Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190208


Dossier : A-123-18

Référence : 2019 CAF 28

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

ZOLTAN ANDREW SIMON

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 14 décembre 2018.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 8 février 2019.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20190208


Dossier : A-123-18

Référence : 2019 CAF 28

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

ZOLTAN ANDREW SIMON

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  Le procureur général présente une requête pour faire déclarer l’appelant plaideur quérulent en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7 et pour obtenir des réparations connexes. Il présente également une requête en rejet du présent appel.

A.  Questions préliminaires

[2]  L’intitulé est incorrect. L’intimé est le « Procureur général du Canada » plutôt que le « Procureur général du Canada (représentant le ministre du Revenu national, les deux à titre de représentant) ». J’ai modifié l’intitulé. Cette modification n’affecte pas les deux requêtes sur le fond.

[3]  Les requêtes ont été confiées à un juge seul de la Cour. Un juge seul peut trancher une requête pour faire déclarer une partie quérulente (voir, p. ex., Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, [2018] 2 R.C.F. 328 au par. 5; Keremelevski c. Église ukrainienne orthodoxe de Sainte-Marie, 2018 CAF 218, au par. 6; Loi sur les Cours fédérales, art. 16). Un juge seul peut également « interdire [à une personne] de continuer devant [la Cour] une instance déjà engagée », à moins qu’elle en demande et obtienne l’autorisation (Loi sur les Cours fédérales, par. 40(1)). Un seul juge ne peut cependant pas trancher une requête en rejet d’un appel (Loi sur les Cours fédérales, art. 16; Rock‑St Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192, par. 30; Keremelevski, par. 5).

[4]  Je ne peux donc trancher seul la requête en rejet. Néanmoins, des observations écrites complètes ont été présentées à ce sujet. J’ordonnerai qu’elle soit traitée comme une requête par écrit. Je laisse le soin à une formation de trois juges de la Cour d’en connaître.

[5]  Les motifs qui suivent concernent la requête visant à déclarer l’appelant plaideur quérulent. J’accueillerai la requête, rendrai le jugement déclaratif et ordonnerai certaines mesures en raison de la déclaration de plaideur quérulent prononcée à l’égard de l’appelant.

B.  Analyse

(1)  Le prérequis obligatoire est rempli

[6]  Aux termes du paragraphe 40(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la présentation d’une requête visant le prononcé d’une déclaration de plaideur quérulent est subordonnée au consentement du procureur général. Le paragraphe 40(2) n’exige pas le dépôt d’un document à cet effet. Or, dans les faits, pour que la Cour puisse connaître de la requête, le consentement doit être présenté officiellement à la Cour, c’est-à-dire qu’il doit être déposé.

[7]  Il est possible d’assortir l’affidavit déposé à l’appui de la requête d’un document indiquant le consentement, de le déposer à la Cour au début de l’audience si la requête est entendue oralement ou de le déposer séparément. En l’espèce, il a été déposé séparément auprès de la Cour.

(2)  Introduction à l’analyse

[8]  Comme la Cour l’explique dans l’arrêt Olumide, le critère applicable à la déclaration de partie quérulente est fonction des raisons qui justifient la déclaration. L’arrêt Olumide laisse également entendre que, lorsque l’effet de réglementation d’une déclaration de plaideur quérulent est nécessaire, la déclaration devrait être accordée. J’aimerais en dire davantage notamment sur ces questions.

– I –

[9]  À mon avis, la principale justification d’une déclaration de plaideur quérulent découle du fait que les cours « sont un bien collectif dont la mission est de servir tout un chacun » et « disposent de ressources limitées qui ne peuvent pas être dilapidées » (Olumide, par. 17 et 19).

[10]  Les plaideurs ont le droit de se prévaloir de ce bien collectif et des ressources de la Cour (Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31). Pour la plupart des plaideurs, les limites habituelles prévues dans les Règles suffisent. Pour certains, des mesures plus strictes sont nécessaires (Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171; Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 206; Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224). De plus, dans le cas de quelques personnes, la nature et le sérieux de leur conduite, la récurrence réelle ou probable de cette conduite dans de multiples instances et le préjudice qu’elles causent aux autres plaideurs ainsi qu’à la Cour rendent nécessaire une déclaration de plaideur quérulent (Olumide, par. 24).

– II –

[11]  Les conséquences d’une déclaration de plaideur quérulent peuvent être graves, mais il ne faut pas les exagérer (Olumide, par. 27). Il n’est pas interdit aux plaideurs déclarés quérulents de s’adresser à la Cour; ils sont plutôt assujettis à un contrôle. Ils doivent demander l’autorisation de la Cour avant d’engager une instance (Loi sur les Cours fédérales, par. 40(1)).

[12]  L’autorisation sera accordée si l’instance soulève une véritable question et n’est pas vouée à l’échec. Si la Cour accorde l’autorisation, elle peut imposer des conditions prévoyant une supervision ou la gestion par la Cour pour faire en sorte que l’instance soit instruite en bonne et due forme (Olumide, par. 29).

– III –

[13]  Nous devons veiller à ne pas confondre les plaideurs non représentés qui nécessitent davantage de services et d’aide avec ceux qui sont quérulents. Les plaideurs quérulents ne sont que quelques-uns des plaideurs non représentés qui se présentent devant nous. Aider les plaideurs non représentés fait partie de la mission fondamentale de la Cour, qui est de rendre la justice accessible à l’ensemble de la population, y compris à ceux qui ont des capacités moindres et se heurtent à davantage d’obstacles. La Cour s’acquitte de cette mission principalement au moyen d’un greffe au personnel professionnel et dévoué, ainsi que du prononcé expéditif d’ordonnances et de directives. Presque tous les plaideurs non représentés qui ont besoin de services et d’aide supplémentaires sont bien disposés à les recevoir, les reçoivent et font instruire leur affaire jusqu’à l’obtention d’une décision sur le fond. Ils n’ont pas besoin des limites supplémentaires qu’emporte une déclaration de plaideur quérulent. Néanmoins, c’est indéniablement le cas de certains.

[14]  Certains plaideurs sont tout simplement incontrôlables. Ils font fi de toutes les règles, ne répondent pas de façon constructive aux services et à l’aide considérables que les tribunaux leur accordent, ne respectent pas les ordonnances et s’obstinent dans des litiges voués à l’échec, parfois en les ressuscitant une fois qu’ils ont été radiés, encore et encore.

[15]  D’autres plaideurs sont tout simplement nuisibles. Ils forcent la partie adverse à se défendre dans des litiges sans fondement ou répétitives et drainent les ressources limitées de la Cour en raison du nombre de litiges inutiles, du genre de litiges ou de la manière dont ils les gèrent, de leurs motivations, de leurs intentions, de leurs attitudes et de leurs capacités pendant les litiges ou de toute combinaison de ces éléments.

[16]  À un certain point, trop c’est trop. Le pragmatisme doit l’emporter. Les limites supplémentaires qu’emporte la déclaration de plaideur quérulent sont nécessaires, justes et responsables (voir, de façon générale, Olumide, aux paragraphes 20 à 22 et 32 à 34).

– IV –

[17]  Les raisons qui justifient les déclarations de plaideur quérulent, les conséquences de ces déclarations et ma mise en garde au sujet de la confusion entre les parties non représentées et les plaideurs quérulents sont pertinentes lorsqu’il s’agit de déterminer le critère applicable à une telle déclaration.

[18]  La meilleure expression de ce critère est la question suivante : le plaideur est-il incontrôlable ou nuisible au système judiciaire et à ses participants au point qu’il est justifié de lui imposer l’obligation d’obtenir une autorisation pour exercer tout nouveau recours?

[19]  Ce n’est rien de plus qu’un exemple plus concret du critère établi dans l’arrêt Olumide, au paragraphe 31 :

La conduite vexatoire est un concept qui tire principalement son sens de l’objet de l’article 40. Lorsque la réglementation de l’accès continu du plaideur aux cours de justice au titre de l’article 40 est appuyée par l’objet de cet article, la réparation doit être accordée. En d’autres mots, la réparation prévue doit être accordée lorsque l’accès continu et illimité d’un plaideur aux cours de justice sape l’objet de l’article 40. 

[20]  Il incombe à la partie qui cherche à imposer cette limite à un plaideur de présenter des éléments de preuve à l’appui de cette déclaration. On peut toutefois s’acquitter de ce fardeau de nombreuses façons. La preuve que d’autres juridictions ont déclaré le plaideur quérulent peut alléger considérablement ce fardeau. Si elle n’est pas contestée, cette preuve contribuera grandement à établir la nécessité d’imposer une exigence relative à l’autorisation (voir Olumide, aux par. 37 et 38).

(3)  Application de ces principes à la présente affaire

[21]  Le procureur général soutient qu’une déclaration de plaideur quérulent est nécessaire pour encadrer l’utilisation des ressources judiciaires par l’appelant. À l’appui de cette affirmation, le procureur général cite la myriade d’instances intentées par l’appelant, la nature frivole de bon nombre de ces dernières, la nature répétitive et similaire de celles-ci ainsi que la tendance manifeste de l’appelant à interjeter automatiquement appel des décisions interlocutoires et finales, sans égard au bien-fondé de ces appels.

[22]  Le fardeau pour le procureur général et les parties aux litiges est énorme et dure depuis plusieurs années.

[23]  Plus précisément, depuis 2007, l’appelant a intenté plus de 20 recours devant divers tribunaux, y compris des actions, des demandes de contrôle judiciaire, des appels, des demandes d’autorisation à la Cour suprême du Canada et des questions constitutionnelles non pertinentes et sans fondement. Toutes ces instances découlent des mêmes faits, à savoir une dette de parrainage en matière d’immigration accumulée par l’appelant en 2000 et le rejet d’une demande de parrainage subséquente en 2006. Souvent, l’appelant soulève à nouveau les mêmes arguments et les mêmes questions après qu’elles ont été tranchées de manière définitive. Le comportement de l’appelant devant les tribunaux, comme il est décrit dans les observations du procureur général et illustré par la réponse de l’appelant et le dossier de l’espèce, présente de nombreux indices d’une conduite vexatoire (Olumide, par. 34).

[24]  On pourrait en dire davantage sur la qualité vexatoire de l’instance, mais je n’ai pas à en dire plus (Olumide, par. 39 et 40).

[25]  Le procureur général renvoie à la déclaration de plaideur quérulent prononcée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique contre l’appelant en vertu de la loi de cette province intitulée Supreme Court Act (Loi sur la Cour suprême), R.S.B.C. 1996, ch. 443, art. 18 (Simon v. Canada (Attorney General), 2017 BCSC 1438 (autorisation d’appel refusée, 2018 BCCA 54). La disposition en question reproduit essentiellement l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. La déclaration de la Colombie-Britannique mérite un poids considérable (Olumide, par. 37; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77).

[26]  En l’espèce, la question qui se pose est la suivante : est-ce que le plaideur est incontrôlable ou nuisible au système judiciaire et à ses participants au point qu’il soit justifié de lui imposer d’obtenir l’autorisation pour exercer tout nouveau recours? Je réponds par l’affirmative à la question.

C.   Une récente tentative de déposer un avis d’appel

[27]  Après l’audience portant sur la requête du procureur général visant à obtenir une déclaration de plaideur quérulent à l’encontre de l’appelant, ce dernier a présenté un nouvel avis d’appel au greffe. Selon l’avis d’appel, l’appelant entendait interjeter appel d’une directive datée du 30 octobre 2018 de la Cour fédérale concernant la question de savoir si une nouvelle instance pourrait y être intentée. Le greffe l’a envoyé à notre Cour pour qu’elle rende une décision en vertu de l’article 72 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, sur la question de savoir s’il pouvait être déposé.

[28]  Les directives issues de la Cour fédérale ne peuvent être portées en appel (Tajdin c. Son Altesse Le Prince Karim Aga Khan, 2012 CAF 238; Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2003 CAF 141). En l’espèce, je suis convaincu que la directive en question est visée par cette règle. Par conséquent, j’interdis le dépôt de l’avis d’appel.

[29]  Même si la directive pouvait être portée en appel, j’interdirais quand même le dépôt de l’avis d’appel. L’appelant ayant été déclaré plaideur quérulent, il doit d’abord demander l’autorisation d’intenter un nouveau recours.

D.  Dispositif

[30]  Je rendrai une ordonnance déclarant l’appelant plaideur quérulent, et j’adjugerai ses dépens au procureur général. L’appelant ne pourra intenter de nouveaux recours, qu’il agisse en son nom ou que ses intérêts soient représentés par une autre personne devant la Cour, que s’il obtient l’autorisation de cette dernière. Il sera sursis à toutes les instances intentées par l’appelant devant la Cour et à celles qui sont en cours. Le sursis ne pourra être levé, et aucune instance ne pourra se poursuivre que si la Cour l’autorise. Le greffe déposera une copie de l’ordonnance de la Cour et des présents motifs dans tous les dossiers visés et en fera parvenir une copie aux parties dans ces dossiers. L’avis d’appel présenté récemment par l’appelant au sujet de la directive du 30 octobre 2018 de la Cour fédérale ne sera pas accepté pour dépôt. La requête du procureur général visant à faire rejeter le présent appel sera renvoyée à une formation de la Cour pour qu’elle se prononce.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-123-18

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

INTITULÉ :

ZOLTAN ANDREW SIMON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉcembRE 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT:

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Zoltan Andrew Simon

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Wendy Bridges

Keelan Sinnott

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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