Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date: 20090325

 

Dossier : A-84-08

Référence : 2009 CAF 97

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

appelante

(demanderesse)

 

et

APOTEX INC.,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

et

 

ELI LILLY AND COMPANY LIMITED

 

intimée / brevetée

(défenderesse / brevetée)

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 24 mars 2009.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 25 mars 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

LA JUGE TRUDEL


 

 

Date : 20090325

Dossier : A-84-08

Référence : 2009 CAF 97

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

appelante

(demanderesse)

 

et

APOTEX INC.,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

et

 

ELI LILLY AND COMPANY LIMITED

intimée / brevetée

(défenderesse / brevetée)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

 

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision du juge Hughes (le juge de la Cour fédérale) (2008 CF 142) rejetant la demande présentée par Eli Lilly Canada Inc. (l’appelante ou Eli Lilly) visant à interdire au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (l’intimée ou Apotex) en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, concernant la drogue de l’intimée contenant un ingrédient actif communément appelé raloxifène pour le traitement et la prévention de l’ostéoporose, en particulier chez les femmes postménopausées, jusqu’à l’expiration des lettres patentes canadiennes 2,101,356 (le brevet 356) de l’appelante.

 

[2]               On nous a rappelé durant l’instruction de l’appel l’importance de respecter les délais en ce qui concerne l’issue du présent appel étant donné que le ministre pourrait éventuellement accorder l’avis de conformité à Apotex à l’égard de sa drogue à base de raloxifène dès qu’une décision connexe est rendue, la demande étant actuellement en instance devant la Cour fédérale. Au terme de l’audience, la Cour s’est engagée à rendre sa décision le plus rapidement possible. En conséquence, les brefs motifs suivants ont été formulés.

 

[3]               Le juge de la Cour fédérale a rejeté la demande d’Eli Lilly au motif que l’allégation d’Apotex au sujet de l’absence de prédiction valable était justifiée parce que le brevet 356 ne renferme pas de divulgation adéquate. De plus, il a conclu que l’allégation d’Apotex selon laquelle les revendications sont plus larges que l’invention divulguée était justifiée en ce qui concerne les revendications 1, 3 et 15, mais non en ce qui concerne la revendication 17 (paragraphe 182 des motifs).

 

[4]               Au soutien de son appel, l’appelante allègue que le juge de la Cour fédérale a commis des erreurs de droit et de fait en statuant que le brevet 356 ne renferme pas de divulgation adéquate. Elle ajoute que le juge de la Cour fédérale a manqué à son obligation d'équité procédurale en appuyant sa décision sur ce motif puisque cet élément n’a pas été soulevé par l’intimée. Lors de l’instruction de l’appel, l’appelante a affirmé également, pour la première fois, que le brevet 356 n’était pas fondé sur une prédiction puisque l’invention avait été établie de façon concluante à la date de dépôt au Canada. Selon l’appelante, le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en appuyant son analyse sur le fait que l’invention brevetée était fondée sur une prédiction.

 

[5]               Tout d’abord, en ce qui concerne ce dernier argument, la conclusion du juge de la Cour fédérale portant que l’invention revendiquée dans le brevet 356 était fondée sur une prédiction est une conclusion de fait.

 

[6]               À cet égard, le juge de la Cour fédérale a tout d’abord conclu que le monopole demandé dans le brevet 356, tel qu’il est interprété, signifie qu’un groupe de benzothiophènes, et en particulier le raloxifène et plus précisément le chlorhydrate de raloxifène, est utile dans le traitement ou la prévention de l’ostéoporose de quelque genre que ce soit (revendication 1) ou de la perte osseuse de quelque genre que ce soit (revendication 3), en particulier chez la femme postménopausée (revendication 15), ou en particulier sans entraîner de réactions oestrogéniques importantes dans les tissus sexuels primaires (revendication 17) (paragraphe 76 des motifs).

 

[7]               Après avoir interprété les revendications, le juge de la Cour fédérale a statué qu’il fallait se demander, en ce qui concerne ce que le brevet divulgue, si la divulgation était suffisante pour que la personne versée dans l’art sache comment utiliser l’invention ou si elle était suffisante pour que la personne versée dans l’art puisse prédire valablement que l’invention fonctionnerait (paragraphe 96 des motifs).

 

[8]               Le juge de la Cour fédérale a alors examiné la divulgation faite dans le brevet 356 et a reproduit ce que la brevetée a divulgué au public pour obtenir le monopole demandé :

 

i.      Le raloxifène est un composé connu ayant certaines utilisations médicales connues dans le traitement oestrogénique et les méthodes de fabrication sont connues (paragraphe 81 des motifs).

 

ii.    Les études sur des rats femelles Sprague Dawley âgés de soixante-quinze jours auxquels on administre du raloxifène montrent que cela empêche la perte osseuse en fonction de la dose administrée avec des augmentations minimes du poids de l’utérus (paragraphe 81 des motifs).

 

iii.    Des études sur des femmes postménopausées sont envisagées, lesquelles devraient démontrer une inhibition des marqueurs associés à la résorption osseuse chez les sujets manifestant une déficience oestrogénique comme indication que le raloxifène est efficace afin d’empêcher la perte osseuse (paragraphe 81 des motifs).

 

 

[9]                     En appréciant la preuve, le juge de la Cour fédérale a souligné que les parallèles entre les antériorités, plus particulièrement l’article du docteur Jordan intitulé « Effects of Anti-Estrogens on Bone in Castrated and Intact Female Rats » (« Effets des antioestrogènes sur les os chez les rats femelles castrés et chez les rats intacts ») et la divulgation qui est faite dans le brevet 356 sautaient aux yeux. Les deux études montrent que le raloxifène utilisé sur des rats Sprague Dawley qui ont subi une ovariectomie a des effets positifs sur la perte osseuse et sur le poids de l’utérus. Il a souligné que l’article du Dr Jordan conclut qu’une étude de longue durée chez les femmes postménopausées est justifiée. La divulgation faite dans le brevet 356 donne à entendre qu’une telle étude chez les femmes était en cours et que l’on s’attendait à certains résultats avec une étude de longue durée à suivre (les résultats de l’étude projetée dans le brevet ne font pas partie de la divulgation qui est faite dans le brevet 356). Par conséquent, le juge de la Cour fédérale a statué que l’article du Dr Jordan et la divulgation faite dans le brevet 356 en étaient au même point, que les études chez les rats donnaient des résultats positifs et que des études chez les humains étaient justifiées. Dans le brevet 356, il est simplement conclu que le raloxifène est un médicament approprié pour les humains sans qu’aucune autre divulgation ne soit faite à l’appui (paragraphes 105 et 106 des motifs).

 

[10]                 Compte tenu de l’analyse qui précède, il est clair que l’invention était fondée sur une prédiction. Même si les études chez les rats ont donné des résultats positifs, seule une prédiction pourrait permettre d’inférer que le raloxifène a le même effet chez les femmes, qui plus est chez les femmes postménopausées manifestant une déficience oestrogénique et souffrant de perte osseuse. Autrement dit, l’utilité revendiquée nécessaire pour la brevetabilité n’a pas été démontrée, mais a plutôt donné lieu à une prédiction qui s’appuyait sur l’information contenue dans le brevet 356.

 

[11]                 De plus, l’appelant soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le brevet 356 ne renfermait pas une divulgation adéquate. À cet égard, l’appelante soutient essentiellement que rien n’oblige la divulgation des données sous-jacentes appuyant une prédiction valable dans le brevet. L’appelante affirme que le juge de la Cour fédérale a mal interprété les récentes décisions judiciaires en matière de prédiction valable.

 

[12]                 En formulant cet argument, l’appelante a pendant l’instruction souscrit pour les besoins à la conclusion tirée par le juge de la Cour fédérale aux paragraphes 155 et 156 de ses motifs portant que l’étude de Hong Kong était requise pour faire de la prédiction sur laquelle se fondait le brevet 356 une prédiction valable. Selon le juge de la Cour fédérale, l’étude de l’appelante dont il est fait état dans le sommaire de Hong Kong réalisée sur 251 femmes postménoposées concluant que [traduction] « le raloxifène [était] prometteur, en tant que traitement anti-résoptif pour le squelette » aurait constitué un fondement factuel suffisant à la prédiction valable d’utilité du raloxifène à la date de dépôt. Toutefois, cette étude n’a pas été divulguée dans le brevet 356 et, par conséquent, le fondement factuel sous-jacent de la prédiction et le raisonnement valable sur lequel s’appuyait la prédiction des inventeurs n’ont pas été divulgués.

 

[13]                 L’importance de l’obligation de divulgation lors d’une demande de brevet a été soulignée par la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises au cours des dernières années (Pioneer Hi Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, paragraphe 23; Cadbury Schweppes Inc. c. FBI Foods Ltd., [1999] 1 R.C.S. 142, paragraphe 46; Free World Trust c. Électro Santé Inc. 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, paragraphe 13; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, paragraphe 37 (communément appelé l’arrêt AZT et désigné ainsi ci-après).

 

[14]                 L’arrêt AZT de la Cour suprême est particulièrement important à l’égard de l’issue du présent appel. Selon l’arrêt AZT, les exigences de la règle de la prédiction valable sont au nombre de trois : la prédiction doit avoir un fondement factuel; à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; et, enfin, il doit y avoir une divulgation suffisante (arrêt AZT, précité, paragraphe 70). Comme il a été dit dans l’arrêt : « la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet ». Dans les décisions en matière de prédiction valable, l’obligation de divulguer les faits sous-jacents et le raisonnement est plus élevée pour les inventions contenant la prédiction.

 

[15]                 En toute déférence, j’estime que le juge de la Cour fédérale s’est fondé sur le principe approprié lorsqu’il a conclu, en s’appuyant sur l’arrêt AZT, que lorsqu’un brevet est fondé sur une prédiction valable, la divulgation doit inclure la prédiction. Puisque la prédiction devenait valable grâce à l’étude de Hong Kong, cette étude devait être divulguée.

 

[16]                 En l’absence d’une erreur de droit, la décision statuant sur la validité de la prédiction est une question de fait et ne peut être rejetée si aucune erreur manifeste et déraisonnable n’a été commise.

 

[17]                 À cet égard, l’appelante a accepté à bon droit que l’étude de Hong Kong était requise pour que la prédiction sous-jacente au brevet 356 soit valable. Après avoir tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents, le juge de la Cour fédérale pouvait conclure qu’à compter de la date de priorité, l’article du Dr Jordan, une réalisation antérieure, et la divulgation du brevet 356 en étaient au même point étant donné que les deux études ont démontré que des résultats positifs ont été obtenus à l’égard de la perte osseuse chez les rats et qu’elles ont toutes deux conclu que des études chez les humains étaient justifiées. Plus particulièrement, le brevet 356 n’a pas divulgué davantage que ne l’a fait l’article du Dr Jordan et, par conséquent, une personne versée dans l’art ne disposait pas davantage d’informations, compte tenu de la divulgation, que ce qui a été divulgué dans les réalisations antérieures.

 

[18]                 L’appelante soutient qu’en exigeant la divulgation complète du fondement factuel de la prédiction valable (c.-à-d. les données exigées à l’appui de l’invention), le juge de la Cour fédérale a modifié les exigences de divulgation, lesquelles sont énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Je ne souscris pas à la prétention de l’appelante. Faisant manifestement référence au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets (la disposition remplacée par l’actuel paragraphe 27(3)), la Cour Suprême a conclu dans l’arrêt AZT que lorsque l’invention revendiquée n’a pas encore en fait été présentée sous forme pratique, le brevet devait faire une divulgation telle qu’une personne versée dans l’art, compte tenu de cette divulgation, pourrait, comme les inventeurs l’ont fait, prédire d’une façon valable que l’invention fonctionnerait une fois qu’elle serait présentée sous forme pratique. Qui plus est, la Cour a poursuivi son raisonnement en affirmant que les exigences de divulgation avaient été satisfaites parce que les faits sous-jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués (arrêt AZT, paragraphe 70).

 

[19]                 L’appelante affirme également que le fait d’exiger la divulgation complète du fondement factuel de la prédiction valable est incompatible avec le Traité de coopération en matière de brevets, 1970, 28 U.F.T. 7647 (le Traité). Toutefois, ce Traité indique précisément que la législation nationale a primauté en matière d’établissement des règles régissant les conditions matérielles de brevetabilité (voir le paragraphe 27(5) du Traité). Ce sont les conditions matérielles de brevetabilité qui nous intéressent en l’espèce.

 

[20]                 Enfin, l’appelante allègue que le défendeur n’a pas soutenu que les faits étayant la prédiction valable n’avaient pas été divulgués adéquatement dans le mémoire descriptif du brevet 356 et que le juge de la Cour fédérale a manqué à l’obligation d’équité procédurale en tranchant la demande sur ce motif. Toutefois, un examen de l’avis d’allégation démontre que le défendeur a effectivement soutenu que le brevet 356 était invalide au motif de l’absence de prédiction valable. Plus précisément, le défendeur a affirmé que les études des inventeurs effectuées sur les rats ne fournissaient pas une preuve factuelle suffisante pour établir une prédiction valable, c’est-à-dire qu’on ne pouvait prédire de façon valable que les résultats des tests in vivo établissaient son utilité pour les humains. De plus, le défendeur allègue qu’à la date de dépôt au Canada, les inventeurs n’avaient pas établi que le raloxifène hydrochloride pouvait être utilisé comme traitement pour la prévention de l’ostéoporose et de la perte osseuse chez les humains. Dans son avis d’allégation, l’intimée souligne que la divulgation du brevet 356 indique qu’un essai clinique sur des femmes postménoposées en santé était en cours et visait à comparer les effets de la conjugaison des oestrogènes et du raloxifène, mais les résultats de l’étude n’ont pas été présentés dans le brevet. Lorsqu’on tient compte de l’avis d’allégation, l’absence de prédiction valable, plus précisément l’absence de divulgation de données sur les humains dans le brevet 356 comme motif d’invalidité, était manifestement en cause.

 

[21]                 Je rejetterais l’appel avec dépens en faveur d’Apotex.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            Alice Desjardins, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, trad. a., LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                A-84-08

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DÉLIVRÉE PAR MONSIEUR LE JUGE HUGHES EN DATE DU 5 FÉVRIER 2008, DANS LE DOSSIER DE LA COUR FÉDÉRALE NT-1364-05 (L’ORDONNANCE STATUANT SUR LA DEMANDE))

 

INTITULÉ :                                                               ELI LILLY CANADA INC. c. 

                                                                                    APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ c.

                                                                                    ELI LILLY AND COMPANY LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 24 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LA JUGE DESJARDINS

                                                                                    LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 25 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony G. Creber

Grant W. Lynds

 

POUR L’APPELANTE

 

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

Belle Van

 

 

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

 

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