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Date : 20030127

 

Dossier : A‑666‑01

 

Référence neutre : 2003 CAF 38

 

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

 

 

ENTRE :

 

                                                               LARRY W. RICH

 

                                                                                                                                              appelant

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                                intimée

 

 

 

                                   Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 octobre 2002.

 

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2003.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE ROTHSTEIN

 

Y A SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE DÉCARY

 

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                                        LE JUGE EVANS


Date : 20030127

 

Dossier : A‑666‑01

 

Référence neutre : 2003 CAF 38

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

 

                                                               LARRY W. RICH

 

                                                                                                                                              appelant

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                                intimée

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE ROTHSTEIN

 

POINT EN LITIGE

 

[1]               Il s’agit de savoir, dans le présent appel, si l’appelant a droit, dans sa déclaration de revenus de 1995, à une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise (PDPE), perte qui se chiffre à 93 758 $ (75 p. 100 d’une créance de 125 000 $). La perte résultait d’une créance de l’appelant que l’appelant n’avait pu recouvrer auprès de la débitrice, DSM Foods Inc., une société exploitée par le fils de l’appelant. L’appelant a droit à la déduction de 93 758 $ aux conditions suivantes :

1.         DSM devait 125 000 $ à l’appelant;


2.         la dette avait été contractée en vue de tirer un revenu;

3.         DSM était en 1995 une petite entreprise admissible; et

4.         la créance est devenue irrécouvrable en 1995.

 

DÉCISION DU JUGE DE LA COUR DE L’IMPÔT

[2]               Le juge de la Cour de l’impôt a statué ainsi :

1.         il y avait une créance;

2.         la raison première du prêt était que l’appelant voulait aider son fils et non recueillir des intérêts ou des dividendes (l’appelant était propriétaire de 25 p. 100 du capital de DSM);

3.         il avait été admis que DSM était une petite entreprise en 1995; et

4.         l’évaluation que l’appelant avait fait de sa créance ne permettait pas de dire que l’appelant avait conclu honnêtement et à juste titre que la créance était devenue irrécouvrable.

 

[3]               Le juge de la Cour de l’impôt a examiné minutieusement la preuve comptable englobant la période de 1989 à 1995 inclusivement, mais, puisqu’à son avis la preuve n’avait pas été faite que la créance était devenue irrécouvrable en 1995, il a jugé inutile de « débattre plus longuement de la détermination du montant de la créance ».

 


LES RÈGLES RELATIVES À LA PDPE

[4]               Dans son ouvrage intitulé Fundamentals of Canadian Income Tax, 6e éd, (Toronto : Carswell, 2000), à la page 423, le professeur Krishna explique qu’une PDPE est un genre spécial de perte en capital qui bénéficie d’un traitement préférentiel aux fins de l’impôt sur le revenu. Une PDPE se produit lorsqu’il est disposé d’actions ou de créances d’une société exploitant une petite entreprise. Une société exploitant une petite entreprise est une société privée sous contrôle canadien qui utilise la totalité ou presque de ses actifs dans une entreprise active au Canada (voir Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, (5e suppl.), paragraphe 248(1)).

 

[5]               À moins que le prêteur n’ait pour métier de prêter de l’argent, une créance irrécouvrable sera en général considérée comme une perte en capital. Cependant, contrairement aux pertes en capital ordinaires, qui ne peuvent être déduites que de gains en capital, une PDPE peut être déduite du revenu tiré de toutes sources.

 

[6]               En 1995, la PDPE représentait 75 p. 100 de la perte au titre d’un placement d’entreprise (voir Loi de l’impôt sur le revenu, alinéa 38c)).

 


[7]               L’avocat de l’appelant a expliqué que l’objet des règles relatives à la PDPE était d’encourager les investissements dans les sociétés exploitant des petites entreprises. Lorsqu’une créance ne peut être recouvrée d’une société exploitant une petite entreprise, elle peut être déduite du revenu du prêteur tiré de toutes sources, bien que le montant de la déduction soit limité comme il est indiqué au paragraphe 6. L’avocat a aussi fait observer que les prêts aux sociétés exploitant des petites entreprises étaient souvent consentis dans un contexte marqué par un lien de dépendance. En l’espèce, l’appelant ne prétendait pas être un prêteur et voulait simplement déduire la PDPE résultant de sa perte sur le prêt consenti à DSM.

 

LE PRÊT A‑T‑IL ÉTÉ CONSENTI DANS LE DESSEIN DE TIRER UN REVENU?

[8]               Le sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que, pour qu’il y ait PDPE, la créance doit avoir été acquise dans le dessein de tirer un revenu. Voici le texte du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) :

40(2) Malgré le paragraphe (1):

 

[...]

40(2) Notwithstanding subsection 40(1),

[...]

g) est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d’un bien, dans la mesure où elle est :

(g) a taxpayer’s loss, if any, from the disposition of a property, to the extent that it is

(i) [...],

(ii) une perte résultant de la disposition d’une créance ou d’un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n’est pas un revenu exonéré) d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance,

 

(i) [...]

(ii) a loss from the disposition of a debt or other right to receive an amount, unless the debt or right, as the case may be, was acquired by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from a business or property (other than exempt income) or as consideration for the disposition of capital property to a person with whom the taxpayer was dealing at arm’s length,

 

 


Le ministre concède que, bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’objet exclusif ni même l’objet premier du prêt soit de tirer un revenu, cela suffit, dans la mesure où il s’agit de l’un des objets du prêt, pour que soient remplies les conditions du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) (voir l’arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, au paragraphe 50). Je crois que le juge de la Cour de l’impôt était lui aussi de cet avis, d’après les observations qu’il a faites au cours des arguments exposés devant lui, à la page 388 de la transcription :

[traduction]

Le juge : Monsieur Sood, donnez‑vous à entendre que les sommes ont été avancées en raison uniquement du lien de parenté?

 

 

M. Sood : Monsieur le juge, si ce n’est pas la seule raison, alors c’est effectivement la raison principale.

 

 

Le juge : Mais il y a une différence de taille ici, entre la raison principale et la seule raison, je veux dire qu’il peut y avoir un grand nombre de raisons.

 

 

 

[9]               Selon la preuve documentaire, le prêt devait porter intérêt, et l’on n’a conclu à l’existence d’aucune opération fictive ni d’aucun maquillage. D’ailleurs, l’appelant détenait 25 p. 100 du capital de DSM.

 

[10]           Le juge de la Cour de l’impôt a estimé que la raison première du prêt était que l’appelant voulait aider son fils et l’entreprise de celui‑ci. Au paragraphe 31, il a écrit :

Le père aidait son fils et l’entreprise de celui‑ci, et il s’attendait à être remboursé. Voilà à mon avis le but prédominant, alors que le but normal d’un investisseur commercial de bonne foi, qui est de toucher des intérêts et des dividendes, constituait en l’espèce un faible espoir.

 

 


La conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle le « but prédominant » du prêt était d’aider le fils suppose nécessairement qu’il y avait un but secondaire. Selon la preuve, le prêt devait porter intérêt. D’ailleurs, l’appelant était un actionnaire de DSM, ce qui lui donnait droit à des dividendes. La Cour ne cherchera pas à deviner le sens des affaires que peut avoir un contribuable (voir l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 C.S.C. 46, au paragraphe 55). Le but secondaire est suffisant. La condition du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) est remplie.

 

LA CRÉANCE EST‑ELLE DEVENUE IRRÉCOUVRABLE EN 1995?

[11]           Le juge de la Cour de l’impôt a estimé que l’appelant avait été prompt à radier la créance, ce qui selon lui n’était pas raisonnable. Il a exprimé l’avis que l’appelant devait faire de réels efforts pour tenter de recouvrer sa créance avant de la déclarer irrécouvrable. Voici ses motifs, aux paragraphes 28 et 29 :

[28] L’appelant a‑t‑il fait une évaluation honnête et raisonnable au 31 décembre 1995, et y a‑t‑il procédé selon une approche commerciale pratique? Tout d’abord, l’appelant n’aurait pas pu se fonder sur les états financiers du 31 octobre 1995, car il appert que la première version n’a pas été publiée avant juillet 1996. Ces états indiquaient une perte nette d’environ 65 000 $, mais aussi la radiation du prêt aux actionnaires de 125 000 $. Ces états ont été révisés par la suite par l’appelant pour indiquer que le prêt n’avait en fait pas été radié. Le fait d’invoquer la perte du contrat Costco est aussi quelque peu suspect, car Michael Rich a déclaré que ce contrat était trop coûteux à maintenir. Il s’agit donc en fait d’un défaut de remboursement de DSM qui a occasionné la demande de l’appelant à son fils, puis la réponse de ce dernier. Il n’y a pas eu d’autre communication entre l’appelant et son fils par la suite. Il n’existait aucune preuve montrant que l’appelant, en sa qualité de propriétaire de DSM ou de conseiller comptable professionnel pour DSM, a envisagé des arrangements possibles, a participé à la recherche d’autres options de refinancement, a projeté un flux monétaire futur ou a fait quoi que ce soit d’autre pour aider DSM à régler ses problèmes financiers. Je ne parle pas ici d’épuiser tous les recours judiciaires de recouvrement, je fais davantage référence à des mesures proactives destinées à venir en aide à DSM, plutôt qu’à des mesures coercitives contre elle. En fait, l’appelant n’a pris aucune de ces mesures.

 

 


[29] L’appelant et son fils ont tous deux affirmé qu’une action de l’appelant contre DSM mettrait la société en faillite. Ils ont cependant déclaré qu’ils n’avaient même pas parlé d’une action quelconque, qu’elle soit positive ou négative. Je conclus que l’appelant, plutôt que d’adopter une approche vraiment commerciale, a profité de l’occasion pour radier cette créance avant le temps, une décision que, tout compte fait, je ne trouve pas raisonnable. Il ne s’agit pas d’une affaire de créance sans lien de dépendance. L’appelant était propriétaire à 25 p. 100 d’une entreprise familiale exploitée par son fils. Le cabinet de comptables agréés de l’appelant était aussi le cabinet de comptables de l’entreprise. Dans de telles circonstances, je m’attends à ce que l’appelant intervienne de façon concrète pour s’assurer de l’acquittement de sa créance avant de la déclarer irrécouvrable. Sa lettre du 17 septembre 1995, qui n’a été suivie d’aucune autre action, n’a pas suffi. Je suis d’avis que l’évaluation de la créance faite par l’appelant en décembre 1995 ne constituait pas une façon honnête et raisonnable de déterminer que la créance s’est révélée irrécouvrable.

 

 

 

[12]           Pour savoir si une créance est irrécouvrable, il faut considérer les faits à une date donnée, par exemple le 31 décembre 1995. La Loi de l’impôt sur le revenu ne précise pas les facteurs à prendre en compte pour savoir si une créance est ou non recouvrable. Cependant, les jugements rendus par la Commission d’appel de l’impôt dans l’affaire Hogan c. Le Ministre du Revenu national, 56 D.T.C. 183 et dans l’affaire No. 81 c. Le Ministre du Revenu national, 53 D.T.C. 98, indiquent certains des facteurs dont il convient de tenir compte. Après que le créancier a considéré lui‑même les facteurs à retenir, il s’agit de savoir s’il a honnêtement et avec raison décidé que la créance était irrécouvrable.

 

[13]           Je résumerais ainsi les facteurs qui, à mon sens, devraient en général être pris en compte lorsqu’on veut savoir si une créance est devenue irrécouvrable :

1.         l’historique et l’âge de la créance;

2.         la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne‑t‑il un revenu ou essuie‑t‑il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

3.         l’évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures;

4.         l’encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;


5.         les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

6.         les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l’ensemble des débiteurs et dans la branche d’activités du débiteur; et

7.         l’expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables.

Cette liste n’est pas limitative et, selon les circonstances, un facteur ou un autre pourra prendre une importance accrue.

 

[14]           Les perspectives de la société débitrice peuvent présenter un intérêt dans certains cas, mais les considérations premières seraient en général liées au passé ou au présent. S’il est établi qu’un événement se produira probablement dans l’avenir et que cet événement donne à penser que la créance sera recouvrable lorsqu’il surviendra, alors l’événement en question devra être pris en compte. Si les considérations futures ne sont que des conjectures, elles n’interviendront pas lorsqu’on se demandera si une créance exigible est recouvrable.

 

[15]           Il n’est pas nécessaire non plus pour un créancier d’épuiser tous les moyens possibles de recouvrement. Ce qu’il faut, c’est une évaluation honnête et raisonnable. D’ailleurs, lorsqu’une créance irrécouvrable est par la suite recouvrée en totalité ou en partie, la somme recouvrée est considérée comme un revenu de l’année du recouvrement.

 


[16]           Il peut être utile également dans certains cas de savoir si la relation entre le créancier et le débiteur est ou non une relation de dépendance. Toutefois, la considération première sera l’aptitude du débiteur à rembourser la dette en totalité ou en partie. Une relation de dépendance pourra justifier un examen plus attentif qu’une relation sans lien de dépendance. Mais l’existence d’une relation de dépendance ne permet pas à elle seule, sans plus, d’affirmer que le créancier n’a pas décidé honnêtement et avec raison que la créance était irrécouvrable.

 

[17]           Plus tôt dans ses motifs, et bien avant qu’il ne se demande si la créance était irrécouvrable, le juge de la Cour de l’impôt a décrit la situation financière de DSM au cours des années 90 ainsi qu’au 31 décembre 1995. Au paragraphe 13, il écrivait :

[13] Dépendant de prêts familiaux, l’exploitation de DSM au début des années 1990 paraît avoir été plutôt limitée sur le plan financier. De 1991 à 1993, la société paraissait avoir atteint le seuil de rentabilité, quoique peu de salaires paraissent avoir été versés à la famille Rich. De 1993 à 1995, les ventes ont augmenté de façon considérable, mais cette hausse paraît être attribuable au compte Costco, qui n’a occasionné aucun bénéfice mais simplement une hausse du flux monétaire. Ce problème paraît être devenu sérieux en 1995. Les marges ordinaires pour l’entreprise étaient de 30 à 38 p. 100, selon Michael, mais les marges liées à Costco avaient chuté de 20 p. 100. À la fin de 1995, le flux monétaire de DSM était négatif. La société devait également environ 184 000 $ à son fournisseur principal, Select Foods, et un accord devait obligatoirement être conclu pour assurer un approvisionnement continu. Puis Costco a mis fin à son contrat. Selon Michael, même si DSM perdait de l’argent avec Costco, ce contrat procurait à la société les deux tiers de son flux monétaire. La société a perdu environ 65 000 $ en 1995.

 

 

 

[18]           Le juge s’est exprimé ainsi sur la situation, dans une question posée durant les plaidoiries à l’avocat du ministre :

[traduction]

Le juge : Monsieur Sood, doit‑on cependant perdre sa peine et son temps? Est‑ce là ce que vous dites? Je veux dire, il écrit une lettre, il obtient une réponse de son fils, qui lui dit essentiellement : « Tu ne seras pas payé ». Il sait à ce moment‑là que l’entreprise avait au mieux des difficultés et au pire ne s’en relèverait peut‑être pas.


 

Quelles autres mesures croyez‑vous qu’il doive prendre avant qu’il ne puisse raisonnablement conclure qu’il ne sera pas remboursé?

 

 

L’avocat du ministre, s’appuyant sur le bulletin d’interprétation 159R3, a alors fait valoir devant le juge de la Cour de l’impôt qu’une créance ne peut être considérée irrécouvrable tant que le créancier n’a pas épuisé tous les moyens légaux de recouvrement, ajoutant que ce serait faire fi de la jurisprudence si une simple lettre adressée par un père à son fils, comme dans le cas présent, devait être considérée comme un effort de recouvrement suffisant pour autoriser la radiation d’une créance. Voici la réponse du juge de la Cour de l’impôt :

[traduction]

Le juge : Monsieur Sood, je ne crois pas que ce serait faire fi de la jurisprudence. Cela dépendra des circonstances et, vous savez, vous me renvoyez à ce que dit le bulletin d’interprétation, mais je n’ai pas encore eu affaire à un cas semblable où le contribuable a dû se donner un mal fou avant de conclure que sa créance était irrécouvrable si dans son esprit il était évident qu’il n’allait pas être payé.

 

 

Si vous avez connaissance d’un précédent auquel je puisse me raccrocher, je serais heureux de l’entendre. Mais, vous savez, les bulletins d’interprétation ne sont rien d’autres que des bulletins d’interprétation.

 

 

Naturellement, il est loisible au juge de la Cour de l’impôt, après réflexion, d’exprimer un avis différent de celui qu’il avait durant la procédure. Cependant, la conclusion à laquelle il est finalement arrivé doit être fondée sur la preuve et sur la bonne application du critère qu’il convient d’appliquer pour savoir si la créance est irrécouvrable.

 

[19]           Compte tenu des facteurs devant généralement être examinés et à propos desquels des éléments de preuve ont été produits, les considérations qui suivent sont à propos. Le juge de la Cour de l’impôt s’est référé à certaines d’entre elles au début de ses motifs, mais elles ne semblent pas avoir été prises en compte lorsqu’il s’est demandé si la créance était irrécouvrable le 31 décembre 1995.


 

1.         Historique et âge de la créance

La créance est apparue en 1989. Le compte de prêt de l’appelant auprès de l’entreprise a varié considérablement en 1990, 1991 et 1992. Par la suite, le prêt a fluctué quelque peu, mais a toujours été voisin de 125 000 $. Il n’y a eu aucune variation du compte de prêt durant 1995. En 1994, un accord général de sûreté fut conclu entre DSM, l’appelant et un autre créancier, L. Barkin Investments Limited, qui appartenait au beau‑père de l’appelant. L’accord de sûreté garantissait leurs positions en tant que créanciers de DSM. La créance de l’appelant était chiffrée à 130 000 $. L’accord de sûreté devait s’appliquer tant aux créances futures qu’aux créances actuelles. Cependant, la créance de Barkin avait priorité sur celle de l’appelant.

 

2.         La situation financière de DSM

Comme l’avait constaté le juge de la Cour de l’impôt, la preuve a révélé ce qui suit :

1.         la situation financière de l’entreprise a été plutôt difficile jusqu’au début des années 90;

2.         durant cette période, l’entreprise semblait se trouver au seuil de rentabilité;

3.         des rémunérations modestes étaient versées à la famille Rich;

4.         Costco était le principal client de DSM puisqu’elle représentait les deux tiers de sa trésorerie;


5.         Costco a cessé d’être cliente en décembre 1995;

6.         à la fin de 1995, DSM fonctionnait sur une trésorerie négative; et

7.         à la fin de 1995, DSM devait 184 000 $ à son principal fournisseur, et il fallait absolument que des dispositions soient prises pour garantir le maintien des approvisionnements.

 

Au début de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a exposé les points saillants des états financiers de DSM pour les années 1989 à 1995 inclusivement. Les états financiers montraient que, pour chaque année, DSM avait un fonds de roulement négatif et, à la fin de chacune des années 1989 à 1994, elle a accusé un déficit total de son compte de capitaux propres, selon les sommes suivantes :

1989    ‑           187 324 $

1990    ‑           258 236 $

1991    ‑           261 403 $

1992    ‑           259 752 $

1993    ‑           292 207 $

1994    ‑           258 793 $

Le déficit de 1995 était de 324 420 $, mais, selon le juge de la Cour de l’impôt, les états financiers de 1995 n’auraient pas été entre les mains de l’appelant le 31 décembre et, par conséquent, ce montant ne pouvait être pris en compte. Néanmoins, pour chacune des années antérieures, l’entreprise accusait un déficit important.


3.         Évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures

Le compte Costco venait d’être perdu. À cette époque, Costco représentait environ les deux tiers du chiffre d’affaires de DSM.

 

4.         Encaisse et comptes clients, et évolution par rapport aux années antérieures

Les états financiers montrent que, tout au long de la période 1989 à 1994, l’entreprise avait peu ou pas d’encaisse en fin d’exercice. Ses comptes clients avaient atteint un sommet de 73 185 $ en 1994, contre 54 919 $ l’année antérieure et 20 000 $ à 30 000 $ les années auparavant. Cependant, les comptes clients avaient été cédés par nantissement à la banque, en vertu d’une cession générale de comptes clients.

 

5.         Comptes fournisseurs et évolution par rapport aux années antérieures

La créance de la banque, qui était de 110 995 $ à la fin de 1989, était réduite graduellement de telle sorte qu’à la fin de 1994, elle se chiffrait à 44 192 $. À la fin de 1995, elle était de 34 884 $. Simultanément, d’autres dettes augmentaient. La preuve ne dit pas si la banque avait exercé des pressions sur DSM pour le remboursement de sa dette. Mais il a été établi que, dès 1996, la banque souhaitait résilier son prêt à l’entreprise, ce qu’elle fit.

 


Les autres dettes avaient été de 59 686 $ en 1991, pour atteindre 215 850 $ en 1994. À la fin de 1995, elles se chiffraient à 219 893 $. À cette date, les dettes comprenaient la somme que DSM devait à son principal fournisseur, soit 184 000 $.

 

[20]           Chacun des faits passés et présents, avancés comme preuve devant le juge de la Cour de l’impôt et se rapportant à la situation de l’entreprise, était négatif. La créance de l’appelant avait quelques années et l’appelant n’avait reçu aucun paiement au cours des années récentes. Sa créance prenait rang après celle de Barkin, et les comptes clients de l’entreprise avaient été cédés à la banque. Quant aux comptes fournisseurs de l’entreprise, qui atteignaient près de 220 000 $, 85 p. 100 étaient attribuables à son principal fournisseur. Pour que l’entreprise continue d’être approvisionnée, des dispositions devaient être prises avec ce fournisseur. Les deux tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise avaient disparu depuis que Costco n’était plus cliente. Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas tenu compte de la perte de Costco parce que l’entreprise perdait de l’argent avec cette cliente, mais la perte d’un client aussi important ne pouvait être jugée sans intérêt pour l’avenir de l’entreprise. L’actif et le passif, de même que le déficit du compte des capitaux propres, tout cela prouvait que l’entreprise était aux prises avec des difficultés, sinon au bord de la faillite.

 


[21]           Néanmoins, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’appelant « a été prompt à radier cette créance », parce que des mesures proactives n’avaient pas été prises. Je ne dis pas que, dans certaines circonstances, d’autres mesures ne seraient pas nécessaires avant qu’une créance ne soit déclarée irrécouvrable. Cependant, il faut d’une certaine manière établir qu’il était déraisonnable de ne pas faire davantage. La preuve ne dit pas ici quel autre moyen aurait pu utilement être pris. D’après les faits, tous négatifs, entourant les perspectives de l’entreprise, on ne sait trop ce que le juge de la Cour de l’impôt a pu avoir à l’esprit lorsqu’il a dit que d’autres mesures proactives devaient être appliquées avant que l’appelant ne puisse affirmer que l’entreprise ne le rembourserait jamais.

 

[22]           Il semble que, si le juge de la Cour de l’impôt voulait que l’appelant fasse de réels efforts pour recouvrer sa créance, c’était parce que le cabinet d’experts‑comptables de l’appelant s’occupait de la comptabilité de l’entreprise et que l’appelant détenait 25 p. 100 du capital de l’entreprise. J’en déduis que, dans l’esprit du juge de la Cour de l’impôt, l’appelant était à même de prendre des mesures proactives, en raison de sa connaissance intime de l’entreprise et en raison de sa compétence. D’ailleurs, il était sûrement dans l’intérêt de l’appelant de prendre des mesures en vue d’un refinancement de la dette ou d’un autre possible sauvetage.

 

[23]           Cependant, il n’y a pas d’obligation légale de prendre des mesures proactives dans tous les cas. Le créancier ne sera tenu de prendre de telles mesures que s’il y a lieu de croire que le remboursement du prêt est envisageable. Tel sera évidemment le cas lorsque le ministre estime que le recouvrement est envisageable et que le contribuable ne fait rien en ce sens, ou pas suffisamment.

 


[24]           Ici, il s’agit de savoir s’il était honnête et raisonnable pour l’appelant de dire que sa créance était irrécouvrable le 31 décembre 1995. Si des faits avaient donné à entendre qu’un sauvetage ou un refinancement pouvait faciliter le recouvrement d’une partie ou de la totalité du prêt, j’admettrais que l’appelant, avec sa connaissance intime de l’entreprise, eût dû alors montrer qu’il avait au moins tenté certaines démarches proactives avant de déclarer la créance irrécouvrable.

 

[25]           Pour exiger de l’appelant qu’il ait pris des mesures proactives avant que sa décision relative à sa créance ne soit jugée franche et raisonnable, le juge de la Cour de l’impôt a dû conclure implicitement qu’un recouvrement était réaliste. Ici, rien ne laissait supposer qu’un sauvetage ou un refinancement serait possible. La preuve tout entière indique le contraire. Rien n’autorisait donc la conclusion implicite du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle les mesures proactives qu’il exigeait de l’appelant eussent laissé entrevoir une possibilité raisonnable de recouvrement.

 


[26]           Les juridictions d’appel ne peuvent modifier les conclusions tirées par un juge de première instance que lorsque la conclusion est manifestement erronée ou, ce qui est la même chose, lorsque l’erreur est évidente et déterminante. La juridiction d’appel ne peut réévaluer la preuve déjà examinée par le juge du procès. Voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 C.S.C. 33, aux paragraphes 19 à 25. Elle a seulement le loisir de dire qu’une conclusion de fait tirée par le juge du procès est manifestement erronée ou constitue une erreur évidente et déterminante si aucun élément de preuve n’autorise ladite conclusion ou, devrais‑je ajouter, si la conclusion tirée est contraire à la conclusion que dictait l’ensemble de la preuve.

 

[27]           Il ne s’agit nullement ici de réévaluer la preuve. Le problème, c’est l’absence d’une preuve autorisant la conclusion tirée par le juge de la Cour de l’impôt selon laquelle d’autres mesures auraient sans doute permis de recouvrer la créance. La preuve indique plutôt le contraire. Je dois conclure que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur évidente et déterminante lorsqu’il a conclu que des mesures proactives eussent permis sans doute un recouvrement.

 

[28]           Le critère auquel l’appelant devait satisfaire, c’était l’obligation pour lui de décider d’une manière franche et raisonnable que sa créance était irrécouvrable. Il s’ensuit que, en l’absence d’éléments donnant à entendre que des mesures proactives pouvaient raisonnablement conduire au remboursement de la totalité ou d’une partie du prêt, de telles mesures n’avaient aucun lien rationnel avec la question de savoir si le jugement de l’appelant était franc et raisonnable.

 


[29]           Naturellement, il appartient au contribuable de réfuter les suppositions énoncées par le ministre dans sa réponse à l’avis d’appel. Ici, aucune supposition expresse ne posait que le prêt serait sans doute remboursé si certaines démarches étaient faites. Cependant, même devant une telle supposition, le contribuable ne sera pas tenu d’envisager mille et un moyens imaginables et de montrer qu’aucun d’eux ne donnera de résultat. Il lui suffira de prouver la situation financière du débiteur et l’incapacité de celui‑ci, à la date pertinente, de rembourser le prêt en totalité ou en partie. C’est la preuve qui a été produite ici.

 

[30]           Me fondant sur la seule preuve pertinente versée dans le dossier, je suis d’avis que l’appelant n’a pas été spécialement prompt à radier sa créance en la déclarant irrécouvrable au 31 décembre 1995 et que cette déclaration était franche et raisonnable.

 

MONTANT DE LA CRÉANCE

[31]           Il faut encore déterminer le montant de la créance. Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas décidé ce point. Il est donc loisible à la Cour de le faire et, vu les délais et les frais entraînés par le renvoi de l’affaire à la Cour de l’impôt pour décision, et considérant également que l’affaire est en instance depuis assez longtemps, je crois qu’il est opportun pour la Cour de le faire dans le cas présent.

 


[32]           Le juge de la Cour de l’impôt a fait état de divers ajustements apportés au prêt, ajoutant qu’il n’était pas disposé à s’en remettre uniquement aux états financiers pour avoir la preuve du montant de la créance. Dans son argumentation devant la Cour fédérale, l’avocat de l’appelant a expliqué les ajustements en question, ajoutant que de tels ajustements n’étaient pas inusités dans la préparation d’états financiers à partir d’un ensemble de livres. D’ailleurs, des sommes se chiffrant aux environs de 125 000 $ apparaissaient dans les états financiers sur plusieurs années. Rien ne laisse croire qu’au cours de cette période l’appelant essayait de quelque façon de faire apparaître un prêt fictif à des fins de radiation en 1995. En 1994, un accord de sûreté avait été conclu, qui faisait état d’un montant de 130 000 $.

 

[33]           La norme de contrôle à appliquer est la prépondérance des probabilités, non une tenue de livres irréprochable. En tout état de cause, je suis persuadé qu’il est suffisamment démontré que la créance se chiffrait à 125 000 $ à la fin de 1995. Je ferais observer que, selon la règle applicable à la PDPE, l’appelant ne peut déduire que 75 p. 100 de ce montant.

 

CONCLUSION

[34]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, avec dépens, ceux de la présente instance et ceux de l’instance introduite devant la Cour de l’impôt, et je renverrais l’affaire au Ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation conforme aux présents motifs.

 

« Marshall Rothstein »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs,

Robert Décary, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


LE JUGE EVANS (motifs dissidents)

 

[35]           Il est admirable que des parents aident leurs enfants à s’établir dans une profession. Cependant, lorsque des parents demandent à d’autres contribuables de les aider à maintenir hors de l’eau l’entreprise défaillante de leur progéniture, et cela en déduisant de leurs propres revenus une partie d’un prêt qu’ils ont classé comme créance irrécouvrable, ils peuvent compter que l’administration fiscale et les tribunaux voudront examiner avec soin la déduction demandée.

 

[36]           Il m’est impossible de partager l’avis de mon collègue le juge Rothstein selon lequel le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur amendable lorsqu’il a dit que Larry W. Rich n’avait pas prouvé qu’il était arrivé, franchement et raisonnablement, à la conclusion selon laquelle, à la fin de 1995, la somme que lui devait DSM Foods Inc., l’entreprise de son fils, n’était pas recouvrable. Par conséquent, à mon avis, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a estimé que M. Rich ne pouvait invoquer les dispositions relatives à la PDPE pour déduire partiellement sa créance de son revenu de l’année 1995.

 

[37]           Après examen complet des motifs du juge de la Cour de l’impôt, de la transcription des témoignages et de la preuve documentaire, je suis d’avis que la preuve dont il disposait l’autorisait à dire que, en tout état de cause, une personne raisonnable, agissant avec professionnalisme, aurait exploré plus avant avec son fils les possibilités d’un remboursement.

 


[38]           En concluant de la sorte, je n’ignore pas les limites très précises que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 C.S.C. 33, a imposé à la capacité des juridictions d’appel de modifier les conclusions de fait tirées par des juges de première instance qui ont vu et entendu les témoins et qui se sont absorbés dans la preuve. Je ne suis pas persuadé que, dans cette affaire, le juge de la Cour de l’impôt ait mal compris la preuve ou ait fondé ses conclusions de fait sur une preuve insignifiante au point que la Cour fédérale doive juger que lesdites conclusions de fait sont manifestement erronées ou déraisonnables et constituent de ce fait une erreur évidente ou déterminante.

 


[39]           Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas tiré une conclusion factuelle expresse sur l’utilité pratique pour M. Rich d’explorer avec son fils des options de remboursement. Cependant, un point ressort clairement du premier extrait de la transcription citée par le juge Rothstein au paragraphe [18] de ses motifs : le juge de la Cour de l’impôt comprenait bien que, après l’envoi d’une mise en demeure, un contribuable qui sait qu’une société débitrice traverse des difficultés financières ne doit pas nécessairement faire d’autres démarches pour tenter de recouvrer le prêt avant de pouvoir déduire ce prêt à titre de créance irrécouvrable dans sa déclaration de revenus. Par conséquent, lorsqu’il a dit que l’inaction de M. Rich à s’enquérir davantage de la mise en demeure devait être prise en compte pour savoir si M. Rich avait raisonnablement évalué la situation, le juge de la Cour de l’impôt a dû conclure que, après audition de toute la preuve et après réflexion, de nouvelles démarches de M. Rich n’auraient pas été à l’évidence vouées à l’échec au point qu’une personne raisonnable n’eût pas tenté lesdites démarches avant de déclarer la créance irrécouvrable.

 

[40]           Je ne vois ici aucune erreur amendable dans le fait que le juge de la Cour de l’impôt n’ait pas expressément décidé ce point ni n’ait précisé sur quelle preuve il s’est fondé pour la justifier. Il n’y avait dans les témoignages aucun conflit à résoudre. Par ailleurs, l’inaction de M. Rich à tenter de nouvelles démarches s’inscrivait simplement dans le contexte général auquel le juge devait appliquer le critère juridique selon lequel, avant qu’un contribuable ne puisse dire que sa créance est irrécouvrable, il doit évaluer la situation avec franchise, mesure et professionnalisme.

 

[41]           Dans ces conditions, une juridiction d’appel se doit d’examiner le dossier pour voir s’il renferme des preuves au vu desquelles le juge de la Cour de l’impôt, en tant qu’arbitre des faits, pouvait raisonnablement considérer comme un facteur pertinent le peu d’empressement de M. Rich à tenter de nouvelles démarches pour récupérer son argent.

 

[42]           Trois considérations générales m’ont guidé dans l’examen que j’ai entrepris du dossier pour voir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur évidente et déterminante parce qu’il a fondé sa conclusion, du moins en partie, sur le peu d’empressement de M. Rich à explorer des possibilités de remboursement.

 


[43]           D’abord, le prêt en question a été consenti dans une relation de dépendance. Le juge a estimé que l’intention première de M. Rich lorsqu’il a consenti le prêt (et accessoirement lorsqu’il a offert à l’entreprise, par l’entremise de son cabinet, des services gratuits de comptabilité et de tenue de livres) était d’aider son fils dans son entreprise. Partant, si M. Rich était à même de déduire de son revenu une partie du prêt, il allait être peu enclin à vouloir recouvrer de son fils le reste du prêt. Pour cette raison, un tribunal devrait y songer à deux fois avant de conclure que le contribuable s’est acquitté de la charge qu’il avait de réfuter les suppositions du ministre.

 

[44]           Deuxièmement, il appartient au contribuable de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a décidé à juste titre que la créance n’était pas recouvrable. À mon avis, cela veut dire que le contribuable doit également établir qu’un facteur qui intervient souvent dans l’appréciation du caractère raisonnable d’une décision n’intervenait pas ici. En l’espèce, malgré la difficulté de prouver un élément négatif, l’inutilité d’autres enquêtes sur la manière dont le prêt pouvait être remboursé est un aspect sur lequel le contribuable est bien placé pour produire une preuve.

 


[45]           Troisièmement, comme je l’ai déjà noté, la Cour suprême du Canada a fait ressortir, dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, le niveau élevé de retenue que les juridictions d’appel doivent montrer à l’égard des conclusions de fait des juridictions de première instance afin que les responsabilités respectives des unes et des autres demeurent bien délimitées. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve soumis au juge simplement parce qu’ils autoriseraient des conclusions différentes.

 

[46]           À mon avis, les éléments de preuve qui suivent autorisent la conclusion de fait tirée implicitement par le juge de la Cour de l’impôt, de telle sorte que l’on ne saurait dire qu’il a commis une erreur évidente et déterminante.

 

[47]           D’abord, prié de dire quelle était son intention lorsqu’il avait écrit la mise en demeure, M. Rich a déclaré qu’il espérait que Michael [son fils] « viendrait alors me trouver pour examiner avec moi une manière de rembourser ce prêt ». Contrairement aux années antérieures, aucun remboursement n’a été fait sur le prêt en 1995. M. Rich a dit aussi qu’il avait pensé que Michael ferait une proposition pour le remboursement à long terme du prêt (dossier d’appel, volume IV, page 133 de la transcription).

 


[48]           J’en déduis que M. Rich, qui connaissait très bien la situation financière de l’entreprise, a dû penser qu’elle était en état de faire une telle proposition. Il a même dit durant son témoignage qu’il avait été surpris de lire, dans la réponse à la mise en demeure qu’il avait envoyée, que l’entreprise ne pouvait même pas commencer le remboursement d’une partie quelconque du prêt (dossier d’appel, volume IV, page 133 de la transcription). De plus, vu ces circonstances, notamment les raisons données par M. Rich pour l’envoi de la mise en demeure, sans oublier le peu de précision de cette mise en demeure, il était loisible au juge de dire qu’il était déraisonnable de la part de M. Rich d’accepter telle quelle la déclaration laconique et formelle de Michael selon laquelle aucun remboursement du prêt n’était possible.

 

[49]           Deuxièmement, prié de dire pourquoi il n’avait pas tenté d’autres démarches pour obtenir le remboursement, M. Rich a dit que l’intervention d’un séquestre ou l’introduction de procédures de recouvrement aurait forcé l’entreprise à déposer son bilan (dossier d’appel, volume IV, page 134 de la transcription). Cependant, cette réponse n’explique pas pourquoi il n’a pas exploré des moyens moins radicaux, par exemple en examinant un possible sauvetage financier. D’ailleurs, s’il pensait que l’entreprise était au bord de la faillite, il est curieux qu’il n’ait pas engagé une discussion avec Michael puisque son investissement et celui de son beau‑père dans l’entreprise se trouvaient également compromis. J’observe aussi que, bien que DSM Foods soit débitrice de M. Rich depuis plusieurs années, M. Rich a continué de temps à autre de consentir de nouveaux prêts à l’entreprise après le remboursement partiel de prêts antérieurs.

 


[50]           Troisièmement, il n’était pas nécessairement déraisonnable pour le juge de ne pas considérer les registres financiers de l’entreprise comme la preuve de sa véritable situation financière. Il avait noté l’absence de documents justificatifs et les erreurs d’écriture dont la rectification avait exigé de M. Rich beaucoup de temps et d’énergie, sans compter une écriture erronée dans les livres de DSM Foods., une écriture qui annulait la créance de M. Rich. D’ailleurs, durant son témoignage, Michael Rich semblait considérer la dette comme éteinte en 1995, afin de tranquilliser le banquier de l’entreprise et d’apporter un soulagement à un autre prêteur, son grand‑père (dossier d’appel, volume IV, pages 51‑52 de la transcription).

 

[51]           Quatrièmement, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas mis en doute la crédibilité de M. Rich en tant que témoin, mais il a trouvé insatisfaisantes ses réponses à deux questions : paragraphes 6 et 19. S’agissant de la réponse à la deuxième question, qui concernait des prêts apparemment importants consentis par DSM Foods à Michael, le juge y a vu simplement le signe d’une certaine négligence de la part de M. Rich lorsqu’il avait affaire à DSM Foods. Par ailleurs, M. Lomas, le vérificateur, a témoigné que M. Rich n’avait pas été très communicatif avec lui, en ce sens qu’il ne lui avait pas au départ divulgué un fait important, à savoir que le président de DSM Foods était son fils : dossier d’appel, volume V, page 313.

 


[52]           Cinquièmement, bien que le juge ait à juste titre accordé moins de poids aux événements postérieurs à 1995, il n’était pas sans intérêt pour l’utilité possible de pourparlers exploratoires entre M. Rich et Michael de noter que, en avril 1996, DSM Foods avait conclu avec son principal fournisseur un arrangement prévoyant le remboursement, en versements mensuels de 4 000 $, de la dette cumulative de DSM Foods, soit environ 185 000 $. La preuve révèle que, en novembre 1996, l’entreprise avait remboursé la totalité des anciennes dettes, sauf 1 500 $. Sans doute rassuré par cette performance, le fournisseur a consenti au remboursement de la nouvelle dette de l’entreprise en des versements mensuels réduits de 1 500 $. C’est la preuve qu’il aurait sans doute été profitable pour M. Rich d’examiner avec Michael le remboursement périodique de son prêt, d’autant que, avant 1995, DSM s’était appliquée à rembourser M. Rich à mesure que les clients de l’entreprise payaient leurs factures.

 

[53]           Lorsque je considère toutes ces preuves dans le contexte des trois principes directeurs que j’ai définis au début des présents motifs, il m’est impossible de conclure que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur évidente et déterminante en affirmant implicitement qu’il n’aurait pas été vain pour M. Rich d’examiner avec son fils des stratégies de remboursement avant de dire que sa créance n’était pas recouvrable et de demander aux autres contribuables de partager avec lui sa perte.

 

[54]           Pour ces motifs, j’aurais rejeté l’appel.

 

 

« John M. Evans »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Section d’appel

Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                              A‑666‑01

 

INTITULÉ :                                             LARRY W. RICH c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     MARDI LE 29 OCTOBRE 2002

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE ROTHSTEIN

 

Y A SOUSCRIT :                                     LE JUGE DÉCARY

 

MOTIFS DISSIDENTS :                        LE JUGE EVANS

 

MOTIFS COMMUNIQUÉS À

OTTAWA (ONTARIO) :                        LE 24 JANVIER 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. David J. Rotfleisch                                                              POUR L’APPELANT

M. William I. Innes

 

M. Bobby Sood                                                                       POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rotfleisch & Samulovitch                                                          POUR L’APPELANT

Toronto (Ontario)

 

Fraser Milner Casgrain LLP

Toronto (Ontario)

 

 

Morris Rosenberg                                                                     POUR L’INTIMÉE

Sous‑procureur général du Canada

 

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