Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190131


Dossier : A-250-17

Référence : 2019 CAF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

 

CLIFF CALLIOU, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE KELLY LAKE QUI FONT PARTIE DES PEUPLES BEAVER, CRI ET IROQUOIS ET LA NATION CRIE DE KELLY LAKE

 

 

appelants

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD

 

 

intimée

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta) le 8 novembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 31 janvier 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS


Date : 20190131


Dossier : A-250-17

Référence : 2019 CAF 23

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

 

CLIFF CALLIOU, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE KELLY LAKE QUI FONT PARTIE DES PEUPLES BEAVER, CRI ET IROQUOIS ET LA NATION CRIE DE KELLY LAKE

 

 

appelants

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.  Aperçu

[1]  Les appelants, Cliff Calliou, en son nom et au nom des membres de la Nation crie de Kelly Lake, interjettent appel de la décision (2017 CF 791) par laquelle la Cour fédérale a rejeté le 31 août 2017 leur requête en appel de l’ordonnance de la protonotaire rendue le 7 février 2017 (T‑1685‑96), prononçant la suspension de l’instance au titre du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la Loi).

[2]  Il est nécessaire, à titre préliminaire, de corriger une erreur dans l’intitulé original du présent appel. Bien que les appelants désignent, en l’espèce, Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le ministre des Affaires autochtones et du Nord comme étant « intimés », en utilisant le pluriel de ce terme, il n’y a qu’une seule partie intimée dans l’appel, soit Sa Majesté la Reine. Par conséquent, notre Cour a modifié l’intitulé pour mettre le terme « intimé » au féminin singulier. Ce changement n’influe aucunement sur le fond ou l’issue du présent appel.

II.  Rappel des faits

[3]  En 1996, les appelants ont intenté contre l’intimée une action en vue d’obtenir une déclaration faisant état de leur titre ancestral, de leur titre indien et de leurs droits ancestraux sur certaines terres situées dans les provinces de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, dans une région connue sous le nom du Bloc de la rivière La Paix (les terres). Plus précisément, les terres sont délimitées au nord par la rivière La Paix, à l’ouest par une partie des montagnes Rocheuses en Colombie-Britannique, au sud par la frontière entre le Traité no 6 de 1876 et le Traité no 8, et à l’est par l’Alberta au sixième méridien. Dans le cadre de leur action, les appelants demandent également diverses mesures de réparation accessoires, dont une déclaration faisant état des atteintes à leurs titres du fait des permis, des autorisations, des baux, des contrats, des travaux et des activités visant les terres; une injonction permanente interdisant à l’intimée de poursuivre l’exploitation des terres; une déclaration faisant état du manquement de l’intimée à ses obligations envers les appelants, tant dans les domaines fiduciaires, fiduciaux, constitutionnels et légaux, qu’en common law et en equity. Invoquant la prétendue conduite illicite de l’intimée, les appelants lui réclament des dommages-intérêts de cinq milliards de dollars.

[4]  Le 9 juillet 2010, les appelants et d’autres plaignants ont saisi la Cour suprême de la Colombie-Britannique d’une action en revendication de leur titre et droits ancestraux les autorisant à pratiquer diverses activités traditionnelles sur les mêmes terres que celles revendiquées en l’espèce (l’action de la C.-B.). L’action de la C.-B. est toujours en cours. Une autre action visant les terres a été intentée en Cour du Banc de la Reine de l’Alberta au nom de M. Calliou et de la Kelly Lake First Nations Society, mais a été abandonnée le 25 juillet 1996.

III.  Ordonnance de la protonotaire

[5]  À la suite d’une requête de l’intimée, la protonotaire a conclu qu’il était dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance étant donné que la Cour suprême de la Colombie-Britannique était saisie d’une action concomitante et que l’instruction de l’affaire à la fois devant la Cour fédérale et la Cour suprême de la Colombie-Britannique pourrait donner lieu à des conclusions incohérentes. La protonotaire a également conclu que certaines des revendications des appelants ne relevaient pas de la compétence de la Cour fédérale puisqu’elles visaient des mesures de réparation ayant des répercussions sur les droits fonciers de la Colombie-Britannique et de l’Alberta. En outre, la protonotaire a statué que tous les éléments de l’action sur lesquels la Cour fédérale pourrait avoir compétence au final découleraient des revendications territoriales provinciales des appelants. Ce n’est que s’ils ont gain de cause à cet égard que les appelants pourront demander la prise des mesures de réparation supplémentaires qu’ils réclament.

[6]  Par conséquent, la protonotaire a décidé qu’il était dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance et de permettre aux cours supérieures provinciales de trancher les revendications territoriales. Elle a également décidé qu’au terme de l’action de la C.-B. ou de toute autre action que les appelants pourraient choisir de relancer en Alberta, l’une ou l’autre des parties pourront demander la levée de la suspension dans le but de régler les éléments en suspens associés aux revendications des appelants qui relèvent de la compétence de la Cour fédérale, s’il y a lieu.

IV.  Décision de la Cour fédérale

[7]  La Cour fédérale a débouté les appelants de leur appel de l’ordonnance en suspension d’instance rendue par la protonotaire, après avoir conclu à l’absence d’erreur dans cette décision. À l’instar de la protonotaire, la Cour fédérale a estimé que l’action est essentiellement liée aux terres et que la Cour fédérale n’a pas compétence pour faire des déclarations ou accorder des réparations ayant des répercussions sur les droits fonciers des provinces. La Cour fédérale a également rejeté les efforts faits par les appelants pour distinguer les faits de l’espèce de ceux en cause dans les instances intéressant le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. La Cour fédérale a précisé que toutes les provinces ont compétence sur les terres et les ressources naturelles situées sur leur territoire, sous réserve de tout droit ancestral existant ou issu de traités. À son avis, n’était pas fondée la revendication des appelants selon laquelle les terres ne sont pas des terres provinciales suivant le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest (1870) (R.‑U.) (reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 9) et la Loi constitutionnelle de 1930 (R.‑U.), 20-21 Geo. V., ch. 26.

[8]  La Cour fédérale a également statué que la protonotaire avait eu raison de conclure qu’au terme de l’action de la C.-B. ou de toute autre action provinciale qu’ils pourraient intenter relativement aux terres, les appelants pourront demander la levée de la suspension, permettant ainsi à la Cour fédérale de trancher les revendications territoriales connexes sur lesquelles elle a compétence. S’agissant de l’erreur que la protonotaire aurait commise en ne tenant pas compte des articles 19 et 25 de la Loi, la Cour fédérale a déclaré que ces dispositions ne s’appliquaient pas en l’espèce. L’article 25 ne s’applique que si aucun autre tribunal n’a compétence, ce qui, selon la Cour fédérale, n’est pas le cas en l’espèce, étant donné l’instruction de l’action de la C.‑B. intentée par les appelants. De même, la Cour fédérale a conclu que l’article 19 ne lui confère pas compétence, puisque cette disposition ne peut être invoquée qu’en cas de mise en cause par le Canada d’une Couronne provinciale, ce qu’il n’a pas fait dans la présente affaire.

V.  Norme de contrôle

[9]  Les décisions discrétionnaires des protonotaires sont susceptibles de contrôle judiciaire suivant les principes énoncés dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, par. 66 à 79, [2017] 1 R.C.F. 331 (Hospira)). Lorsque la Cour fédérale confirme une décision discrétionnaire rendue par un protonotaire, notre Cour doit examiner la décision du protonotaire de manière à décider si la Cour fédérale a commis une erreur de droit, ou une erreur manifeste et dominante, en refusant de modifier la décision du protonotaire (Sikes c. Encana Corp., 2017 CAF 37, par. 12, [2017] A.C.F. no 196 (QL); Hospira, par. 83 et 84).

VI.  Question en litige

[10]  Notre Cour doit uniquement décider en l’espèce si la Cour fédérale a eu tort de confirmer l’ordonnance en suspension d’instance prononcée par la protonotaire au titre du paragraphe 50(1) de la Loi.

VII.  Analyse

[11]  Le paragraphe 50(1) de la Loi prévoit que la Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance de la façon suivante :

Suspension d’instance

50(1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

[12]  Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans la décision de la Cour fédérale de confirmer la décision discrétionnaire par laquelle la protonotaire a suspendu l’instance au motif que l’intérêt de la justice exigeait une telle mesure visant à écarter la possibilité du prononcé de décisions contradictoires au terme de procédures parallèles, suivant l’alinéa 50(1)b) de la Loi (Innus de Uashat Mak Manu-Utenam c. Canada, 2016 CAF 156, par. 9, [2016] A.C.F. no 546 (QL)). Par conséquent, je suis d’avis que notre Cour n’est pas tenue de décider si le paragraphe 50(1) de la Loi confère à la Cour fédérale compétence pour trancher les questions touchant les terres provinciales. Toutefois, il me semble que, dans le cas d’une demande de suspension fondée sur l’absence de compétence de la Cour fédérale, qui aboutirait généralement à une décision mettant fin à l’instance, il serait préférable que l’auteur de la demande présente plutôt une requête en radiation de certaines parties, afin que la question de la compétence soit réglée de façon définitive et que son réexamen soit évité en cas de suspension et d’instruction de l’affaire.

VIII.  Conclusion

[13]  Je rejetterais l’appel avec dépens.

« D.G. Near »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Andrée Morin, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE

LE 31 AOÛT 2017, RÉFÉRENCE NO 2017 CF 791 (DOSSIER NO T-1685-96)

DOSSIER :

A-250-17

 

INTITULÉ :

CLIFF CALLIOU ET AL. c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 NOVEMBRE 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Me Priscilla Kennedy

POUR LES APPELANTS

Me Cynthia J. Dickins

Me Kathleen Pinno

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LES APPELANTS

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

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