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Date : 20081217

Dossier : A-149-08

Référence : 2008 CAF 401

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LA JUGE DESJARDINS    

                        LE JUGE NOËL       

 

ENTRE :

AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA et

L’ASSOCIATION DES LIBERTÉS CIVILES DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

appelantes

et

LE CHEF D’ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE DES FORCES CANADIENNES,

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

et

 

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

intervenante

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE NOËL

 


 

Date : 20081217

Dossier : A-149-08

Référence : 2008 CAF 401

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DESJARDINS     

                        LE JUGE NOËL       

 

ENTRE :

AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA et

L’ASSOCIATION DES LIBERTÉS CIVILES DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

appelantes

et

LE CHEF D’ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE DES FORCES CANADIENNES,

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

et

 

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

intervenante

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

[1]        Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance rendue par la juge Mactavish (la juge des requêtes) (2008 CF 336), de la Cour fédérale, en vertu de la règle 107 des Règles des Cours fédérales (D.O.R.S./98-106). 

 

[2]        Les appelantes ont présenté une demande de contrôle judiciaire concernant des prisonniers détenus par les Forces canadiennes (les FC) sur le territoire de la République islamique d’Afghanistan et leur transfèrement aux autorités afghanes. Elles sollicitent divers jugements déclaratoires, notamment une déclaration portant que les articles 7, 10 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) s’appliquaient aux détenus. Les intimés, en l’espèce, sont le Chef d’état-major de la Défense des FC, le ministre de la Défense nationale et le Procureur général du Canada.

 

[3]        Les deux parties ayant convenu que la demande de contrôle judiciaire devait échouer si la Cour concluait à l’inapplicabilité de la Charte eu égard aux actions des FC dans les circonstances de l’espèce, elles ont décidé conjointement de faire trancher cette question au moyen d’une requête fondée sur la règle 107, dans laquelle elles soulèvent les questions suivantes :

1. La Charte s’applique-t-elle, durant le conflit armé qui se déroule en Afghanistan, à la détention de non-Canadiens par les Forces canadiennes ou à leur transfèrement aux autorités afghanes et leur prise en charge par ces dernières?

 

2.   Si la réponse à la question précédente est « NON », la Charte s’appliquerait‑t‑elle néanmoins si les auteurs de la requête étaient en mesure d’établir que le transfèrement des détenus en question les exposerait à un risque élevé de torture?

 

 

[4]         Après avoir répondu à chacune de ces questions par la négative, la juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

 

[5]        Pour les motifs énoncés ci-après, je souscris aux motifs exposés par la juge des requêtes et à sa décision.

Question 2

[6]         Les appelantes ont choisi de traiter d’abord de la seconde question.

[7]        Elles soutiennent que dans R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, 2007 CSC 26 (Hape), la Cour suprême du Canada a adopté un nouveau critère servant à déterminer dans quels cas la Charte devrait s’appliquer aux actions des autorités canadiennes à l’étranger. Selon elles (par. 36 de leur mémoire), les juges de la majorité ont indiqué que [traduction] « les principes de l’égalité souveraine des États et de courtoisie internationale justifient l’adoption d’une règle générale autorisant l’application de la Charte aux autorités canadiennes se trouvant en sol étranger "seulement [si le Canada] obtient le consentement de l’État en cause ou, à titre exceptionnel, si le droit international l’y autorise par ailleurs" » (souligné dans le texte). Les appelantes prétendent (par. 37 de leur mémoire) que [traduction] « les motifs de la majorité dans Hape semblent aussi laisser entendre que, outre le consentement de l’État concerné, la présence de violations des droits fondamentaux de la personne pourraient constituer une autre exception à la règle interdisant l’exercice extraterritorial de la compétence ».

 

[8]        Selon les appelantes, la juge des requêtes a examiné ces passages tirés de l’arrêt Hape, mais a conclu ultimement que la Cour suprême du Canada n’avait pas créé d’exception fondée sur les droits fondamentaux de la personne à l’encontre de la règle générale de la compétence fondée sur la territorialité. Or, peu de temps après qu’elle ait rendu sa décision, ajoutent les appelantes, la Cour suprême du Canada, dans Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28 (Khadr), [traduction] « a confirmé qu’elle avait en effet conclu, dans Hape, à l’application extraterritoriale de la Charte en cas de violations de droits fondamentaux de la personne reconnus par le droit international » (par. 37 du mémoire des appelantes). 

 

[9]         À mon sens, Khadr n’a pas modifié les principes applicables aux notions de territorialité et de courtoisie formulées par la Cour suprême du Canada dans Hape.

 

[10]           M. Khadr, un citoyen canadien, réclamait l’accès à tous les documents en possession des autorités canadiennes pouvant être utiles pour assurer sa défense devant un tribunal militaire américain.

 

[11]           La Cour suprême du Canada a jugé que, sous réserve des articles 38 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. 1985, ch. C-5), M. Khadr avait droit à la communication des documents et des renseignements que les représentants du Canada avaient transmis aux autorités militaires américaines par suite des entretiens qu’ils avaient eus avec lui à Guantanamo (Khadr, au par. 37). La Cour justifiait sa décision par le fait que le Canada avait participé à une procédure américaine qui, conformément à ce qu’avait décidé la Cour suprême des États-Unis dans Rasul v. Bush (542 U.S. 466; 124 S. Ct. 2686; 159 L. Ed. 2d 548), privait les détenus du recours à l’habeas corpus, ce qui était contraire aux lois américaines et contrevenait aux Conventions de Genève dont les États-Unis étaient signataires. La Cour suprême du Canada a statué que les conclusions de la Cour suprême des États-Unis reposaient sur des principes compatibles avec la Charte et les obligations du Canada en droit international (Khadr, au par. 21). Par conséquent, la participation des représentants du Canada à la procédure illégale des autorités militaires américaines était, dans la mesure de cette participation, contraire aux obligations internationales du Canada et aux principes consacrés dans la Charte. Les droits conférés à M. Khadr par l’article 7 de la Charte avaient été violés; celui-ci avait donc le droit d’obtenir une réparation sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. L’ordonnance de communication décernée par la Cour suprême du Canada, qui n’avait pas reçu de portée extraterritoriale, était ainsi libellée (Khadr, au par. 37) :

Les appelants doivent communiquer (i) tous les documents, sous quelque forme, relatifs aux entretiens des responsables canadiens avec M. Khadr, ainsi que (ii) tout renseignement dont la communication aux autorités américaines découle directement du fait que le Canada a interrogé M. Khadr. La communication demeure conditionnée par la prise en compte de la sécurité nationale et d’autres considérations conformément aux art. 38 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada.

                            

[12]           L’ordonnance ne fait pas mention de possibles documents américains qu’auraient pu transmettre les autorités des États-Unis aux autorités canadiennes. Malgré le caractère extraterritorial de l’assistance offerte par les représentants canadiens, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que « le souci de courtoisie manifesté dans l’arrêt Hape et qui justifie normalement le respect de la loi étrangère ne s’applique aucunement en l’espèce » (Khadr, au par. 26).

 

[13]           Compte tenu des conclusions de la Cour suprême des États-Unis, la question du respect des lois américaines ne se posait pas. Par conséquent, Khadr représente un exemple où un citoyen a obtenu la communication de documents gardés au Canada et produits par des représentants canadiens, du fait que ces derniers ont violé les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte en participant à un processus étranger contrevenant aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.

 

[14]           Le fondement factuel de cette décision se situe à mille lieues de la situation où des étrangers n’ayant aucune espèce d’attache avec le Canada ou ses lois sont sous garde dans des établissements de détention des FC en Afghanistan.

 

[15]           Dans leur mémoire (au par. 34), les appelantes qualifient ainsi la situation en l’espèce :

[traduction]

Dans la présente affaire, les tribunaux canadiens ont pour la première fois l’occasion de décider si les personnes détenues par l’armée canadienne en sol étranger peuvent invoquer les garanties prévues par la Charte canadienne des droits et libertés.

 

 

[16]           Dans sa plaidoirie, l’avocat des appelantes a indiqué que sa demande se rapportait à l’application de la Charte non pas aux individus détenus par les FC mais aux actes du personnel des FC. Cette nouvelle façon de qualifier l’affaire suppose également que la Charte s’appliquerait aux  étrangers puisqu’il n’est possible de restreindre l’action du personnel des FC que si les étrangers disposent de droits en vertu de la Charte.

 

[17]           Puisque sa décision est antérieure au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Khadr, la juge des requêtes n’a pu commenter cet arrêt. Elle s’est toutefois prononcée sur l’arrêt Hape.

 

[18]           Ayant procédé à une analyse détaillée des prétentions des appelantes concernant Hape, la juge des requêtes a tiré cette conclusion (par. 324 de ses motifs) :

Il est donc clair que la décision majoritaire dans Hape n’a pas créé d’« exception au titre des droits fondamentaux de l’homme » justifiant d’affirmer l’extraterritorialité de la compétence au titre de la Charte, compétence qui sinon n’existerait pas.

 

[19]           Il importe de rappeler les termes qu’utilise la Cour suprême du Canada dans Khadr lorsqu’elle reprend des extraits de l’arrêt Hape. Au par. 18 de Khadr, la Cour suprême, en formation plénière, a tenu les propos suivants au sujet de Hape :

Or, dans l’arrêt Hape, notre Cour a établi une exception importante au principe de la courtoisie.  Bien que les juges n’aient pas tous convenu des principes régissant l’application extraterritoriale de la Charte, ils ont estimé à l’unanimité que la courtoisie ne pouvait justifier la participation du Canada aux activités d’un État étranger ou de ses représentants qui vont à l’encontre des obligations internationales du Canada.  Ainsi, le respect que commande la courtoisie « cesse dès la violation manifeste du droit international et des droits fondamentaux de la personne » (Hape, par. 51, 52, 101, le juge LeBel).  Notre Cour a ajouté que le tribunal appelé à déterminer la portée de la Charte et à se prononcer sur son application doit tendre à assurer le respect des obligations du Canada en droit international (par. 56, le juge LeBel).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

   

[20]           Selon ce que je comprends de l’extrait précité, la Cour suprême du Canada juge que le respect et la courtoisie prennent fin là où commence la violation manifeste du droit international et des droits fondamentaux de la personne. Cela ne veut pas dire que la Charte s’appliquera en raison de ces violations. Même si l’article 7 de la Charte s’applique à « [c]hacun … » (comparer ce libellé et celui de l’article 6 de la Charte : « Tout citoyen canadien… »), il faut examiner l’ensemble des circonstances propres à une situation donnée avant de pouvoir affirmer que la Charte s’applique.

 

[21]           Contrairement à ce que soutient l’appelante (au par. 88 de son mémoire), l’arrêt Khadr ne dispose pas du présent appel, non plus que Hape, d’ailleurs, pour les mêmes motifs.

 

[22]           La juge des requêtes n’a commis aucune erreur relativement à la question 2.

 

[23]           Il nous faut par conséquent aborder la question 1 et examiner l’ensemble des circonstances de l’espèce.

 

Question 1

[24]           La question 1, en l’espèce, consiste essentiellement à déterminer si les FC exercent un « contrôle effectif » sur une partie du territoire de l’Afghanistan, permettant ainsi une application territoriale de la Charte en territoire afghan et sur des ressortissants afghans.

 

[25]           Bien que les autorités militaires canadiennes aient le commandement et le contrôle des établissements de détention des FC situés à l’aéroport de Kandahar, le Canada partage les installations aéroportuaires avec plusieurs pays membres de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) qui participent aux opérations de sécurité et d’infrastructure en Afghanistan. Ce « contrôle » exercé par les FC sur les établissements de détention ne peut pas être considéré comme un contrôle « effectif » au sens que donne à ce terme la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans Banković c. Belgique (requête n52207/99), décision du 12 décembre 2001, aux par. 71-73.

 

[26]           Les FC ne sont pas une force d’occupation – leur présence en Afghanistan s’est faite à la demande et avec le consentement des pouvoirs en place. Ceux-ci n’ont pas consenti à ce que le champ d’application du droit canadien soit élargi pour inclure les ressortissants afghans.

 

[27]           Après avoir pris connaissance de la preuve documentaire qui lui a été présentée, la juge des requêtes a formulé ces remarques :

[158]  … Il ressort clairement du Pacte [pour l’Afghanistan] que la communauté internationale n’a pas voulu que l’Afghanistan cède sa compétence aux États qui participent à des opérations sur son territoire, mais qu’elle s’est plutôt engagée à appuyer la souveraineté afghane sur l’ensemble de son territoire et à assurer le respect de cette souveraineté, même lors d’opérations militaires dans le pays.

 

[159]     Rien dans le Pacte pour l’Afghanistan ne permet de conclure que l’Afghanistan a consenti à l’application du droit canadien – ou d’ailleurs de tout autre droit étranger – sur son territoire.

 

[160]     En fait, le Pacte pour l’Afghanistan traite précisément de la question de la protection des droits de l’homme sur le territoire afghan, en déclarant que le gouvernement afghan et la communauté internationale :

 

[traduction]

réaffirment leur engagement de protéger et promouvoir les droits prévus par la constitution afghane et le droit international applicable, y compris les conventions internationales sur les droits de l’homme et d’autres instruments auxquels l’Afghanistan est partie. [Non en italique dans l’original.]

                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           Puis, elle a tiré la conclusion suivante :

[161]     Cette disposition donne certes à croire qu’en ce qui concerne le gouvernement afghan, le régime des droits de l’homme qui régit la communauté internationale en Afghanistan est celui que prévoit la constitution afghane et le droit international applicable.

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]           La juge des requêtes disposait d’éléments de preuve démontrant que les gouvernements afghan et canadien avaient expressément désigné le droit international, y compris le droit international humanitaire, comme l’ensemble des règles régissant le traitement des prisonniers détenus par le Canada. À ce sujet, elle a déclaré ce qui suit :

[162]     En ce qui concerne la relation entre les gouvernements de l’Afghanistan et du Canada, les deux pays ont expressément désigné le droit international, y compris le droit humanitaire international, comme étant le droit qui régit le traitement des prisonniers sous la garde du Canada.

 

[163]    Le document intitulé « Arrangements techniques conclus par le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République islamique d’Afghanistan » est le premier à faire état de cette intention. Le paragraphe 6 en expose la portée :

 

[traduction]

 

Les activités canadiennes en Afghanistan, notamment l’aide dans le conflit armé en cours, l’aide à la stabilisation et au développement sous la forme d’une équipe de reconstruction provinciale, l’aide au gouvernement de l’Afghanistan sous la forme d’une équipe consultative stratégique, la prestation de formation aux forces armées afghanes, et l’aide aux autorités chargées de l’application de la loi. [À la page 2.]

 

 

[164]     Le paragraphe 1.4 de l’annexe des Arrangements techniques précise : [traduction] « En donnant effet aux Arrangements, les Parties agiront en tout temps de façon conforme à leurs obligations en vertu du droit international ».

[Souligné dans l’original.]

 

 

[165]     Les Arrangements techniques traitent notamment du statut du personnel canadien en Afghanistan. À cet égard, le paragraphe 1.2 de l’annexe des Arrangements techniques traduit l’engagement du Canada à [traduction] « prendre des dispositions pour que le personnel canadien [...] respecte le droit international et s’abstienne de toute activité incompatible avec la nature de ses opérations ou de son statut en Afghanistan ».

[Souligné dans l’original.]

 

[30]           En ce qui a trait aux prisonniers, la juge des requêtes a tiré les conclusions suivantes :

[166]     Enfin, pour ce qui est du traitement des prisonniers, le paragraphe 1.2 des Arrangements techniques prévoit qu’on accordera aux prisonniers [traduction] « le même traitement qu’aux prisonniers de guerre » et qu’ils seront transférés aux autorités afghanes [traduction] « conformément au droit international et sous réserve des assurances négociées concernant leur traitement et leur transfèrement ».

                                                                                    [Souligné dans l’original.]

 

[167]     De plus, l’emploi de l’expression [traduction] « prisonniers de guerre » dans les Arrangements techniques est d’importance, car elle décrit un statut juridique reconnu et défini dans la branche du droit international applicable aux conflits armés, c’est-à-dire le droit humanitaire international. Celui-ci se fonde sur de nombreuses sources, dont des instruments tels que la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, R.T. Can. 1965 n20. Les droits des personnes emprisonnées pendant un conflit armé sont clairement définis par le droit humanitaire international.

 

[31]           Les appelantes soutiennent (aux par. 75 à 83 de leur mémoire) que la juge des requêtes a commis une erreur de droit en fixant une norme inutilement élevée pour déterminer s’il y a consentement de la part de l’État étranger. Elles affirment que la juge cherchait à s’appuyer sur des termes précis indiquant que le gouvernement d’Afghanistan avait consenti à ce que ses ressortissants puissent bénéficier, sur son territoire, des droits prévus par la Charte canadienne. Selon les appelantes, elle aurait omis de tenir dûment compte de la conduite du gouvernement afghan et de se demander si celle-ci pouvait être considérée comme une forme d’invitation à étendre la protection accordée par la Charte à ses ressortissants dont le Canada avait la garde ou une façon d’y « acquiescer ». Or, puisque le gouvernement afghan consent manifestement à ce que les FC exercent une vaste gamme de pouvoirs, il serait illogique de conclure que [traduction] « le gouvernement afghan consent à ce que le Canada exerce ce genre de pouvoir sur ses citoyens, mais a tiré un trait afin d’exclure la protection offerte par la Charte en matière de droits de la personne » (par. 77 du mémoire des appelantes).

 

[32]           La juge des requêtes a souligné que le gouvernement afghan avait expressément consenti à l’application du droit canadien à l’ensemble du « personnel canadien », une expression définie comme excluant spécifiquement les ressortissants afghans. Selon elle, il fallait donc conclure, en toute logique, que le gouvernement d’Afghanistan n’avait pas consenti à l’application du droit canadien, y compris la Charte, dans d’autres situations (par. 168-170 des motifs).

 

[33]           Considérant que la décision de la juge des requêtes tient compte de la preuve, l’intervention de la cour n’est pas justifiée.

 

[34]           En dernier lieu, les appelantes soutiennent que la Cour ne devrait pas adopter le raisonnement juridique suivi par la juge des requêtes, qui a rejeté la notion d’« autorité réelle sur la personne », ou de contrôle effectif, proposée dans la jurisprudence européenne et britannique et dans d’autres sources, la jugeant imprécise. Selon elle, ce critère présentait des difficultés (par. 274 des motifs) lorsque l’on avait affaire à une opération militaire multinationale parce qu’il avait pour effet de créer une mosaïque de normes juridiques nationales, différentes les unes des autres, appliquées aux détenus afghans dans les diverses régions du pays. Elle a préféré adopter le critère fondé sur le consentement, issu de l’arrêt Hape, par lequel elle était liée (par. 294 des motifs).

 

[35]           Ce faisant, la juge des requêtes n’a pas commis d’erreur.

 

Conclusion

[36]           Je conclus que la juge des requêtes n’a commis aucune erreur dans les réponses qu’elle a données aux deux questions qui lui ont été présentées. La Charte ne s’applique pas aux situations visées par ces questions. Aucun vide juridique n’est ainsi « créé », compte tenu du fait que le droit international humanitaire s’applique. La juge des requêtes tire à juste titre la conclusion suivante (par. 64 des motifs) :

[64]     Avant d’autoriser le transfèrement aux autorités afghanes, le général Laroche doit être convaincu qu’il n’existe aucun motif sérieux de croire qu’il existe un risque réel qu’une fois remis aux autorités afghanes, le prisonnier sera exposé à un risque de torture ou de mauvais traitements.

 

[37]           L’Association canadienne des libertés civiles a comparu à titre d’intervenante dans la présente affaire. J’ai examiné les arguments de l’organisme, mais mes conclusions demeurent inchangées.

 

[38]           L’appel est rejeté, les appelantes étant condamnées à payer les dépens des intimés.

 

 

« Alice Desjardins »

juge

« Je suis d’accord.

     Le juge en chef Richard »

 

« Je suis d’accord.

     Le juge Marc Noël, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                A-149-08

 

INTITULÉ :  

 

AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA et

L’ASSOCIATION DES LIBERTÉS CIVILES DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE et

LE CHEF D’ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE  DES FORCES CANADIENNES,

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

 et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 10 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE DESJARDINS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                    LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 17 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Champ

Bijon Roy

 

POUR LES APPELANTES

 

J. Sanderson Graham

R. Jeff Anderson

 

POUR LES INTIMÉS

 

Earl A. Cherniak c.r.

Jasmine T. Akbarali

Shannon M. Puddister

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne et Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES INTIMÉS

 

Lerners s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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