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Date : 20081126

Dossier : A-500-07

Référence : 2008 CAF 371

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

MERCK & CO., INC. and

MERCK FROSST CANADA & CO.

intimées

(demanderesses)

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur)

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 novembre 2008.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 26 novembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                  LE JUGE EN CHEF RICHARD                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW


Date : 20081126

Dossier : A-500-07

Référence : 2008 CAF 371

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

MERCK & CO., INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.

intimées

(demanderesses)

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté par Apotex Inc. d’une décision de la Cour fédérale (2007 CF 1035) par laquelle le juge Gibson a accueilli la requête présentée par Merck & Co. et Merck Frosst Canada & Co. (« Merck ») aux termes de l’article 414 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir la révision d’une taxation des dépens faite par un officier taxateur, M. Robinson, en faveur d’Apotex (2007 CF 312). Le litige porte sur le caractère raisonnable des honoraires des deux experts réclamés à titre de débours par Apotex au titre de ses dépens.

 

[2]               La taxation des dépens résulte d’une instance engagée par Merck en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (« Règlement sur les avis de conformité »). Merck sollicitait une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité pour sa version du médicament de Merck contre l’ostéoporose, FOSAMAX, avant l’expiration de son brevet qui, s’il est valide, serait contrefait par la formulation d’Apotex. Au terme d’une audience de deux jours, le juge des requêtes, le juge Mosley, a conclu que l’allégation d’invalidité du brevet était justifiée, a rejeté la demande d’interdiction de Merck et (par. 141) a accordé à Apotex ses dépens « calculés selon le tarif ordinaire ». 

 

[3]               Merck a contesté un certain nombre des débours contenus dans le mémoire de frais d’Apotex lors d’une audience de deux jours devant l’officier taxateur, lequel a rédigé 57 pages de motifs accordant à Apotex 605 575,78 $ sur la somme de 831 900,50 $ qu’elle avait réclamée à titre de dépens. Un certain nombre de ces éléments ont été examinés par le juge Gibson au cours d’une audience d’une journée. Devant notre Cour, la seule question en litige a trait aux honoraires versés à M. Langer (et son assistant, M. Lipp) pour un affidavit de 171 pages exposant les divers motifs d’attaque du brevet, dont quelques-uns ont ensuite été invoqués par le juge des requêtes dans sa conclusion selon laquelle le brevet de Merck était invalide.  

 

[4]               Apotex a réclamé à titre de débours le montant de 404 528,84 $ qu’elle avait payé pour l’affidavit de M. Langer, dont 322 512,84 $ ont été versés à M. Langer et 82 016,00 $ à M. Lipp. Le montant était fondé sur un total de 474 heures de travail à un taux horaire de 1 389,00 $ pour M. Langer et 266,24 $ pour M. Lipp. Merck a soutenu que ce montant était excessif et a contesté le caractère raisonnable des deux taux horaires et du nombre d’heures réclamées.

 

[5]               Apotex a présenté à l’officier taxateur l’affidavit d’un avocat selon lequel ces montants ont été payés par Apotex et qu’ils étaient raisonnables; Merck n’a pas contre-interrogé l’auteur de cet affidavit. L’officier taxateur disposait également du dossier complet de la demande d’interdiction, y compris les affidavits des experts et les motifs du juge Mosley indiquant qu’il s’était fondé sur le témoignage des experts d’Apotex, y compris M. Langer, pour conclure à l’invalidité du brevet.  

 

[6]               Merck n’a produit aucun affidavit pour étayer son allégation selon laquelle les honoraires de M. Langer étaient déraisonnables, mais elle s’est fondée sur une comparaison avec les débours réclamés par Apotex pour les honoraires payés aux autres témoins experts. Cette comparaison montrait que M. Langer a réclamé plus de six fois le nombre d’heures des autres témoins d’Apotex. 

 

[7]               L’officier taxateur Robinson a rejeté la proposition de Merck de réduire les heures admissibles et le taux horaire de M. Langer en utilisant les autres témoins experts d’Apotex comme point de référence (par. 55) au motif qu’elle était « très arbitraire ». Cette proposition aurait réduit les honoraires à 19 600 $.

 

[8]               Quoi qu’il en soit, l’officier taxateur a réduit le taux horaire de M. Langer au taux le plus élevé qui lui avait été accordé à titre de témoin expert dans des procédures antérieures connexes, soit 695 $. Ainsi, les honoraires admissibles de M. Langer sont passés de 322 512,34 $ à 155 860,00 $, une réduction d’environ 50 %. Les honoraires combinés de MM. Langer et Lipp étaient donc sensiblement réduits de 404 528,84 $ à 237 696,00 $.

 

[9]               L’officier taxateur est arrivé à cette conclusion sur le fondement de la preuve dont il disposait. Il a à bon droit renvoyé aux principes généraux établis dans la jurisprudence sur la taxation des dépens, y compris l’avertissement suivant lequel la partie déboutée ne doit pas avoir à payer pour « la “cadillac” des experts », et a noté que, comme c’est généralement le cas dans les taxations, les documents dont il disposait étaient loin d’être exhaustifs.

 

[10]           Dans de longs motifs rédigés pour trancher la requête de Merck en révision du certificat de taxation des dépens, le juge Gibson a correctement déterminé la norme de contrôle applicable comme étant celle prescrite dans Bellemare c. Canada (Procureur général) (2004), 437 N.R. 179 (C.A.F.), à savoir qu’un juge ne peut intervenir que s’il est évident qu’il y a une erreur de principe dans la taxation ou s’il est possible d’inférer du montant de la taxation qu’une telle erreur doit avoir été commise. 

 

[11]           Le juge Gibson a conclu (par. 36) que, compte tenu du fait que M. Langer a revendiqué un nombre d’heures beaucoup plus grand que les témoins experts d’Apotex qui avaient préparé des affidavits sur les mêmes aspects du dossier, l’officier taxateur a commis une erreur de principe dans son « rejet arbitraire » d’une réduction des heures admissibles de M. Langer.

 

[12]           Ayant ainsi déterminé que son intervention était justifiée, le juge Gibson a réduit les heures de M. Langer au nombre moyen d’heures réclamées par les autres experts d’Apotex, soit 31 heures pour M. Langer et 32 heures pour M. Lipp. Il en est résulté une diminution dramatique de leurs honoraires admissibles, qui sont ainsi passés du montant taxé de 237 696,00 $ à 31 785,00 $, soit environ la moitié des honoraires versés à l’expert d’Apotex le mieux rémunéré. À presque tous les autres égards, le juge Gibson a confirmé la taxation.  

 

[13]           En toute déférence, je ne saurais convenir que l’officier taxateur a commis une erreur de principe justifiant l’intervention de la Cour alors qu’il n’a ni réduit le nombre d’heures admissibles de M. Langer ni explicitement expliqué pourquoi il ne l’avait pas fait. En fait, il avait qualifié d’arbitraire la proposition de Merck voulant qu’il calcule les honoraires admissibles de M. Langer selon les heures indiquées par un autre témoin. Après avoir lu les motifs de l’officier dans leur ensemble, j’en infère qu’ayant diminué le taux horaire de façon substantielle, il estimait, compte tenu de toutes les circonstances, être arrivé à un honoraire raisonnable. Vu le contexte factuel, je ne crois pas qu’il devait, en droit, allonger davantage ses motifs en expliquant de façon détaillée les raisons pour lesquelles il n’a pas aussi réduit les heures admissibles de M. Langer.

 

[14]           Compte tenu de la documentation limitée dont disposent les officiers taxateurs, la question de savoir quelles dépenses sont raisonnables est souvent tranchée sommairement, ce qui laisse forcément aux officiers taxateurs une large marge d’appréciation discrétionnaire. Tout comme les officiers dans d’autres décisions récentes, l’officier taxateur dans une affaire complexe comme celle-ci, où des sommes très importantes sont en jeu, a pleinement motivé sa décision sur la base d’un examen minutieux de la preuve dont il disposait et des principes généraux du droit applicable.

 

[15]           Le juge Gibson a évoqué ces considérations, y compris l’importance du caractère définitif des litiges, quand il a refusé (par. 53) d’adjuger les dépens afférents à la requête en révision de la taxation des dépens de l’instance sous-jacente. À mon avis, ces facteurs contextuels sont également pertinents pour déterminer si un officier taxateur a commis une erreur « de principe » en évaluant le caractère raisonnable des dépens.  

 

[16]           L’intervention des tribunaux dans les taxations sauf dans les cas les plus manifestes constitue certainement une utilisation peu judicieuse des ressources judiciaires. À mon avis, consacrer trois jours et demi au calcul des dépens admissibles d’une procédure sommaire de deux jours en vertu du Règlement sur les avis de conformité n’a guère promu l’intérêt public dans la bonne administration de la justice.

 

[17]           Comme je suis d’avis que le juge Gibson n’aurait pas dû intervenir, il n’est pas nécessaire de déterminer s’il a commis une erreur justifiant infirmation en comparant les heures admissibles de M. Langer avec un modèle de référence comme il l’a fait.

 

[18]           Enfin, j’appuie fermement la recommandation du juge Gibson (par. 51) selon laquelle le juge qui a présidé l’instance sous-jacente est mieux placé que quiconque pour réviser la taxation des dépens et que, lorsque cela est possible, le juge présidant devrait réviser la décision de l’officier taxateur.

 

[19]           Mieux encore, les parties devraient toujours essayer de s’entendre sur les dépens dès le départ. Et, ce qui est tout aussi important, lorsqu’elles n’y arrivent pas, elles devraient dès lors déterminer les questions litigieuses et demander au juge qui préside l’instance de donner des directives à l’officier taxateur comme le prévoit l’article 403 des Règles des Cours fédérales.

 

[20]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens et modifierais l’ordonnance du juge des requêtes de façon à ce que les montants taxés par l’officier taxateur pour les honoraires de MM. Langer et Lipp soient rétablis.

 

 

    « John M. Evans »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            J. Richard j.c. »

« Je suis d’accord

            K. Sharlow j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-500-07

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 9 OCTOBRE 2007, DOSSIER N° T‑884‑03)

 

INTITULÉ :                                                                           APOTEX INC. c. MERCK & CO. INC. ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 25 NOVEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 26 NOVEMBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. David Lederman

POUR L’APPELANTE

 

M. Patrick E. Kierans

Mme Kristin Wall

POUR LES INTIMÉES

(MERCK & CO. INC.

ET MERCK FROSST CANADA & CO.)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOODMANS LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

OGILVY RENAULT s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

(MERCK & CO. INC.

ET MERCK FROSST CANADA & CO.)

 

 

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