Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190208


Dossier : A‑177‑17

Référence : 2019 CAF 27

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

 

KIRBY ELSON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 septembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20190208


Dossier : A­177­17

Référence : 2019 CAF 27

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

 

KIRBY ELSON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision de la Cour fédérale (2017 CF 459), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Kirby Elson d'une décision du ministre des Pêches et des Océans (le ministre) du 23 décembre 2015. Le ministre de l'époque était l'honorable Hunter Tootoo. Il a rejeté la demande de M. Elson d'être exempté de la politique sur la préservation de l'indépendance de la flottille de pêche côtière dans l'Atlantique canadien (la politique sur la PIFPCAC). Par conséquent, M. Elson n'a plus droit à un permis de pêche côtière.

[2]  À titre préliminaire, il convient de noter que l'intimé est désigné comme étant « Canada (Procureur général) ». Il s'agit d'un appel d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre Tootoo. Par conséquent, le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) prévoit que le procureur général du Canada doit être désigné à titre de défendeur. Le nom de l'intimé est donc remplacé par celui du procureur général du Canada.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de rejeter l'appel.

I.  Le contexte

[4]  La politique sur la PIFPCAC a ajouté la catégorie « pêcheur du noyau indépendant » comme critère d'admissibilité pour recevoir un nouveau permis de pêche côtière rattaché à un bateau ou un permis de remplacement. Cette politique prévoyait essentiellement qu'un permis de pêche ne serait accordé à un particulier que s'il pouvait confirmer qu'il n'était assujetti à aucun accord de contrôle selon la définition de la politique. Le terme « accord de contrôle » était défini ainsi :

Accord de contrôle (AC) : accord conclu entre un titulaire de permis et une personne, une société ou une autre entité, qui confère à une personne autre que le titulaire de permis, le pouvoir de déterminer ou d'influencer la décision du titulaire de demander au MPO de délivrer un permis de remplacement à un autre pêcheur (opération communément appelée « transfert de permis »). Les ententes conclues entre le titulaire de permis et une institution financière reconnue sont réputées ne pas être des accords de contrôle à condition : 1) qu'il n'y ait pas de tierce partie engagée dans l'accord; ou 2) qu'aucun cosignataire, aucun répondant ou aucune caution partie à l'accord n'ait le pouvoir de déterminer ou d'influencer la décision du titulaire de demander au MPO de délivrer un permis de remplacement à un autre pêcheur.

[5]  On ne peut interpréter la politique sur la PIFPCAC de façon isolée; pour mieux la comprendre, on doit examiner d'autres politiques de délivrance de permis de pêche commerciale qui ont été adoptées précédemment, notamment la politique de séparation de la flottille, qui avait été adoptée en 1979. Cette politique est reprise en partie aux paragraphes 15(1) et (2) de la politique d'émission des permis pour la pêche commerciale dans l'Est du Canada – 1996 :

15(1) L'un des objectifs de la politique d'émission des permis est la séparation des secteurs de la pêche et de la transformation, particulièrement pour les pêches dont les titulaires de permis ne peuvent utiliser que des bateaux de moins de 19,8 m (65 pi) de LHT [longueur hors‑tout : voir le paragraphe 9(13) de la politique]. Cette partie de la politique est connue sous le nom de Politique de séparation de la flottille.

(2) En vertu de cette politique, de nouveaux permis pour les pêches limitées aux bateaux de moins de 19,8 m (65 pi) de LHT ne peuvent être délivrés à des sociétés, notamment celles ayant des intérêts dans le secteur de la transformation.

[6]  En vertu de la politique de séparation de la flottille, une société ne pouvait obtenir un permis de pêche côtière. Cette politique est aussi reprise aux paragraphes 11(6) et (7) de la politique d'émission des permis pour la pêche commerciale dans l'Est du Canada – 1996, lesquels confirment que « [p]our les pêches ne pouvant être pratiquées qu'à partir de bateaux de moins de 19,8 m (65 pi) de LHT, le permis sera délivré au nom du pêcheur », et les titulaires de permis « seront tenus de pêcher eux-mêmes en vertu du permis ».

[7]  En raison de la politique de séparation de la flottille, une société n'était pas admissible à l'obtention d'un permis de pêche lorsque le permis concernait l'utilisation de bateaux de la longueur spécifiée. Après l'adoption de cette politique, toute société qui voulait obtenir un permis ou continuer de détenir un permis contournait la politique en demandant à un particulier d'obtenir un permis et de conclure un accord de contrôle en vertu duquel le particulier confirmait qu'il détenait le permis en fiducie pour la société. Par conséquent, la société tirait les avantages du permis et le contrôlait même si elle n'était pas désignée comme titulaire du permis.

[8]  Au cours des diverses consultations qui ont eu lieu entre le ministère des Pêches et des Océans (MPO) et les parties intéressées, on a exprimé des préoccupations au sujet de l'utilisation généralisée de ces ententes de fiducie qui contournaient la politique de séparation de la flottille en faisant en sorte que la société continuait de tirer les avantages du permis. Afin de régler la question des accords de contrôle et de s'assurer que la personne à qui le permis était accordé était un particulier admissible, on a adopté la politique sur la PIFPCAC en avril 2007.

[9]  Selon la politique sur la PIFPCAC, un particulier qui souhaite obtenir un permis est tenu de déposer une déclaration indiquant qu'il n'est partie à aucun accord de contrôle. Les premières déclarations devaient être déposées au plus tard le 31 mars 2008 et à nouveau chaque fois qu'un particulier demandait un nouveau permis ou un permis de remplacement rattaché à un bateau dans le secteur côtier. Étant donné qu'un certain nombre de particuliers étaient parties à des accords de contrôle, les particuliers avaient sept ans (jusqu'au 12 avril 2014) pour se conformer à la politique sur la PIFPCAC et mettre fin à ces accords. Si une personne n'était pas en mesure de se conformer à la politique en signant une déclaration indiquant qu'elle n'était pas partie à un accord de contrôle au plus tard le 12 avril 2014, elle ne pouvait pas par la suite recevoir un nouveau permis ou un permis de remplacement.

[10]  M. Elson avait signé une entente confirmant qu'il était nu‑fiduciaire de Labrador Sea Products Inc. et de Quinlan Brothers Limited pour le permis qu'il avait acquis, ce qu'il a admis au MPO le 25 mars 2008. Le MPO a envoyé une lettre à M. Elson le 3 décembre 2009 indiquant que, puisqu'il était partie à un accord de contrôle, il n'était pas admissible comme pêcheur du noyau indépendant. Par conséquent, il ne pouvait pas obtenir un permis de remplacement après le 12 avril 2014, à moins qu'il ne mette fin à cet accord. Il a reçu une autre lettre du MPO le 18 octobre 2013 à ce sujet.

[11]  Le 18 mars 2014, le MPO a envoyé des lettres recommandées à tous les titulaires de permis qui étaient toujours parties à un accord de contrôle pour leur rappeler de nouveau la date limite du 12 avril 2014 et pour les inciter à mettre fin à leurs ententes de contrôle ou à les modifier. Les titulaires ont également été informés qu'ils pouvaient interjeter appel auprès de l'Office des appels relatifs aux permis de pêche de l'Atlantique (l'Office des appels) de la décision selon laquelle ils ne pouvaient pas se voir délivrer un permis s'ils étaient parties à un accord de contrôle après le 12 avril 2014. Au début avril 2014, M. Elson a été informé que s'il présentait une demande de renouvellement de ses permis avant le 12 avril 2014, il se verrait délivrer des permis pour la saison 2014, même s'il ne pouvait pas signer la déclaration requise. C'est ce que M. Elson a fait et il a obtenu des permis pour 2014.

[12]   Toutefois, à l'automne 2014, le MPO l'a informé que ses permis ne pouvaient pas être renouvelés en 2015 s'il était toujours assujetti à l'accord de contrôle. M. Elson a alors écrit au ministre le 31 décembre 2014 pour demander une exemption à la politique sur la PIFPCAC. Le 12 mars 2015, la ministre Shea de l'époque a envoyé à M. Elson une lettre indiquant que [TRADUCTION] « les permis réputés faire partie d'une entente de contrôle le 12 avril 2014 ne sont pas admissibles au renouvellement » et que le MPO [TRADUCTION] « n'envisagera aucune exception à la politique sur la PIFPCAC ». M. Elson a aussi été informé qu'il pouvait faire appel à l'Office des appels.

[13]  M. Elson a interjeté appel de la décision de ne pas renouveler ses permis auprès de l'Office des appels et ses permis ont été renouvelés pour la saison 2015. En juin 2015, M. Elson a reçu une trousse d'appel du MPO et une trousse mise à jour a été fournie à l'avocat de M. Elson le 28 août 2015. Le 21 octobre 2015, l'avocat de M. Elson a présenté des observations écrites à l'Office des appels, y compris une copie de l'accord de contrôle de M. Elson. Le même jour, l'audience a eu lieu et l'avocat de M. Elson a présenté ses observations orales.

[14]  À la suite de l'audience, l'Office des appels a envoyé un rapport au ministre Tootoo dans lequel l'Office des appels décrivait certaines politiques, y compris la politique sur la PIFPCAC et la politique de séparation de la flottille. Le rapport comprenait également les faits pertinents au contexte. Les observations de l'avocat de M. Elson apparaissaient également dans le rapport et une copie de ces observations faisait partie de la trousse envoyée au ministre Tootoo. Dans ses observations, l'avocat de M. Elson a souligné ce qui suit au quatrième paragraphe :

[TRADUCTION]

[l]a ministre doit examiner le bien‑fondé dans chaque cas, pour deux raisons. Premièrement, l'équité l'exige. Deuxièmement, la Loi sur les pêches (article 7) lui confère le pouvoir discrétionnaire absolu d'octroyer des permis de pêche. Cela signifie qu'elle ne peut établir une politique générale et ensuite omettre d'examiner le bien‑fondé de chaque cas en invoquant cette politique.

[15]  L'avocat de M. Elson a décrit les circonstances particulières de celui‑ci qui, à son avis, justifieraient une exception à la politique sur la PIFPCAC. La première était qu'il serait difficile pour M. Elson de mettre fin à l'accord de contrôle. Son avocat a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[l]a société avec laquelle il a conclu l'entente fournit le bateau, l'équipage et du soutien, et finance l'obtention du permis. Il dépend de cette relation pour gagner sa vie et, sans elle, il n'aura pas le financement pour obtenir le permis, le bateau, les employés, les contacts, les fournisseurs et les capitaux nécessaires pour continuer à pêcher lui‑même.

[16]  À l'audience, l'Office des appels avait demandé des précisions sur la situation financière de M. Elson et sur les difficultés financières qu'il subirait s'il ne recevait pas d'exemption à la politique sur la PIFPCAC, mais ces précisions ne lui ont pas été fournies.

[17]  Après avoir reçu le rapport et la recommandation de l'Office des appels, le ministre Tootoo a écrit la lettre du 23 décembre 2015 qui fait l'objet du présent appel. Cette lettre comprenait les deux paragraphes suivants qui sont directement liés à la décision rendue relativement à la demande d'exemption de M. Elson :

[TRADUCTION]

Après avoir examiné tous les renseignements pertinents, j'ai décidé de rejeter l'appel. Par conséquent, vous ne bénéficierez pas d'une exemption à la politique sur la PIFPCAC.

Par conséquent, vous n'aurez plus le droit de vous faire délivrer de nouveaux permis pour la saison de pêche 2016 et les saisons subséquentes.

[18]  Après avoir reçu cette lettre, M. Elson a présenté la présente demande de contrôle judiciaire de cette décision.

II.  La décision de la Cour fédérale

[19]  La juge de la Cour fédérale a conclu que la décision du ministre Tootoo concernant la délivrance d'un permis de pêche est une décision discrétionnaire à examiner selon la norme de la décision raisonnable et que la norme de la décision raisonnable s'appliquerait également à la question de savoir si le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire. La juge de la Cour fédérale a conclu que toute question d'équité procédurale serait examinée selon la norme de la décision correcte.

[20]  Dans sa décision, la juge de la Cour fédérale a formulé les questions dont elle était saisie ainsi :

1)  Quelle décision ou quelles décisions font l'objet du contrôle judiciaire?

2)  La décision du ministre était‑elle fondée sur des motifs valables?

3)  Le ministre a‑t‑il raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire, ou l'a‑t‑il entravé?

4)  Le ministre a‑t‑il fait preuve d'ouverture?

5)  Quelle est la mesure correctrice appropriée?

[21]  La juge de la Cour fédérale a conclu que la seule décision qui devait faire l'objet d'un contrôle judiciaire était celle énoncée dans la lettre du 23 décembre 2015 du ministre Tootoo.

[22]  La question de savoir si le ministre Tootoo s'était fondé sur des motifs valables faisait partie des observations de M. Elson selon lesquelles la politique sur la PIFPCAC excédait les pouvoirs du ministre. M. Elson a fait valoir qu'il s'agit, de par son caractère véritable, d'une question de réglementation des contrats, soit une question qui relève de la compétence des provinces puisqu'elle concerne la propriété et les droits civils dans une province (paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 et 31 Vict., ch. 3 (reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, no 5). M. Elson a également soutenu que la politique sur la PIFPCAC est généralement de nature purement locale ou privée dans la province (paragraphe 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867). La juge de la Cour fédérale a souligné qu'à son avis, étant donné qu'il s'agissait d'une politique, la politique sur la PIFPCAC ne pouvait faire l'objet d'une contestation fondée sur le partage des compétences selon laquelle la politique serait ultra vires. Elle a par ailleurs conclu au paragraphe 74 de ses motifs que même si la politique sur la PIFPCAC pouvait faire l'objet d'une contestation fondée sur le partage des compétences, le caractère véritable de la politique résidait dans la gestion des pêches côtières et dans la protection de l'économie des communautés côtières qui dépendent de ces ressources et donc que la politique relevait des larges pouvoirs du législateur fédéral sur les pêcheries.

[23]  En ce qui concerne la question de savoir si la décision du ministre Tootoo était déraisonnable au motif qu'il avait entravé son pouvoir discrétionnaire, la juge de la Cour fédérale a tiré la conclusion suivante au paragraphe 126 de ses motifs :

126  En somme, pour les motifs précédemment cités, je n'accueille pas les présentations du [demandeur] selon lequel le pouvoir discrétionnaire du ministre a été entravé puisque la politique sur la PIFPCAC a pour objectif de définir des exigences obligatoires, puisque le ministre n'a pas pris en considération la situation particulière du [demandeur], ou, en raison de l'absence d'exemptions ou de la souplesse nécessaire pour les pêcheurs individuels dans les politiques sur la PIFPCAC.

[24]  Au paragraphe 135, elle a néanmoins conclu ce qui suit :

135  J'accueille l'argument [du défendeur] voulant qu'il était opportun pour le ministre de se fonder sur la politique sur la PIFPCAC tel qu'indiqué dans Maple Lodge Farms, Stemijon, et Gordon, précités. Toutefois, dans le présent dossier, le doute repose sur le fait que la décision du ministre n'a pas reconnu que la source et l'ampleur de son vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 7 de la Loi sur les pêches, ne référant qu'à la politique sur la PIFPCAC. Il a donc entravé son pouvoir discrétionnaire en omettant de considérer aussi qu'il lui était possible d'autoriser l'allègement sollicité autrement que par le politique sur la PIFPCAC et le processus d'appel.

[25]  Toutefois, après avoir conclu que le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire, la juge a également conclu que le résultat n'aurait pas été différent en l'espèce. M. Elson avait présenté sa situation personnelle à l'Office des appels et il n'avait fourni aucun renseignement financier ou autre à l'appui de son allégation de difficultés financières. La juge a conclu que le ministre Tootoo aurait pu refuser de délivrer les permis en se fondant sur un examen de la politique sur la PIFPCAC et sur son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14. Cependant, à son avis, comme elle l'affirme au paragraphe 162 de ses motifs : « le ministre ne pourrait raisonnablement arriver à un résultat différent fondé sur les mêmes faits et le même droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 7 ». Elle a conclu que, même si le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire, elle ne renverrait pas la décision au ministre.

[26]  En ce qui concerne la question de savoir si le ministre Tootoo avait fait preuve d'ouverture, la juge a conclu au paragraphe 152 de ses motifs que M. Elson n'avait pu établir que le ministre Tootoo avait « prématurément jugé de l'affaire dans une mesure où des arguments contraires au point de vue adopté auraient été futiles ».

[27]  La juge de la Cour fédérale a ainsi rejeté la demande de contrôle judiciaire.

III.  Les questions en litige

[28]  M. Elson ne conteste pas la conclusion de la juge de la Cour fédérale selon laquelle le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire. La Couronne conteste toutefois cette conclusion. Par conséquent, les questions en litige dans le présent appel peuvent être résumées ainsi :

  • a) Le ministre Tootoo a‑t‑il entravé son pouvoir discrétionnaire, ce qui rendrait sa décision déraisonnable?

  • b) Si le ministre Tootoo a entravé son pouvoir discrétionnaire, ce qui a rendu sa décision déraisonnable, est‑ce que la question doit lui être renvoyée?

  • c) M. Elson a‑t‑il été traité équitablement?

  • d) La politique sur la PIFPCAC peut‑elle faire l'objet d'une contestation fondée sur le partage des compétences, selon laquelle la politique est ultra vires ou, quoi qu'il en soit, la politique sur la PIFPCAC est‑elle un exercice valide de la compétence fédérale en matière de pêcheries aux termes du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867?

IV.  La norme de contrôle

[29]  Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Cour fédérale qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre Tootoo présentée par M. Elson. Le rôle de la Cour consiste à déterminer si la juge de la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l'a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47). Par conséquent, la Cour doit se mettre à la place de la juge de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision du ministre (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 247; Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126, [2016] 1 R.C.F. 146, au paragraphe 23).

[30]  La juge de la Cour fédérale a conclu que la norme de la décision raisonnable s'applique au contrôle de la décision du ministre Tootoo. Je conviens que la norme de la décision raisonnable est la norme à appliquer dans l'examen de la décision du ministre Tootoo, notamment pour déterminer s'il a entravé son pouvoir discrétionnaire, ce qui rendrait sa décision déraisonnable.

[31]  En ce qui concerne l'allégation de M. Elson concernant le manque d'équité procédurale, le rôle de la cour de révision en matière d'équité procédurale consiste simplement à déterminer si la procédure suivie était équitable, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire. Je suis d'accord avec l'analyse de la Cour dans l'arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Procureur général, 2018 CAF 69, aux paragraphes 34 à 56. Si un manquement à l'obligation d'agir équitablement s'est produit, la Cour intervient généralement.

[32]  L'argument relatif à la question de savoir si la politique sur la PIFPCAC relève de la compétence provinciale n'a pas été soulevé devant l'Office des appels ni devant le ministre Tootoo. Cet argument a été soulevé pour la première fois devant la Cour fédérale. La norme de contrôle relativement à cette question est énoncée dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, c'est‑à‑dire que la norme de contrôle applicable à toute question de fait ou à toute question mixte de fait et de droit (lorsqu'il n'y a pas de question de droit distincte) est celle de l'erreur manifeste et dominante, et la norme pour toute question de droit est celle de la décision correcte.

V.  Analyse

[33]  Au début de l'audience, l'avocat de M. Elson a présenté deux résumés de sa plaidoirie. L'un était intitulé [TRADUCTION] « Résumé des observations de l'appelant – entrave », et l'autre, [TRADUCTION] « Résumé de la plaidoirie – partage des compétences ». Les observations sur la question de savoir si M. Elson avait été traité équitablement figuraient dans le [TRADUCTION] « Résumé des observations de l'appelant – entrave ».

[34]  Les deux résumés qui ont été présentés à l'audience ne font pas référence à toutes les observations figurant dans le mémoire de M. Elson, ce qui soulève la question de savoir si une observation qui se trouvait dans le mémoire, mais pas dans le résumé (et qui n'a donc pas été abordée au cours de l'audience) a été abandonnée. L'une des observations soulevées dans le mémoire de M. Elson portait sur la question de savoir si la juge de la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que seule la décision rendue par le ministre Tootoo le 23 décembre 2015 faisait l'objet d'un contrôle. Dans son mémoire, M. Elson estimait que la décision antérieure de l'ancienne ministre Shea faisait également l'objet du contrôle. Au cours de l'audience du présent appel, l'avocat de M. Elson a reconnu que cet argument avait été abandonné. Il ne sera donc pas pris en considération.

A.  La conclusion selon laquelle le ministre avait entravé son pouvoir discrétionnaire

[35]  La juge de la Cour fédérale a tiré la conclusion inhabituelle voulant que même si le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire « en omettant de considérer aussi qu'il lui était possible d'autoriser l'allègement sollicité autrement que par [la] politique sur la PIFPCAC et le processus d'appel » (paragraphe 135 de ses motifs), « le ministre n'aurait pas raisonnablement pu arriver à une décision différente même en se fondant sur ou en dépit du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 7 » (paragraphe 160 de ses motifs). La juge de la Cour fédérale a fait remarquer au paragraphe 161 de ses motifs que « le [demandeur] n'a pas répondu au critère d'admissibilité défini dans la politique sur la PIFPCAC, et n'en a pas été exempté ».

[36]  Il semble y avoir une contradiction entre la conclusion selon laquelle le ministre Tootoo a entravé son pouvoir discrétionnaire en ne traitant pas de son vaste pouvoir discrétionnaire d'octroyer un permis de pêche en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches et la conclusion selon laquelle il n'y avait qu'un résultat possible auquel le ministre Tootoo aurait pu arriver (même s'il avait exercé son vaste pouvoir discrétionnaire). M. Elson a abordé la question en soutenant que la juge de la Cour fédérale avait raison de conclure que le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire, mais qu'elle avait commis une erreur en n'annulant pas la décision et en ne renvoyant pas l'affaire au ministre. Le procureur général a soutenu que le ministre Tootoo n'avait pas entravé son pouvoir discrétionnaire et que, par conséquent, la décision était raisonnable et ne devrait pas être annulée.

[37]  Lors de l'analyse visant à déterminer si le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire, la juge de la Cour fédérale a souligné ce qui suit au paragraphe 116 de ses motifs :

[...] le ministre avait la possibilité de ne pas prévoir dans la politique sur la PIFPCAC des exemptions pour les pêcheurs individuels. Il avait le pouvoir discrétionnaire d'omettre les dérogations en les estimant comme contraires aux objectifs de la politique. Il n'est absolument pas irrégulier de définir des critères pour atteindre les objectifs d'une politique. Cela ne qualifie pas, en soi, une entrave au pouvoir discrétionnaire. [...]

[38]  De plus, elle a fait remarquer au paragraphe 126 qu'elle n'accueillait pas « les présentations du [demandeur] selon lequel le pouvoir discrétionnaire du ministre a été entravé puisque la politique sur la PIFPCAC a pour objectif de définir des exigences obligatoires, puisque le ministre n'a pas pris en considération la situation particulière du [demandeur], ou, en raison de l'absence d'exemptions ou de la souplesse nécessaire pour les pêcheurs individuels dans les politiques sur la PIFPCAC ».

[39]  Je souscris aux conclusions de la juge de la Cour fédérale pour les motifs qu'elle a exposés. Cependant, après avoir tiré ces conclusions, elle a conclu en fin de compte que le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire. Le seul fondement de cette conclusion semble être l'absence de renvoi à l'article 7 de la Loi sur les pêches dans sa lettre du 23 décembre 2015. Au paragraphe 130, la juge de la Cour fédérale a écrit ce qui suit :

La difficulté du présent dossier tient au fait que le ministre lie sa décision de rejeter l'appel, et ainsi de refuser d'accorder une dérogation en vertu de la politique sur la PIFPCAC, à la délivrance du permis de pêche. En termes concrets, la décision n'identifie aucune autre considération que celle de la politique sur la PIFPCAC, ce qui indique que le ministre a limité sa considération sur la délivrance du permis de pêche à la question de savoir si le [demandeur] avait bénéficié d'une exemption aux exigences d'admissibilité énoncées dans la politique sur la PIFPCAC, plutôt que de se fonder sur son pouvoir discrétionnaire absolu.

[40]  La juge de la Cour fédérale s'est appuyée sur la décision de la Cour dans l'arrêt Stemijon Investments Ltd. c. Procureur général, 2011 CAF 299 (l'arrêt Stemijon), en concluant que le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire en omettant de faire expressément référence au vaste pouvoir discrétionnaire d'octroyer des permis que lui confère l'article 7 de la Loi sur les pêches. On peut cependant établir une distinction avec l'arrêt Stemijon.

[41]  Comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt Stemijon, « [e]n soi, le renvoi à un énoncé de politique, telle que la circulaire d'information, ne pose pas nécessairement problème » (paragraphe 31), et « [l]es énoncés de politique jouent un rôle utile et important dans l'administration » (paragraphe 59). Par conséquent, le ministre Tootoo pouvait se reporter à la politique sur la PIFPCAC dans sa lettre de décision. La question est de savoir si le ministre Tootoo n'a tenu compte que de la politique sur la PIFPCAC et a donc entravé son pouvoir discrétionnaire.

[42]  Dans sa courte lettre, le ministre Tootoo a déclaré qu'il avait tenu compte de tous les renseignements pertinents. Ces renseignements pertinents devaient comprendre le dossier qui lui avait été présenté. Dans l'arrêt Florea c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 598 (QL), la Cour d'appel fédérale affirmait qu'« un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire ». Dans l'arrêt Stemijon, le dossier n'a été d'aucune aide à la Cour puisqu'il n'y avait rien pour appuyer une conclusion selon laquelle le ministre du Revenu national avait tenu compte du fait qu'il n'était pas lié par la circulaire d'information.

[43]  En l'espèce, l'Office des appels a présenté des motifs plus détaillés à l'appui de ses recommandations au ministre Tootoo selon lesquelles l'appel de M. Elson devait être rejeté. Parmi ces motifs se trouvent des références aux observations de M. Elson concernant sa situation personnelle et ses difficultés financières. Les motifs font également référence à la demande de l'Office des appels pour que M. Elson donne des détails sur ses prétendues difficultés financières, ce qui indique que l'Office des appels n'a pas simplement refusé de faire droit à la demande d'exemption. M. Elson a toutefois indiqué qu'il ne pouvait pas fournir les renseignements demandés. M. Elson ne peut donc pas se plaindre que l'Office des appels et le ministre Tootoo n'ont pas tenu compte de la possibilité qu'il pouvait être exempté de la politique sur la PIFPCAC en raison de difficultés financières alors qu'il ne pouvait pas ou ne voulait pas fournir de détails sur ces prétendues difficultés financières.

[44]  Les brèves observations de l'avocat de M. Elson auraient fait partie des renseignements pertinents examinés par le ministre Tootoo. Dans sa lettre, l'avocat de M. Elson énonce au troisième paragraphe le pouvoir discrétionnaire général dont dispose le ministre en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches pour accorder un permis de pêche. Le simple fait que le ministre n'a pas expressément renvoyé à cet article de la Loi sur les pêches ne suffit pas pour réfuter la présomption qu'il a examiné tout le dossier et qu'il a donc envisagé d'exercer ou non son vaste pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches afin d'octroyer un permis à M. Elson.

[45]  À mon avis, il n'y a aucun motif de conclure que le ministre Tootoo a entravé son pouvoir discrétionnaire; la juge de la Cour fédérale a ainsi commis une erreur en tirant cette conclusion. La juge de la Cour fédérale n'a donc pas correctement appliqué la norme de la décision raisonnable à la question de savoir si le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire, ce qui aurait rendu sa décision déraisonnable. Comme la conclusion aurait dû être que le ministre Tootoo n'avait pas entravé son pouvoir discrétionnaire, la question en litige susmentionnée à l'alinéa 28b) ne se pose pas.

B.  M. Elson a‑t‑il été traité équitablement?

[46]  Dans son mémoire, M. Elson a soutenu, relativement à son argument qu'il n'avait pas été traité équitablement, que la juge de la Cour fédérale était allée au‑delà du dossier et qu'elle avait renvoyé de façon sélective à des déclarations de l'affidavit de M. Elson qu'il avait déposé lors de sa demande de contrôle judiciaire, et qu'il n'avait donc pas présenté à l'Office des appels. Il s'agit du même affidavit que celui sur lequel M. Elson se fonde pour étayer des renseignements généraux à son sujet et pour étayer certaines questions liées à son permis qui sont énoncés aux paragraphes 10, 11 et 12 de son mémoire. Dans le résumé déposé au début de l'audience, cet argument a été présenté à l'appui des observations selon lesquelles la juge de la Cour fédérale avait commis une erreur en ne renvoyant pas l'affaire au ministre une fois qu'elle avait déterminé que le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire. M. Elson ne s'oppose pas à l'admissibilité de son propre affidavit, mais s'oppose plutôt à l'utilisation de la preuve contenue dans son affidavit. La Couronne ne s'oppose pas à l'admissibilité de l'affidavit ni à l'utilisation des éléments de preuve qu'il contient.

[47]  Peu importe si cet argument est présenté relativement à la question de savoir si l'Office des appels et le ministre Tootoo ont traité M. Elson équitablement ou non, ou s'il est présenté relativement à la question de savoir si la juge de la Cour fédérale a commis ou non une erreur en ne renvoyant pas la décision au ministre, l'argument est, à mon avis, sans conséquence, puisque la preuve n'est pas pertinente aux questions dont nous sommes saisis. La juge de la Cour fédérale a renvoyé à ces éléments de preuve aux paragraphes 121 à 123 de ses motifs relativement à la question en litige suivante : « Le ministre a-t-il raisonnablement exercé, ou a-t-il entravé son pouvoir discrétionnaire? ».

[48]  Dans l'affidavit en question, M. Elson :

  • a) a fourni des renseignements généraux supplémentaires sur lui‑même;

  • b) a résumé les diverses mesures qu'il avait prises relativement à sa demande d'exemption à la politique sur la PIFPCAC;

  • c) a résumé ses rapports avec le MPO;

  • d) a fait valoir que le ministre n'avait pas demandé à voir son accord de contrôle;

  • e) a fait référence à la lettre de la ministre Shea.

Son affidavit ne fait état d'aucun fait qui appuierait la conclusion selon laquelle il n'a pas été traité équitablement par l'Office des appels.

[49]  La question de savoir si M. Elson a été traité équitablement par l'Office des appels peut être tranchée et sera tranchée sans tenir compte de ces nouveaux éléments de preuve. Toutefois, si l'argument est présenté relativement à la question de savoir si la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en ne renvoyant pas la décision au ministre (après avoir conclu que le ministre Tootoo avait entravé son pouvoir discrétionnaire), l'argument devient théorique puisque, à mon avis, le ministre Tootoo n'a pas entravé son pouvoir discrétionnaire.

[50]  M. Elson a fait valoir qu'il n'avait pas été traité équitablement parce qu'aucun critère pour demander une exemption à la politique sur la PIFPCAC n'avait été établi. L'absence de critère précis pour justifier une exemption à la politique sur la PIFPCAC ne permet pas de conclure que M. Elson n'a pas été traité équitablement. En l'espèce, M. Elson a eu l'occasion de présenter des observations à l'Office des appels, ce que son avocat a fait dans sa lettre de deux pages et dans ses observations orales. M. Elson prétendait qu'il devait être exempté de la politique sur la PIFPCAC en grande partie en raison des difficultés financières qu'il subirait si on mettait fin à l'accord de contrôle. Par contre, lorsque l'Office des appels lui a demandé de fournir des détails précis sur ces difficultés financières, il a répondu qu'il n'était pas en mesure de le faire. Étant donné qu'il était la personne demandant une exemption fondée sur des difficultés financières, il lui incombait d'établir ces difficultés financières. Ce n'est pas parce qu'il ne l'a pas fait qu'il n'a pas été traité équitablement.

[51]  M. Elson a fait valoir qu'il n'avait pas été traité équitablement parce que l'Office des appels s'est limité à déterminer s'il appartenait à la catégorie « pêcheur du noyau indépendant », c'est‑à‑dire s'il était partie à un accord de contrôle. Toutefois, les questions de l'Office des appels concernant les détails de ses difficultés financières indiquent que l'Office des appels ne s'est pas penché uniquement sur la question de savoir si l'accord constituait un accord de contrôle et, par conséquent, si M. Elson satisfaisait aux critères du noyau indépendant. Les questions indiquent que l'Office des appels était prêt à examiner son argument relatif aux difficultés financières.

[52]  Au paragraphe 58 de son mémoire, M. Elson a soutenu qu'il [TRADUCTION] « n'avait pas eu droit à une audience équitable d'un tribunal juste et impartial ». Le résumé qui a été présenté au début de l'audience ne faisait mention d'aucun argument fondé sur la partialité. Quoi qu'il en soit, il incomberait à M. Elson d'établir cette partialité. Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page 1197 :

[...] La partie qui allègue la partialité entraînant l'inhabilité doit établir que l'affaire a en fait été préjugée, de sorte qu'il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté. Les déclarations de conseillers individuels, bien qu'elles puissent fort bien créer une apparence de partialité, ne satisfont au critère que si la cour conclut qu'elles sont l'expression d'une opinion finale et irrévocable sur la question. Il importe de se rappeler à ce propos que ni le fait d'appuyer une mesure devant un comité ni le fait de voter en faveur de cette mesure ne constituera, en l'absence d'une indication du caractère définitif de la position prise, une preuve de partialité entraînant l'inhabilité. La conclusion contraire rendrait inhabiles la majorité des conseillers à l'égard de toutes les questions qui sont décidées dans le cadre d'assemblées publiques au cours desquelles les opposants à une mesure ont le droit de se faire entendre.

[53]  M. Elson n'a pas réussi à établir que l'Office des appels ou le ministre Tootoo avait préjugé de l'affaire au point où ses observations étaient futiles. Il est incontestable que l'Office des appels a demandé à M. Elson des détails concernant ses difficultés financières, ce qui indique que l'Office des appels était prêt à l'entendre sur cette question.

[54]  M. Elson a aussi fait valoir que les motifs étaient insuffisants. L'« insuffisance » des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 14). De plus, comme le ministre Tootoo a en fait accepté la recommandation de l'Office des appels, les motifs fournis par l'Office des appels doivent être considérés comme faisant partie des motifs de la décision du ministre Tootoo (Procureur général c. Shakov, 2017 CAF 250, au paragraphe 39).

[55]  Bien que M. Elson ait soutenu qu'il devrait se voir accorder une exemption en raison de sa situation personnelle et de ses difficultés financières, seules des déclarations générales et limitées sur sa situation personnelle ont été fournies dans le mémoire de deux pages qu'il a présenté à l'Office des appels, et aucun détail sur ses prétendues difficultés financières n'y figurait. Compte tenu de ce manque de preuve, l'argument de M. Elson sur l'« insuffisance » des motifs est sans fondement.

[56]   En l'espèce, rien ne justifie de modifier la conclusion de la juge de la Cour fédérale selon laquelle M. Elson a été traité équitablement.

C.  M. Elson peut‑il contester la politique sur la PIFPCAC en prétendant qu'elle est ultra vires?

[57]  Dans son mémoire, M. Elson a fait valoir que [TRADUCTION] « [l]a primauté du droit serait fondamentalement compromise si l'on soustrayait au contrôle judiciaire les décisions fondées uniquement sur une politique qui outrepasserait la compétence fédérale si elle était adoptée sous forme de loi ou de règlement ». Suivant l'argument de M. Elson, si la politique sur la PIFPCAC avait été adoptée sous forme de loi ou de règlement, elle aurait été jugée de compétence provinciale et non fédérale puisque la politique sur la PIFPCAC limite son droit de conclure des contrats. Par conséquent, toute décision prise par le ministre Tootoo en fonction de cette politique serait déraisonnable.

[58]  Bien qu'il ne s'agisse pas d'une contestation directe de la validité constitutionnelle de la politique sur la PIFPCAC, M. Elson allègue essentiellement qu'il ne s'agit pas d'une politique valide sur laquelle le ministre Tootoo pouvait s'appuyer. M. Elson conteste donc indirectement la politique. Je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire de décider en l'espèce si la politique sur la PIFPCAC peut être directement ou indirectement contestée au motif qu'elle excède la compétence du gouvernement fédéral. Quoi qu'il en soit, la politique sur la PIFPCAC, de par son caractère véritable, ne touche pas la propriété et les droits civils dans une province et n'est pas de nature purement locale ou privée dans la province. Même si cette politique limite le droit des particuliers de conclure certains types de contrats, ces types de contrats ne sont que ceux qui entraveraient le pouvoir du ministre d'octroyer des permis. Le pouvoir du ministre de restreindre la conclusion de certains types de contrats relève de son pouvoir d'octroyer des permis.

[59]  En l'espèce, comme nous l'avons mentionné précédemment, la politique sur la PIFPCAC doit être considérée en tenant compte du contexte dans lequel elle a été adoptée. Avant l'adoption de cette politique, la politique de séparation de la flottille prévoyait que les sociétés ne pourraient détenir de permis de pêche. Cette politique ne fait pas l'objet d'un contrôle en l'espèce. La politique sur la PIFPCAC a été mise en œuvre parce que les sociétés avaient trouvé un moyen de contourner la politique de séparation de la flottille en concluant des conventions de fiducie. La politique sur la PIFPCAC a été adoptée pour faire en sorte qu'un permis de pêche soit accordé à la personne qui bénéficierait du permis et non à une personne qui détiendrait le permis en fiducie pour une société. Lors de la gestion et du contrôle des pêches, le MPO a le droit de savoir si le titulaire de permis nommé est le propriétaire de ce permis en equity ou s'il n'en est que le propriétaire théorique. Le MPO a le droit de savoir si une personne non admissible, par exemple une société, est la personne qui contrôlera ce permis et qui aura droit aux avantages qui en découlent.

[60]  Le pouvoir de tout ministre fédéral d'accorder un permis comprend le droit de s'assurer que la personne à qui le permis est accordé est effectivement la personne qui acquiert le permis et que cette personne n'agit pas simplement au nom et au bénéfice d'une autre personne qui ne serait pas admissible à l'obtention du permis. En l'espèce, en raison de l'accord de contrôle, M. Elson avait en fait transféré aux sociétés Labrador Sea Products Inc. et Quinlan Brothers Limited tous ses droits d'exploiter les permis délivrés en son nom ainsi que son contrôle de ces permis. Ces sociétés ont acquis les avantages de ces permis de pêche et le droit de pêche qui s'y rattache. En vertu de la politique de séparation de la flottille (en vigueur depuis 1979), il était interdit à ces sociétés de procéder ainsi. Ces sociétés faisaient donc indirectement ce qu'elles ne pouvaient pas faire directement. De par son caractère véritable, la politique sur la PIFPCAC empêche simplement une personne de contourner une politique ou un règlement en vigueur et d'acquérir indirectement l'avantage d'un permis que cette personne ne pourrait acquérir directement. Le droit de prévenir l'abus que constitue le contournement des politiques ou des règlements fait sans aucun doute partie du pouvoir de délivrer un permis.

[61]  En outre, dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569 (l'arrêt Ward), la Cour suprême du Canada a fait remarquer que les pouvoirs du ministre de gérer les pêches sont vastes et peuvent inclure leur gestion et leur surveillance :

41  Ces décisions établissent indubitablement que la compétence en matière de pêcheries vise non seulement la conservation et la protection, mais encore la « réglementation » générale des pêcheries, y compris leur gestion et leur surveillance. Elles reconnaissent que les « pêcheries », au par. 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, s'entendent des pêcheries en tant que ressource naturelle; [TRADUCTION] « une source de richesse pour le pays ou la province » (Robertson, précité, p. 121); un « bien commun » à gérer pour le bien de tous les Canadiens (Comeau's Sea Foods, précité, par. 37). La ressource halieutique comprend tous les animaux qui habitent les mers, mais elle englobe aussi les intérêts commerciaux et économiques, les droits et les intérêts des peuples autochtones, de même que l'intérêt public en matière de sport et de loisirs.

42  Bien qu'elle soit vaste, la compétence en matière de pêcheries n'est pas illimitée. Les mêmes décisions qui établissent les grands paramètres de la compétence en matière de pêcheries précisent également que l'interprétation de cette compétence doit respecter la compétence en matière de propriété et de droits civils que le par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère aux provinces. Il s'agit là aussi d'une compétence vaste et polyvalente difficile à résumer succinctement. Pour les besoins du présent pourvoi, il suffit de souligner que la réglementation générale du commerce et de l'industrie à l'intérieur de la province relève (sous réserve de certaines exceptions) de la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils : voir Citizens Insurance, précité; voir également Attorney‑General for Canada c. Attorney‑General for Alberta, [1916] 1 A.C. 588 (C.P.).

[62]  Dans l'arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a conclu que l'interdiction de la vente de peaux de phoque relevait de la compétence fédérale en matière de gestion des pêches, car si les peaux ne pouvaient être vendues, les phoques nouveau‑nés ne seraient pas abattus.

[63]  Le ministre a le pouvoir de délivrer des permis visant l'exploitation des pêches. Ce pouvoir comprend celui de vérifier l'identité véritable de la personne qui profitera du permis à la suite de sa délivrance. La politique sur la PIFPCAC vise simplement à garantir que la personne qui présente une demande de permis est celle qui profitera de la pêche que le permis autorise. Bien qu'elle limite le droit d'un particulier de conclure certains contrats, elle ne constitue pas, de par son caractère véritable, une restriction ni une limitation de la propriété et des droits civils dans une province, et elle ne vise pas une question de nature purement locale ou privée dans la province. Elle restreint simplement le droit d'un particulier de conclure des contrats qui contourneraient le droit du ministre de déterminer qui bénéficiera d'un permis. La politique de séparation de la flottille (qui empêche les sociétés d'acquérir des permis) n'est pas visée par le présent appel.

[64]  Je conclurais donc que la décision du ministre Tootoo n'était pas fondée sur des motifs non valables.

D.  Conclusion

[65]  Par conséquent, j'estimerais que la décision du ministre Tootoo était raisonnable et je rejetterais ainsi l'appel. À la suite de l'audience, les parties ont présenté une lettre confirmant qu'elles avaient convenu qu'aucune des parties ne demande qu'on lui adjuge de dépens. Je rejetterais donc l'appel sans dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

  Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

  Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DU 5 MAI 2017 PORTANT LE NUMÉRO DE RÉFÉRENCE 2017 CF 459 (DOSSIER NO T­138­16)

DOSSIER :

A‑177‑17

 

INTITULÉ :

KIRBY ELSON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 19 septembre 2018

motifs du jugement :

LE JUGE WEBB

y ont souscrit :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE GLEASON

date des motifs :

LE 8 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Steven G. Mason

Richard Lizius

Brandon Kain

POUR L'APPELANT

(McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.)

M. John Mate

POUR L'APPELANT

(Nauticor Legal PLC Inc.)

Anne McConville

Adrian Bieniasiewicz

pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L'APPELANT

Nauticor Legal PLC Inc.

St. John's (Terre­Neuve­et­Labrador)

pour l'appelant

Nathalie G. Drouin

Sous­procureure générale du Canada

POUR L'INTIMÉ

 

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