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Date : 20081120

Dossier : A-36-08

Référence : 2008 CAF 360

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE RYER                   

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CAROLYN BREDIN

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                                  LE JUGE RYER

 

 


Date : 20081120

Dossier : A-36-08

Référence : 2008 CAF 360

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE RYER                   

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CAROLYN BREDIN

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

Vue d’ensemble

[1]               L’appelante interjette appel devant la Cour de l’ordonnance (2007 CF 1361), en date du 21 décembre 2007, par laquelle le juge Frenette (le juge des requêtes) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 17 février 2007 par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission).

 

[2]               Exerçant le pouvoir que lui confère l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), la Commission a refusé de statuer sur la plainte que l’appelante avait déposée le 10 mai 2005 au motif que : a) la plainte avait été déposée hors délai, étant donné qu’elle était fondée sur des faits survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte et ; b) les raisons invoquées pour justifier le retard n’étaient pas suffisantes pour justifier l’exercice, par la Commission, de son pouvoir discrétionnaire de manière à accepter d’examiner la plainte (décision de la Commission, dossier d’appel, onglet 4, à la page 38).

 

[3]               C’est la seconde fois que l’appelante conteste la décision de la Commission. En réponse à la demande de contrôle judiciaire présentée dans un premier temps par l’appelante, le juge Blanchard a fait droit à la demande et a renvoyé l’affaire à la Commission pour qu’elle la juge de nouveau parce que les motifs de la Commission étaient insuffisants (Bredin c. Canada, 2006 CF 1178 (Bredin 1)).

 

[4]               Après examen des motifs exposés par la Commission à la suite de la décision Bredin 1, le juge des requêtes a estimé que le point de vue adopté par la Commission était raisonnable et il a rejeté la demande. D’où le présent appel, dont je propose le rejet.

 

[5]               L’appelante ne conteste pas que sa plainte a été présentée hors délai. La question qui se pose en l’espèce est donc de savoir si l’appelante s’est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait d’offrir une explication satisfaisante pour justifier le délai, délai que la Commission pourrait estimer indiqué dans les circonstances (alinéa 41(1)e) de la Loi).

 

Les faits

[6]               Gardant ces éléments à l’esprit, les faits pertinents peuvent être résumés brièvement.

 

[7]               L’appelante a commencé sa carrière en 1979 comme employée de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC, l’intimée devant la Commission). Elle a par la suite été mutée au ministère de la Justice le 30 avril 2001. En 1992, une grave dépression a été diagnostiquée chez l’appelante, qui a alors pris un congé d’invalidité. Elle est revenue au travail graduellement entre le 4 octobre 1993 et le 29 novembre 1995, date où elle est redevenue employée à temps plein. Au cours de la période mentionnée, elle était considérée comme étant une employée à temps partiel (motifs du jugement, aux paragraphes 4 et 5).

 

[8]               Dans la plainte qu’elle a déposée devant la Commission, l’appelante a allégué que CIC (l’intimée) l’avait traitée d’une manière préjudiciable en raison de son invalidité en refusant de modifier son statut d’employée à temps partiel à celui d’employée à temps plein pour la période en question. En raison du refus de l’intimée (18 décembre 2001), l’appelante n’avait pas été en mesure de racheter une partie de ses états de service pour la période de 1993 à 1995, ce qui avait eu de graves répercussions sur ses droits à pension (rapport d’analyse relatif à l’article 41, dossier d’appel, onglet 4, à la page 42, au paragraphe 1; mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 2). L’appelante affirme qu’elle a été mal informée au sujet des incidences de son statut professionnel d’employée à temps partiel.

 

[9]               Avant de déposer sa plainte devant la Commission, l’appelante avait, par l’entremise du ministère de la Justice, entamé un processus informel de révision auprès de la CIC relativement à cette affaire (rapport d’analyse relatif à l’article 41, dossier d’appel, onglet 4, à la page 5, au paragraphe 26).

 

[10]           Ce processus informel de révision s’est soldé par une décision en date du 11 juillet 2003 par laquelle CIC a informé l’appelante de sa décision [traduction] « … de ne pas modifier son statut d’employée pour la période en cause ». L’appelante se fonde sur cette lettre pour affirmer qu’elle a été victime d’une différence de traitement (Bredin 1, au paragraphe 53).

 

Décision de la Commission

[11]           L’enquêteuse de la Commission a conclu que la lettre adressée le 11 juillet 2003 par CIC à l’appelante avait [traduction] « marqué le début du délai de prescription d’un an » pour le dépôt de la plainte (rapport d’analyse relatif à l’article 41, dossier d’appel, onglet 4, à la page 45, au paragraphe 24).

 

[12]           L’enquêteuse a écrit ce qui suit :

[traduction]

a.       […] Cette lettre informe la plaignante que l’intimée a refusé sa demande (visant à modifier son statut d’employée à temps partiel à celui d’employée à temps plein pour la période du 4 octobre 1993 au 29 novembre 1995). De plus, cette lettre aborde expressément l’allégation de la plaignante suivant laquelle son conseiller en rémunération et en avantages sociaux l’avait mal informée au sujet des incidences de son statut d’employée à temps partiel lors de son retour au travail en 1993. Pour respecter le délai prescrit, il aurait fallu que la plaignante communique avec la Commission au plus tard le 11 juillet 2004. La plaignante a contacté pour la première fois la Commission le 5 avril 2005, presque deux ans après avoir pris connaissance de la décision prise par l’intimée le 11 juillet 2003. Même si la plaignante souffre toujours des conséquences des actes discriminatoires reprochés, aucun nouvel acte discriminatoire n’aurait été commis depuis le 11 juillet 2003.

 

b.                   Bien que la plaignante ait soumis des éléments de preuve suivant lesquels elle a été soignée par un psychiatre pour une dépression majeure à partir de mai 2003, et que son psychiatre ait affirmé que « son état a nui à sa capacité de fonctionner et d’exécuter des tâches en temps voulu », il ressort de la preuve que la plaignante a maintenu pendant ce temps le contact avec son employeur (qui a assuré le suivi auprès de l’intimée pour elle) et qu’elle a entamé un processus informel de révision auprès de l’intimée au sujet de son statut d’employée. La preuve indique par conséquent que la plaignante aurait pu porter plainte à la Commission dans les délais prescrits si elle avait choisi cette voie.

 

c.                   Le retard qu’accusait le dépôt de la plainte ne semble pas être entaché de mauvaise foi. Toutefois, les mesures prises par la plaignante pour tenter de régler la question de façon informelle ne justifient pas le retard. La Loi canadienne sur les droits de la personne n’exige pas que les plaignants épuisent les autres recours dont ils disposent avant de déposer une plainte. La plaignante aurait pu porter plainte immédiatement après que l’intimée lui communiquât sa décision et la Commission aurait alors pu exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 41(1) pour inviter la plaignante à exercer un autre recours.

 

 

Décision de la Cour fédérale

 

[13]           Le juge des requêtes a conclu que la décision de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable dans les circonstances (motifs du jugement, au paragraphe 68).

 

[14]           Aux paragraphes 57 et 58, le juge des requêtes a écrit :

[57]           L’enquêteuse a pris acte du fait qu’en 2003, un diagnostic de dépression sévère avait été posé dans le cas de la demanderesse et que celle-ci soutenait que son invalidité la rendait incapable de présenter une plainte formelle de violation des droits de la personne. Dans sa lettre, le docteur Vervaeke ne déclare cependant pas explicitement que l’état de la demanderesse la rendait incapable de se prévaloir de la procédure de traitement des plaintes de la Commission.

 

[58]           L’enquêteuse a également fait observer que la demanderesse avait décidé de poursuivre sa demande de modification de son statut professionnel de manière informelle. Elle avait reçu une lettre et avait eu deux conversations téléphoniques au cours de cette période. Je tiens par ailleurs à signaler qu’une dépression sévère a été diagnostiquée chez la demanderesse en mai 2003 et qu’elle a repris le travail en juin 2005. Elle a été en mesure de déposer sa plainte le 10 mai 2005 mais elle n’a pas démontré à quel moment elle s’était sentie assez bien pour pouvoir déposer sa plainte. Dans l’intervalle, elle continuait à communiquer avec son employeur de manière informelle. 

 

 

[15]           Le juge des requêtes a également conclu ce qui suit :

[…] la demanderesse était en mesure de dissiper les réserves exprimées dans le second rapport d’enquête et […] elle a eu une occasion suffisante de soumettre à la Commission les éléments de preuve qu’elle estimait pertinents pour l’aider à prendre sa décision (ibid., au paragraphe 52).

 

 

[16]           Le jugement frappé d’appel a été rendu avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Les parties conviennent que, depuis l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle des décisions de la Commission en ce qui concerne l’application de son pouvoir discrétionnaire aux faits de l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse et conclusion

[17]           Je suis d’accord avec le juge des requêtes pour dire que « [b]ien que la Cour n’aurait peut-être pas tiré la même conclusion, la preuve est suffisante pour justifier la conclusion de la Commission et notre intervention n’est pas justifiée » (ibid., au paragraphe 40). En tirant cette conclusion, le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante.

 

[18]           Il incombait à l’appelante de soumettre un dossier complet à la Commission et de lui fournir des motifs suffisants pour qu’elle accepte de statuer sur la plainte malgré le fait que celle‑ci avait été déposée après l’expiration du délai.

 

[19]           La Commission a examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait, ainsi qu’elle devait le faire suivant la décision Bredin 1 (précitée, au paragraphe 61) et, comme le juge des requêtes l’a conclu, elle a rendu une décision raisonnable.

 

[20]           Je propose donc de rejeter l’appel avec dépens devant notre Cour.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-36-08

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 21 DÉCEMBRE 2007 PAR LE JUGE FRENETTE (2007 CF 1361)

 

INTITULÉ :                                                                           Carolyn Bredin c.

                                                                                                Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE RYER

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 20 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

ALISON DEWAR

ANDREW ASTRITIS

POUR L’APPELANTE

 

 

AGNIESZKA ZAGORSKA

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE & YAZBECK

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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