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Date : 20090210

Dossiers : A-69-08

A-70-08

 

Référence : 2009 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

A-69-08

 

SYLVANO TESAINER

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

A-70-08

 

MARY LYNNE TESAINER

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 janvier 2009

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER


 

 

 

Date : 20090210

Dossier : A-69-08

A-70-08

Référence : 2009 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

A-69-08

 

SYLVANO TESAINER

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

A-70-08

 

MARY LYNNE TESAINER

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La Cour est saisie de l’appel du jugement par lequel le juge McArthur, de la Cour canadienne de l’impôt, a rejeté les appels interjetés par Silvano Tesainer et Mary Lynne Tesainer à l’égard des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), pour les années 1992, 1993 et 1995. La question en litige dans les appels relatifs à l’impôt sur le revenu était celle de savoir si le montant reçu par M. Tesainer et Mme Tesainer à titre de transaction ayant mis fin à une poursuite représentait un gain en capital imposable. Le juge McArthur a répondu par l’affirmative à cette question. La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si cette conclusion est correcte en droit.

 

[2]               Fenix Development Limited Partnership (Fenix) était une société de personnes en commandite. Le commandité était Fenix Developments G.P. Inc. Il y avait 93 commanditaires. En 1988, M. Tesainer et Mme Tesainer ont acquis des parts de la société de personnes en commandite Fenix dans le cadre d’un placement privé décrit dans une circulaire d’offre datée du 16 août 1988. M. Tesainer et Mme Tesainer ont ensemble déboursé 100 000 $ pour acquérir leurs parts de la société de personnes en commandite.

 

[3]               Il est acquis aux débats que les parts de la société de personnes en commandite acquises par M. Tesainer et Mme Tesainer comprenaient une « participation dans une société de personnes » au sens de l’article 53 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il est également acquis aux débats que le fait que Fenix était une société de personnes en commandite plutôt qu’une société en nom collectif n’a aucune incidence sur le sort de la présente affaire.

 

[4]               Les activités que Fenix entendait exercer étaient la promotion et l’exploitation de biens immobiliers commerciaux. Lorsque la circulaire d’offre de parts de la société de personnes en commandite a été publiée en 1989, Fenix avait entrepris des démarches en vue d’acquérir le terrain sur lequel elle entendait ériger un complexe appelé Meadowpines. Le complexe Meadowpines n’a jamais vu le jour parce qu’en 1989, les promoteurs de Fenix ont eu maille à partir avec la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, ce qui a entraîné la perte du bien de la propriété de Meadowpines et l’effondrement de l’entreprise. Après 1991, Fenix n’exerçait plus les activités auxquelles elle s’était d’abord vouée. En 1995, une résolution spéciale a été adoptée en vue de dissoudre Fenix. Les parties conviennent que, sur le plan fiscal, Fenix est réputée avoir cessé d’exister en 1995.

 

[5]               M. Tesainer et Mme Tesainer soutiennent ─ et Sa Majesté ne remet pas en question cette affirmation ─ que Fenix a perdu tout son capital lorsque l’entreprise a sombré et laissé d’importantes créances non réglées. Le dossier renferme peu de renseignements financiers au sujet de Fenix, mais pour les besoins du présent appel, j’ai tenu pour acquis que tout le capital de la société avait été perdu avant 1992.

 

[6]               En 1992, une poursuite a été intentée contre les avocats qui avaient été engagés pour donner des conseils juridiques à Fenix en matière de valeurs mobilières relativement au placement privé et à la circulaire d’offre. Il y avait 75 demandeurs nommément désignés, dont Fenix (désignée sous le nom de [traduction] « Fenix Developments G.P. Inc., pour le compte de Fenix Development Limited Partnership »). Les 74 autres demandeurs étaient des personnes physiques, dont M. Tesainer et Mme Tesainer. Tous les demandeurs étaient représentés par les mêmes avocats.

 

[7]               Les personnes physiques demanderesses, y compris M. Tesainer et Mme Tesainer, détenaient des parts de la société de personnes en commandite Fenix. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, seulement 74 des 83 commanditaires étaient des personnes physiques mais tous les associés de Fenix étaient représentés au procès par Fenix, qui était également au nombre des demandeurs.

 

[8]               Les réclamations articulées contre les avocats sont résumées au paragraphe 1 de la déclaration, dont voici le texte :

[traduction]

1.  Les demandeurs réclament :

(i)                  les personnes physiques demanderesses réclament la somme qu’ils ont investie; comme le montre l’annexe A ci‑jointe, le montant total réclamé est de 3 261 000 $ [on trouve à l’annexe A une liste des personnes physiques demanderesses et du montant investi par chacune d’entre elles pour acquérir des parts de la société de personnes en commandite; il est indiqué que M. Tesainer et Mme Tesainer ont investi 100 000 $];

(ii)                la demanderesse Fenix Developments G.P. Inc. réclame ce qui suit, pour le compte de Fenix Developments Limited Partnerships :

a) à titre subsidiaire à ce qu’elle réclame à l’alinéa (i), la somme de 3 261 000 $ à titre de dommages-intérêts;

b) en tout état de cause, la somme de 3 500 000 $ à titre de dommages-intérêts pour les obligations contractées dans le cadre du projet Meadowpines qui sont exposées plus en détail plus loin;

(i)       tous les demandeurs réclament :

a) la somme de 4 135 000 $ pour la perte de bénéfices;

b) la somme de 5 000 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;

c) les intérêts antérieurs au jugement et les intérêts postérieurs au jugement, conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires;

d) les dépens, calculés sur une base avocat‑client.

 

[9]               Dans leur déclaration, les demandeurs accusent les avocats de négligence et de manquement à leurs obligations juridiques envers Fenix et envers les investisseurs éventuels et les investisseurs effectifs (c’est-à-dire envers les personnes physiques demanderesses) du fait qu’ils ont donné des conseils juridiques erronés, qu’ils ont négligé d’informer Fenix et les personnes physiques demanderesses en temps utile alors qu’ils savaient ou auraient dû savoir que les conseils juridiques qu’ils avaient donnés étaient erronés, et qu’ils ont traité avec la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario de manière à se placer en situation de conflit d’intérêts par rapport à leurs devoirs envers Fenix et les personnes physiques demanderesses.

 

[10]           Il est également allégué dans la déclaration que, sans la négligence et les autres actes répréhensibles des avocats, le placement privé n’aurait pas été conclu à la date où il l’a été, les lois sur les valeurs mobilières n’auraient pas été enfreintes et il n’y aurait pas eu de conflit avec la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, l’entreprise de Fenix ne serait pas effondrée, mais aurait prospéré et aurait dégagé des bénéfices que les personnes physiques demanderesses se seraient partagés, Fenix n’aurait pas perdu son capital, et les personnes physiques demanderesses n’auraient pas perdu les montants investis dans Fenix.

 

[11]           Sa Majesté ne conteste pas que, si elles sont véridiques, les allégations de la déclaration auraient conféré aux personnes physiques demanderesses une cause d’action contre les avocats indépendante de la cause d’action de Fenix contre les avocats. Par conséquent, pour trancher le présent appel, je tiens pour acquis que des causes d’action indépendantes auraient pu être exercées sur le fondement des mêmes faits.

 

[12]           L’action a été réglée en 1995. Les conditions du règlement à l’amiable sont confidentielles. Il suffit, pour les besoins du présent appel, de dire que toutes les réclamations ont été réglées au moyen du paiement d’une somme d’argent en fiducie pour le compte des personnes physiques demanderesses. Ce montant, une fois déduits les frais juridiques, a été partagé entre les personnes physiques demanderesses en proportion de ce qu’elles avaient payé pour acquérir leurs parts dans la société de personnes en commandite. M. Tesainer et Mme Tesainer ont reçu en tout 98 300 $ dans le cadre de ce règlement.

 

[13]           M. Tesainer et Mme Tesainer ont adopté la position, lorsqu’ils ont produit leur déclaration de revenus, que l’argent qu’ils avaient reçu dans le cadre du règlement n’était imposable ni comme revenu ni comme gain en capital. Ils ont toutefois fait l’objet d’une nouvelle cotisation qui a été établie en partant du principe que ce paiement aurait dû être considéré sur le plan fiscal comme une attribution de capital effectuée par Fenix. Par l’effet conjugué du sous‑alinéa 53(2)c)(v) et de l’alinéa 98(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le paiement en question a par conséquent donné lieu à un gain en capital imposable pour M. Tesainer et Mme Tesainer.

 

[14]           Aux termes du sous-alinéa 53(2)c)(v) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la somme reçue par un contribuable au titre de l’attribution de sa part du capital de la société de personnes est considérée sur le plan fiscal comme une réduction du prix de base rajusté de sa participation dans la société de personnes en commandite. Si le prix de base rajusté de la participation dans la société de personnes ainsi calculé est positif, les seules incidences fiscales de cette attribution sont une augmentation du gain en capital (ou une réduction de la perte en capital) susceptible de se produire plus tard si, par exemple, il y a vente ou autre disposition de la participation dans la société de personnes. Toutefois, si, comme c’est le cas en l’espèce, l’attribution de la part du capital a pour effet de ramener le prix de base rajusté à une valeur négative, l’alinéa 98(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu exige que le montant négatif soit considéré sur le plan fiscal comme un gain réalisé lors de la disposition de la participation dans la société de personnes.

 

[15]           Le paiement en litige dans le cas qui nous occupe n’était pas une attribution de parts du capital d’une société de personnes. Il n’y a eu changement ni dans la masse du capital de la société de personnes Fenix ni dans les participations relatives des commanditaires de Fenix (voir l’arrêt Stursberg c. M.R.N., (1993), 155 N.R. 366, [1993] 2 C.T.C. 76, 93 D.T.C. 5271 (C.A.F.). Il s’agissait d’un paiement effectué par les avocats aux personnes physiques demanderesses et non à Fenix. Certes, ce paiement a été fait en règlement de toutes les réclamations de Fenix et des personnes physiques demanderesses contre les avocats, mais personne ne prétend et rien dans la preuve ne permet de penser qu’une partie quelconque du montant du règlement a été versée à Fenix ou lui a profité. Rien ne permet de conclure qu’une somme était due à Fenix et que cette somme aurait été payée aux personnes physiques demanderesses sur l’ordre de Fenix ou avec son concours.

 

[16]           Même si le paiement n’était pas en réalité une attribution de parts du capital d’une société de personnes, Sa Majesté soutient qu’il devrait être considéré comme tel sur le plan fiscal parce qu’il visait à remplacer une attribution de parts du capital d’une société de personnes. Elle fait allusion au principe de la substitution dont il a été question dans l’arrêt Tsiaprailis c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 113. Le juge McArthur a retenu cet argument parce que, ainsi qu’il l’explique au paragraphe 17 de ses motifs, le paiement constitue du capital parce que :

 

 

[…]  (i) il a remplacé le capital investi par les appelants […] ; (ii) dans la poursuite, les appelants réclamaient un montant identique à celui qu’ils avaient investi; (iii) ils ont réclamé le remboursement des 100 000 $ investis et ils ont reçu 98 300 $; (iv) la preuve documentaire démontre clairement qu’il s’agit d’un remboursement de capital; (v) le contrat de société de personnes en commandite a réellement expiré en 1991.

 

[17]           J’estime que l’argument de Sa Majesté repose sur une conception erronée du principe de la substitution et que le juge McArthur a commis une erreur de droit en l’acceptant. On ne peut dire que le paiement effectué dans le cadre du règlement a remplacé une attribution de parts du capital de la société de personnes parce qu’en droit, il ne pouvait servir à régler l’une quelconque des réclamations des personnes physiques demanderesses contre Fenix, et encore moins à régler une réclamation portant sur une attribution de parts du capital de la société de personnes et qu’en fait, il n’a servi à aucune de ces fins.

 

[18]           La somme que les personnes physiques demanderesses réclament des avocats au paragraphe 1 (i) de la déclaration est calculée en fonction des montants qu’elles ont investis dans Fenix. Il ne s’ensuit pas pour autant que le paiement effectué dans le cadre du règlement doive être qualifié de remboursement du montant investi ou de montant versé en remplacement de ce montant. L’opération effectuée en l’espèce ne pouvait servir sur le plan juridique ou sur le plan pratique à attribuer des parts du capital de la société de personnes.

 

[19]           La justesse de cette conclusion s’impose lorsqu’on se demande ce qui se serait produit si l’action intentée contre les avocats avait été réglée par le paiement d’un montant à Fenix. En tout état de cause, Fenix aurait pu décider d’attribuer du capital aux commanditaires, mais cette attribution n’aurait pu se faire sans d’abord régler les créances en souffrance de ses créanciers, à la suite de quoi les sommes restantes auraient nécessairement été partagées entre tous les commanditaires en fonction de leurs droits d’attribution (sauf dans la mesure où ils auraient renoncé à ces droits). Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. En fait, chacune des personnes physiques demanderesses a reçu un montant en règlement de ce qu’elle réclamait personnellement à titre de dommages-intérêts.

 

[20]           Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le présent appel avec dépens devant notre Cour et devant la Cour canadienne de l’impôt. J’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et je ferais droit aux appels interjetés par M. Tesainer et Mme Tesainer relativement à leur impôt sur le revenu, et je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation en partant du principe que le sous-alinéa 53(2)c)(v) ne s’applique pas aux sommes reçues à titre de règlement.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-69-08

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 23 JANVIER 2008 PAR LE JUGE McARTHUR DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DANS LE DOSSIER 2006‑2260 (IT) G

 

INTITULÉ :                                                   Silvano Tesainer c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard van Banning

POUR L’APPELANT

 

Margaret J. Nott

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-70-08

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 23 JANVIER 2008 PAR LE JUGE McARTHUR DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DANS LE DOSSIER 2006‑2259 (IT) G

 

INTITULÉ :                                                   Mary Lynne Tesainer c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard van Banning

POUR L’APPELANT

 

Margaret J. Nott

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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