Date : 20190125
Dossier : A9718
Référence : 2019 CAF 17
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE DAWSON
LE JUGE WEBB
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ENTRE :
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EMAD ELGUINDY
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 janvier 2019.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2019.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE DAWSON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
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Date : 20190125
Dossier : A9718
Référence : 2019 CAF 17
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE DAWSON
LE JUGE WEBB
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ENTRE :
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EMAD ELGUINDY
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE DAWSON
[1]
La Loi supprimant le droit des prisonniers à certaines prestations, L.C. 2010, ch. 22 (le projet de loi C‑31), a modifié la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O‑9 (la Loi), par adjonction du paragraphe 5(3) dont voici le libellé au moment de son adoption :
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[2]
Du fait du paragraphe 5(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, le projet de loi C‑31 est entré en vigueur le 15 décembre 2010 (date de la sanction royale). Le demandeur purgeait alors dans un pénitencier fédéral la peine d’emprisonnement à laquelle il a été condamné après avoir été reconnu coupable d’une fraude de plus de 5 000 $.
[3]
Dans une lettre datée du 5 janvier 2012, Service Canada a informé le demandeur de la suspension de sa pension de Sécurité de la vieillesse du fait de l’application du paragraphe 5(3) de la Loi et demandait le remboursement des sommes versées par erreur.
[4]
La division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision portant suspension du versement de sa pension. Par la suite, la division d’appel du Tribunal a rejeté l’appel formé par le demandeur à l’encontre de la décision de la division générale (2018 TSS 243), étant d’avis que le paragraphe 5(3) s’appliquait rétroactivement dans le cas du demandeur, mais aussi qu’« il existe des preuves externes convaincantes »
de l’intention du législateur de donner à la disposition un effet rétroactif (par. 43 et 92 des motifs). La division d’appel a également conclu que le demandeur n’avait pas de droit acquis à une pension de la Sécurité de la vieillesse au moment de l’entrée en vigueur du paragraphe 5(3) (par. 98 des motifs).
[5]
S’agissant de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel, notre Cour doit uniquement décider si le rejet de l’appel du demandeur était raisonnable.
[6]
Il ressort des éléments chronologiques pertinents qu’après une période de semiliberté, le demandeur a été réincarcéré le 14 janvier 2010. Le paragraphe 5(3) est entré en vigueur le 15 décembre 2010, alors que le demandeur était incarcéré. En septembre 2011, alors qu’il était toujours incarcéré, le demandeur a atteint l’âge de 65 ans.
[7]
Le demandeur conteste la conclusion de la division d’appel selon laquelle il n’avait aucun droit acquis à une pension de la Sécurité de la vieillesse au moment de l’entrée en vigueur du paragraphe 5(3). Il affirme avoir présenté sa demande de pension avant l’entrée en vigueur du paragraphe 5(3), de sorte qu’il avait un droit acquis à une pension.
[8]
Je ne suis pas du même avis. Le paragraphe 5(1) de la Loi dispose, entre autres, que « [p]our toucher la pension, la personne qui y a droit aux termes du paragraphe 3(1) ou (2) doit faire agréer la demande qu’elle présente [...] »
. Les paragraphes 3(1) et 3(2) exigent, entre autres, que les demandeurs aient « au moins soixantecinq ans »
. Par conséquent, seules les personnes ayant atteint l’âge de 65 ans ont droit à la pension, peu importe le moment de présentation de la demande. Par exemple, la personne qui présente une demande de pension à l’âge de 64 ans, mais qui décède avant d’atteindre l’âge de 65 ans, n’aurait pas droit à une pension de la Sécurité de la vieillesse.
[9]
Quant à l’argument fondé sur l’alinéa 43c) de la Loi d’interprétation que soulève le demandeur à l’appui du droit à une pension qu’il avait acquis ou qu’il pouvait acquérir, le juge en chef Lamer, s’exprimant au nom de la Cour, a fait les observations suivantes au paragraphe 14 de l’arrêt R. c. Puskas, [1998] 1 R.C.S. 1207 :
[...] Un droit ne peut être considéré comme « acquis » que lorsque son titulaire peut vraiment l’exercer. Le mot anglais « accrue » est simplement une façon passive d’exprimer le même concept (une personne « acquiert » un droit; un droit est « acquis » à une personne). De même, quelque chose ne peut être considéré comme « accruing » que si, en bout de ligne, son acquisition est certaine et non tributaire d’événements futurs (Scott c. College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (1992), 95 D.L.R. (4th) 706 (C.A. Sask.), à la p. 719). En d’autres mots, un droit ne peut pas être acquis tant que toutes les conditions préalables à son exercice n’ont pas été remplies.
[10]
Il s’agit là d’une réponse complète à l’observation du demandeur. Nul ne peut acquérir le droit à une pension de la Sécurité de la vieillesse avant d’avoir atteint l’âge de 65 ans.
[11]
S’agissant de l’argument du demandeur voulant que le paragraphe 5(3) soit une disposition législative à effet rétroactif inadmissible, j’estime, à l’instar de la professeure Ruth Sullivan, que [traduction] « en matière de droit fiscal ou de droit à des prestations périodiques notamment, il est peu probable qu’un motif convaincant permettrait de présumer que le législateur ne comptait pas faire appliquer rétroactivement une nouvelle loi de façon à modifier le régime fiscal ou de prestations pour l’avenir »
. (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham (Ont.) : LexisNexis, 2014, p. 768).
[12]
Si nous admettons, sans toutefois décider, que le paragraphe 5(3) s’applique rétroactivement dans le cas du demandeur, il s’agit, à mon avis, d’une réponse complète à ses observations. La conclusion de la division d’appel était raisonnable : le législateur voulait que le paragraphe 5(3) s’applique aux personnes qui étaient déjà incarcérées.
[13]
Enfin, à cet égard, les observations du demandeur portaient essentiellement sur son droit acquis à l’application continue des dispositions législatives en vigueur à l’approche de ses 65 ans et à son admissibilité au bénéfice des prestations de la Sécurité de la vieillesse, y compris le Supplément de revenu garanti. Selon un principe général de droit, nul ne détient de droit acquis ni de droit d’action quant à l’application du droit en vigueur à un moment précis : Gustavson Drilling (1964) Ltd. c M.N.R., [1977] 1 R.C.S. 271, p. 282; Merck Frosst Canada & Co. c. Apotex Inc., 2011 CAF 329, par. 39. Il en est ainsi même dans des circonstances où l’on peut s’attendre à ce qu’une loi demeure en vigueur : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.B.), [1991] 2 R.C.S. 525. Ce principe général est simplement le reflet du principe de la souveraineté parlementaire.
[14]
Dans ses observations écrites, le demandeur soutient en outre que le membre de la division d’appel chargé de l’audition de son appel était en situation de conflit d’intérêts attribuable, selon ses dires, au fait qu’il a été nommé par le ministre défendeur. Le demandeur n’invoque aucun précédent à l’appui de sa thèse.
[15]
L’observation du demandeur est dénuée de fondement. Les cours supérieures ont certes la responsabilité constitutionnelle de garantir leur indépendance institutionnelle et individuelle, mais les tribunaux administratifs n’ont pas cette obligation. Il appartient au législateur de définir la portée de l’indépendance requise des membres des tribunaux administratifs fédéraux. Autrement dit, il appartient au législateur de déterminer la composition du Tribunal de la sécurité sociale : Ocean Port Hotel Ltd. c ColombieBritannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, par. 20 à 24.
[16]
De même, la déclaration du demandeur selon laquelle un employé non nommé du Tribunal lui a dit qu’un projet de décision avait été envoyé au service juridique pour révision ne peut servir de preuve de partialité, réelle ou apparente, étant donné le critère juridique rigoureux applicable en la matière.
[17]
Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le défendeur, qui a eu gain de cause, n’a pas demandé de dépens, je n’en adjugerais pas.
« Eleanor R. Dawson »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
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J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »
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« Je suis d’accord.
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Wyman W. Webb, j.c.a. »
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Traduction certifiée conforme
Andrée Morin, jurilinguiste
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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A9718
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INTITULÉ :
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EMAD ELGUINDY c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 JANVIER 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE DAWSON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
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DATE DES MOTIFS :
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LE 25 JANVIER 2019
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COMPARUTIONS :
Emad Elguindy
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POUR LE DEMANDEUR
POUR SON PROPRE COMPTE
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Me Penny Brady
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sousprocureure générale du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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