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Date : 20190130


Dossiers : A-171-17

A-172-17

Référence : 2019 CAF 19

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

Dossier : A-171-17

ENTRE :

 

MADISON PACIFIC PROPERTIES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-172-17

ET ENTRE :

MP WESTERN PROPERTIES INC.

1073774 PROPERTIES INC.

appelantes

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 novembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20190130


Dossiers : A-171-17

A-172-17

Référence : 2019 CAF 19

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

Dossiers : A-171-17

ENTRE :

MADISON PACIFIC PROPERTIES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-172-17

ET ENTRE :

MP WESTERN PROPERTIES INC.

1073774 PROPERTIES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée


MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Les appelantes interjettent appel des ordonnances interlocutoires rendues par la Cour canadienne de l’impôt dans la décision MP Western Properties Inc. c. La Reine, 2017 CCI 82 (la juge V.A. Miller), qui enjoignent au ministre du Revenu national de produire certains documents, mais non certains autres. Les appels de ces deux ordonnances ont été réunis en vue de la tenue de l’audience; en conséquence, un exemplaire de l’énoncé des motifs sera versé dans les dossiers respectifs.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais les deux appels, avec dépens.

I.  Le contexte

[3]  Les appelantes appartiennent au même groupe de sociétés. Par le truchement d’une série d’opérations, elles ont acquis les déductions inutilisées au titre des pertes autres qu’en capital, des pertes en capital nettes et des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental, ainsi que les crédits d’impôt à l’investissement inutilisés (collectivement, les attributs fiscaux) de deux sociétés cotées en bourse insolvables. Les appelantes ont appliqué les attributs fiscaux afin de réduire le montant de l’impôt sur le revenu par ailleurs payable à l’égard de leurs entreprises rentables. Les opérations conclues à cette fin ont été décrites en ces termes au paragraphe 7 des motifs de la Cour de l’impôt :

Les mécanismes exacts et les entités en cause dans les deux séries d’opérations étaient différents, mais les résultats ultimes de ces opérations ont ceci en commun :

a)  les acheteuses ont obtenu soit seules, soit collectivement, moins de 50 % des actions avec droit de vote des sociétés publiques visées, […] mais plus de 90 % des actions participatives sans droit de vote […];

b)  les actions sans droit de vote comportaient des « clauses d’égalité de traitement » qui permettaient de les convertir en actions avec droit de vote, au gré de l’actionnaire, si une offre publique d’achat précisée était faite aux détenteurs des actions avec droit de vote;

c)  après avoir changé leurs dénominations sociales pour leurs dénominations actuelles, les sociétés que les appelantes remplacent ont exploité les entreprises rentables existantes des acheteurs en se servant des biens commerciaux qui leur avaient été transférés dans le cadre des ententes de vente de biens.

[4]  Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de chacune des appelantes, refusant les crédits d’impôt et déductions au titre des pertes déclarées relativement aux attributs fiscaux et les empêchant de les reporter prospectivement. Pour établir les nouvelles cotisations des appelantes, le ministre s’est fondé sur trois motifs subsidiaires.

[5]  La principale position concernant les nouvelles cotisations était que les appelantes avaient acquis, du fait des opérations, le « contrôle » des sociétés qu’elles avaient remplacées au sens des paragraphes 111(1), (4) et (5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), ce qui limitait leur capacité à utiliser les attributs fiscaux. Le deuxième motif de nouvelle cotisation était que les « clauses d’égalité de traitement » dont étaient assorties les actions sans droit de vote donnaient lieu à un droit réputé être exercé en vertu de l’alinéa 251(5)b) et du paragraphe 256(8) de la LIR, ce qui limitait également l’utilisation des attributs fiscaux. La troisième position était que les opérations donnaient lieu à l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE) énoncée à l’article 245 de la LIR, de sorte que le ministre pouvait refuser l’avantage fiscal qui aurait découlé des opérations, n’eût été l’application de la RGAE.

[6]  Les appelantes ont interjeté appel des nouvelles cotisations à la Cour de l’impôt en vertu de l’article 169 de la LIR. Elles ont également présenté des demandes sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (les demandes d’AIPRP) afin d’obtenir les communications écrites échangées par la Division de la politique législative de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) et le ministère des Finances relativement à l’utilisation ou à l’échange de pertes fiscales effectuées en application de la LIR. En réponse à leur demande, les appelantes ont reçu un nombre considérable de documents, dont certains avaient été caviardés conformément aux exemptions prévues dans la Loi sur l’accès à l’information.

[7]  Les appelantes ont énuméré les documents obtenus en réponse aux demandes d’AIPRP dans leurs déclarations sous serment respectives mentionnant des documents. Au cours de l’interrogatoire préalable des représentants de l’intimée, les appelantes ont demandé la production des versions non caviardées des documents communiqués, ainsi que la production de documents supplémentaires. L’intimée a fait opposition à cette demande. En conséquence, les appelantes ont présenté chacune une requête devant la Cour de l’impôt afin d’enjoindre à l’intimée de produire ces documents. Les ordonnances dont il est fait appel ont été rendues à l’égard de ces requêtes.

II.  Les ordonnances et les motifs de la Cour de l’impôt

[8]  Dans l’une des ordonnances visées par l’appel, la Cour de l’impôt a enjoint au ministre de communiquer à l’une des appelantes, MP Western Properties Inc. (Western), une note de service datée du 8 mars 2004 et adressée par le sous-commissaire adjoint, Direction des décisions de l’impôt, Direction générale de la politique et de la planification de l’ARC, au directeur général, Législation de l’impôt du ministère des Finances (à l’exception des passages qui font mention de tiers contribuables). Dans cette note de service, l’ARC exprime ses préoccupations quant à la portée des restrictions visant les pertes autres qu’en capital déductibles en vertu du paragraphe 111(5) de la LIR et demande au ministère des Finances de modifier la LIR afin que [traduction] « l’acquisition du contrôle soit réputée survenir lorsqu’une personne ou un groupe de personnes acquiert, dans le cadre d’une série d’opérations, un certain niveau de participation dans une société [...] et l’une des principales visées de cette série d’opérations est d’éviter la restriction de la déductibilité des pertes autres qu’en capital ». La Cour de l’impôt a statué que l’intimée était tenue de communiquer cette note de service à Western puisqu’elle avait été versée au dossier de vérification fiscale de Western constitué par l’ARC.

[9]  La Cour de l’impôt a ordonné en outre la production d’ébauches de lettres de proposition rédigées par l’ARC et de plusieurs courriels internes y afférents, documents qui figuraient tous dans le dossier de vérification fiscale de Western. Elle a cependant refusé d’ordonner la production des autres documents en litige.

[10]  Les autres documents exigés par les appelantes et toujours en litige se divisent en deux grandes catégories : d’une part, les passages caviardés des documents produits en réponse aux demandes d’AIPRP et, d’autre part, la correspondance établie entre la Division de la politique législative, la Direction des décisions en impôt ou le comité de la RGAE de l’ARC et la Division de la législation de l’impôt du ministère des Finances au cours de la période de 2001 à 2012 [traduction] « relativement au régime législatif pour ce que l’on appelle les échanges de pertes d’entreprise, les débâcles technologiques, les transferts de pertes d’entreprise, ou quels que puissent être les termes familiers que l’on emploie ».

[11]  La Cour de l’impôt a amorcé son raisonnement à l’appui des conclusions précitées en exposant les principes généralement applicables à la procédure de communication préalable à l’audience dans le cas des appels en matière fiscale. Elle a déclaré ce qui suit aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs :

    La demande de communication des appelantes est étayée par les principes généraux suivants :

a)  la question de la pertinence, dans le cadre d’un interrogatoire préalable, doit être « interprétée d’une façon large et libérale et il faut [lui] accorder une grande latitude » : Baxter c. Canada, 2004 CCI 636, au paragraphe 13;

b)  au stade de l’interrogatoire préalable, la pertinence est un critère moins strict que lors d’un procès : 4145356 Canada Ltd v. The Queen, 2010 TCC 613. En fait, l’article 90 des Règles prévoit expressément que la production d’un document « à des fins d’examen » n’est pas considérée comme une reconnaissance de sa pertinence ou de son admissibilité;

c)  tous les documents sur lesquels le ministre s’est fondé ou qu’il a passés en revue en vue d’établir sa cotisation doivent être communiqués au contribuable : Amp Canada Ltd. c. Canada, [1987] A.C.F. no 149, 1 CTC 256 (C.F. 1re inst.);

d)  les documents qui mènent à une cotisation sont pertinents : décision HSBC v. R. (précitée), au paragraphe 15;

e)  les documents figurant dans les dossiers que tient l’ARC sur un contribuable sont à première vue pertinents, et la demande de ces documents n’a pas une portée trop étendue ni un caractère trop vague : décision HSBC (précitée), au paragraphe 15;

f)  la partie interrogatrice est en droit d’obtenir n’importe quel renseignement ou tout document qui est susceptible de mener raisonnablement à une enquête pouvant, directement ou indirectement, bénéficier à sa cause ou nuire à celle de la partie adverse : Lloyd M. Teelucksingh v. The Queen, 2010 TCC 94, au paragraphe 15.

En revanche, les principes généraux suivants étayent le refus de l’intimée de communiquer les documents :

a)  une demande de production de documents indistincte, dans l’espoir que l’on découvre des renseignements utiles ou que cette demande mène à une série de questions, n’est pas autorisée : Harris c. Canada, [2001] A.C.F. no 782, 2001 DTC 5322 (CAF), au paragraphe 45; décision Fluevog (précitée), au paragraphe 18;

b)  les ébauches antérieures de la version définitive d’un exposé de thèse n’ont pas à être communiquées. Le raisonnement qu’ont suivi le ministre ou ses fonctionnaires en vue d’établir les cotisations n’est pas pertinent : décision Rezek (précitée), au paragraphe 16;

c)  une partie est en droit de connaître la thèse de la partie adverse au sujet d’une question de droit, mais pas d’avoir accès aux recherches juridiques ou au raisonnement ayant permis d’arriver à cette thèse : décision Teelucksingh (précitée), au paragraphe 15;

d)  même dans les cas où la pertinence est établie, la Cour a le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser la production de documents. […]

[12]  La Cour de l’impôt a souligné que ces principes autorisent une communication élargie dans le contexte d’un appel fondé sur la RGAE que ce qui pourrait convenir dans d’autres cas. S’appuyant sur les jugements rendus par notre Cour dans l’affaire Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120 (Lehigh) et l’affaire Canada c. Superior Plus Corp., 2015 CAF 241 (Superior Plus), la Cour de l’impôt a précisé que les documents qui ne concernent pas expressément un contribuable, mais qui sont liés à la politique qui sous-tend la LIR peuvent faire l’objet d’une ordonnance de divulgation dans certaines circonstances si l’affaire concerne la RGAE. La Cour de l’impôt a cité l’arrêt Lehigh comme exemple d’affaire où une communication élargie est justifiée (motifs, au paragraphe 29). Elle a également indiqué, au paragraphe 32 de ses motifs, que si les ébauches préparées par le ministre ou examinées par les fonctionnaires dans le cadre de la vérification fiscale d’un contribuable ne sont pas normalement visées par une ordonnance de divulgation dans une instance non fondée sur la RGAE, il y a lieu de communiquer les ébauches de documents dans les appels fondés sur la RGAE, car ces documents éclairent le raisonnement que suit le ministre avant d’établir une cotisation et peuvent également éclairer la manière dont le ministre conçoit la politique en question. Ces documents peuvent mener, ajoute-t-elle, à une série de questions qui répondent au critère moins strict de communication préalable dans une instance faisant intervenir la RGAE.

[13]  Appliquant ces principes aux documents demandés, la Cour de l’impôt a conclu qu’il y avait lieu d’exiger la production des documents susmentionnés dans le dossier de vérification fiscale de Western, mais que les autres documents en litige n’avaient pas à être produits, y compris ceux qui font référence ou qui font suite à la note de service adressée le 8 mars 2004 par l’ARC au ministère des Finances. Selon mon interprétation des motifs de la Cour de l’impôt, celle-ci a refusé d’ordonner la production de ces documents supplémentaires parce qu’à son avis ils n’étaient pas pertinents et a invoqué comme motif supplémentaire le fait que ces documents contenaient des renseignements relatifs à des tiers contribuables qui sont protégés par l’article 241 de la LIR. La Cour de l’impôt a également rejeté la demande de communication élargie visant la totalité de la correspondance échangée par la Division de la politique législative, la Direction des décisions de l’impôt ou le comité de la RGAE de l’ARC et la Division de la législation de l’impôt du ministère des Finances de 2001 à 2012 relativement au régime que prévoit la LIR pour ce que l’on appelle les échanges de pertes d’entreprise, au motif que cette demande [traduction] est une « recherche à l’aveuglette, de portée vague et étendue », qu’elle est « exagérément excessive » et qu’« y répondre serait une tâche difficile » (motifs, au paragraphe 35).

III.  Les questions en litige

[14]  Les appelantes soutiennent que la Cour de l’impôt a commis deux erreurs de droit et une erreur mixte de fait et de droit en refusant d’ordonner la production des documents en litige.

[15]  En ce qui concerne la première erreur de droit alléguée, les appelantes affirment que la Cour de l’impôt a conclu à tort que seuls les documents examinés lors de la vérification fiscale de Western pouvaient être produits. Elles estiment au contraire qu’il convient d’ordonner une communication élargie. Plus précisément, elles font valoir que, parce que les documents en litige contenant les passages expurgés font référence ou font suite à la note de service adressée le 8 mars 2004 par l’ARC au ministère des Finances et visée par une ordonnance de divulgation, ces passages expurgés devraient également être produits. Les appelantes soutiennent que cette affaire est comparable à l’affaire Lehigh, où notre Cour a déclaré que, dans une décision fondée sur la RGAE, les documents relatifs à un document divulgué doivent être produits même s’ils n’ont pas été consultés ou préparés aux fins de la vérification fiscale du contribuable. Les appelantes ajoutent que les passages expurgés des documents en litige concernent la note de service du 8 mars 2004, qui a été produite, et qu’ils pourraient soulever, tout comme dans l’affaire Lehigh, une série de questions pertinentes pour la défense de leur cause.

[16]  En ce qui concerne la deuxième erreur de droit alléguée, les appelantes soutiennent que la Cour de l’impôt a commis une erreur en invoquant l’article 241 de la LIR comme motif de non-divulgation. À leur avis, cette situation est plutôt régie par le paragraphe 241(3) de la LIR, qui dispose, dans l’extrait pertinent, que l’interdiction de communiquer des renseignements relatifs à des tiers contribuables ne s’applique pas aux procédures judiciaires ayant trait à l’application ou à l’exécution de la LIR. La Cour de l’impôt aurait donc, aux dires des appelantes, commis une erreur en invoquant l’article 241 de la LIR comme motif de non-divulgation.

[17]  Enfin, en ce qui a trait à la demande de divulgation élargie visant les documents échangés par l’ARC et le ministère des Finances, les appelantes font valoir que la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en qualifiant, sans élément de preuve fourni par le ministère à l’appui d’une telle conclusion, leur demande de recherche à l’aveuglette exagérément excessive à laquelle il serait difficile de répondre.

IV.  L’analyse

[18]  À mon avis, aucun des arguments qui précèdent ne justifie une intervention.

[19]  Les deux derniers peuvent être réfutés rapidement. Pour ce qui est de la dernière prétention, étant donné la nature de la demande de communication contestée, laquelle vise la correspondance entre l’ARC et le ministère des Finances sur plus de dix ans relativement à l’échange de pertes fiscales, il était tout à fait loisible à la Cour de l’impôt de conclure que la demande consistait en une recherche à l’aveuglette à laquelle il aurait été difficile de répondre. Des demandes analogues ont été rejetées dans un contexte d’interrogatoire préalable pour des raisons tout à fait semblables (voir par exemple Kossow c. La Reine, 2008 CCI 422, au paragraphe 63, conf. par 2009 CAF 83, autorisation d’appel à la CSC rejetée 33163 [17 septembre 2009], où des demandes de production et des questions assez voisines ont été rejetées; voir aussi General Electric Capital Canada Inc. v. The Queen, 2008 TCC 668, aux paragraphes 13 et 15). De plus, le fait qu’une demande de divulgation de cette nature soit qualifiée de recherche à l’aveuglette me semble généralement aller de soi. Par conséquent, il n’y a pas lieu de fournir d’élément de preuve pour justifier le rejet d’une demande de production dont la portée est aussi vague, large et mal définie. La Cour de l’impôt n’a pas ainsi commis d’erreur susceptible de révision en concluant que cette demande de communication constituait une recherche à l’aveuglette à laquelle il aurait été difficile de répondre.

[20]  En ce qui concerne la prétendue erreur découlant du recours à l’article 241 de la LIR, d’après mon interprétation des motifs de la Cour de l’impôt, celle-ci ne fonde pas le rejet de la demande de production sur l’article 241 de la LIR, mais sur des questions de principe, puisqu’elle conclut que les documents en litige ne sont pas pertinents. Elle invoque tout simplement l’article 241 de la LIR comme motif supplémentaire pour rejeter la demande de communication. Bien que je ne souscrive pas forcément au raisonnement de la Cour de l’impôt quant à l’applicabilité de l’article 241 de la LIR, il ne m’apparaît pas nécessaire de nous attarder plus longuement à la question de l’article 241, car j’estime que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en concluant que les documents en litige étaient dénués de pertinence.

[21]  Pour en venir à la première prétention des appelantes, contrairement à ce qu’elles affirment, je suis d’avis que l’erreur reprochée soulève une question mixte de droit et de fait susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[22]  Dans l’arrêt Lehigh, notre Cour indique que l’argument selon lequel la Cour de l’impôt a commis une erreur dans une ordonnance de divulgation soulève une question mixte de fait et de droit, déclarant ce qui suit aux paragraphes 24 et 25 des motifs (la juge Dawson) :

Pour déterminer la portée de l’interrogatoire préalable autorisé, il convient d’examiner le contexte factuel et procédural de l’affaire, en tenant compte des principes juridiques applicables. Voir Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2007 CAF 379, 162 A.C.W.S. (3d) 911, au paragraphe 35. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Ltd., 2010 CAF 142, 407 N.R. 180, au paragraphe 13, « bien que les principes généraux établis par la jurisprudence soient utiles, ils n’énoncent pas de formule magique applicable à tous les cas. En la matière, la règle du cas par cas demeure de mise ».

En conséquence, la décision quant à savoir si une question donnée est autorisée repose essentiellement sur les faits. En appel, la décision du juge sera révisée à titre de décision sur une question mixte de fait et de droit. En conséquence, la Cour n’interviendra que lorsqu’une erreur manifeste et dominante ou une erreur de droit isolable est établie. Voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, et l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 35.

[23]  Dans l’arrêt Lehigh, notre Cour conclut que la Cour de l’impôt a appliqué le critère de communication préalable adéquat pour une affaire de cette nature, critère selon lequel est pertinente, à l’étape de la communication préalable, la question ou la demande de production en litige s’il est raisonnablement plausible qu’elle mène à l’obtention de renseignements susceptibles de permettre à la partie qui sollicite la réponse de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire. Notre Cour a conclu que la Cour de l’impôt avait appliqué ce critère afin d’établir la pertinence de la communication préalable des documents en litige et n’est donc pas intervenue.

[24]  Notre Cour a également appliqué le critère de l’erreur manifeste et dominante pour établir si l’instance inférieure avait commis une erreur dans ses décisions concernant la production, le refus ou des questions similaires liées à la communication préalable énoncé dans l’affaire Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, au paragraphe 79, et dans l’affaire 684761 B.C. Ltd. c. Canada, 2015 CAF 123, aux paragraphes 3 et 4. La juge Gauthier a observé au paragraphe 3 de cette décision que :

La question de savoir si une question particulière est recevable ou pertinente constitue habituellement une question mixte de fait et de droit. À moins que l’existence d’une erreur de droit isolable ne soit établie (comme l’utilisation du mauvais critère en ce qui a trait à la pertinence), la Cour interviendra seulement lorsque l’existence d’une erreur manifeste et dominante est établie (Canada c. Lehigh Cement Ltd., 2011 CAF 120, [2011] A.C.F. no 515, paragraphes 24 et 25, Grenon c. Canada, 2011 CAF 147, [2011] A.C.F. no 637, paragraphe 2, Reddy c. Canada, 2012 CAF 85, [2012] A.C.F. no 336, paragraphe 6).

[25]  Dans l’affaire qui nous occupe, la Cour de l’impôt a correctement énoncé les principes juridiques qui régissent la communication préalable aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs précités. En conséquence, la question pendante devant notre Cour est de savoir si la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant ces principes aux documents en litige.

[26]  Je ne puis conclure que la Cour de l’impôt a commis une telle erreur en raison du devoir de réserve qui m’est imposé par application de la norme de l’erreur manifeste et dominante. Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Cherevaty c. Canada, 2016 CAF 71, au paragraphe 14 (jugement rendu par le juge Webb), « [l]es juges ont un grand pouvoir discrétionnaire pour déterminer la pertinence lors de la communication préalable ». De plus, une erreur manifeste est une erreur évidente : Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF165, au paragraphe 46 (le juge Stratas); University Hill Holdings Inc. (589918 B.C. Ltd.) c. Canada, 2017 CAF 232, au paragraphe 18 (le juge Boivin).

[27]  La Cour de l’impôt n’a pas commis une telle erreur. Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la présente affaire n’est pas identique en tous points à l’affaire Lehigh. Dans Lehigh, contrairement à la présente affaire, le ministre a déterminé qu’il lui incombait de divulguer une note de service semblable à celle que l’ARC a envoyée le 8 mars 2004 au ministère des Finances et en a donc autorisé la production. Comme le fait remarquer à juste titre l’intimée, le raisonnement de la Cour de l’impôt et de notre Cour reposait, du moins en partie, sur le fait que le ministre avait concédé que la note de service était un document pouvant être produit. Faute de pareille concession dans la présente affaire, je ne puis conclure que la Cour de l’impôt a commis une erreur en tirant une conclusion différente de celle qui a été tirée dans l’affaire Lehigh.

[28]  Je constate également que, de toute façon, les documents en litige sont peu pertinents et probablement irrecevables puisque, selon l’analyse fondée sur la RGAE, la question de la politique qui sous-tend la LIR que le contribuable est présumé avoir contournée constitue, essentiellement, une question de droit. La Cour suprême du Canada souligne dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 44, que l’« interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu » afin d’en discerner le principe sous-jacent « est essentiellement une question de droit ». Il peut fort bien incomber au ministre, par souci d’équité, d’indiquer la politique contestée dans sa plaidoirie, comme le dit la décision Birchcliff Energy Ltd. v. Canada, [2012] T.C.J. No. 354 (le juge C. Miller), citée avec approbation dans la décision Superior Plus Corp. c. La Reine, 2015 CCI 132, aux paragraphes 20 et 21, mais il ne s’ensuit pas que les éléments de preuve relatifs à la politique en cause sont recevables dans un procès, puisque les questions de droit doivent être tranchées par un tribunal.

[29]  Étant donné la pertinence discutable des documents en litige et les différences entre la présente affaire et l’affaire Lehigh, je n’interviendrais pas pour modifier les ordonnances rendues par la Cour de l’impôt.

V.  Le dispositif proposé

[30]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais les appels, avec dépens.

« Mary J. L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-171-17

 

 

INTITULÉ :

MADISON PACIFIC PROPERTIES INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

ET DOSSIER :

A-172-17

 

 

INTITULÉ :

MP WESTERN PROPERTIES INC. 1073774 PROPERTIES INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 NOVEMBRE 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

David R. Davies

S. Natasha Reid

pour les appelantes

(MADISON PACIFIC PROPERTIES INC. et MP WESTERN PROPERTIES INC. 1073774 PROPERTIES INC.)

 

Perry Derksen

Jamie Hansen

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP

Tax Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES APPELANTES

(MADISON PACIFIC PROPERTIES INC. et MP WESTERN PROPERTIES INC. 1073774 PROPERTIES INC.)

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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