Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20090402

Dossier : A‑346‑08

Référence : 2009 CAF 105

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

DANIEL KING

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 mars 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 avril 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                               LE JUGE BLAIS

 


Date : 20090402

Dossier : A‑346‑08

Référence : 2009 CAF 105

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

DANIEL KING

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

INTRODUCTION

[1]               La question en litige en l’espèce découle du refus de la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences (la ministre) – tel est maintenant son titre –, d’accorder des intérêts sur un versement rétroactif de pension d’invalidité octroyé à l’intimé par la Commission d’appel des pensions (la CAP). Dans une ordonnance, la Cour fédérale a cerné et énoncé une question de droit préliminaire concernant l’interprétation correcte du paragraphe 66(4) du Régime des pensions du Canada (le RPC). Cette disposition permet à la ministre de prendre des mesures correctives au profit d’une personne qui s’est vu refuser une pension en raison d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application du RPC. Le juge des requêtes a statué que, dans les circonstances de l’espèce, un « avis erroné » avait été donné à la ministre du fait que la Commission d’appel des pensions avait infirmé la décision initiale de la ministre de refuser une pension d’invalidité à l’intimé. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord avec cette conclusion, et je ferais droit à l’appel de Sa Majesté.

 

LOI

[2]               La question formulée par la Cour fédérale oblige la Cour à examiner l’interprétation du paragraphe 66(4) du Régime des pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 :

Refus d’une prestation en raison d’une erreur administrative

66. (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

Where person denied benefit due to departmental error, etc.

66. (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

 

FAITS

[3]               Les faits pertinents dans le cadre du présent appel sont simples. L’intimé a initialement demandé des prestations d’invalidité en vertu du RPC le 13 mai 1996. Cette demande a été refusée le 12 septembre 1996, et le refus a été confirmé au terme d’un réexamen le 30 octobre 1996. Le tribunal de révision a rejeté l’appel de l’intimé le 24 juillet 1998. Tous ces décideurs étaient d’avis que l’invalidité de l’intimé n’était pas « grave et prolongée » au sens du RPC.

 

[4]               Cependant, la CAP a fait droit à l’appel de l’intimé à l’encontre de la décision du tribunal de révision le 13 décembre 2002. La CAP a conclu que l’intimé avait souffert d’une invalidité « grave et prolongée » depuis février 1995. Il a reçu une pension d’invalidité régulière depuis cette date, et il a reçu un montant forfaitaire de prestations rétroactives. Le RPC ne prévoit pas le paiement automatique d’intérêts sur des prestations rétroactives en pareils cas.

 

[5]               L’intimé a d’abord intenté une action en Cour fédérale en vue de recouvrer des intérêts sur ses prestations rétroactives. Dans une ordonnance datée du 8 mars 2007, la cour a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour examiner cette demande dans le cadre d’une action (310 F.T.R. 120, 2007 CF 272, au paragraphe 32). La cour a indiqué que le recours approprié consisterait pour l’intimé à demander une mesure corrective en vertu du paragraphe 66(4) du RPC (au paragraphe 33).

 

[6]               L’intimé a demandé des intérêts en vertu du paragraphe 66(4) le 9 mars 2007. Il a soutenu que la ministre avait agi sur la foi d’un « avis erroné » et/ou avait commis une « erreur administrative » dans sa décision initiale de lui refuser une pension d’invalidité, comme le démontrait clairement le fait que la CAP avait par la suite rendu une décision en sa faveur. La ministre a refusé cette demande le 18 juillet 2007, concluant qu’aucun avis erroné n’avait été donné, ni qu’aucune erreur administrative n’était survenue.

 

[7]               L’intimé a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision, en demandant à ce que la demande soit instruite en tant que recours collectif. À la suite d’une conférence de gestion de l’instance, la Cour fédérale a prononcé, le 22 février 2008, une ordonnance renvoyant la question de droit préliminaire qui suit pour décision :

 

[traduction]

La décision de la Commission d’appel des pensions selon laquelle le demandeur a droit à une pension d’invalidité implique‑t‑elle que la décision initiale de la ministre des Ressources humaines et du Développement social lui refusant une pension d’invalidité était fondée sur un « avis erroné » au sens du paragraphe 66(4) du Régime des pensions du Canada?

 

 

[8]               Le 20 juin 2008, le juge des requêtes a répondu à la question de droit par l’affirmative (2008 CF 777). À son avis, le mot « erroné » signifiait, [traduction] « selon le sens courant, une “erreur”, ou mal fondé au sens d’“incorrect” » Il a aussi statué qu’« erroné » avait un sens juridique, à savoir notamment [traduction] « incorrect au sens de ce avec quoi une autorité supérieure est en désaccord » (au paragraphe 24).

 

[9]               Le juge des requêtes a conclu en droit que la ministre prend la décision d’octroyer ou de refuser une pension d’invalidité sur la foi de l’avis de fonctionnaires du ministère (au paragraphe 33). Il a jugé que l’arrêt Whitton c. Canada (Procureur général), [2002] 4 C.F. 126, 2002 CAF 46 (Whitton) étayait cette conclusion.

 

[10]           Vu les faits de l’espèce, le juge des requêtes a conclu que des fonctionnaires du ministère avaient donné à la ministre un avis erroné selon lequel l’invalidité de l’intimé n’était pas « grave et prolongée ». Selon lui, cet avis s’était révélé erroné du fait de la décision de la CAP d’infirmer la décision du tribunal de révision et, partant, la décision de la ministre refusant la pension à l’intimé (au paragraphe 38). Le juge des requêtes a aussi conclu que pareil avis était mal fondé en fait parce que les éléments de preuve dont disposait le CAP étaient [traduction] « essentiellement les mêmes » que ceux dont disposait la ministre (au paragraphe 41).

 

[11]           Enfin, le juge des requêtes a rejeté l’argument de Sa Majesté selon lequel cette conclusion entravait le pouvoir discrétionnaire de la ministre de déterminer si un « avis erroné » avait été donné dans un cas particulier. Il a jugé que, même lorsque la CAP est en désaccord avec l’évaluation initiale de la ministre, il se peut que l’avis n’ait pas été erroné au moment où il a été donné si la décision de la CAP se fonde sur [traduction] « des faits nouveaux, ou encore sur d’anciens faits appréciés dans un nouveau contexte » (au paragraphe 40). En l’espèce, toutefois, le juge des requêtes estimait que les faits dont disposait la ministre et ceux dont disposait la CAP étaient « essentiellement les mêmes » (au paragraphe 41).

 


QUESTION À TRANCHER

 

[12]           Cet appel soulève une seule question, soit celle de savoir si le juge des requêtes a erré en répondant par l’affirmative à la question de droit préliminaire. Les parties conviennent qu’il s’agit d’une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, au paragraphe 8; Camp Mini‑Yo‑We c. Canada (Agence du revenu du Canada), 2006 CAF 413, au paragraphe 16). La Cour peut donc substituer son opinion à celle du juge des requêtes.

 

ANALYSE

[13]           À mon avis, le juge des requêtes a erré dans son interprétation du mot « avis ». Il a conclu que, lorsqu’une décision est prise d’octroyer ou de refuser une pension d’invalidité, la décision est prise par la ministre, qui agit sur la foi d’avis que lui donnent ses fonctionnaires.

 

[14]           Il est vrai que le paragraphe 60(6) du RPC exige qu’une personne présente une demande de prestation au « ministre », et que le paragraphe 60(7) énonce que « le ministre » doit examiner les demandes de pension et statuer sur celles‑ci. Cependant, rien n’indique que la ministre elle‑même procède effectivement à l’examen de chacune des quelque 60 000 demandes de prestations d’invalidité qui sont faites chaque année. Suivant la pratique du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, ce sont des évaluateurs médicaux nommés à cette fin qui exercent le pouvoir de décider si l’invalidité d’un requérant est grave et prolongée.

 

[15]           Cette pratique est conforme au paragraphe 24(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, qui dispose :

Exercice des pouvoirs ministériels

 

24. (2) La mention d’un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions, que celles‑ci soient d’ordre administratif, législatif ou judiciaire, vaut mention :

 

 

 

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d’un décret;

 

 

b) de ses successeurs à la charge;

 

 

c) de son délégué ou de celui des personnes visées aux alinéas a) et b);

 

d) indépendamment de l’alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d’État en cause, la compétence voulue.

 

Power to act for ministers

 

24. (2) Words directing or empowering a minister of the Crown to do an act or thing, regardless of whether the act or thing is administrative, legislative or judicial, or otherwise applying to that minister as the holder of the office, include

 

(a) a minister acting for that minister or, if the office is vacant, a minister designated to act in the office by or under the authority of an order in council;

 

(b) the successors of that minister in the office;

 

(c) his or their deputy; and

 

 

(d) notwithstanding paragraph (c), a person appointed to serve, in the department or ministry of state over which the minister presides, in a capacity appropriate to the doing of the act or thing, or to the words so applying.

 

 

[16]           L’alinéa 24(2)d) énonce que lorsqu’une loi confère à un ministre le pouvoir de prendre une décision, ce pouvoir peut également être exercé par des fonctionnaires du ministère nommés à cette fin. Autrement dit, un tel fonctionnaire peut lui‑même prendre une décision obligatoire, sans consulter le ministre et sans aucune intervention personnelle du ministre, et sans donner d’avis à qui que soit.

 

[17]           Le juge Létourneau a expliqué l’application de l’alinéa 24(2)d) dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Wiemer (1998), 228 N.R. 341, au paragraphe 11 (C.A.F.), une autre affaire concernant une décision rendue en vertu du RPC :

La Loi ne prévoit pas que le ministre doive personnellement approuver une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension. En vertu du paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, les pouvoirs conférés à un ministre peuvent être exercés par une personne nommée ayant, dans le ministère en cause, la compétence voulue. En effet, l'article 24 ne fait que reconnaître dans une loi une pratique courante rendue nécessaire par la diversité et la complexité de l'administration publique moderne. Avant l'adoption de cette disposition, la délégation implicite des pouvoirs ministériels était déjà une pratique reconnue par les tribunaux afin de garantir une gestion saine et efficace de l'administration publique. D'ailleurs, la Cour suprême du Canada a récemment confirmé l'existence de cette pratique lorsque le juge Major, s'exprimant au nom de la Cour, a statué que la délégation explicite de pouvoirs à des agents du ministère, qui est effectuée à l'art. 7 de la Loi sur les pêches, peut sembler inutile aujourd'hui. Comme l'a écrit le juge Major, « [l]orsqu’un pouvoir est conféré à un ministre, les mesures nécessaires seront prises généralement non pas par le ministre lui‑même, mais par les fonctionnaires compétents de son ministère, en vertu d'une délégation de pouvoir ».

 

 

[18]           C’est clairement cette pratique qui a été suivie en l’espèce. La lettre communiquant la décision initiale de refuser à l’intimé une pension d’invalidité a été signée par un employé de la Direction générale des programmes de la sécurité du revenu, Bureau régional du Nord de l’Ontario. La lettre confirmant cette décision après réexamen a été signée par L. Bates, qui a été identifiée comme une infirmière autorisée au sein du même ministère. Ni l’une ni l’autre de ces décisions n’est signée par la ministre. En outre, rien ne porte à croire que l’une ou l’autre lettre ait constitué un avis qui était transmis à la ministre.

 

[19]           Dans ces circonstances, il n’y a aucun « avis » donné à la ministre, selon le sens ordinaire de ce mot. L’Oxford English Dictionary, 2nd ed., définit « advice » (« avis ») comme une [traduction] « opinion donnée relativement à une action; conseil, en particulier conseil médical ou juridique ». Dans la même veine, le Black’s Law Dictionary, 8th ed., définit « advice » (« avis ») comme [traduction] « des conseils donnés à une personne, en particulier par un avocat, à une autre personne ». Aussi, le mot « avis », qui est employé dans le texte français, a un sens équivalent dans les dictionnaires français. Voir, par exemple, Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2009 : « opinion que l’on donne à qqn touchant la conduite qu’il doit avoir ». En bref, le sens ordinaire du mot « avis » évoque une certaine forme de communication. Il n’y a aucune preuve d’une communication de quelque nature adressée à la ministre concernant le cas de l’intimé.

 

[20]           L’intimé, s’appuyant sur Re Rizzo & Rizzo Shoes, [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 36 (Rizzo), soutient qu’une loi réparatrice comme le RPC, et le paragraphe 66(4) en particulier, devrait recevoir une interprétation large et généreuse, et que [traduction] « tout doute découlant de difficultés linguistiques devrait être résolu en faveur du demandeur ». Cependant, le libellé du paragraphe 66(4) du RPC ne soulève aucun doute. Le sens du mot « avis » n’est ni ambigu ni controversé. Ainsi, ce passage de Rizzo n’aide pas l’intimé.

 

[21]           Je rejette aussi l’argument selon lequel les décisions des évaluateurs médicaux sont, par l’effet de la loi, réputés être des avis toujours acceptés par le ministre. Aucun précédent n’a été porté à l’attention de la Cour au soutien de cette prétention.

 

[22]           Le juge des requêtes s’est appuyé sur Whitton pour étayer sa conclusion selon laquelle c’est le ministre agissant sur la foi d’avis qui prend les décisions en vertu du RPC. À mon avis, il s’agit là d’une erreur. Dans Whitton, la pension de la sécurité de la vieillesse de M. Whitton avait été suspendue pendant qu’une enquête était menée relativement à des allégations selon lesquelles M. Whitton aurait encaissé des chèques de prestations faits à l’ordre de sa mère décédée. Le ministre soutenait qu’il pouvait opérer une compensation entre les montants que M. Whitton aurait touchés frauduleusement et les montants dont il admettait qu’ils étaient dus à M. Whitton au titre de sa pension de la sécurité de la vieillesse.

 

[23]           La Cour a conclu que le RPC n’habilitait pas le ministre à recouvrer des créances par voie de compensation, que M. Whitton avait légalement droit à sa pension de la sécurité de la vieillesse, et que le ministre refusait illégalement de la payer. La Cour a donc rendu une ordonnance de mandamus exigeant le rétablissement des prestations de M. Whitton.

 

[24]           Après avoir déjà conclu que les conditions d’un mandamus étaient remplies, la Cour a ajouté (au paragraphe 37) :

Je me référerai, en terminant sur ce point, à l'article 32 de la Loi, dont le texte a été reproduit ci‑haut. Le ministre, à l'heure actuelle, ne peut qu'être convaincu que l'appelant s'est vu refuser des prestations auxquelles il avait droit par suite d'un avis erroné. Il doit prendre les mesures qui s'imposent pour replacer l'appelant dans la situation où il serait s'il n'y avait pas eu faute de l'administration. La mesure qui s'impose est le rétablissement immédiat du service de la pension et le remboursement avec intérêts des prestations dont le paiement avait été suspendu.

 

 

[25]           D’abord et avant tout, les faits dans Whitton sont différents. Cette affaire concernait une décision prise par des fonctionnaires du ministère, en l’absence d’autorisation législative, de refuser sa pension à un individu, non pas parce que celui‑ci n’avait pas réussi à prouver qu’il y avait droit, mais plutôt pour d’autres raisons. À mon avis, le raisonnement dans Whitton n’est pas applicable à la situation où un fonctionnaire du ministère, dans le cours ordinaire de ses fonctions et en conformité avec le RPC, rend une décision relativement à une demande de pension d’invalidité, même si la CAP infirme ultérieurement cette décision.

 

[26]           En outre, Whitton  ne soulevait pas directement la question de l’application de l’article 32 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (une disposition équivalente au paragraphe 66(4) du RPC). La question en litige était plutôt celle de savoir à quelle mesure corrective le ministre pouvait recourir pour recouvrer des sommes que M. Whitton aurait touchées à tort. Bien que la cour ait statué que le ministre ne pouvait pas opérer de compensation entre de telles sommes et la pension de M. Whitton, elle n’a pas statué que le ministre ne pouvait pas engager une poursuite pour recouvrer ces sommes. Le litige concernait le droit de M. Whitton d’obtenir une ordonnance de mandamus exigeant que sa propre pension lui soit payée.

 

[27]           Deuxièmement, en tout état de cause, je n’interprète pas le paragraphe précité comme établissant le principe que c’est le ministre agissant sur la foi d’avis qui prend des décisions en vertu du RPC. La cour n’a pas affirmé ce principe expressément dans Whitton, et ce principe est incompatible à la fois avec le pouvoir que l’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation confère aux fonctionnaires du ministère et avec le sens ordinaire du mot « avis ». Contrairement à ce que soutient l’intimé, le fait qu’il ait été ordonné au ministre de verser la prestation à M. Whitton ne mène pas inexorablement à la conclusion que la décision de suspendre la prestation avait été prise par le ministre, sur la foi d’avis. Cela traduit simplement le fait que le ministre assume la responsabilité juridique en dernier ressort des décisions administratives prises par les fonctionnaires du ministère.

 

[28]           Je conclus donc que le paragraphe 66(4) du RPC, en permettant au ministre de prendre une mesure corrective lorsqu’il conclut qu’un avis erroné a été donné ou qu’une erreur administrative est survenue, ne vise pas les situations où une décision du ministre a été infirmée. Si telle avait été l’intention du législateur, il aurait été très simple pour celui‑ci d’employer le mot « décision ». Au lieu de dire que, lorsqu’une décision est infirmée, une mesure corrective peut être prise, le législateur a seulement prévu qu’une mesure corrective pouvait être prise advenant « un avis erroné ou une erreur administrative ». Les mots « un avis erroné ou une erreur administrative » ne saurait être considérés comme équivalant au mot « décision ».

 

[29]           Dans Rizzo, au paragraphe 21, la Cour suprême a approuvé la méthode moderne d’interprétation des lois de Driedger (extrait de Construction of Statutes, 2nd ed., 1983, à la page 87) :

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

 

 

[30]           Suivant la méthode préconisée dans Rizzo, on ne saurait dire :

a) que les mots « un avis erroné ou une erreur administrative », lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical, signifient « une décision »;

b) qu’une telle interprétation de ces mots traduit une lecture du paragraphe 66(4) qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi; ou

c) que l’objet du RPC et l’intention du législateur étaient de créer des mesures correctives additionnelles auxquelles la ministre pourrait recourir lorsque sa décision est simplement infirmée.

 

[31]           Je suis d’avis que les mots « avis erroné » au paragraphe 66(4) du RPC s’entendent d’avis que le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences donne à un membre du public, et non aux avis que ses fonctionnaires peuvent donner à l’occasion à la ministre lorsqu’ils décident si une pension devrait être accordée. Le RPC est un des régimes de prestations sociales les plus importants au pays. La loi et ses règlements sont complexes, et de nombreux requérants ne sont pas représentés par avocat. Ainsi, il arrive que des fonctionnaires du ministère communiquent des renseignements sommaires par téléphone ou en personne dans les bureaux locaux du ministère concernant le droit à des prestations, les délais pour présenter une demande, et ainsi de suite. Lorsqu’un fonctionnaire communique des renseignements inexacts à un membre du public, et qu’il s’ensuit le refus d’une prestation, la ministre peut décider de prendre une mesure corrective. C’est ce genre de situation dont il a été question dans toutes les décisions antérieures de la Cour et de la Cour fédérale concernant le paragraphe 66(4) (voir Pincombe c. Canada (Procureur général) (1995), 189 N.R. 197 (C.A.F.); Leskiw c. Canada (Procureur général), 233 F.T.R. 182, 2003 CFPI 582, conf. par 320 N.R. 175, 2004 CAF 177, autorisation de pourvoi refusée [2004] A.C.S.C. no 317; Cowton c. Canada (Développement des ressources humaines), 2004 CF 530; Graceffa c. Canada (Ministre du Développement social), 306 F.T.R. 193, 2006 CF 1513).

 

[32]           Cette conclusion est étayée par le fait que, contrairement à la conclusion de la Cour fédérale, l’interprétation que l’intimé propose du paragraphe 66(4) entraverait le pouvoir discrétionnaire de la ministre de déterminer si un avis erroné a été donné ou si une erreur administrative est survenue dans un cas donné. Si une décision de la CAP infirmant une décision de la ministre ou de son délégué, en l’absence d’éléments de preuve nouveaux, constitue la preuve qu’un avis erroné a été donné, cela ne laisse aucune marge de manœuvre à la ministre pour trancher cette question. Cela priverait d’effet la partie du paragraphe 66(4) qui dispose que la ministre doit être convaincue qu’un avis erroné ou une erreur administrative sont survenus.

 

[33]           L’intimé a soutenu que la ministre n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un avis erroné ou une erreur administrative sont survenus, et que son pouvoir discrétionnaire se limitait à décider s’il était résulté un refus d’une prestation et à choisir la mesure corrective indiquée. Cependant, dans Kissoon c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 245 F.T.R. 152, 2004 CF 24, au paragraphe 4 (conf. par 2004 CAF 384), la cour a clairement affirmé que le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il y avait eu un avis erroné :

La décision du ministre au titre du paragraphe 66(4) du RPC est discrétionnaire. L'obligation du ministre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées n'intervient que dans le cas où il est convaincu qu'un avis erroné a été donné ou qu'une erreur administrative a été commise. L'obligation de prendre des mesures correctives est conditionnelle. Elle ne limite donc pas le pouvoir discrétionnaire du ministre de déterminer tout d'abord s'il est convaincu qu'une erreur a été commise […]

[Non souligné dans l’original.]

 

[34]           Je ne suis donc pas d’accord avec la conclusion du juge des requêtes selon laquelle le pouvoir discrétionnaire n’est pas entravé, simplement parce que la ministre pourrait conclure que les éléments de preuve dont disposait la CAP étaient différents des éléments de preuve présentés avec la demande originale.

 

[35]           Je ferais aussi remarquer, bien qu’à mon avis cela ne soit pas pertinent pour déterminer s’il y a ou non un « avis » au sens du paragraphe 66(4), que les faits de l’espèce révèlent clairement que la CAP a eu l’avantage de disposer d’un grand nombre d’éléments de preuve dont l’évaluateur médical ne disposait pas au moment où la décision initiale a été prise de refuser à l’intimé une pension d’invalidité. À l’audience devant la Cour, l’avocat de l’appelant a signalé dix‑huit rapports médicaux importants qui n’avaient pas été présentés à l’évaluateur médical, mais que la CAP avait pris en compte. Il ressort clairement de la décision de la CAP que celle‑ci s’est appuyée sur certains de ces éléments de preuve nouveaux pour parvenir à sa conclusion selon laquelle l’invalidité de l’intimé était grave et prolongée.

 

[36]           Par conséquent, l’on ne saurait dire que la décision initiale selon laquelle l’invalidité de l’intimé n’était pas grave et prolongée était fondée sur un avis erroné du seul fait que la CAP a infirmé la décision de lui refuser une pension. La CAP disposait d’éléments de preuve nouveaux.

 

[37]           En terminant, il convient d’observer que, si l’appel de l’intimé devait être accueilli en l’espèce, les répercussions financières pour différents ministères pourraient bien s’avérer considérables. De nombreuses lois accordant des prestations comportent des dispositions semblables au paragraphe 66(4) du RPC (voir, par exemple, la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O‑9, article 32; la Loi sur les régimes de retraite particuliers, L.C. 1992, ch. 46, ann. I, article 23; la Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C. 1985, ch. W‑3, article 26; la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑36, paragraphes 42(10) et 42(11)). Si la Cour devait juger qu’un « avis erroné » pouvait être considéré comme ayant été donné chaque fois qu’une décision initiale refusant une prestation est par la suite infirmée par une autorité supérieure, d’où il s’ensuivrait le droit à une réparation pécuniaire, cela pourrait ouvrir la porte à un déluge de réclamations non seulement en vertu du RPC, mais aussi en vertu de toutes ces autres lois. Or, rien n’indique que tel ait été l’intention du législateur.

 

CONCLUSION

[38]           Pour tous ces motifs, je ferais droit à l’appel, j’infirmerais le jugement de la Cour fédérale, et je répondrais par la négative à la question de droit préliminaire énoncée par la Cour fédérale. Sa Majesté n’a pas demandé de dépens.

 

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

     Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     Pierre Blais, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑346‑08

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN DATÉE DU 20 JUIN 2008

 

INTITULÉ :                                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DANIEL KING

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   Le 2 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                Le juge Sexton

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             Le juge Décary

                                                                                Le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :                                          Le 2 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Mathieu

Joel Robichaud

POUR L’APPELANT

 

 

Frank Provenzano

Peter Sengbusch

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Provenzano Law Firm

Sault Ste. Marie (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

Peter Sengbusch

London (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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