ne corrigeant pas ces erreurs.

 

[41]           Novopharm soutient également que la décision de la protonotaire Tabib de limiter son ordonnance de production aux documents postérieurs à 2001 et de ne pas exiger la production de la correspondance interne ou des communications avec les autorités de la santé concernant les données des essais cliniques a eu pour effet de supprimer les prétentions de Novopharm mettant en cause le degré de connaissance qu’avaient les intimées des effets secondaires de l’olanzapine. Novopharm fait aussi valoir que la protonotaire Tabib n’avait pas la latitude de dispenser les intimées de la communication des notes internes qui pouvaient être considérées comme strictement pertinentes.

 

[42]           Enfin, Novopharm soutient que la protonotaire a tiré plusieurs conclusions de fait en l’absence de preuve ou à l’encontre de la preuve qu’on lui avait présentée.

 

B.        Les observations des intimées

[43]              S’agissant de la norme de contrôle, les intimées font valoir que le juge Lemieux ne pouvait modifier l’ordonnance de la protonotaire à moins qu’elle ait commis une erreur manifeste en ce sens qu’elle aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’une erreur ou d’une mauvaise appréciation des faits. De plus, elles soutiennent que la Cour ne peut modifier la décision du juge que si elle est fondée sur un mauvais principe ou manifestement erronée.

 

[44]           Selon les intimées, l’argumentation de Novopharm au sujet des erreurs de droit qu’aurait commises la protonotaire résulte d’une déformation de l’ordonnance de la protonotaire et, par conséquent, il n’y a pas la moindre raison de modifier la décision du juge à cet égard.

 

[45]           Pour commencer, les intimées font valoir que le juge a conclu à bon droit que la protonotaire Tabib n’avait pas adopté une approche fragmentée et partielle de la communication de la preuve.

 

[46]           En deuxième lieu, les intimées soutiennent que la protonotaire Tabib a défini correctement le critère de la pertinence en disant : « À moins que la partie produisant l’affidavit compte invoquer un document lors de l’instruction, elle n’est pas obligée de le communiquer à moins [traduction] qu’"on p[uisse] raisonnablement supposer" que le document nuirait à sa propre cause, ferait avancer celle de son adversaire ou serait [traduction] "susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences". »

 

[47]           Troisièmement, les intimées plaident que l’argument de Novopharm voulant que la protonotaire Tabib ait supprimé certains de ses arguments est dépourvu de tout fondement. Au contraire, la protonotaire a jugé qu’il n’était pas évident et manifeste que les arguments de Novopharm étaient dénués de toute chance de succès. De plus, d’abondants documents avaient été produits sur la question du degré de connaissance qu’avaient les intimées des effets secondaires de l’olanzapine, comme les rapports d’essai clinique, les monographies de produit et la correspondance entre l’agent de brevets canadien et le breveté en vue de l’instruction de la demande de brevet 113. En ce qui concerne les notes internes traitant des données des essais cliniques, la protonotaire a aussi ordonné aux intimées de produire toute note et tout document interne qui contiendrait des aveux compromettants. Donc, le juge Lemieux n’a pas commis d’erreur en refusant de modifier l’ordonnance de la protonotaire Tabib, puisqu’il était convaincu qu’elle n’avait ni commis d’erreur ni abusé de son pouvoir discrétionnaire.

 

[48]           Quatrièmement, les intimées soutiennent que la protonotaire Tabib avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la communication de documents strictement pertinents s’ils n’étaient pas susceptibles de faire avancer la cause de la partie qui procède à l’interrogatoire, ou s’il faudrait beaucoup de temps, d’efforts et de dépenses pour obtenir une réponse de peu de valeur ou encore si la question faisait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue.

 

[49]           Enfin, les intimées font valoir que l’appelante n’est pas arrivée à démontrer une erreur manifeste et dominante dans les conclusions de fait de la protonotaire et que le juge Lemieux n’a pas commis d’erreur en refusant de modifier ces conclusions.

 

ANALYSE

[50]           Avant de passer aux questions expressément soulevées par Novopharm dans le présent appel, il faut dire quelques mots au sujet de ses observations portant que la Cour fédérale a apparemment adopté [traduction] « des procédures et des principes nouveaux régissant l’établissement de l’échéancier, la portée de la communication de la preuve et d’autres points dans les actions fondées sur un brevet » (voir le paragraphe 3 du mémoire de Novopharm). Novopharm soutient aussi que ces [traduction] « procédures et principes nouveaux » font partie de la politique non écrite de la Cour fédérale visant à faire passer les affaires de brevet au stade de l’instruction le plus rapidement possible. Cela amène l’avocat de Novopharm à dire, au paragraphe 6 de son mémoire :

[traduction]

6.     En partie, donc, le présent appel invite la Cour à décider, dans son rôle de surveillance, s’il faut permettre que ces [traduction] « nouvelles règles » pour les actions fondées sur un brevet soient suivies au détriment d’une partie comparaissant devant la Cour fédérale, notamment en modifiant la portée de l’interrogatoire préalable d’une manière qui contredit carrément les arrêts de la Cour. Novopharm demande l’assistance de la Cour pour éviter que ses droits en tant que plaideur continuent d’être violés, bafoués ou supprimés.

 

[51]           À mon avis, la question de savoir si la Cour fédérale a ou non adopté des [traduction] « procédures et principes nouveaux » ou si elle a une politique visant à faire passer rapidement les affaires au stade de l’instruction n’est pas pertinente pour l’examen des questions en litige dans le présent appel. Les droits de Novopharm doivent être examinés sur le fondement de la loi et des Règles de la Cour. Par conséquent, si le juge des requêtes a commis une erreur dans l’interprétation ou dans l’application de la loi et des Règles pertinentes, la Cour interviendra.

 

1.         La norme de contrôle

[52]           Je suis convaincu que la norme de contrôle applicable à l’ordonnance de la protonotaire a été déterminée correctement par le juge. D’ailleurs, il s’est appuyé sur l’arrêt de la Cour Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, où le juge Décary a conclu, en s’appuyant sur la norme énoncée auparavant par la Cour dans Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient pas être modifiées en appel devant un juge à moins qu’elles soulèvent des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, ou qu’elles soient manifestement erronées en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

 

[53]           À mon avis, pour les motifs qu’il a donnés, le juge Lemieux avait raison de statuer qu’il n’avait pas à exercer le pouvoir discrétionnaire de novo parce que les questions tranchées par la protonotaire dans son ordonnance n’avaient pas une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[54]              Le juge Lemieux était également d’avis que la protonotaire Tabib, à titre de responsable de la gestion de l’instance, avait droit à un degré de déférence supplémentaire. Pour arriver à cette conclusion, il s’est appuyé sur l’arrêt de la Cour Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346, dans lequel le juge Rothstein (maintenant membre de la Cour suprême du Canada), au paragraphe 11 de ses motifs rendus au nom de la Cour, a dit qu’il faut donner au juge responsable de la gestion de l’instance une certaine latitude à cet égard et que la Cour n’interviendrait que dans les cas « où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé ».

 

[55]              Je souscris, toutefois, à la position exprimée par Novopharm selon laquelle l’expertise du juge responsable de la gestion de l’instance ne le fait pas échapper au contrôle lorsqu’il a commis une erreur de principe (voir Merck and Co. Inc. c. Apotex Inc. (2003), 28 C.P.R. (4th) 491, à la page 497 (juge Strayer)). Quoi qu’il en soit, je suis persuadé que la question du « degré de déférence supplémentaire » auquel a droit le juge responsable de la gestion de l’instance est sans conséquence dans le présent appel.

 

[56]              Comme je l’ai indiqué auparavant, le juge Lemieux a conclu, correctement à mon avis, que la communication de documents dans un affidavit de documents relevait de la pertinence et non du pouvoir discrétionnaire. Pour arriver à cette conclusion, il s’est appuyé sur les motifs du juge McNair dans Reading and Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. et al. (1988), 24 C.P.R. (3rd) 66, où il a écrit, à la page 70 :

En ce qui concerne les documents qui doivent être produits, le critère est simplement celui de la pertinence. Le critère de la pertinence ne peut donner lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. C’est par l’application de la loi et non dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que l’on détermine quels documents les parties ont le droit de consulter. La question de savoir quel document se rapporte vraiment aux questions en litige est tranchée selon le principe suivant : il doit s’agir d’un document dont on peut raisonnablement supposer qu’il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou qui sont susceptibles de la lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets [jurisprudence omise].

 

 

[57]              En appel, il est clair que la Cour ne peut modifier la décision du juge Lemieux que s’il n’avait pas de motifs de modifier la décision de la protonotaire ou, dans le cas où il existait de tels motifs, si sa décision était mal fondée ou manifestement erronée (voir Z.I. Pompey Industrie c. Ecu‑Line N.V. (2003), 224 D.L.R. (4th) 577, à la page 586, paragraphe 18 (C.S.C.)).

 

2.           La protonotaire a-t-elle commis une erreur de principe en entérinant et en adoptant une approche fragmentée de la communication de la preuve?

[58]              Novopharm plaide que la protonotaire a commis une erreur en adoptant une approche fragmentée de la communication de la preuve du fait qu’elle a accepté que la communication de documents partielle, avant l’interrogatoire préalable, constitue une pratique admissible. Aussi Novopharm dit-elle que le juge Lemieux aurait dû intervenir et corriger cette erreur.

 

[59]              Je ne puis souscrire à cette position. Comme le juge Lemieux, je conclus que la critique formulée par Novopharm à l’endroit de la protonotaire est sans fondement. En particulier, je suis tout à fait d’accord avec le juge Lemieux sur le point qu’on ne peut voir dans les motifs de la protonotaire, plus particulièrement dans le paragraphe 11, l’entérinement ou l’adoption d’une approche fragmentée et partielle de la communication de la preuve.

 

3.         Le critère de la pertinence

[60]           Le paragraphe 222(2) des Règles est ainsi conçu :

222(2) Pour l’application des règles 223 à 232 et 295, un document d’une partie est pertinent si la partie entend l’invoquer ou si le document est susceptible d'être préjudiciable à sa cause ou d’appuyer la cause d’une autre partie.

 

 

222(2) For the purposes of rules 223 to 232 and 295, a document of a party is relevant if the party intends to rely on it or if the document tends to adversely affect the party's case or to support another party's case.

 

 

[61]           Aux paragraphes 18 et 19 de son ordonnance, la protonotaire Tabib expose de la façon suivante son interprétation du « critère du lancement d’une enquête », énoncé dans Peruvian Guano, précité, que la Cour a constamment approuvé :

18.     […] À moins que la partie produisant l’affidavit compte invoquer un document lors de l’instruction, elle n’est pas obligée de le communiquer à moins [traduction] qu’« on p[uisse] raisonnablement supposer » que le document nuirait à sa propre cause, ferait avancer celle de son adversaire ou serait [traduction] « susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences ».

 

19.     Autrement dit, il ne suffit pas qu’un document ait trait simplement aux faits en litige. Si, par exemple, un document peut seulement être interprété raisonnablement comme appuyant la cause de la partie procédant à la communication de la preuve, et qu’on ne peut démontrer qu’il peut mener à des renseignements que l’on peut raisonnablement supposer utiles à la partie adverse, il n’est pas nécessaire de faire état de son existence dans un affidavit de documents. Un document qui est neutre et dont on peut seulement supposer raisonnablement qu’il est susceptible de mener à d’autres documents également neutres n’est pas pertinent pour les besoins d’un affidavit de documents. Et sur une requête visant à obtenir un affidavit de documents plus complet, il incombe à la partie requérante d’établir la possibilité raisonnable qu’un document puisse avoir ou soit susceptible d’entraîner l’une des conséquences souhaitées. Il ne suffit pas de dire qu’un document pourrait éventuellement mener à d’autres documents qui, bien que non pertinents eux-mêmes, pourraient ensuite éventuellement mener à des renseignements utilisables. C’est précisément le genre de recherche à l’aveuglette que la jurisprudence de la Cour a constamment refusé de sanctionner. Il ne s’agit pas de dire que la partie requérante doit établir que le document recherché mènera nécessairement à des renseignements utilisables : une probabilité raisonnable suffira, mais non une chance ténue.

 

 

[62]           À mon avis, la protonotaire a exposé correctement le critère. Toutefois, Novopharm critique l’emploi du mot « démontrer » au paragraphe 19 des motifs de la protonotaire :

19. […] Si, par exemple, un document peut seulement être interprété raisonnablement comme appuyant la cause de la partie procédant à la communication de la preuve, et qu’on ne peut démontrer qu’il peut mener à des renseignements que l’on peut raisonnablement supposer utiles à la partie adverse, il n’est pas nécessaire de faire état de son existence dans un affidavit de documents.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[63]           Novopharm plaide que l’emploi du mot « démontrer » signifie qu’elle doit véritablement prouver qu’un document qui n’a pas été produit mènerait à des renseignements répondant au critère du « lancement d’une enquête ». Je ne puis souscrire à la position de Novopharm. À mon avis, les motifs de la protonotaire, lus dans leur ensemble, établissent clairement que la thèse de Novopharm est sans fondement. Il ressort clairement des motifs de la protonotaire qu’elle était d’avis que, s’il y avait une probabilité raisonnable, par opposition à une chance ténue, qu’un document dont on demande la production puisse mener à des renseignements pertinents au sens du paragraphe 222(2) des Règles, une ordonnance de production devait être prononcée.

 

[64]           De plus, la recherche à l’aveuglette mentionnée par la protonotaire au paragraphe 19 de ses motifs visait le cas où une partie était tenue de communiquer un document qui pourrait mener à un autre document qui pourrait ensuite mener à des renseignements utiles susceptibles d’être préjudiciables à sa cause ou d’appuyer la cause de l’autre partie. À mon avis, limiter le critère du « lancement d’une enquête » de cette manière est compatible avec le critère énoncé dans l’arrêt Peruvian Guano, précité, et appliqué par la Cour dans SmithKline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, [2002] 4 C.T.C. 93 (C.A.F.), où, au paragraphe 24 de ses motifs, la juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit :

[24]             La portée et l’application des règles précitées dépendent du sens de ces mots : « qui portent sur toute question en litige entre les parties à l’appel » et « aux questions légitimes qui se rapportent à une question en litige ». Dans Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Company (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.), à propos du sens des mots [traduction] « un document qui a trait à tout point litigieux de l’action » , à la page 63, le lord juge Brett dit ceci :

 

[traduction] À mon avis, un document a trait aux points litigieux de l’action non seulement lorsqu’il constitue une preuve à l’égard de ces points litigieux mais également lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’il contient des renseignements pouvant – et non devant – soit directement soit indirectement, permettre à la partie qui exige l’affidavit ou bien de plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adversaire. J’ai dit « soit directement soit indirectement » parce que, à mon avis, un document peut, à proprement parler, contenir des renseignements pouvant permettre à la partie qui exige l’affidavit soit de plaider sa propre cause soit de nuire à celle de son adversaire s’il s'agit d’un document susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[65]           Je conclus donc qu’il n’y a aucun doute que la protonotaire a compris le critère du « lancement d’une enquête ». Elle a jugé que Novopharm devait établir qu’il était raisonnable de supposer que les documents en cause contenaient des renseignements qui pouvaient, directement ou indirectement, lui permettre de faire avancer sa cause ou de nuire à celle des intimées. Non seulement elle a compris le critère, mais elle l’a appliqué de manière uniforme dans son appréciation des documents en cause. Par conséquent, on ne peut dire que l’ordonnance de la protonotaire était fondée sur un mauvais principe et le juge Lemieux n’a pas commis d’erreur en refusant de la modifier pour ce motif.

 

D.        La suppression de portions de la défense de Novopharm et le déni à Novopharm de la communication de la preuve sur les questions soulevées dans la demande reconventionnelle

[66]           On trouve l’essence de l’argumentation de Novopharm sous cette rubrique aux paragraphes 85 à 88 de son mémoire des faits et du droit, que je reproduis :

[traduction]

85.        Par cette ordonnance, la protonotaire a dénié à Novopharm la possibilité d’obtenir une communication de la preuve sur tous les aspects de l’état de la connaissance par Lilly des effets secondaires de l’olanzapine vers les périodes critiques. Elle a mis en pratique ce principe mal appliqué en limitant son ordonnance de production de documents additionnels aux documents postérieurs à 2001 et en jugeant qu’il ne fallait produire que les données des essais cliniques, et non la correspondance interne traitant de ces données ou les communications avec les autorités de la santé au sujet de ces données.

 

86.        La protonotaire a pratiquement supprimé les prétentions de Novopharm en ce qui concerne au moins les allégations relatives au paragraphe 53(1) et à l’alinéa 73(1)a) en refusant toute communication de la preuve relativement à l’état de la connaissance par Lilly des effets secondaires de l’olanzapine. Novopharm n’a pas été avisée qu’un tel résultat avait été envisagé par la protonotaire et n’a pas reçu d’explication des raisons pour lesquelles cette prétention était « non pertinente ». Novopharm n’a pas été invitée à répondre à cette affirmation et elle a été empêchée de le faire; il n’y avait pas de preuve à l’appui.

 

87.        La seule fonction de la protonotaire à l’égard de la requête qui lui était présentée était de déterminer les catégories de documents qui étaient rendues pertinentes par les prétentions et qui avaient été catégoriquement laissées de côté dans l’examen de Lilly. Malgré cela, elle a statué que Lilly n’avait pas besoin d’examiner des catégories entières de documents qui contiendraient très vraisemblablement des renseignements relatifs à l’état de la connaissance de Lilly.

 

88.        Sans avis à Novopharm non plus, la protonotaire a dit qu’elle exercerait son pouvoir discrétionnaire de « dispenser Lilly de les communiquer » (paragraphe 31), même si les documents dont il s’agissait (les notes internes) pouvaient être considérés comme « strictement » pertinents. La protonotaire n’a pas ce pouvoir discrétionnaire en l’absence d’une requête présentée en vertu de l’article 230 des Règles. Il n’y avait pas de requête de ce type en instance devant elle, elle n’avait pas la compétence de prendre une décision de ce genre, il n’y avait pas de preuve sur la base de laquelle une telle décision aurait pu être prise et les avocats n’avaient pas présenté d’observations sur la question.

 

[67]           Je commencerai par traiter de la thèse formulée au paragraphe 88 du mémoire de Novopharm. Selon la position de Novopharm, en l’absence d’une requête présentée en vertu de l’article 230 des Règles, la protonotaire n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de dispenser les intimées de leur obligation de communiquer les documents pertinents.

 

[68]           Dans le contexte de son analyse du critère de la pertinence, le juge des requêtes a exprimé sa position que la Cour fédérale pouvait, dans les circonstances appropriées, malgré la pertinence de documents, refuser d’en forcer la production. À l’appui de cette position, il a invoqué notamment l’arrêt de la Cour Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, (2003), 28 C.P.R. (4th) 491 (C.A.F.), où le juge Strayer a dit, au paragraphe 10 :

La jurisprudence de la Cour sur la portée de linterrogatoire préalable est bien établie. On en trouve un résumé pratique dans la décision Reading & Bates Construction Co. et al c. Baker Energy Resources Corp. et al, (1988) 24 C.P.R. (3rd) 66 aux pages 70 à 72 (C.F. 1re inst.). La première considération est incontestablement la pertinence. Cependant, si un protonotaire ou un juge estime quune question est pertinente, il peut néanmoins refuser dordonner dy répondre si la réponse nest daucun secours à la position juridique de la partie qui interroge, sil faudrait beaucoup de temps, defforts et de dépenses pour obtenir une réponse vraisemblablement de peu de valeur ou encore si la question fait partie dune « recherche à laveuglette » de portée vague et étendue.

 

 

[69]           Le juge Lemieux a ensuite procédé, au paragraphe 79 de ses motifs, à l’application de ce principe aux questions qu’il devait trancher. Il a dit :

79.        Il a déjà été question dans les présents motifs de la portée du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exiger le dépôt d’un affidavit plus complet en vertu de l’article 227 des Règles ainsi que de son pouvoir discrétionnaire de dispenser de la production de documents pertinents. L’argumentation de Novopharm semble se concentrer sur la conclusion de la protonotaire relative à la pertinence des notes de service internes au sujet des essais cliniques et sur la déclaration au paragraphe 31 de ses motifs portant qu’elle « exercerai[t] [s]on pouvoir discrétionnaire de dispenser Lilly de […] communiquer » ces notes internes, « même si [elles] pouvaient être considérées comme strictement comprises dans la définition du paragraphe 222(2) des Règles parce qu’elles ramènent aux données des essais cliniques ». Selon moi, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas forcer la production de documents strictement pertinents lorsque cette production ne serait d’aucun secours pour Novopharm. À mon avis, il s’agit là d’un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire (voir le juge Strayer dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 66 des présents motifs).

 

 

[70]           Je souscris pleinement à la formulation du principe pertinent que donne le juge. Je reviendrai sous peu sur la question de savoir si la protonotaire aurait dû ou non ordonner aux intimées de communiquer plus de documents qu’elle ne l’a fait. Toutefois, je ne puis que souscrire à la position que la protonotaire avait le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner aux intimées de communiquer des documents pertinents.

 

[71]           Je passe maintenant aux observations de Novopharm qu’on trouve aux paragraphes 85 à 87 de son mémoire. Bien que ces observations et celles qui ont été faites oralement par son avocat à l’audience portent sur diverses questions, un fil conducteur s’en dégage clairement, à savoir que la protonotaire aurait eu tort de conclure que la méthode adoptée par Eli Lilly pour déterminer les catégories de documents qui devraient être communiquées était raisonnable et suffisante. En corollaire à cet argument, Novopharm dit que la protonotaire aurait commis une autre erreur en jugeant que, même si les données des essais cliniques devaient être communiquées, la correspondance interne traitant de ces données et les communications des intimées avec les autorités de la santé concernant ces données n’avaient pas à l’être. Selon la position de Novopharm, ces décisions ont eu l’effet de radier ses prétentions concernant l’état de la connaissance chez Eli Lilly des effets secondaires de l’olanzapine. Je ne puis souscrire à la thèse de Novopharm.

 

[72]           Comme les intimées le signalent, il est incontestable que la protonotaire n’a pas supprimé les prétentions de Novopharm. Au contraire, elle a manifestement compris ces prétentions et elle a souligné le fait que les intimées n’avaient « fait aucun aveu qui aurait soustrait ce moyen à la contestation » (paragraphe 7 des motifs de la protonotaire). Par suite, elle a indiqué clairement qu’elle allait considérer les questions soulevées par Novopharm dans sa requête en fonction des allégations de Novopharm relatives à l’inexistence des avantages divulgués ou revendiqués dans le brevet 113. Ce qui a amené la protonotaire à dire, au paragraphe 7 de ses motifs, que je reproduis encore ici, en partie, par souci de commodité :

7.   […] Je conclus donc que les documents pertinents par rapport à cette question devaient être communiqués par Lilly; par conséquent, quand j’examinerai si Novopharm a établi qu’il existe des documents pertinents en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly qui n’ont pas été produits, j’inclurai dans ma considération les documents pertinents par rapport à la question de savoir si les avantages existent en fait conformément à l’état de la technique après la date d’accessibilité.

 

 

[73]           Après son analyse de « la pertinence » dans le cadre du paragraphe 222(2) des Règles, la protonotaire a carrément abordé la question de la production des documents antérieurs à 2001 et postérieurs à 2001. Elle a commencé en disant que, en fonction du principe de la pertinence tel qu’elle l’interprétait, Novopharm n’avait pas droit à la communication de tous les documents en la possession, sous l’autorité ou sous la garde des intimées qui avaient trait aux faits plaidés, ajoutant que Novopharm n’avait droit qu’aux documents susceptibles d’être préjudiciables à la cause d’Eli Lilly ou de faire avancer sa propre cause.

 

[74]           Ainsi que je l’ai déjà indiqué, je suis convaincu qu’en tirant cette conclusion, la protonotaire n’a pas commis d’erreur. Elle a bien compris le critère de la pertinence et, à mon avis, elle n’a pas commis d’erreur en l’appliquant.

 

[75]           La protonotaire est ensuite passée au premier volet de l’argumentation de Novopharm visant à établir que la méthode adoptée par les intimées pour déterminer lesquels des documents compris dans une grande catégorie de documents doivent être communiqués n’était pas acceptable. Dans son argumentation, Novopharm dit que la conclusion de la protonotaire a eu pour effet de limiter son ordonnance de production de documents additionnels aux documents postérieurs à 2001. Selon elle, il s’agit là d’une erreur de la protonotaire que le juge aurait dû corriger. Aux paragraphes 34 à 36 de ses motifs, le juge Lemieux a expliqué avec soin et de manière détaillée la façon dont la protonotaire a procédé pour rejeter l’argumentation de Novopharm sur ce point :

[34]           La protonotaire a dit ensuite que la question qui se posait était celle de savoir si la méthode de Lilly pour déterminer lesquels des documents compris dans une grande catégorie de documents doivent être communiqués était raisonnable et suffisante. Elle a décrit les trois niveaux de communication de la preuve déjà exposés dans les présents motifs et a noté que, selon la preuve par affidavit de Lilly, les auteurs des affidavits de Lilly, après avoir considéré les questions soulevées dans la procédure aux États-Unis et dans la présente procédure, ont jugé que tous les documents qui pouvaient avoir trait aux questions en litige dans la présente action avaient fait partie de la communication de la preuve initiale aux États-Unis et qu’on pouvait raisonnablement supposer que tous les documents susceptibles de nuire à la cause de Lilly ou d’aider celle d’un adversaire sur les mêmes questions avaient été choisis par les adversaires de Lilly et inclus dans la liste unifiée de pièces et dans la liste de pièces admises.

 

[35]           Elle a ensuite dit que la position de Novopharm était que, sur le plan du principe juridique, la communication de la preuve de Lilly devait comprendre tous les documents ayant trait aux questions plaidées, par conséquent tous les documents qui avaient été produits initialement aux États-Unis. Elle a relevé que Novopharm n’avait pas fait valoir, sinon par le moyen des catégories particulières traitées plus loin dans ses motifs, que le fondement sur lequel Lilly avait procédé était déraisonnable ou que l’application de cette méthode entraînait l’omission de documents pertinents. Elle était convaincue que, dans les circonstances de la présente affaire, les auteurs d’affidavit de Lilly n’avaient pas procédé de façon déraisonnable et, renvoyant à l’affidavit de M. Stemerick dans lequel il disait qu’il estimait qu’une recherche diligente avait déjà été effectuée pour les besoins de la procédure aux États-Unis, et qu’il avait pris des renseignements, qu’elle estimait à première vue raisonnables et appropriés, pour déterminer lesquels parmi ces documents correspondaient à la définition de la pertinence au paragraphe 222(2) des Règles, pour conclure : « Je ne vois rien à reprocher à cette façon de procéder en général. »

 

[36]           Toutefois, elle a prévenu qu’il se pouvait que cette façon de procéder se soit révélée en pratique peu sûre ou insuffisante dans la mesure où elle aurait laissé échapper des documents pertinents et a dit que l’examen des documents qui seraient manquants, selon ce que prétend Novopharm, devrait indiquer si Lilly, malgré une méthode apparemment raisonnable de sélection des documents, avait laissé échapper des documents pertinents et devrait donc être obligée de procéder à une nouvelle appréciation de ses documents. Elle a ensuite entrepris l’examen des catégories particulières de documents qui, selon ce que prétendait Novopharm, étaient manquants. Ces catégories sont les suivantes :

•        Les documents relatifs aux essais cliniques;

•        Les notes et documents internes relatifs aux essais cliniques;

•        La correspondance entre Lilly et les autorités de la santé au Canada et aux États-Unis;

•        Certains documents découlant des actions en responsabilité du fait du produit relatives à l’olanzapine dans lesquelles Lilly était défenderesse;

•        Les rapports d’expert provenant d’autres procédures;

•        Les éléments de l’état de la technique produits dans l’action aux États-Unis.

Puis, dans le reste de ses motifs, elle a procédé à l’examen de chacune de ces catégories. J’expose ses conclusions séparément pour chacune.

 

[76]           Bien que le juge ne semble pas avoir tiré de conclusion particulière au sujet de la décision de la protonotaire portant que la méthode adoptée par les intimées à l’égard de la communication des documents dans leurs affidavits de documents n’était pas déraisonnable, je ne puis déceler, après un examen attentif des motifs de la protonotaire, aucune erreur de principe dans son raisonnement, ni aucune erreur dans son appréciation des faits pertinents par rapport à cette décision. Il est manifeste que la protonotaire a bien compris l’argumentation de Novopharm et qu’elle a examiné avec soin la preuve qu’on lui avait présentée avant de prendre sa décision. Je ne vois pas de raison de modifier cette décision.

 

[77]           Malgré le fait qu’elle avait conclu que la méthode employée par Eli Lilly pour la communication des documents était raisonnable et suffisante, la protonotaire a néanmoins procédé à l’examen des catégories de documents particulières qui, selon l’argumentation de Novopharm, étaient manquants et auraient dû être communiqués. Cela l’a amenée à aborder la prétention de Novopharm que les documents postérieurs à 2001 auraient dû être communiqués.

 

[78]           Avant de poursuivre, je rappelle encore une fois que la thèse d’Eli Lilly, rejetée par la protonotaire, était que, malgré le fait qu’elle avait communiqué les documents créés jusqu’en 2001 inclusivement, elle n’avait pas d’obligation de communiquer les documents créés après la date d’accessibilité, soit 1998, même si elle avait communiqué les documents créés jusqu’en 2001.

 

[79]           Étant donné, comme la protonotaire l’a indiqué clairement au paragraphe 7 de ses motifs, que les intimées n’avaient pas soustrait à la contestation l’allégation de Novopharm qui soulevait l’inexistence des avantages divulgués ou revendiqués dans le brevet comme fait objectif à apprécier à la date de l’instruction, elle a entrepris de déterminer si ces documents que Novopharm prétendait pertinents devaient être communiqués par les intimées.

 

[80]           Cela mène au deuxième volet de l’argumentation de Novopharm, soit que la correspondance interne traitant des données des essais cliniques et les communications avec les autorités de la santé concernant ces données étaient pertinentes et devaient être communiquées.

 

[81]           S’agissant des documents internes, Novopharm a contesté la position de la protonotaire que la correspondance ne pouvait être acceptée comme satisfaisant à la norme de la pertinence, à moins qu’on y trouve « des déclarations officielles équivalant à des aveux » (paragraphe 30 des motifs de la protonotaire). La protonotaire a ensuite considéré si on pouvait raisonnablement supposer que les documents internes formulant des commentaires sur les données des essais cliniques étaient susceptibles de lancer Novopharm dans une enquête qui pourrait faire avancer sa cause ou nuire à celle des intimées. Sur le fondement de la preuve qu’on lui avait présentée, elle a jugé que ces documents ne l’étaient pas. Elle a ensuite exprimé l’opinion que, même si cette correspondance interne des intimées pouvait être considérée comme « strictement » comprise dans la définition du paragraphe 222(2) des Règles, elle exercerait son pouvoir discrétionnaire de dispenser les intimées de la communiquer. Toutefois, elle a ensuite fait les commentaires suivants au paragraphe 32 de ses motifs :

[32]     Novopharm soutient que ces communications pourraient contenir des déclarations pouvant nuire à Lilly, par exemple, des déclarations reconnaissant que certains renseignements étaient connus de Lilly à l’époque de l’instruction de la demande de brevet, mais n’ont pas été divulgués à l’examinateur de brevets. De toute évidence, si des documents internes de Lilly contiennent de telles déclarations, ces documents sont pertinents et doivent être communiqués. Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, cela ne donne toujours pas à Novopharm le droit d’obtenir la production d’une catégorie complète de documents non pertinents pour qu’elle puisse s’assurer que Lilly n’a pas laissé échapper ceux qui étaient pertinents. Néanmoins, il appert que Lilly n’aurait pas inclus dans son examen par rapport à leur pertinence éventuelle les documents créés après 2001. Elle devrait donc, au titre de son obligation continue de communication de la preuve, se renseigner dans la mesure du raisonnable ou prendre des mesures raisonnables pour que les documents internes qui pourraient contenir de tels aveux compromettants soient examinés et communiqués, s’ils existent.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[82]           Elle a donc ordonné aux intimées d’effectuer une recherche dans leurs documents et de communiquer ceux qui pourraient contenir des déclarations pouvant nuire à leur cause, « par exemple, des déclarations reconnaissant que certains renseignements étaient connus de Lilly à l’époque de l’instruction de la demande de brevet, mais n’ont pas été divulgués à l’examinateur de brevets ».

 

[83]           Il ressort clairement de ce qui précède que la protonotaire avait bien compris la prétention de Novopharm et qu’elle l’a traitée en fonction de la preuve et des dispositions applicables des Règles. Elle a finalement exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la communication de documents qui pourraient être pertinents mais qui, à son avis, ne seraient guère utiles à Novopharm. Malgré cette conclusion, elle a néanmoins ordonné aux intimées de communiquer les documents internes qui pourraient contenir des déclarations « compromettantes pour Lilly ».

 

[84]           Je suis convaincu que la protonotaire Tabib n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[85]           J’en viens maintenant à l’autre groupe de documents qui, selon Novopharm, auraient dû avoir été communiqués, soit la correspondance des intimées avec les autorités de la santé. Le raisonnement de la protonotaire au sujet de ces documents se trouve au paragraphe 34 de ses motifs :

[34]      Encore ici, toutefois, et sur le fondement de la preuve présentée par Novopharm elle‑même, cette correspondance serait nettement fondée sur les données cliniques que Lilly a déjà communiquées ou communiquera et ne ferait que les interpréter ou les discuter. On ne peut raisonnablement supposer que Lilly a admis, dans cette correspondance, d’autres effets secondaires négatifs que ceux qui sont visés par les avertissements sur les étiquettes et dans la monographie de produit accessibles au public. Encore ici, la seule information à laquelle on peut supposer que cette correspondance est susceptible de mener consiste dans les mêmes données et rapports cliniques qui ont été ou seront produits. Je suis convaincue que cette catégorie de documents ne ferait pas avancer la cause de Novopharm, ni ne nuirait à celle de Lilly ou ne serait susceptible de lancer une enquête ayant l’un ou l’autre de ces résultats.

 

 

[86]           À mon avis, cette prise de position ne révèle aucune erreur de la part de la protonotaire. Elle a considéré la nature des documents et leur pertinence potentielle et a conclu qu’ils ne feraient pas avancer la cause de Novopharm, ni ne nuiraient à celle d’Eli Lilly ou ne seraient susceptibles de lancer une enquête pouvant donner l’un ou l’autre de ces résultats. Malgré les arguments énergiques de Novopharm, on ne m’a pas persuadé que la protonotaire ait commis une erreur.

 

D.        Est-ce une erreur de tirer des conclusions sur les renseignements que l’on peut raisonnablement supposer contenus dans des documents alors que l’on n’a vu ni les documents eux-mêmes ni des éléments de preuve au sujet de leur contenu?

[87]           Dans son mémoire, Novopharm a traité de cette question sous le titre « erreurs de fait ». Ainsi que les intimées le relèvent, bon nombre des erreurs de fait que Novopharm reproche à la protonotaire constituent simplement une manière différente de faire valoir à nouveau ses observations concernant les erreurs de droit de la protonotaire. De toute façon, les arguments de Novopharm ne m’ont pas persuadé que la protonotaire ait mal apprécié les faits pertinents par rapport à ses conclusions ou ait commis une erreur manifeste ou dominante en arrivant à ses conclusions.


CONCLUSION

[88]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel de Novopharm avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

 

« Je souscris à ces motifs.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je souscris à ces motifs.

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-114-08

 

APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉ DU 3 MARS 2008, DANS LE DOSSIER T-1048-07

 

INTITULÉ :                                                               NOVOPHARM LTD.

                                                                                    c.

                                                                                    ELI LILLY CANADA INC. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 18 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE PELLETIER

                                                                                    LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 29 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Stainsby

 

POUR L’APPELANTE

 

 

Anthony G. Creber

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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