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Date : 20190130


Dossier : A-147-17

Référence : 2019 CAF 21

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ARK ANGEL FOUNDATION

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie­Britannique), le 31 janvier 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20190130


Dossier : A­147­17

Référence : 2019 CAF 21

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ARK ANGEL FOUNDATION

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  L’organisme Ark Angel Foundation (la Fondation) porte en appel l’avis d’intention de révoquer son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). L’appel a été interjeté directement à notre Cour en application de l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi.

[2]  Le 22 avril 2015, le ministre du Revenu national a délivré l’avis d’intention de révoquer son enregistrement conformément au paragraphe 168(1) de la Loi. La révocation prend effet au moment de la publication de la copie de l’avis dans la Gazette du Canada (par. 168(2) de la Loi).

[3]  Notre Cour est saisie de deux questions :

  • (a) Le ministre a­t­il eu tort de délivrer l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement?

  • (b) Le processus administratif ayant mené à la délivrance de l’avis a­t­il entraîné un manquement aux principes de justice naturelle et à l’équité procédurale?

I.  Rappel des faits

A.  La Fondation

[4]  La Fondation a été constituée en 1998 sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C­32, et a été enregistrée à titre de fondation de bienfaisance au titre de la Loi au cours de la même année.

[5]  L’avis d’intention de révoquer l’enregistrement a été délivré à la suite de la vérification des dossiers de la Fondation qui a été amorcée en 2011. Au cours de la vérification, qui portait sur la période du 1er décembre 2008 au 30 novembre 2010, la Fondation menait des activités limitées. Elle a enregistré des revenus globaux de 45 330 $ et effectué des dépenses de 44 740 $.

[6]  Les activités de la Fondation étaient gérées par l’un de ses administrateurs, Michael O’Sullivan, également administrateur de trois autres organismes de bienfaisance enregistrés, soit le Ark Angel Fund, la Humane Society of Canada Foundation et la Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement. Les documents fournis lors de la vérification ont révélé que [traduction] « les fonds que recevait [la Fondation] et ceux qu’elle déboursait étaient principalement soit des fonds reçus d’organismes de bienfaisance enregistrés dont M. O’Sullivan était administrateur » et au sein desquels il « dirigeait les activités quotidiennes », soit des fonds destinés à ces organismes (dossier d’appel, p. 18).

[7]  Le ministre a également délivré un avis d’intention de révoquer l’enregistrement d’un des organismes susmentionnés pour des motifs semblables (Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement c. Canada (Revenu national), 2015 CAF 178, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée le 10 mars 2016, 36688).

B.  Le processus administratif

[8]  Dans le cadre du processus administratif, trois avis ont été délivrés à la Fondation : la lettre d’équité administrative, l’intention de révocation et l’avis de confirmation. La correspondance connexe se rapporte aux questions soulevées en l’espèce. Par conséquent, les principales pièces de correspondance sont résumées ci­après.

(1)  La lettre d’équité administrative

[9]  Le 7 mars 2014, la Division de la vérification de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a transmis à la Fondation la lettre d’équité administrative dont l’objet déclaré était de décrire les manquements à la Loi relevés lors de la vérification et de donner à celle‑ci la possibilité d’y répondre. La lettre fait état de deux types de manquements, à savoir le défaut de tenir les registres et livres de comptes voulus et le défaut de consacrer la totalité des ressources de la Fondation à des activités de bienfaisance.

[10]  S’agissant du premier manquement visant les registres et livres de comptes, la lettre renvoyait au paragraphe 230(2) de la Loi, selon lequel l’organisme de bienfaisance doit conserver des renseignements qui permettent au ministre de déterminer s’il existe des motifs de révocation de l’enregistrement de l’organisme (al. 230(2)a)). Les entrées de recettes et de dépenses dans les livres de comptes ont été jugées exactes. Toutefois, des lacunes ont été relevées en ce qui concerne la surveillance exercée par le conseil d’administration ou les mécanismes de contrôles internes. L’ARC s’est également dite préoccupée par l’apparence de [traduction] « pouvoir absolu exercé [par M. O’Sullivan] sur tous les volets des activités de [la Fondation] » (dossier d’appel, p. 64).

[11]  La lettre d’équité administrative faisait également état d’une préoccupation particulière relative aux honoraires de consultant versés à M. O’Sullivan, soit 10 006 $ pour 2009 et 5 264 $ pour 2010. L’ARC a conclu que les factures s’y rapportant ne détaillaient pas suffisamment le travail effectué.

[12]  S’agissant du deuxième manquement, connexe au premier, la lettre d’équité administrative informait la Fondation de son obligation de consacrer la totalité de ses ressources aux activités de bienfaisance qu’elle mène elle­même ou à des dons qu’elle fait à des « donataires reconnus » au sens de la Loi. L’ARC n’a pas été en mesure de vérifier si la Fondation avait satisfait à cette exigence en raison de la tenue inadéquate des registres et livres de comptes. Elle a également relevé d’importantes dépenses liées à des services de consultant, à des déplacements ainsi qu’à la gestion et à l’administration.

[13]  Cela étant, l’ARC proposait, du fait de la tenue de registres et livres de comptes inadéquats, d’appliquer la pénalité prévue à l’alinéa 188.2(2)a) de la Loi, soit suspendre pendant un an le pouvoir de la Fondation de délivrer des reçus officiels.

[14]  L’ARC a donné à la Fondation un délai de trente jours pour présenter d’autres observations. Elle l’a informée que le directeur général de la Direction des organismes de bienfaisance déciderait ensuite des mesures à prendre et pouvait, au lieu de lui imposer la suspension proposée, révoquer son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.

[15]  Dans sa réponse, transmise par lettre d’avocat datée du 10 avril 2014, la Fondation n’aborde pas précisément les préoccupations exprimées dans la lettre d’équité administrative. En fait, elle n’y fait aucune tentative pour décrire ou justifier l’objectif caritatif des dépenses remises en question par l’ARC. La Fondation a plutôt contesté l’interprétation de la Loi par l’ARC et a demandé une quantité importante de renseignements et de documents supplémentaires.

(2)  Intention de révocation

[16]  Au vu de la réponse de la Fondation, que l’ARC a interprétée comme une preuve de son refus de se conformer à la Loi, il a été décidé qu’une pénalité plus sévère était justifiée. Par conséquent, le 22 avril 2015, le directeur général de la Direction des organismes de bienfaisance a délivré l’avis d’intention de révocation au nom du ministre.

[17]  L’ARC fait état dans l’avis des motifs de sa décision et aborde notamment les préoccupations exprimées initialement dans la lettre d’équité administrative et certaines des questions soulevées par l’avocat de la Fondation dans la lettre du 10 avril 2014.

[18]  S’agissant des registres et livres de comptes, il a été tenu compte de trois points soulevés par la Fondation : (1) la Loi ne précise pas quels registres et livres de comptes doivent être tenus, (2) la Loi n’exige pas de procès­verbaux détaillés des réunions du conseil d’administration et, (3) selon sa procédure en vigueur, les chèques dont le montant est supérieur à 25 000 $ nécessitent deux signatures (dossier d’appel, p. 41 à 43).

[19]  Selon la thèse de l’ARC, la Fondation n’avait pas tenu les registres et livres de comptes voulus pour se conformer à l’article 230 de la Loi et, partant, suivant l’alinéa 168(1)e), pouvait voir son statut d’organisme de bienfaisance révoqué. L’ARC a fait valoir que la Fondation [traduction] « a la responsabilité légale de tenir à jour des renseignements qui démontrent la nature caritative de ses activités » et que [traduction] « les documents fournis ne démontrent pas la nature des services de consultation fournis par M. Michael O’Sullivan ni leur lien avec le mandat de bienfaisance de [la Fondation] » (dossier d’appel, p. 41). En outre, l’absence de procès­verbaux détaillés des réunions du conseil d’administration et d’une procédure de signature de chèques adéquate révélait un manque de diligence ayant entravé la capacité de l’ARC d’assurer l’observation de la Loi.

[20]  S’agissant de l’affectation de la totalité des ressources de la Fondation à des activités de bienfaisance, il a été tenu compte de deux arguments soulevés par la Fondation : (1) l’ARC a appliqué le mauvais critère, parce que la lettre d’équité administrative fait mention de l’affectation de ressources à des activités de bienfaisance, ce qui n’est pas exigé d’une fondation de bienfaisance, et (2) la Fondation n’a pas accordé d’avantage personnel aux administrateurs (dossier d’appel, p. 43 et 44).

[21]  Dans sa réponse, l’ARC a repris la définition du terme « fondation de bienfaisance » prévue au paragraphe 149.1(1) de la Loi, soit une société « constituée et administrée exclusivement à des fins de bienfaisance ». De l’avis de l’ARC, il appert de cette définition qu’une fondation publique doit [traduction] « consacrer ses ressources aux activités de bienfaisance qu’elle mène elle­même ou à des dons qu’elle fait à des donataires reconnus » (dossier d’appel, p. 43). Compte tenu de l’absence de documents à l’appui, l’ARC a conclu [traduction] « qu’il était impossible de déterminer si les activités menées par M. O’Sullivan étaient celles menées par [la Fondation] ou si les dépenses connexes engagées étaient de nature personnelle » (dossier d’appel, p. 43). Étant d’avis que la Fondation n’avait pas respecté les exigences de la Loi relatives à l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance, l’ARC a annoncé son intention de révoquer son enregistrement en vertu de l’alinéa 168(1)b) de la Loi.

[22]  La Fondation a été informée de son droit de déposer un avis d’opposition dans les quatre-vingt-dix jours suivant la mise à la poste de l’avis d’intention de révocation.

(3)  Avis d’opposition

[23]  Le 20 juillet 2015, la Fondation a signifié un avis d’opposition portant principalement sur le processus de vérification plutôt que sur les questions de fond soulevées dans l’avis d’intention de révocation (dossier d’appel, p. 25 à 37). Elle signale plusieurs lacunes perçues dans le processus de vérification :

  • les motifs énoncés dans l’avis étaient insuffisants;

  • les fonctionnaires de l’ARC ont fait preuve de partialité;

  • il n’a pas été possible de contre­interroger les fonctionnaires de l’ARC;

  • la communication des preuves à réfuter était inadéquate.

[24]  En ce qui concerne les questions de fond, la Fondation a soulevé les points suivants :

  • l’ARC a reconnu que les registres voulus étaient tenus lorsqu’elle a déclaré avoir [traduction] « de la difficulté à se fier aux renseignements fournis » (dossier d’appel, p. 34);

  • le manque de diligence raisonnable invoqué par l’ARC n’a aucun fondement législatif;

  • il n’est pas raisonnable de révoquer l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance sans lui donner la possibilité de réfuter les hypothèses factuelles.

[25]  La Direction des appels a répondu à l’avis d’opposition par voie de lettre datée du 6 février 2017 (dossier d’appel, p. 17 à 24). La Direction y réitère les préoccupations de l’ARC au sujet des honoraires de consultant versés à M. O’Sullivan et répond à un certain nombre d’observations formulées par la Fondation dans son avis d’opposition et dans ses observations antérieures. La Direction des appels a indiqué qu’elle entendait confirmer l’intention de révocation, sous réserve de la présentation d’autres observations.

[26]  La Fondation a présenté d’autres observations par voie de lettre datée du 20 mars 2017. Elle a demandé à la Direction des appels de se pencher sur plusieurs prétendues lacunes concernant la lettre du 6 février 2017 et n’a fourni aucune réponse utile aux préoccupations de fond soulevées dans l’intention de révocation.

(4)  L’avis de confirmation

[27]  L’intention de révocation a été confirmée par voie de lettre datée du 4 avril 2017. La confirmation indiquait que les observations supplémentaires de la Fondation n’abordaient pas les manquements à la Loi qui avaient déjà été soulevés par la Direction des appels.

II.  Analyse

A.  Le ministre a­t­il eu tort de délivrer l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement?

[28]  Le ministre a invoqué deux motifs pour justifier la délivrance de l’avis d’intention de révocation : le défaut de tenir les registres et livres de comptes voulus et le défaut de consacrer la totalité des ressources de la Fondation à des activités de bienfaisance. Selon le ministre, l’un ou l’autre de ces manquements justifiait la délivrance de l’avis d’intention de révocation.

[29]  Avant de procéder à une analyse distincte de ces deux motifs, je dois examiner la question de la norme de contrôle applicable.

[30]  En règle générale, lorsqu’elle a été appelée à se pencher sur ce type de décision ministérielle, notre Cour a conclu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, tandis que la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit (Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, par. 12 et 13; Opportunities for the Disabled Foundation c. Canada (Revenu national), 2016 CAF 94, par. 16).

[31]  Depuis le prononcé de la décision de notre Cour dans Prescient Foundation, j’observe une évolution de la situation concernant les normes de contrôle applicables en droit administratif. Il n’est pas nécessaire d’examiner ces nombreux changements dans les présents motifs, notamment parce que j’en arriverais à la même conclusion que le ministre sur les questions de droit, indépendamment de la norme de contrôle appliquée.

[32]  Examinons la décision du ministre concernant le prétendu manquement à l’obligation de tenir les registres et livres de comptes exigés par la Loi.

(1)  Défaut de tenir les registres et livres de comptes exigés par la Loi

[33]  Les alinéas 168(1)e) et 230(2)a) de la Loi se rapportent au défaut de tenir les registres et livres de comptes voulus. Ces dispositions confèrent au ministre le pouvoir discrétionnaire de délivrer un avis d’intention de révoquer l’enregistrement d’un donataire reconnu, au sens de la Loi, si celui‑ci n’a pas tenu les registres et livres de comptes voulus. En tant que fondation publique au sens de la Loi, la Fondation est un donataire reconnu et tombe sous le coup des dispositions susmentionnées (voir la définition de « donataire reconnu » et de « fondation publique » au paragraphe 149.1(1) et celle d’« organisme de bienfaisance enregistré » au paragraphe 248(1) de la Loi).

[34]  Les passages pertinents de ces dispositions sont reproduits ci­après.

168. (1) Le ministre peut, par lettre recommandée, aviser une personne visée à l’un des alinéas a) à c) de la définition de donataire reconnu au paragraphe 149.1(1) de son intention de révoquer l’enregistrement si la personne, selon le cas :

168. (1) The Minister may, by registered mail, give notice to a person described in any of paragraphs (a) to (c) of the definition qualified donee in subsection 149.1(1) that the Minister proposes to revoke its registration if the person

[…]

e) omet de se conformer à l’un des articles 230 à 231.5 ou y contrevient;

(e) fails to comply with or contravenes any of sections 230 to 231.5; or

[…]

230. (2) Chaque donataire reconnu visé aux alinéas a) à c) de la définition de donataire reconnu au paragraphe 149.1(1) doit tenir des registres et des livres de comptes — à une adresse au Canada enregistrée auprès du ministre ou désignée par lui, s’il s’agit d’un donataire reconnu visé aux sous­alinéas a)(i) ou (iii) ou aux alinéas b) ou c) de cette définition — qui contiennent ce qui suit :

230. (2) Every qualified donee referred to in paragraphs (a) to (c) of the definition qualified donee in subsection 149.1(1) shall keep records and books of account — in the case of a qualified donee referred to in any of subparagraphs (a)(i) and (iii) and paragraphs (b) and (c) of that definition, at an address in Canada recorded with the Minister or designated by the Minister — containing

a) des renseignements sous une forme qui permet au ministre de déterminer s’il existe des motifs de révocation de l’enregistrement de l’organisme ou de l’association en vertu de la présente loi;

(a) information in such form as will enable the Minister to determine whether there are any grounds for the revocation of its registration under this Act;

[…]

[35]  Le ministre a concentré son attention sur les documents relatifs aux honoraires de consultant versés à M. O’Sullivan et a conclu que ceux‑ci [traduction] « ne démontrent pas la nature des services de consultation fournis par M. Michael O’Sullivan ni leur lien avec le mandat de bienfaisance de [la Fondation] ». À la lumière de cette conclusion, le ministre a décidé que la Fondation avait manqué à son [traduction] « obligation légale de conserver des renseignements qui appuient la nature caritative de ses activités » (dossier d’appel, p. 41).

[36]  Les constatations de fait tirées par le ministre sont bien étayées par le dossier.

[37]  Soulignons que l’alinéa 230(2)a) de la Loi ne précise pas les types de registres et livres de comptes exigés. Il pourrait s’ensuivre un manquement de principe à la disposition, mais la portée limitée d’un tel manquement ne justifierait pas la révocation de l’enregistrement. C’est d’ailleurs à cette conclusion qu’en est arrivé le juge Mainville dans Prescient Foundation, arrêt dans lequel le juge a fait remarquer que la révocation devrait se limiter aux cas « d’inobservation substantielle ou répétée » (Prescient Foundation, par. 51).

[38]  En l’espèce toutefois, le manquement était important. Essentiellement, la Fondation n’a pas fourni de pièces justificatives se rapportant aux services de consultant que M. O’Sullivan a dispensés en contrepartie des honoraires qui lui ont été versés. L’une des factures semble certes contenir des renseignements détaillés sous la forme de noms de projets de consultation, mais la Fondation n’a fourni aucun document étayant leur authenticité. Il va sans dire que la simple mention de projets sur une facture sans autre corroboration ne satisfait pas aux exigences de la Loi en matière de tenue de registres et livres de comptes.

[39]  Il était raisonnable pour le ministre de conclure que l’absence de pièces justificatives permettant la vérification des honoraires de consultant versés à M. O’Sullivan justifiait la révocation de l’enregistrement, d’autant plus que, comme l’a souligné le ministre, la Fondation n’a pas démontré son intention de se conformer à la Loi dans l’avenir (dossier d’appel, p. 38).

[40]  La Fondation avance plusieurs arguments à l’appui de son observation de la Loi.

[41]  Tout d’abord, la Fondation soutient qu’elle a fourni [TRADUCTION] « de nombreux registres et livres de comptes » comme l’exige l’alinéa 230(2)a) de la Loi (mémoire de l’appelante, par. 72). Il s’agit d’un exemple flagrant d’une simple déclaration non étayée. À l’exception des factures que le ministre a à juste titre considérées comme insuffisantes, la Fondation ne nous a présenté aucun registre ni livre de comptes permettant de dissiper les préoccupations de l’ARC.

[42]  Ensuite, la Fondation soutient qu’il n’est pas raisonnable pour le ministre de délivrer un avis d’intention de révoquer un enregistrement sans d’abord préciser les registres et livres de comptes à tenir pour satisfaire aux exigences prévues au paragraphe 230(3) de la Loi.

230 (3) Le ministre peut exiger de la personne qui n’a pas tenu[…] les registres et livres de compte voulus pour l’application de la présente loi qu’elle tienne ceux qu’il spécifie. Dès lors, la personne doit tenir les registres et livres de compte qui sont ainsi exigés d’elle.

230.(3) Where a person has failed to keep adequate records and books of account for the purposes of this Act, the Minister may require the person to keep such records and books of account as the Minister may specify and that person shall thereafter keep records and books of account as so required.

[43]  Il s’ensuit de la jurisprudence de notre Cour que cette thèse ne peut être retenue. Notre Cour a statué que la tenue par un organisme de bienfaisance de registres et livres de comptes qui ne permettent pas à l’ARC d’évaluer l’observation par l’organisme de bienfaisance des obligations que lui impose la Loi peut constituer un motif suffisant de révocation de son statut d’organisme de bienfaisance (Société de prévention canadienne pour la protection des animaux, par. 76 à 79; Opportunities for the Disabled Foundation, par. 37 à 39).

[44]  Tout au long des processus de vérification et d’appel, l’ARC a fait part à la Fondation de ses préoccupations au sujet des registres et livres de comptes de l’organisme; toutefois, la Fondation n’y a pas donné suite adéquatement. Afin d’éviter l’imposition d’une sanction, un organisme de bienfaisance ne peut se contenter de présenter des observations évasives ou de nier le caractère inadéquat de ses registres et livres de comptes.

[45]  Enfin, la Fondation soutient que l’intention de révocation ne reposait pas sur la disposition législative applicable. En effet, le ministre aurait invoqué le paragraphe 230(3) de la Loi plutôt que le paragraphe 230(2), puisque l’avis d’intention de révocation était intitulé [traduction] « Défaut de tenir les registres et livres de comptes voulus ».

[46]  Cette observation est frivole. S’il est vrai que l’avis d’intention de révocation ne renvoie pas explicitement à l’alinéa 230(2)a) de la Loi, il s’agit manifestement de la disposition sur laquelle le ministre s’est fondé (dossier d’appel, p. 41 et 42).

[47]  À mon avis, le ministre n’a pas conclu à tort que le défaut de tenir les registres et livres de comptes voulus justifiait la délivrance de l’avis d’intention de révocation. Passons au deuxième motif de révocation.

(2)  Défaut de consacrer la totalité des ressources à des activités de bienfaisance

[48]  L’alinéa 168(1)b) de la Loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de délivrer un avis d’intention de révoquer l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance si celui‑ci cesse de se conformer aux exigences de la Loi en matière d’enregistrement.

168. (1) Le ministre peut, par lettre recommandée, aviser une personne visée à l’un des alinéas a) à c) de la définition de donataire reconnu au paragraphe 149.1(1) de son intention de révoquer l’enregistrement si la personne, selon le cas :

168. (1) The Minister may, by registered mail, give notice to a person described in any of paragraphs (a) to (c) of the definition qualified donee in subsection 149.1(1) that the Minister proposes to revoke its registration if the person

[…]

b) cesse de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement;

(b) ceases to comply with the requirements of this Act for its registration;

[…]

[49]  En l’espèce, l’exigence pertinente en matière d’enregistrement découle de la définition du terme « fondation de bienfaisance » donnée au paragraphe 149.1(1) de la Loi.

« fondation de bienfaisance » Société ou fiducie constituée et administrée exclusivement à des fins de bienfaisance, dont aucun revenu n’est payable à un propriétaire, membre, actionnaire, fiduciaire ou auteur de la fiducie ou de la société ou ne peut par ailleurs être disponible pour servir au profit personnel de ceux­ci, et qui n’est pas une œuvre de bienfaisance.

“charitable foundation” means a corporation or trust that is constituted and operated exclusively for charitable purposes, no part of the income of which is payable to, or is otherwise available for, the personal benefit of any proprietor, member, shareholder, trustee or settlor thereof, and that is not a charitable organization;

[50]  Cette expression fait partie intégrante de la définition de « fondation publique » au paragraphe 149.1(1) de la Loi. Selon la définition de l’expression « organisme de bienfaisance enregistré » au paragraphe 248(1) de la Loi, la Fondation doit être une fondation publique.

[51]  Dans l’intention de révocation, le ministre a conclu que la Fondation n’était plus considérée comme une fondation de bienfaisance, selon la définition de ce terme, parce qu’elle ne consacrait pas la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance ou à des dons à des « donataires reconnus » au sens du paragraphe 149.1(1) de la Loi.

[52]  À cet égard, le ministre a conclu que, comme l’activité de consultation n’a pas été documentée adéquatement, la Fondation [traduction] « n’a pu démontrer de quelque manière qu’aucun avantage personnel ou indu n’avait été conféré aux administrateurs […] » (dossier d’appel, p. 44). Cette conclusion était également étayée par d’autres facteurs. En particulier, il ressort des observations du ministre que des lacunes semblables ont été relevées relativement à deux autres organisations pour lesquelles M. O’Sullivan agissait comme administrateur, que M. O’Sullivan avait accès aux recettes des trois organisations et qu’il était responsable de leurs activités quotidiennes (dossier d’appel, p. 44).

[53]  Les motifs du ministre ont été étoffés après le dépôt par la Fondation d’un avis d’opposition. La Direction des appels a fait remarquer que la plupart des fonds reçus et déboursés par la Fondation étaient destinés à des organismes de bienfaisance enregistrés dont M. O’Sullivan était administrateur et que, pour cette raison, il n’a pas pu être établi que des services de consultation étaient justifiés dans les circonstances (dossier d’appel, p. 18).

[54]  Il était raisonnable pour le ministre de conclure que le versement d’honoraires de consultant était assimilable à une utilisation des ressources de la Fondation à des fins autres que de bienfaisance et qu’une telle utilisation justifiait la délivrance de l’avis d’intention de révocation.

[55]  La thèse que la Fondation a présentée dans son mémoire des faits et du droit s’articule autour de trois éléments principaux.

[56]  Premièrement, selon la Fondation, [traduction] « un organisme de bienfaisance satisfait à l’exigence des "fins de bienfaisance" au sens de la Loi dès lors qu’il fait des dons à des donataires reconnus », et le ministre en a fait fi (mémoire de l’appelante, par. 83).

[57]  En l’espèce, la question n’est pas de savoir si le ministre n’a pas pris en compte les dons à des donataires reconnus, mais si la Fondation a utilisé une partie de ses ressources pour verser des honoraires à M. O’Sullivan à des fins autres que de bienfaisance. Comme il a été mentionné, étant donné le peu de renseignements à l’appui, il était raisonnable pour le ministre de conclure que certaines dépenses n’avaient pas été engagées à des fins de bienfaisance.

[58]  Deuxièmement, la Fondation soutient qu’elle : [traduction] « a présenté vingt et une pages d’observations et de preuves documentaires portant sur la nature des services de consultation qui expliquent en quoi ces activités étaient celles de [la Fondation] et n’étaient pas de nature personnelle […] [c]es observations invalident l’hypothèse avancée par le ministre selon laquelle les services de consultation constituaient des activités personnelles menées par M. O’Sullivan […] » (mémoire de l’appelante, par. 85 et 84).

[59]  Cette mention des vingt et une pages d’observations concerne des réponses données aux questions du vérificateur. Les questions portaient non seulement sur la Fondation, mais aussi sur deux autres organismes de bienfaisance qui faisaient également l’objet d’une vérification, soit le Ark Angel Fund et la Humane Society of Canada Foundation (dossier d’appel, p. 301 à 322). Dans ces vingt et une pages, il n’est à peu près pas fait mention des activités menées par la Fondation. Je n’ai pu trouver que deux mentions importantes de la Fondation dans ce document :

  • En réponse à une demande de précisions concernant les services fournis par M. O’Sullivan, la Fondation a déclaré que, s’agissant de la Fondation et de la Humane Society of Canada Foundation, M. O’Sullivan [traduction] « est responsable au premier chef de recueillir des dons individuels, des dons importants, des commandites d’entreprises de même que des bourses et des legs de fondations, d’entretenir les relations avec les donateurs et les relations avec le public ainsi que d’assurer la gestion de toute campagne de financement » (dossier d’appel, p. 306).

  • Dans une demande de renseignements subséquente sur la répartition des paiements versés à M. O’Sullivan, la Fondation a déclaré que les activités de collecte de fonds relevaient de la Humane Society of Canada Foundation et que les activités de bienfaisance relevaient du Ark Angel Fund. Rien ne semblait relever de la Fondation (dossier d’appel, p. 301).

[60]  Étant donné les observations évasives présentées par la Fondation, il n’était pas déraisonnable pour le ministre de conclure que les honoraires versés à M. O’Sullivan en contrepartie de ses services n’avaient pas été versés à des fins de bienfaisance.

[61]  Troisièmement, la Fondation soutient qu’en l’absence de documents à l’appui, [traduction] « le témoignage de vive voix crédible d’un contribuable suffit » (mémoire de l’appelante, par. 91).

[62]  Il ressort manifestement du dossier que le ministre était toujours disposé à recevoir de la Fondation des renseignements complémentaires à ceux contenus dans les registres et livres de comptes. Or, les renseignements fournis ne permettaient pas de dissiper les préoccupations fondamentales du ministre.

[63]  En conclusion, la Fondation n’a pas réussi à démontrer que la décision du ministre était déraisonnable.

[64]  Abordons maintenant les prétendus manquements aux principes de justice naturelle et à l’équité procédurale.

B.  Y a­t­il eu manquement aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale?

[65]  La Fondation demande l’annulation de l’avis d’intention de révocation en raison de manquements aux principes de justice naturelle et à l’équité procédurale. Les prétendus manquements s’inscrivent dans quatre grandes catégories :

  • défaut de donner à la Fondation la possibilité de se faire entendre;

  • défaut de déposer tous les documents pertinents au dossier du tribunal;

  • défaut d’informer la Fondation de ce qu’elle doit prouver;

  • partialité des fonctionnaires de l’ARC responsables du dossier.

[66]  La norme de la décision correcte s’applique au contrôle de ces questions (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 34).

(1)  Défaut de donner à la Fondation la possibilité de se faire entendre

[67]  La Fondation soutient que le processus administratif a entraîné un manquement à l’équité procédurale, en ce sens qu’elle n’a pas eu la possibilité de se faire entendre. Elle prétend principalement (1) que l’agent d’appel n’a pas examiné l’ensemble du dossier et que (2) le ministre a refusé de se pencher sur les questions juridiques soulevées par la Fondation.

[68]  La Fondation soutient qu’elle n’a pas eu la possibilité de se faire entendre par la Direction des appels, parce que l’agent d’appel chargé du dossier a reconnu ne pas se souvenir d’avoir examiné certains des documents auxquels le vérificateur a eu accès et qui, en raison de leur volume, n’ont été déposés que dans le cadre de la vérification du Ark Angel Fund (mémoire de l’appelante, par. 51). Le Ark Angel Fund, dont la gestion quotidienne relevait également de M. O’Sullivan, faisait l’objet d’une vérification en même temps que la Fondation.

[69]  Le simple fait que l’agent d’appel n’ait pas examiné certains documents mis à la disposition du vérificateur ne permet pas à lui seul de conclure à un manquement à l’équité procédurale. Il ne peut être conclu à l’injustice puisque la Fondation n’a pas signalé l’omission d’examiner certains documents importants en l’espèce (Figueroa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2019 CAF 12, par. 10).

[70]  De nombreux documents n’ayant pas fait l’objet d’un examen par l’agent d’appel n’ont rien à voir avec la Fondation. En outre, il ressort des observations du ministre qu’au nombre des documents contenus dans le dossier de vérification du Ark Angel Fund n’ayant pas fait l’objet d’un examen par l’agent d’appel, aucun n’était un document transmis par la Fondation qui n’avait pas été reproduit ailleurs dans le dossier passé en revue par l’agent d’appel (mémoire de l’intimé, par. 85). Par conséquent, rien n’indique qu’un document pertinent ait échappé à l’examen effectué par l’agent d’appel (mémoire de l’intimé, par. 85).

[71]  Le défaut de l’agent d’appel de lire certains documents ne constitue pas, dans les circonstances, un manquement à l’équité procédurale.

[72]  La Fondation fait également valoir que le ministre ne lui a pas donné la possibilité de réfuter les arguments avancés contre elle. S’agissant de ce prétendu manquement, elle soutient [traduction] « que le ministre ne peut faire fi d’arguments d’ordre juridique et limiter son examen aux arguments factuels » (mémoire de l’appelante, par. 67).

[73]  Je ne puis retenir cette thèse. La question est de savoir si la Fondation a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’ARC. Il a été satisfait à cette obligation dès lors que le décideur a pris en compte les observations qui lui ont été présentées par la Fondation. À cet égard, « il faut présumer que le décideur a soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on fasse la preuve du contraire » (Boulos c. Canada (Alliance de la fonction publique), 2012 CAF 193, par. 11). La Fondation n’a pas démontré que l’ARC n’a pas tenu compte de l’une ou l’autre de ses observations.

(2)  Défaut de déposer tous les documents au dossier du tribunal

[74]  La Fondation soutient que le défaut du ministre de déposer dans le cadre du présent appel l’ensemble des documents au dossier du tribunal constitue un manquement à l’équité procédurale. Plus précisément, est source de préoccupation pour la Fondation l’absence de documents relatifs à la décision du ministre de substituer la révocation à la suspension d’un an du droit de délivrer des reçus pour dons de bienfaisance (mémoire de l’appelante, par. 57 et 62). À son avis, la décision du ministre devrait donc être annulée.

[75]  Ces circonstances n’entraînent pas un manquement à l’équité procédurale. Les articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106, établissent la marche à suivre pour remédier à toute lacune dans le dossier du tribunal; pourtant, la Fondation n’y a pas eu recours.

[76]  Non seulement la Fondation n’a pas demandé la transmission de documents conformément aux Règles, mais elle a explicitement avalisé la teneur du dossier du tribunal lorsque son avocat a certifié que le dossier d’appel était complet (dossier d’appel, p. 919).

[77]  De ce fait, est dénué de fondement l’argument de la Fondation voulant que l’avis d’intention de révocation doive être annulé au motif que le dossier du tribunal est incomplet.

(3)  Défaut d’informer la Fondation de ce qu’elle doit prouver

[78]  Selon la Fondation, constitue un manquement à l’équité procédurale le défaut du ministre de bien l’informer de ce qu’elle doit prouver, et ce, en lui transmettant notamment un avis de la sanction proposée avant la délivrance de l’avis d’intention de révocation.

[79]  Je ne suis pas d’accord. Les renseignements contenus dans l’avis d’intention de révocation permettaient manifestement à la Fondation de savoir ce qu’elle devait prouver et elle a eu deux occasions de répondre aux observations présentées contre elle pendant le processus d’appel. Ainsi, elle a reçu un avis suffisant de ce qu’elle devait prouver (Christ Apostolic Church of God Mission International c. Canada (Revenu national), 2009 CAF 162, par. 3).

[80]  La Fondation a fait valoir trois arguments à l’appui de ce prétendu manquement.

[81]  Premièrement, la Fondation s’appuie sur le passage suivant de l’opinion minoritaire exprimée par notre Cour à la page 866 de Renaissance International c. Le ministre du Revenu national, [1983] 1 F.C. 860 :

[…] Au contraire, ces dispositions laissent plutôt entendre, à mon avis, que le Ministre doit, avant d’envoyer l’avis, fournir à la personne ou aux personnes concernées une possibilité raisonnable de répondre aux allégations dirigées contre elles.

[Non souligné dans l’original.]

[82]  La décision Renaissance International n’est d’aucun secours à la Fondation, parce que le régime législatif en vigueur à l’époque diffère sensiblement du régime législatif actuel. En effet, au moment où la Cour fédérale a rendu la décision Renaissance International, les organismes de bienfaisance ne disposaient d’aucun moyen de transmettre un avis d’opposition à l’intention de révocation. Le régime législatif prévoit désormais un processus d’appel pour ce qui est des avis d’intention de révocation délivrés après le 12 juin 2005 seulement. La décision Renaissance International a été rendue par notre Cour en 1982, bien avant la mise en œuvre d’un processus d’opposition pour ce type de litige.

[83]  Deuxièmement, la Fondation fait valoir que la Direction des appels étant un tribunal distinct de la Direction des organismes de bienfaisance ayant délivré l’avis d’intention de révocation, elle ne peut, par ses mesures subséquentes, remédier aux vices de procédure devant la Direction des organismes de bienfaisance. Cette prétention est incompatible avec le régime législatif, qui prévoit un processus en deux étapes menant à la décision définitive du ministre rendu au moyen d’un avis de confirmation. Il convient également de noter que les avis d’intention de révoquer l’enregistrement et de confirmation sont tous deux délivrés par le ministre (par. 168(1) et (4) de la Loi). Enfin, comme l’a souligné notre Cour au paragraphe 82 de l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, les étapes ultérieures d’un processus administratif peuvent permettre de remédier à des vices de procédure antérieurs. À mon avis, rien ne justifie qu’il ne puisse en être ainsi en l’espèce.

[84]  Troisièmement, la Fondation soutient que la Direction des appels a uniquement pour mandat d’annuler ou de confirmer l’intention de révocation et qu’elle ne peut [traduction] « corriger les erreurs de la Direction des organismes de bienfaisance » (mémoire de l’appelante, par. 49).

[85]  Je ne puis souscrire à cette thèse. Le ministre est investi d’un vaste mandat relativement à ce type d’opposition (par. 165(3) et 168(4) de la Loi). S’il conclut à la nécessité de corriger une erreur, le ministre dispose du pouvoir de prendre une telle mesure, que ce soit par l’entremise de la Direction des appels ou de la Direction des organismes de bienfaisance.

[86]  Il appert au final que la Fondation a été informée de ce qu’elle devait prouver dans le cadre du processus décisionnel. Par conséquent, il ne peut être conclu à un vice de procédure à cet égard.

(4)  Partialité et abus de pouvoir discrétionnaire

[87]  Selon la thèse de la Fondation, le ministre a abusé de son pouvoir discrétionnaire dans le but de punir la Fondation et il a fait preuve de partialité et de parti pris.

[88]  Une prétention valable de partialité nécessite « l’existence d’un élément de preuve convaincant d’un esprit fermé ou d’une prédisposition contre une partie faisant en sorte qu’une personne raisonnable serait menée à conclure que le décideur ne rendrait probablement pas une décision juste » (Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, par. 65).

[89]  La Fondation est loin d’avoir satisfait à ce critère.

[90]  Selon la Fondation, la partialité ressort manifestement de l’intention de révocation, puisque les observations de la Fondation n’ont pas été prises en compte et la réponse qui est donnée est [traduction] « virulente » (mémoire de l’appelante, par. 42) :

[traduction]

[…] la Fondation ne démontre aucune volonté a) de se conformer aux exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne ses registres et livres de comptes et b) de prendre des mesures visant à assurer l’exercice de ses activités de bienfaisance avec diligence raisonnable tout en empêchant l’octroi de tout avantage indu à un particulier.

(Dossier d’appel, p. 38)

[91]  La réponse du ministre dans l’intention de révocation ne reflète aucune partialité. Au contraire, sa conclusion est bien étayée par le dossier et révèle l’importance qu’il accorde à l’observation de la Loi par les organismes de bienfaisance enregistrés.

[92]  La Fondation soutient également que le ministre a fait preuve de partialité pendant le processus d’appel en ce sens qu’il n’a traité des questions relatives à l’équité procédurale et à la justice naturelle que dans la lettre d’intention plutôt que dans l’avis final de confirmation.

[93]  Je ne suis pas d’accord. Il n’est pas raisonnable de prétendre qu’il y a eu partialité simplement parce que l’avis de confirmation ne contient pas de motifs supplémentaires. Dans sa lettre du 6 février 2017, la Direction des appels a fait état des points qui étaient sources de préoccupation et a demandé à la Fondation de lui présenter d’autres observations. Il était tout à fait indiqué de préciser sans plus dans l’avis de confirmation que la Fondation n’avait pas répondu à ces préoccupations.

[94]  Enfin, la Fondation soutient que le ministre a délivré l’avis d’intention de révocation uniquement dans le but d’éviter l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt qui aurait été tenue si la sanction avait été l’imposition d’une suspension d’un an du droit de délivrer des reçus. Cette simple affirmation concernant les intentions du ministre n’est pas étayée par la preuve et devrait être rejetée (Joshi c. Banque Canadienne impériale de commerce, 2015 CAF 105, par. 19).

(5)  Conclusion

[95]  En somme, je conclus que les prétentions de la Fondation concernant les manquements à l’équité procédurale et aux principes de justice naturelle sont dénuées de fondement.

III.  Dispositif

[96]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A­147­17

 

INTITULÉ :

ARK ANGEL FOUNDATION c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE­BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 JANVIER 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

E. Blake Bromley

Josh Vander Vies

 

POUR L’APPELANTE

 

Lynn M. Burch

Selena Sit

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benefic Law Corporation

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

Nathalie G. Drouin

Sous­procureure générale du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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