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Date : 20090122

Dossier : A-194-08

Référence : 2009 CAF 16

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

GLENORA DISTILLERS INTERNATIONAL LTD.

appelante

et

SCOTCH WHISKY ASSOCIATION

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario) le 16 décembre 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 22 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                              LE JUGE EVANS

 


Date : 20090122

Dossier : A-194-08

Référence : 2009 CAF 16

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

GLENORA DISTILLERS INTERNATIONAL LTD.

appelante

et

SCOTCH WHISKY ASSOCIATION

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               La Cour statue sur l’appel d’une décision par laquelle le juge Harrington a fait droit à l’appel interjeté par la Scotch Whisky Association (l’Association) d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce. Le juge a estimé que l’appelante, Glenora Distillers International Ltd. (Glenora), n’avait pas le droit de faire enregistrer la marque de commerce GLEN BRETON, en vue de l’employer en liaison avec du whisky de single malt, étant donné qu’il s’agissait d’une marque interdite par l’article 10 de la Loi sur les marques de commerce. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision du juge Harrington devrait être annulée et que Glenora devrait être autorisée à enregistrer sa marque de commerce projetée.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[2]               Le paragraphe 12(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, expose les circonstances dans lesquelles une marque de commerce n’est pas enregistrable :

 

Marque de commerce enregistrable

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer;

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;

f) elle est une dénomination dont l’article 10.1 interdit l’adoption;

g) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

h) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

i) elle est une marque dont l’adoption est interdite par le paragraphe 3(1) de la Loi sur les marques olympiques et paralympiques, sous réserve du paragraphe 3(3) et de l’alinéa 3(4)a) de cette loi.

When trade‑mark registrable

12. (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

(c) the name in any language of any of the wares or services in connection with which it is used or proposed to be used;

(d) confusing with a registered trade‑mark;

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1;

(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade‑mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication;

(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade‑mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication; and

(i) subject to subsection 3(3) and paragraph 3(4)(a) of the Olympic and Paralympic Marks Act, a mark the adoption of which is prohibited by subsection 3(1) of that Act.

 

 

[3]               L’alinéa 12(1)e) prévoit notamment qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable si elle est une marque interdite au sens de l’article 10, qui dispose :

 

Autres interdictions

10. Si une marque, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d’origine ou la date de production de marchandises ou services, nul ne peut l’adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l’employer d’une manière susceptible d’induire en erreur, et nul ne peut ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.

Further prohibitions

10. Where any mark has by ordinary and bona fide commercial usage become recognized in Canada as designating the kind, quality, quantity, destination, value, place of origin or date of production of any wares or services, no person shall adopt it as a trade‑mark in association with such wares or services or others of the same general class or use it in a way likely to mislead, nor shall any person so adopt or so use any mark so nearly resembling that mark as to be likely to be mistaken therefor.

 

 

 

FAITS

[4]               Glenora est une entreprise de distillation située au cap Breton (Nouvelle‑Écosse). En 1990, elle a commencé à distiller un whisky de single malt, en affirmant employer la méthode écossaise traditionnelle. Elle affirme que son produit a l’arôme, le goût et les caractéristiques d’un whisky écossais. Glenora n’est toutefois pas autorisée à qualifier son whisky de « scotch » ou de « whisky écossais ». Le « whisky écossais » est une indication géographique protégée, au sens du paragraphe 11.12(2) de la Loi sur les marques de commerce et il ne peut être employé qu’en liaison avec des whiskys produits en Écosse.

 

[5]               L’article B.02.016 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, précise par ailleurs que, le « whisky écossais » doit être du whisky qui a été distillé en Écosse, conformément aux lois du Royaume‑Uni. Ironiquement, Glenora n’a pas non plus le droit de qualifier son produit de « whisky canadien », parce qu’il ne possède pas l’arôme, le goût et les caractéristiques attribués au whisky canadien, comme l’exige l’article B.02.020 du même règlement.

 

[6]               Le produit de Glenora est donc tout simplement désigné sous l’appellation de « whisky de single malt ». Néanmoins, pour sa commercialisation, Glenora a beaucoup capitalisé sur les similitudes qui existent entre son whisky et les whiskys écossais, et elle affirme qu’elle considère que son produit fait directement concurrence aux single malts qui sont distillés en Écosse. Je crois qu’on peut légitimement dire que Glenora a commercialisé son produit en tablant sur ses ressemblances avec un whisky écossais de single malt, à part le nom.

[7]               Glenora a présenté en l’an 2000 une demande en vue de faire enregistrer GLEN BRETON comme marque de commerce en vue de l’employer en liaison avec son whisky. L’Association s’est opposée à cette demande. Elle s’oppose à ce que Glenora emploie pour désigner son whisky une marque comportant le mot « Glen » comme préfixe. Elle affirme que l’emploi de marques comportant le préfixe « Glen » en liaison avec divers whiskys écossais de single malt bien connus, dont Glenlivet, Glenmorangie et Glenfiddich, a entraîné une association entre le mot « Glen » et les whiskys distillés en Écosse. Les motifs d’opposition qui nous intéressent dans le présent appel reposent tous sur cette association prétendue.

 

[8]               La Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté l’objection formulée par l’Association. Malgré le fait que, suivant la preuve, les distillateurs de whisky écossais employaient des marques comportant le mot « Glen » comme préfixe, la Commission a conclu que cet usage n’était pas suffisamment répandu pour amener les consommateurs canadiens à associer le mot « Glen » aux whiskys écossais. La Commission a par conséquent conclu que le mot « Glen » n’était pas, du fait « d’une pratique commerciale ordinaire et authentique », devenu reconnu au Canada comme désignant le lieu d’origine du whisky, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’une marque interdite au sens de l’article 10 de la Loi sur les marques de commerce.

 

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

[9]               L’Association a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Elle a soumis un grand nombre de nouveaux éléments de preuve sur la question de la confusion sur le marché. Le juge Harrington a estimé que les nouveaux éléments de preuve étaient suffisamment importants pour avoir une incidence sur la décision de la Commission. Il a ajouté qu’il avait donc le droit de contrôler cette décision en appliquant la norme de la décision correcte (Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, [2002] 3 C.F. 405, au paragraphe 8).

 

[10]           À la différence de la Commission, le juge Harrington s’est dit d’avis que les marques à préfixe « Glen » employées en liaison avec le whisky écossais bénéficiaient d’une réputation plus vaste. Voici les propos qu’il a tenus (2008 CF 425, aux paragraphes 18 et 19) :

 

Selon le dossier, en l’an 2000, quelque 896 607 caisses de whisky écossais ont été importées au Canada. Cela donne environ dix millions six cent vingt‑cinq mille trois cent soixante‑seize (10 625 376) bouteilles de 75 cl. La partie « whisky de malt » de cette quantité équivalait à 132 000 caisses, soit 1 584 000 bouteilles, ce qui représente environ 15 % des ventes de whisky écossais

 

Les single malts de type « Glen » équivalaient à 933 000 bouteilles, soit près de 59 % des single malts […]

 

 

[11]           Il a également tenu compte du fait qu’aucune marque à préfixe « Glen » n’avait, de mémoire récente, été employée au Canada en liaison avec un whisky qui n’était pas un whisky écossais.

 

[12]           Mais fait peut‑être encore plus important, le juge Harrington a conclu que de la confusion avait effectivement été créée sur le marché et que certains consommateurs n’étaient pas conscients du fait que le produit de Glenora n’était pas du scotch distillé en Écosse. Pour en arriver à cette conclusion, le juge Harrington a tenu compte en particulier des éléments de preuve suivant lesquels le whisky de Glenora figurait dans la catégorie des scotchs sur un certain nombre de cartes des consommations de bars et de restaurants, bien qu’à l’occasion avec une note censée indiquer qu’il s’agissait d’un whisky canadien. Suivant la preuve qui lui avait été soumise, certains critiques et chroniqueurs indépendants avaient commis la même erreur.

 

[13]           Le juge Harrington n’a pas accepté l’argument que la confusion était attribuable au fait que le Glen Breton possédait bon nombre des caractéristiques d’un scotch (goût, arôme, et ainsi de suite) et il a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que cette confusion était imputable au préfixe « Glen ». Il a conclu que le mot « Glen » était, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devenu reconnu au Canada comme désignant le whisky écossais, de sorte qu’il s’agissait d’une marque interdite au sens de l’article 10 de la Loi. Il a donc fait droit à la demande et a ordonné au registraire des marques de commerce de refuser la demande présentée par Glenora en vue de faire enregistrer sa marque GLEN BRETON.

 

[14]           La Cour est saisie de l’appel interjeté par Glenora de cette décision.

 

NORME DE CONTRÔLE

[15]           Le premier rôle de la Cour, dans le cadre de la présente demande de contrôle de la décision de la Cour fédérale, est de s’assurer que le juge Harrington a appliqué la norme de contrôle appropriée à la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce. Je suis d’accord pour dire que le juge Harrington avait le droit de contrôler la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision correcte, compte tenu de la quantité de nouveaux éléments de preuve qui lui avaient été soumis, et de sa conclusion que les nouveaux éléments de preuve en question auraient eu une incidence sur la décision de la Commission.

 

[16]           Comme le juge Harrington avait le droit d’appliquer la norme de la décision correcte, la Cour ne peut modifier sa décision que s’il a commis une erreur manifeste et dominante en tranchant une question de fait ou si son analyse était entachée d’une erreur de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

ANALYSE

[17]           Je suis d’avis que le juge Harrington a commis une erreur de droit en ne se demandant pas si le mot « Glen », qui avait déjà été employé pour diverses marques de commerce enregistrées, constituait effectivement une « marque » au sens de l’article 10 de la Loi sur les marques de commerce. Les avocats ont fait savoir à la Cour, à l’audience, que cet argument avait été plaidé devant la Cour fédérale, mais que celle‑ci n’en faisait pas état dans ses motifs.

 

[18]           Dans son mémoire des faits et du droit, l’Association signale qu’au paragraphe 16 de ses motifs, le juge Harrington déclare que la marque « Glen » est devenue reconnue comme désignant du whisky de l’Écosse au Canada. Il n’a pas toutefois abordé expressément l’argument que le mot « Glen », qui ne constituait qu’un élément de la marque GLEN BRETON, et, partant, un élément de toute marque déposée (par ex. GLENFIDDICH), ne constituait pas en soi une marque. Il s’est contenté de dire :

Je suis donc persuadé que Glen Breton n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi parce que l’article 10 en interdit l’adoption étant donné que nul ne peut adopter une marque comme marque de commerce si cette marque « en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le […] le lieu d’origine […] de marchandises […] de la même catégorie générale ».

 

[19]           Le juge n’a pas expressément conclu que le mot « Glen » était une marque et on n’a porté à notre connaissance aucun élément de preuve qui nous justifierait de tirer une telle conclusion.

 

[20]           Le mot « Glen », employé seul, n’a jamais été utilisé comme marque de commerce au Canada, pour quelque produit que ce soit. Il a cependant été utilisé comme préfixe pour bon nombre de marques de commerce associées à du whisky écossais, dont quelques‑unes des plus réputées sont les marques GLENFIDDICH, GLENMORANGIE et GLENLIVET. Des marques de commerce incorporant le mot « Glen » ont également été enregistrées pour de nombreux produits et services qui n’ont rien à voir avec le commerce des alcools et des boissons (ainsi, la marque GLENCOE, employée pour des charrues, et la marque GLEN ABBEY, employée en liaison avec des services d’aménagement immobilier).

 

[21]           La Loi ne définit pas le terme « marque » qui figure à l’article 10. L’article 2 définit en partie l’expression « marque de commerce » comme suit : « marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres ». L’intimée soutient que le mot « marque » est de toute évidence plus large que l’expression « marque de commerce » et elle avance l’idée que le mot « Glen », qui fait partie de bon nombre de marques de commerce enregistrées, peut être considéré en soi comme une « marque » pour l’application de l’article 10.

 

[22]           Je retiens la première partie de cet argument, suivant lequel une marque n’est pas nécessairement une marque de commerce. Dans son ouvrage Fox on Trademarks, Fox précise bien qu’une marque qui est employée à des fins purement décoratives ou qui n’est employée que dans un entrepôt ne sera considérée comme une marque de commerce que si elle sert effectivement à distinguer le commerçant des marchandises (4e éd., édition à feuilles mobiles (Toronto, Thomson Carswell, 2002), aux pages 3‑14 à 3‑16). Par exemple, l’étiquette fixée à une marchandise pour indiquer aux employés d’un entrepôt la date de fabrication ne répondrait probablement pas à la définition de « marque de commerce ». De même, une marque de certification (une marque servant à indiquer que les marchandises répondent à une norme déterminée, en étant par exemple un produit « biologique »), qui peut être employée par de nombreux commerçants différents, est une « marque », mais pas une « marque de commerce », parce qu’elle n’est pas unique à un commerçant déterminé.

 

[23]           On n’a cependant cité à la Cour aucun précédent à l’appui de la proposition qu’un élément d’une marque de commerce peut constituer à lui seul une marque. À mon avis, une telle proposition irait à l’encontre de nombreux précédents ─ qui débordent néanmoins le cadre de l’article 10 ─ qui affirment qu’en principe, on ne doit pas disséquer les marques de commerce, ni les analyser syllabe par syllabe.

 

[24]           Parmi ces précédents, citons la décision Thomas J. Lipton Ltd. c. Salada Foods Ltd. (No. 3), (1979), 45 C.P.R. (2d) 157 (C.F. 1re inst.), et l’arrêt Park Avenue Furniture Corp c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.). Dans l’affaire Lipton, la demanderesse cherchait à faire enregistrer la marque LIPTON CUP-A-TEA en liaison avec du thé; elle avait renoncé à revendiquer le mot « tea » mais pas le mot « cup ». L’opposante soutenait que la marque CUP‑A‑TEA n’était pas enregistrable parce qu’elle donnait une description claire du produit de Lipton (au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi) et qu’en outre, elle ne pouvait donc pas être distinctive. Le juge Addy a cité Fox à l’appui de la proposition suivant laquelle « [i]l est clair que pour déterminer si une marque de commerce est distinctive, il faut considérer celle‑ci dans son ensemble. Il ne convient pas de la disséquer. » (À la page 162.)

 

[25]           Dans l’affaire Park Avenue, la demanderesse sollicitait l’enregistrement de la marque POSTURE‑BEAUTY pour des meubles, et notamment pour des lits et des matelas. L’opposante affirmait que la marque créerait de la confusion avec plusieurs de ses marques déjà enregistrées (dont BEAUTYREST et BEAUTYSLEEP), et qu’elle n’était donc pas enregistrable au sens de l’alinéa 12(1)d) de la Loi. Sous la plume de la juge Desjardins, la Cour a expliqué que, pour apprécier la probabilité de confusion, il fallait examiner les marques dans leur ensemble. Elle a conclu qu’en fragmentant de façon injustifiée la marque, le juge de première instance avait accordé à l’opposante une très forte protection au mot « beauty », un mot que la juge Desjardins a qualifié de « mot courant en anglais » et de « marque faible » (aux pages 426 et 427). Elle a cité l’extrait suivant de Fox on Trademarks (à la page 426) :

[traduction]

[…] Pour appliquer ces critères, le premier principe à invoquer est celui selon lequel les marques doivent être examinées dans leur ensemble et non en tant qu’éléments distincts. Il faut analyser l’idée qu’évoque chaque marque, c’est‑à‑dire l’impression nette qu’elle laisse globalement dans l’esprit. C’est la marque en son entier qu’il faut examiner pour en arriver ensuite à une décision sur la question de savoir si cette marque est susceptible de créer de la confusion avec une marque déjà enregistrée [...] Le véritable critère est celui de savoir si l’ensemble de la marque dont on projette l’enregistrement risque de causer une erreur, de tromper ou de créer de la confusion dans l’esprit des personnes habituées à la marque de commerce existante. C’est la combinaison des marques dans leur ensemble qu’il faut examiner, et c’est leur effet ou idée générale qu’il faut comparer.

 

[26]           Bien qu’aucun de ces précédents ne porte directement sur l’article 10 de la Loi, j’estime que la même logique essentielle s’applique et qu’il serait injustifié de la part de la Cour de fractionner les marques déjà enregistrées ou la marque GLEN BRETON de l’appelante, comme l’intimée nous y invite. En premier lieu, ces précédents révèlent une tendance lourde de la part des tribunaux, qui refusent de fragmenter les marques de commerce lorsqu’ils les analysent pour déterminer si elles sont enregistrables, ce qui, en soi, est convaincant. De plus, le raisonnement suivi dans l’arrêt Park Avenue est solide. Le mot « Glen », qui est un mot courant qui fait partie d’un grand nombre de marques de commerce enregistrées, est, au mieux, une composante distinctive faible des marques de commerce en question. Cependant, en fragmentant ces marques de commerce pour considérer le mot « Glen » comme une marque en soi, la Cour accorderait à ce mot une protection commerciale injustifiée.

 

[27]           La Commission des oppositions des marques de commerce a également déclaré qu’il fallait tenir compte de l’ensemble de la marque de commerce lorsqu’on procède à une analyse fondée sur l’article 10. Même lorsqu’un mot déterminé est interdit, si ce mot est employé en combinaison avec un élément distinctif sans aller jusqu’à dominer ce dernier, la marque de commerce sera quand même enregistrable. Citant la décision Lipton à l’appui du principe interdisant la fragmentation, la Commission a autorisé l’enregistrement de la marque MOLSON EXPORT, en dépit de l’argument que le mot EXPORT était interdit (John Labatt Ltd. c. Molson Cos./Cies Molson, (1983), 2 C.P.R. (3d) 150). Si j’ai bien compris, dans le cas qui nous occupe, la Commission a appliqué le même raisonnement en déclarant que « [m]ême s’il avait été établi que GLEN est une marque interdite en raison de l’article 10, la marque de la demanderesse GLEN BRETON ne ressemble pas au mot GLEN au point d’être vraisemblablement confondue avec celui‑ci » (au paragraphe 28).

 

[28]           Je conclus donc qu’il n’a pas été démontré que le mot « Glen » constitue une marque au sens de l’article 10 de la Loi sur les marques de commerce et j’estime donc qu’on ne peut l’interdire. À titre subsidiaire, même si le mot « Glen » pouvait être considéré comme une marque et était, de ce fait, interdit, j’estime qu’il ne domine pas la marque GLEN BRETON au sens de la décision Molson, lorsqu’on examine la marque de commerce dans son ensemble.

 

[29]           Je signale par ailleurs brièvement qu’il s’agit d’une situation quelque peu inusitée, s’agissant de l’article 10 de la Loi. Voici comment Fox explique l’objet de cet article dans son ouvrage Fox on Trademarks (à la page 5‑66.5) :

[traduction]

Cet article vise de toute évidence […] à empêcher l’adoption de marques comme les marques de contrôle apposées sur l’argent ou toute autre marque bien connue servant à indiquer la qualité ou l’origine du produit.

 

 

 

[30]           Toutes les décisions relatives à l’article 10 qui nous ont été citées concernaient l’interdiction de mots ou d’expressions déterminées (par opposition à des dessins ou à d’autres symboles). Dans toutes ces affaires, les mots en question donnaient de façon inhérente une description de la nature ou de la qualité des produits qui étaient vendus. Ainsi, dans la décision Bank of Montreal c. Merrill Lynch & Co. (1997), 84 C.P.R. (3d) 262, la Commission des oppositions des marques de commerce a conclu que les mots CASH MANAGEMENT ACCOUNT étaient interdits en liaison avec des services financiers, car ils étaient couramment considérés comme [traduction] « désignant un type de services financiers grâce auxquels on peut consolider et gérer des placements de fonds liquides et du crédit par le truchement d’un seul compte » (à la page 275).

 

[31]           Dans le même ordre d’idées, la Commission a estimé que la marque HABANOS était une marque interdite dans le cas des produits du tabac, parce qu’elle ressemblait aux marques HABANA et HAVANA, qui étaient couramment utilisées par les commerçants et qui étaient considérées comme évoquant notamment le tabac cubain en rapport avec la capitale de Cuba (Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. Empresa Cubana Del Tabaco (1975), 23 C.P.R. (2d) 274). Dans ce cas, l’interdiction prévue à l’article 10 permet d’empêcher un commerçant de monopoliser à son profit une marque qui est communément employée dans un secteur d’activité déterminé et dont il est entendu qu’elle désigne des marchandises ou des services d’une certaine qualité.

 

[32]           Évidemment, il serait possible pour une marque qui ne donne pas de façon inhérente une description d’une des qualités du produit, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, de devenir une marque désignative. La présente affaire, qui concerne l’article 10, est toutefois inusitée, étant donné que l’intimée cherche essentiellement à revendiquer un monopole sur un mot qui n’est pas intrinsèquement descriptif pour un groupe de commerçants (en l’occurrence, ses membres) alors qu’on ne sait pas avec certitude si l’un quelconque des membres de l’Association a effectivement incorporé ce mot dans sa marque de commerce dans le but de faire savoir que son whisky est d’origine écossaise.

 

[33]           L’avocat de l’Association a insisté à l’audience pour dire que, même si une marque comportant le mot « Glen » comme préfixe était interdite par l’article 10, les membres de l’Association auraient le droit de continuer à utiliser leur propre marque à préfixe « Glen » étant donné qu’ils distillent des whiskys écossais. Cette assertion contredit carrément le libellé de cette disposition, qui déclare clairement que « nul ne peut » adopter une marque interdite comme marque de commerce.

 

[34]           En résumé, donner gain de cause à l’appelante dans le cadre du présent appel compromettrait le sort des marques de commerce de bon nombre des membres de l’Association. À mon sens, une telle solution ne se justifierait pas et elle ne serait pas fidèle à l’esprit et à l’objet de l’article 10 de la Loi. En conséquence, j’accueillerais l’appel et d’enjoindrais au registraire de faire droit à la demande présentée par Glenora en vue de faire enregistrer la marque GLEN BRETON.

 

[35]           Enfin, le juge Harrington a également conclu dans les termes les plus nets que la marque GLEN BRETON ne donnait pas une description claire ou ne donnait pas une description fausse et trompeuse des marchandises de l’appelante au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Bien qu’elle ait défendu cet argument une fois de plus dans les observations écrites qu’elle a soumises à la Cour, l’intimée n’a signalé aucune erreur précise dans les motifs du juge Harrington et elle n’a pas repris la question lors de la plaidoirie. Je ne décèle, dans la conclusion que le juge Harrington a tirée au sujet de l’alinéa 12(1)b), aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

DISPOSITIF

[36]           Pour les motifs que je viens d’exposer, j’accueillerais le présent appel avec dépens, tant en appel qu’en première instance, et je rendrais une ordonnance enjoignant au registraire de faire droit à la demande présentée par Glenora en vue de faire enregistrer sa marque GLEN BRETON.

 

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Nadon j.c.a.»

 

« Je suis d’accord.

            John M. Evans j.c.a.»

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑194‑08

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 3 AVRIL 2008 PAR LE JUGE S. HARRINGTON DANS LE DOSSIER T-402-07

 

INTITULÉ :                                                                           Glenora Distillers International Ltd. c. Scotch Whiskey Association

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 16 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Sexton

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Nadon

                                                                                                Le juge Evans

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 22 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

David A. Copp

POUR L’APPELANTE

 

Rose-Marie Perry

Todd Burke

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David A. Copp

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR L’APPELANTE

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L.

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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