Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20090408

Dossier : A-56-08

Référence : 2009 CAF 110

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ALLIANCE PIPELINE LTD.

appelante

et

VERNON JOSEPH SMITH

intimé

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 11 février 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                        LE JUGE NADON

Y A SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE NOËL

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                   LE JUGE PELLETIER

 


 

 

Date : 20090408

Dossier : A-56-08

Référence : 2009 CAF 110

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON   

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ALLIANCE PIPELINE LTD.

appelante

et

VERNON JOSEPH SMITH

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision du juge O’Keefe de la Cour fédérale, 2008 CF 12, en date du 4 janvier 2008, par laquelle celui-ci a rejeté l’appel interjeté par Alliance Pipeline Ltd., conformément à l’article 101 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N-7 (la Loi), à l’encontre de la décision du comité d’arbitrage sur les pipelines (le CAP) et de l’octroi d’une indemnité par ce comité, en date du 2 septembre 2006, puis corrigés le 6 novembre 2006.

 

[2]               La question soulevée dans le présent appel porte sur la décision du CAP à l’égard du droit de l’intimé de recouvrer de l’appelante les frais judiciaires qu’il a engagés dans le cadre de l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et de la procédure d’arbitrage introduite devant un premier groupe d’arbitrage du CAP.

 

LES FAITS

[3]               En 1999, Alliance Pipeline Ltd. (l’appelante) a construit un pipeline à travers une partie des terres agricoles de l’intimé, situées dans la région de Mayerthorpe, dans le centre de l’Alberta, à la suite de l’approbation que l’appelante avait reçue de l’Office national de l’énergie, en novembre 1998, pour la construction d’un pipeline s’étendant de la région nord-est de la Colombie-Britannique à un point situé près de Chicago, dans l’Illinois, et traversant la frontière entre le Canada et les États-Unis près d’Elmore, en Saskatchewan.

 

[4]               Malgré une série d’accords entre les parties à l’égard de la construction du pipeline, un désaccord est survenu au sujet de la bonification d’une partie des terres utilisées à cette fin. L’intimé a prétendu qu’il fallait épandre du fumier sur toute l’emprise afin de restituer aux terres leur capacité de culture d’avant la construction. L’appelante n’était pas d’accord.

 

[5]               Malgré le désaccord, l’intimé a entrepris les travaux de bonification et a épandu du fumier sur l’emprise aux mois de juin et de juillet 2000. L’intimé a remis une facture de 9 829 $ à l’appelante, qui a refusé de l’acquitter et a fait une contre-offre de 2 500 $. L’intimé a rejeté la contre-offre et a envoyé à l’appelante une seconde facture de 16 819 $.

 

[6]               Le 8 août 2001, l’intimé a délivré un avis d’arbitrage conformément au paragraphe 90(2) de la Loi, lequel a été signifié à l’appelante et au ministre des Ressources naturelles (le ministre), et a demandé à être indemnisé des travaux de bonification effectués. Le 24 septembre 2001, l’appelante a signifié sa réponse à l’avis d’arbitrage et a soutenu, entre autres, que les dommages-intérêts demandés par l’intimé étaient visés par les décharges que les parties avaient établies.

 

[7]               En conséquence, dans une lettre en date du 21 février 2002, le ministre a informé l’appelante et l’intimé qu’il avait nommé trois personnes pour former un comité d’arbitrage (le premier groupe d’arbitrage), à savoir MM. Raymond McKall, John Gill et Robert P. James. L’audience devant le premier groupe d’arbitrage a été tenue le 6 mai 2003, et la décision a été mise en délibéré.

 

[8]               Dans l’intervalle, le 10 juillet 2003, l’appelante a déposé devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta une déclaration dans laquelle elle demandait entre autres choses :

1.         une injonction empêchant l’intimé de porter atteinte aux droits de l’appelante à un accès sans entrave à l’emprise;

2.         un jugement déclaratoire portant que les décharges établies par les parties visaient toutes les demandes que l’intimé avait présentées à l’encontre de l’appelante jusqu’au 1er novembre 1999;

3.         une ordonnance enjoignant au premier groupe d’arbitrage de ne pas rendre de décision tant que la question des décharges ne serait pas tranchée.

 

[9]               La demande d’injonction a été rejetée le 2 octobre 2003 par la juge Nation, laquelle a enjoint à l’appelante de verser à l’intimé les dépens partie-partie y afférents. L’appelante s’est finalement désistée de l’action au mois de mars 2005 et elle a payé les dépens partie-partie de l’intimé dans l’action. Cependant, les dépens avocat-client de l’intimé pour l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta s’élevaient à 20 788,54$. Les dépens partie-partie que l’appelante a payés s’élevaient à 4 565,97 $ en tout, ce qui laissait 16 222,57 $ en frais de procédure non recouvrés.

 

[10]           En février 2005, le premier groupe d’arbitrage a informé les parties que l’un de ses membres, le juge John Gill, avait été nommé à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et que les deux autres membres du groupe d’arbitrage étaient disposés à poursuivre le processus d’arbitrage. Il semble que l’avocat de l’intimé était prêt à laisser le premier groupe d’arbitrage aller de l’avant, mais l’avocat de l’appelante s’y est opposé. En conséquence, le premier groupe d’arbitrage n’a rendu aucune décision.

 

[11]           Dans une lettre en date du 11 août 2005, le ministre a informé les parties qu’il avait constitué un nouveau comité d’arbitrage (le second groupe d’arbitrage) pour trancher les questions soulevées dans le cadre de la procédure d’arbitrage, à savoir MM. Jim McCartney, Doug Perras et Ian C. Schofield. La lettre du ministre indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

[…]

 

Je suis conscient que M. Smith, Alliance et vous-même avez déjà consacré beaucoup de temps, d’énergie et d’argent pour régler la présente affaire. Après mûre réflexion, le gouvernement du Canada a conclu qu’il était préférable de nommer un nouveau comité, constitué de trois nouveaux membres, pour examiner les questions demeurées en suspens.

 

 

[12]           À la suite de la nomination du second groupe d’arbitrage, l’intimé a déposé un avis d’arbitrage modifié le 14 novembre 2005, et un autre le 20 janvier 2006. Dans l’avis d’arbitrage modifié, les mêmes principales demandes que celles qui avaient été faites devant le premier groupe d’arbitrage étaient formulées, et une réparation additionnelle était demandée, laquelle comprenait les frais de la procédure d’arbitrage introduite devant le premier groupe d’arbitrage et la portion non recouvrée des frais afférents à l’action que l’appelante avait intentée en juillet 2003 devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

 

[13]           À la fin de décembre 2005, l’appelante a déposé sa réponse à l’avis d’arbitrage modifié.

 

[14]           L’audience devant le second groupe d’arbitrage a eu lieu du 22 au 24 mars ainsi que les 3 et 4 avril 2006, et celui-ci a rendu sa décision le 18 septembre 2006, laquelle a été corrigée le 6 novembre 2006.

 

DÉCISION DU SECOND GROUPE D’ARBITRAGE

[15]           Le second groupe d’arbitrage a conclu que l’intimé avait droit à une indemnité de 9 829 $ (après correction) pour les travaux de bonification qu’il a effectués au printemps 2000 et à une indemnité de 1 200 $ (après correction) pour l’intrusion qui a eu lieu en septembre 2000. Ces décisions, ainsi que certaines autres, ne sont pas en cause dans le présent appel. Les questions en litige soumises à la Cour fédérale et à notre Cour se rapportent à la décision du second groupe d’arbitrage selon laquelle l’intimé avait droit à une indemnité pour la portion non recouvrée des frais qu’il a engagés pour assurer sa défense dans le cadre de l’injonction et aux frais de la procédure d’arbitrage introduite devant le premier groupe d’arbitrage.

 

[16]           Le second groupe d’arbitrage a conclu que la Loi lui attribuait compétence pour régler les questions d’indemnité. Il a statué que si une partie estime que le ministre a renvoyé un avis d’arbitrage qui soulève des questions ne relevant pas de sa compétence, la partie qui fait opposition doit demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre.

 

[17]           En ce qui concerne les dépens de l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, le second groupe d’arbitrage a accordé à l’intimé une somme de 16 222,57 $ au titre de ses frais de procédure, de ses débours et de la TPS nets, déclarant que l’intimé avait droit à ses dépens avocat-client à titre d’indemnisation pour les dommages causés par suite des activités de l’appelante. Le second groupe d’arbitrage a conclu que l’action en justice intentée par l’appelante était directement rattachée à la tentative faite par l’intimé pour être indemnisé à l’égard des activités envisagées par l’appelante et qu’il était donc opportun et raisonnable de tenir compte des dépenses que l’intimé avait engagées et des inconvénients qu’il avait subis eu égard aux circonstances. Le second groupe d’arbitrage a ajouté que les sommes déboursées par l’intimé pour les frais de procédure avaient été demandées dans l’avis d’arbitrage modifié et qu’un CAP était tenu de régler les questions mentionnées dans l’avis d’arbitrage. En conséquence, le second groupe d’arbitrage a conclu qu’il était tenu d’inclure des dispositions prévoyant le paiement d’une indemnité pour tous les dommages causés à l’intimé par les activités de l’appelante.

 

[18]           En ce qui concerne les dépens afférents à la première procédure d’arbitrage, le second groupe d’arbitrage a adjugé à l’intimé les frais de procédure et débours se rattachant à cette procédure, sauf ceux qui se rapportaient directement à la comparution à la première audience et aux lettres échangées par la suite au sujet de l’état et de l’effet de la première audience après la perte du quorum. Pour étayer ce point de vue, le second groupe d’arbitrage a conclu que même si la procédure d’arbitrage devait recommencer, l’accord d’arbitrage conclu entre les parties est demeuré exécutoire.

 

[19]           L’appelante a interjeté appel devant la Cour fédérale en application de l’article 101 de la Loi, alléguant que le second groupe d’arbitrage avait excédé sa compétence et qu’il avait commis une erreur de droit en adjugeant à l’intimé les frais qu’il avait engagés dans le cadre de l’instance devant la Cour de l’Alberta et de la procédure introduite devant le premier groupe d’arbitrage.

 

DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[20]           Le juge O’Keefe a rejeté l’appel le 4 janvier 2008, jugeant que le second groupe d’arbitrage n’avait pas excédé sa compétence et qu’il n’avait pas commis d’erreur en adjugeant à l’intimé la portion non recouvrée des frais qu’il a engagés dans le cadre de l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, ni en lui adjugeant les dépens afférents à la procédure d’arbitrage introduite devant le premier groupe d’arbitrage.

 

[21]           Le juge a statué que le second groupe d’arbitrage avait eu raison de conclure qu’il avait compétence pour examiner les demandes de frais, puisqu’il était tenu d’examiner toutes les questions d’indemnité mentionnées dans l’avis d’arbitrage.

 

[22]           Le juge O’Keefe n’a pas été convaincu par les arguments de l’appelante selon lesquels le principe de la chose jugée s’appliquait à la question des dépens de l’action, étant donné que l’intimé a engagé les frais afin de pouvoir poursuivre sa demande d’indemnisation devant le CAP.

 

[23]           Enfin, le juge a confirmé les dépens adjugés par le second groupe d’arbitrage relativement à la première procédure d’arbitrage, après avoir constaté que le second groupe d’arbitrage avait exclu les frais qui se rapportaient directement à la comparution à la première audience et aux lettres échangées au sujet de la perte du quorum.

 

LES ARGUMENTS DE L’APPELANTE

[24]           L’appelante allègue que le juge O’Keefe a commis une erreur en concluant que le second groupe d’arbitrage avait compétence et en confirmant sa décision au sujet des dépens de l’action et des dépens de la première procédure d’arbitrage (collectivement, les demandes de frais).

 

[25]           Tout d’abord, l’appelante soutient que le juge a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le second groupe d’arbitrage avait compétence sur les demandes de frais, étant donné qu’il ne s’agissait pas de « questions d’indemnité » au sens de la Loi. L’appelante allègue également qu’elle n’était pas tenue de demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre de renvoyer l’affaire devant un CAP afin de contester la compétence du second groupe d’arbitrage à l’égard des demandes de frais. L’appelante fait valoir que le pouvoir du CAP de se prononcer sur sa propre compétence, sous réserve du droit d’en appeler à la Cour fédérale, offrait un recours juridique subsidiaire adéquat.

 

[26]           Ensuite, l’appelante prétend que le juge a commis une erreur de droit et une erreur de fait manifeste et dominante lorsqu’il a conclu que l’adjudication des dépens de l’action par le second groupe d’arbitrage était raisonnable. L’appelante soutient que les dépens de l’action relevaient de la compétence exclusive de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, et que la décision de la Cour de l’Alberta conférait l’autorité de la chose jugée à la question des dépens. L’appelante allègue également que le second groupe d’arbitrage n’avait pas compétence à l’égard des dépens de l’action et que l’adjudication de ces dépens ne peut être raisonnable, étant donné que le second groupe d’arbitrage n’a pas instruit l’affaire ni statué sur celle-ci lors de l’action intentée devant la Cour de l’Alberta.

 

[27]           Enfin, l’appelante prétend que le juge a commis une erreur de droit et une erreur de fait manifeste et dominante lorsqu’il a conclu que l’adjudication par le second groupe d’arbitrage des dépens afférents à la première procédure d’arbitrage était raisonnable. Selon l’appelante, le second groupe d’arbitrage n’avait pas compétence pour adjuger des dépens relativement à la première procédure d’arbitrage étant donné que la procédure était nulle, et plus particulièrement parce qu’il n’a pas instruit l’affaire ni statué sur celle-ci lors de la première procédure d’arbitrage.

 

LES ARGUMENTS DE L’INTIMÉ

[28]           L’intimé soutient que le second groupe d’arbitrage avait compétence pour examiner les demandes de frais étant donné que ces frais étaient entraînés par l’exercice du recours. Il allègue que le second groupe d’arbitrage était tenu de statuer sur la question des dépens étant donné qu’il doit, en vertu de la Loi, « régler les questions d’indemnité mentionnées dans l’avis ».

 

[29]           En ce qui concerne les frais engagés dans le cadre de la première procédure d’arbitrage, l’intimé prétend qu’il avait droit à ces dépens étant donné que les questions dont le premier groupe d’arbitrage était saisi étaient essentiellement les mêmes que celles soumises au second groupe d’arbitrage, et que ce dernier avait analysé avec soin les frais qui se rapportaient exclusivement à la première procédure d’arbitrage et qu’il n’avait pas adjugé de dépens de ce genre en sa faveur. L’intimé allègue également que la décision du juge O’Keefe et celle du second groupe d’arbitrage sont conformes à l’objet de la Loi, laquelle vise à s’assurer que les propriétaires fonciers ne soient pas empêchés d’obtenir des conseils juridiques et autres, uniquement parce qu’ils sont plus faibles financièrement.

 

[30]           Enfin, l’intimé soutient que le juge a eu raison de conclure que le second groupe d’arbitrage avait compétence pour lui adjuger les dépens de l’action étant donné qu’ils ont été entraînés par l’exercice du recours. L’intimé allègue également que ses dépens avocat-client étaient payables à titre d’indemnisation pour les dommages causés par suite des activités de l’appelante et que le second groupe d’arbitrage était tenu de tenir compte, au moment de statuer sur la question d’indemnité, des éléments énumérés au paragraphe 97(1) de la Loi, notamment « les autres éléments » dont le second groupe d’arbitrage « estime devoir tenir compte en l’espèce » (al. 97(1)i) de la Loi). De plus, l’intimé fait valoir que la question des dépens n’était pas visée par la doctrine de la chose jugée étant donné que, bien que l’ordonnance de la Cour de l’Alberta soit définitive et qu’il s’agisse des mêmes parties, la question tranchée dans le cadre de l’action n’était pas la même que celle dont le second groupe d’arbitrage était saisi, à savoir si l’intimé avait droit aux dépens en vertu de la Loi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[31]           Les questions en litige dans le présent appel, telles que formulées par les parties, sont les suivantes :

1.                  Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le second groupe d’arbitrage avait compétence pour examiner les demandes de frais?

2.                  Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la décision que le second groupe d’arbitrage a rendue au sujet des demandes de frais était raisonnable?

 

LA LÉGISLATION

[32]           Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi libellées :

84. Les procédures de négociation et d’arbitrage prévues par la présente partie pour le règlement des questions d’indemnité s’appliquent en matière de dommages causés par un pipeline ou ce qu’il transporte, mais ne s’appliquent pas :

a) aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l’une ou l’autre des opérations suivantes :

     i) acquisition de terrains pour la construction d’un pipeline,

    ii) construction de celui-ci,

   iii) inspection, entretien ou réparation de celui-ci;

b) aux demandes dirigées contre la compagnie pour dommages à la personne ou décès;

c) aux décisions et aux accords d’indemnisation intervenus avant le 1er mars 1983.

 

 

91. (1) Dès qu’un avis d’arbitrage lui est signifié, le ministre :

 

a) si un comité d’arbitrage a déjà été constitué pour régler la question mentionnée dans l’avis, signifie à celui-ci l’avis d’arbitrage;

b) dans le cas contraire, nomme un comité d’arbitrage et signifie l’avis à celui-ci.

 

 

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans les cas où le ministre est convaincu que la question mentionnée dans l’avis d’arbitrage qui lui a été signifié :

 

a) soit ne porte que sur le montant de l’indemnité accordé antérieurement par un comité d’arbitrage, lequel montant n’était pas, aux termes de la décision, susceptible de révision à la date de signification de l’avis;

b) soit est exclue de la procédure d’arbitrage.

 

(3) Le ministre peut constituer un comité d’arbitrage de sa propre initiative, sans qu’aucun avis d’arbitrage ne lui ait été signifié.

 

 

 

93. (1) Le quorum du comité d’arbitrage est constitué de trois membres; ceux-ci peuvent exercer des fonctions du comité et, à cette fin, ils sont investis de la compétence et des pouvoirs du comité.

 

 

[...]

 

97. (1) Le comité d’arbitrage doit régler les questions d’indemnité mentionnées dans l’avis qui lui a été signifié, et tenir compte, le cas échéant, des éléments suivants :

 

a) la valeur marchande des terrains pris par la compagnie;

b) dans le cas de versements périodiques prévus par contrat ou décision arbitrale, les changements survenus dans la valeur marchande mentionnée à l’alinéa a) depuis la date de ceux-ci ou depuis leurs derniers révision et rajustement, selon le cas;

 

c) la perte, pour leur propriétaire, de la jouissance des terrains pris par la compagnie;

d) l’incidence nuisible que la prise des terrains peut avoir sur le reste des terrains du propriétaire;

e) les désagréments, la gêne et le bruit qui risquent de résulter directement ou indirectement des activités de la compagnie;

f) les dommages que les activités de la compagnie risquent de causer aux terrains de la région;

 

g) les dommages aux biens meubles ou personnels, notamment au bétail, résultant des activités de la compagnie;

h) les difficultés particulières que le déménagement du propriétaire ou de ses biens pourrait entraîner;

i) les autres éléments dont il estime devoir tenir compte en l’espèce.

 

(2) Pour l’application de l’alinéa (1) a), la valeur marchande des terrains correspond à la somme qui en aurait été obtenue si, au moment où ils ont été pris, ils avaient été vendus sur le marché libre.

 

 

 

99. (1) Si l’indemnité accordée par le comité d’arbitrage est supérieure à quatre-vingt-cinq pour cent de celle qu’elle offre, la compagnie paie tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours.

 

 

 

(2) Si, par contre, l’indemnité accordée est égale ou inférieure à quatre-vingt-cinq pour cent de celle offerte par la compagnie, l’octroi des frais visés au paragraphe (1) est laissé à l’appréciation du comité; celui-ci peut ordonner que les frais soient payés en tout ou en partie par la compagnie ou toute autre partie.

 

 

 

 

 

 

101. Appel d’une décision ou d’une ordonnance du comité d’arbitrage peut être interjeté, sur une question de droit ou de compétence, devant la Cour fédérale dans les trente jours du prononcé ou dans le délai ultérieur que le tribunal ou un de ses juges peut accorder dans des circonstances spéciales.

 

84. The provisions of this Part that provide negotiation and arbitration procedures to determine compensation matters apply in respect of all damage caused by the pipeline of a company or anything carried by the pipeline but do not apply to

(a) claims against a company arising out of activities of the company unless those activities are directly related to

 

     (i) the acquisition of lands for a pipeline,

 

    (ii) the construction of the pipeline, or

   (iii) the inspection, maintenance or repair of the pipeline;

(b) claims against a company for loss of life or injury to the person; or

 

(c) awards of compensation or agreements respecting compensation made or entered into prior to March 1, 1983.

 

[…]

 

91. (1) Where the Minister is served with a notice of arbitration under this Part, the Minister shall,

(a) if an Arbitration Committee exists to deal with the matter referred to in the notice, forthwith serve the notice on that Committee; or

(b) if no Arbitration Committee exists to deal with the matter, forthwith appoint an Arbitration Committee and serve the notice on that Committee.

 

(2) The Minister shall not take any action under subsection (1) where the Minister is satisfied that the matter referred to in a notice of arbitration served on the Minister is a matter

(a) solely related to the amount of compensation that has been previously awarded by an Arbitration Committee and that, under the award, the amount is not subject to a review at the time the notice is served; or

(b) to which the arbitration procedures set out in this Part do not apply.

 

(3) The Minister may, of his own motion and without having been served with a notice of arbitration referred to in subsection (1), appoint an Arbitration Committee.

 

[…]

 

93. (1) Three members of an Arbitration Committee constitute a quorum and may perform any function of the Committee and, when performing such a function, have all the powers and jurisdiction of the Committee.

 

[...]

 

97. (1) An Arbitration Committee shall determine all compensation matters referred to in a notice of arbitration served on it and in doing so shall consider the following factors where applicable:

(a) the market value of the lands taken by the company;

(b) where annual or periodic payments are being made pursuant to an agreement or an arbitration decision, changes in the market value referred to in paragraph (a) since the agreement or decision or since the last review and adjustment of those payments, as the case may be;

(c) the loss of use to the owner of the lands taken by the company;

 

(d) the adverse effect of the taking of the lands by the company on the remaining lands of an owner;

(e) the nuisance, inconvenience and noise that may reasonably be expected to be caused by or arise from or in connection with the operations of the company;

(f) the damage to lands in the area of the lands taken by the company that might reasonably be expected to be caused by the operations of the company;

(g) loss of or damage to livestock or other personal property or movable affected by the operations of the company;

(h) any special difficulties in relocation of an owner or his property; and

 

(i) such other factors as the Committee considers proper in the circumstances.

 

(2) For the purpose of paragraph (1)(a), "market value" is the amount that would have been paid for the lands if, at the time of their taking, they had been sold in the open market by a willing seller to a willing buyer.

 

[…]

 

99. (1) Where the amount of compensation awarded to a person by an Arbitration Committee exceeds eighty-five per cent of the amount of compensation offered by the company, the company shall pay all legal, appraisal and other costs determined by the Committee to have been reasonably incurred by that person in asserting that person’s claim for compensation.

 

(2) Where the amount of compensation awarded to a person by an Arbitration Committee does not exceed eighty-five per cent of the amount of compensation offered by the company, the legal, appraisal and other costs incurred by that person in asserting his claim for compensation are in the discretion of the Committee, and the Committee may direct that the whole or any part of those costs be paid by the company or by any other party to the proceedings.

 

[…]

 

101. A decision, order or direction of an Arbitration Committee may, on a question of law or a question of jurisdiction, be appealed to the Federal Court within thirty days after the day on which the decision, order or direction is made, given or issued or within such further time as that Court or a judge thereof under special circumstances may allow.

 

 

 

ANALYSE

[33]           Avant d’aborder les questions que soulève le présent appel, il convient de dire quelques mots au sujet de la norme de contrôle. En raison des conclusions que j’ai tirées à l’égard de la décision que le second groupe d’arbitrage a rendue au sujet des demandes de frais, à savoir que le second groupe d’arbitrage a commis des erreurs de droit qui justifient l’intervention de notre Cour, l’issue du présent appel n’est pas influencée par le choix de la norme de contrôle, que ce soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Que l’on applique l’une ou l’autre de ces normes, la décision du second groupe d’arbitrage ne saurait être maintenue et, par conséquent, le juge aurait dû intervenir.

 

1.         Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le second groupe d’arbitrage avait compétence pour examiner les demandes de frais?

[34]           L’appelante prétend que le second groupe d’arbitrage n’avait pas compétence pour examiner les demandes de frais et que, ce faisant, il a commis une erreur de droit. À mon avis, le second groupe d’arbitrage a commis des erreurs de droit et non un excès de compétence.

 

[35]           Nul ne conteste que le CAP a compétence pour adjuger des dépens en vertu de l’article 99 de la Loi. Il est également admis que le CAP a compétence, en vertu de la Loi, pour trancher les questions d’indemnité. Plus particulièrement, la compétence du CAP à cet égard repose sur les articles 84, 97 et 98 de la Loi.

 

[36]           À mon avis, il s’agit simplement en l’espèce de déterminer si les demandes de frais présentées par l’intimé sont visées par les dispositions ci-dessus. Dans l’affirmative, le second groupe d’arbitrage était clairement habilité à adjuger les dépens qu’il a octroyés. Dans la négative, il a commis une erreur.

 

[37]           Au paragraphe 61 de ses motifs, le juge a conclu que le second groupe d’arbitrage n’avait commis aucune erreur en déterminant qu’il avait compétence pour décider si l’intimé avait droit aux frais demandés. À mon avis, le juge n’a commis aucune erreur en tirant cette conclusion étant donné que, comme je viens de l’indiquer, le CAP a manifestement compétence en vertu de la Loi pour statuer sur les questions de dépens et les questions d’indemnité. Le fait que le CAP doit examiner les questions d’indemnité énoncées par le demandeur dans son avis d’arbitrage ne laisse pas présager clairement la façon dont elles seront tranchées.

 

[38]           Par conséquent, je ne traiterai pas davantage de la question de compétence, et je me pencherai maintenant sur la question de savoir si le second groupe d’arbitrage a commis une erreur en adjugeant les dépens.

 

2.         Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la décision que le second groupe d’arbitrage a rendue au sujet des demandes de frais était raisonnable?

a) Le second groupe d’arbitrage a-t-il commis une erreur en adjugeant les dépens de l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta?

[39]           Le second groupe d’arbitrage a conclu que l’intimé avait droit à une somme de 16 222,57 $ au titre de ses frais de procédure, de ses débours et de la TPS nets. Selon lui, ces frais étaient payables à l’intimé à titre d’indemnisation pour les dommages causés par suite des activités de l’appelante et il était donc « opportun et raisonnable » d’en tenir compte. Le second groupe d’arbitrage est arrivé à cette conclusion pour les motifs ci-après énoncés.

 

[40]           Premièrement, en invoquant l’article 84 de la Loi, le second groupe d’arbitrage a affirmé que les procédures d’arbitrage pour le règlement des questions d’indemnité s’appliquaient en matière de « dommages causés par un pipeline ».

 

[41]           Deuxièmement, il a indiqué que les sommes déboursées par l’intimé pour les frais de procédure avaient été demandées dans l’avis d’arbitrage et qu’il était donc tenu de régler les questions d’indemnité qui y étaient mentionnées.

 

[42]           Troisièmement, le second groupe d’arbitrage s’est dit d’avis que ces frais étaient des dépenses qu’il a fallu engager par suite des activités de l’appelante et que, par conséquent, ils constituaient des « dommages ». Il a conclu son raisonnement à ce sujet en affirmant ce qui suit, à la page 25 de ses motifs (dossier d’appel, vol. I, p. 156) :

[traduction]

[…] De toute évidence, la tentative qu’Alliance a faite pour avoir accès à l’emprise sur les autres terres de M. Smith, et le litige qui en a résulté, étaient des activités de la compagnie. Les sommes que M. Smith a déboursées faisaient partie du résultat.

 

 

[43]           Le second groupe d’arbitrage a ensuite allégué, à titre subsidiaire, que les frais avocat-client engagés par l’intimé dans le cadre de l’instance devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ont été entraînés par l’exercice du recours de l’intimé. En conséquence, les sommes ainsi déboursées étaient recouvrables à titre de frais en application de l’article 99 de la Loi.

 

[44]           Le juge s’est prononcé sur ce point aux paragraphes 62 à 69 de ses motifs. Il a notamment déclaré ce qui suit au paragraphe 68 :

[68]      Je suis d’avis que le CAP n’a pas commis d’erreur en accordant à l’intimé le reste des frais qu’il avait engagés pour se défendre contre l’action; en effet, à mon avis, le paragraphe 99(1) de la Loi s’applique aux faits de la présente espèce. L’intimé a engagé les frais afin de pouvoir poursuivre sa demande d’indemnité. Si l’intimé ne s’était pas défendu contre l’action, la Cour aurait pu déclarer qu’il avait accordé des décharges à l’égard de ses demandes d’indemnité. Ainsi, j’estime que les frais octroyés par le CAP ne sont aucunement déraisonnables.

 

 

[45]           Par conséquent, le juge a confirmé la conclusion subsidiaire du second groupe d’arbitrage selon laquelle les frais de l’intimé afférents au litige étaient recouvrables à titre de frais en application de l’article 99 de la Loi. Quant à savoir si ces frais pouvaient être recouvrés par l’intimé à titre d’indemnisation pour les dommages subis, le juge ne s’est pas prononcé.

 

[46]           À mon avis, le juge et le second groupe d’arbitrage ont tous deux eu tort de conclure que les frais que l’intimé a engagés dans le cadre du litige étaient recouvrables.

 

[47]           J’examinerai d’abord l’article 99 de la Loi, lequel prévoit au paragraphe (1) que si le CAP accorde une indemnité supérieure à quatre-vingt-cinq pour cent de celle que la compagnie offre, cette dernière paie alors tous les frais que le CAP estime « avoir été entraînés par l’exercice du recours ».

 

[48]           Quant au paragraphe 99(2), il prévoit que si l’indemnité accordée par le CAP est égale ou inférieure à quatre-vingt-cinq pour cent de celle offerte par la compagnie, le CAP peut, à sa discrétion, ordonner à la compagnie de payer, en tout ou en partie, les frais entraînés par l’exercice du recours.

 

[49]           À mon avis, il suffit de répondre que les frais engagés par l’intimé dans le cadre de l’action intentée devant la Cour de l’Alberta ne constituent pas des frais entraînés « par l’exercice du recours ». Ces mots, qui figurent au paragraphe 99(1) de la Loi, ne peuvent s’entendre que de la demande d’indemnisation présentée dans le cadre de la procédure d’arbitrage devant, en l’espèce, le second groupe d’arbitrage. Par conséquent, les frais engagés dans le cadre de l’action intentée devant la Cour de l’Alberta ne sont pas visés par ce paragraphe et, en conséquence, le second groupe d’arbitrage a commis une erreur de droit en statuant que les frais que l’intimé a engagés dans le cadre de l’action pouvaient être payés en application du paragraphe 99(1).

 

[50]           Dans Law of Bilingual Interpretation, 1re éd., (Toronto : LexisNexis, 2008), Michel Bastarache et al. expriment l’opinion suivante : [traduction] « Lorsque les deux versions d’une disposition ne sont pas incompatibles, les tribunaux sont toujours prêts à se référer à une version afin de confirmer une interprétation reposant sur l’autre ». Pierre-André Côté énonce une opinion en ce sens dans Interprétation des lois, 3e éd., (Montréal : Les Éditions Thémis, 1999) (The Interpretation of Legislation in Canada, 3éd., (Toronto : Carswell, 2000), à la page 324), où il affirme ce qui suit, à la page 409 : « bien souvent, le sens qui se dégage d’une version sera confirmé par la lecture de l’autre ».

 

[51]           J’examinerai donc maintenant le texte français du paragraphe 99(1), lequel est ainsi libellé :

99.  (1) Si l’indemnité accordée par le comité d’arbitrage est supérieure à quatre-vingt-cinq pour cent de celle qu’elle offre, la compagnie paie tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[52]           Les mots « par l’exercice du recours », qui se traduisent littéralement en anglais par « by the exercise of the recourse », ne peuvent que désigner le recours intenté devant le second groupe d’arbitrage au moyen de l’avis d’arbitrage modifié de l’intimé. Ainsi, le texte français du paragraphe corrobore entièrement mon interprétation du paragraphe 99(1).

 

[53]           Par conséquent, je suis d’avis que le texte anglais et le texte français du paragraphe 99(1) vont dans le même sens. Comme Ruth Sullivan l’affirme, dans Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., (Toronto : LexisNexis, 2008), à la page 102 :

[traduction]

[…] Les deux versions d’un texte législatif bilingue ne sont pas nécessairement identiques en tous points, mais à toutes fins utiles, elles disent habituellement à peu près la même chose. Dans les circonstances, le sens commun correspond habituellement au sens ordinaire des mots qui se dégage dans les deux langues. Par conséquent, le recours aux deux versions vient renforcer la présomption d'application du sens ordinaire.

 

 

[54]           Je vais maintenant examiner la conclusion principale du second groupe d’arbitrage selon laquelle les frais engagés par l’intimé dans le cadre de l’action constituaient des dommages. À mon avis, le groupe d’arbitrage a également commis une erreur de droit en tirant cette conclusion.

 

[55]           L’article 84 de la Loi établit le cadre dans lequel le CAP tranche les questions d’indemnité. Il prévoit qu’une indemnité peut être accordée en matière de dommages causés par un pipeline, mais il exclut les demandes présentées à l’encontre d’une compagnie de pipeline qui sont « relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l’une ou l’autre des opérations suivantes : (i) acquisition de terrains pour la construction d’un pipeline, (ii) construction de celui-ci, (iii) inspection, entretien ou réparation de celui-ci ». Par conséquent, les dommages qui sont causés par les activités de la compagnie ne peuvent donner lieu à une indemnité que si elles sont directement rattachées aux opérations énumérés aux sous-alinéas 84(1)a)(i), (ii) et (iii).

 

[56]           Par ailleurs, le paragraphe 97(1) de la Loi prévoit que le CAP doit régler « les questions d’indemnité » qui sont mentionnées dans l’avis d’arbitrage, et tenir compte des éléments énumérés aux alinéas 97(1)a) à i), par exemple, des dommages aux terrains et des dommages aux biens meubles ou personnels, notamment au bétail, résultant des activités de la compagnie. Toutefois, les éléments qui sont énumérés au paragraphe 97(1) n’ont manifestement aucune pertinence relativement aux frais que l’intimé a engagés dans le cadre de l’action intentée devant la Cour de l’Alberta.

 

[57]           Par conséquent, il faut se reporter à l’article 84 pour fixer les limites de ce qui peut donner lieu à une indemnité et, en toute déférence, les frais engagés par l’intimé pour assurer sa défense dans le cadre de l’action intentée par l’appelante devant la Cour de l’Alberta ne peuvent être considérés comme s’appliquant à une demande relative aux activités de l’appelante qui sont directement rattachées à l’acquisition de terrains pour la construction d’un pipeline, à la construction de celui-ci, ou à l’inspection, l’entretien ou la réparation de celui-ci.

 

b) Le second groupe d’arbitrage a-t-il commis une erreur en rendant sa décision au sujet des dépens de la première procédure d’arbitrage?

[58]           Comme je l’ai déjà indiqué, le second groupe d’arbitrage a accordé à l’intimé les frais se rattachant à la première audience, sauf les frais [traduction] « de comparution devant le CAP antérieur et des lettres échangées avec ce dernier » (dossier d’appel, vol. I, p. 159). Le second groupe d’arbitrage a rendu sa décision en se fondant sur la conclusion selon laquelle la seule partie de la procédure d’arbitrage qui avait été annulée était « celle à laquelle le CAP antérieur [avait] participé » (dossier d’appel, vol. I, p. 159).

 

[59]           Le juge a traité brièvement de cette conclusion aux paragraphes 70 et 71 de ses motifs. Après avoir dit que le premier groupe d’arbitrage avait perdu le quorum, il a déclaré que « [l]a procédure d’arbitrage était […] nulle ». Puis il a affirmé que, à son avis, l’indemnité accordée par le second groupe d’arbitrage reflétait « le fait que la première procédure était nulle ». Il a ainsi confirmé la conclusion du second groupe d’arbitrage. Au paragraphe 71 de ses motifs, il a exposé son raisonnement :

[71]      Comme l’appelante l’a fait remarquer, le pouvoir du CAP d’adjuger les frais en vertu de l’article 99 est fondé sur l’octroi d’une indemnité. Le CAP antérieur a perdu le quorum et n’a pas accordé d’indemnité à l’égard de la première audience. La procédure d’arbitrage était donc nulle. À mon avis, l’indemnité accordée par le CAP reflète le fait que la première procédure était nulle, en ce sens que les frais directement associés à la comparution à la première audience et aux lettres ultérieures se rapportant à la première audience après la perte du quorum ont été expressément exclus de l’indemnité. Je ne souscris pas à l’argument de l’appelante sur ce point.

 

À mon avis, le juge a commis une erreur de droit en tirant cette conclusion.

 

[60]           Dans The Law and Practice of Commercial Arbitration, R.H. McLaren et E.E. Palmer (Toronto; 1982), les auteurs, ont écrit, à la page 12, que l’[traduction] « arbitrage imposé par la loi » est un type d’arbitrage prévu par la loi afin de résoudre certains types de différends : par exemple, un conflit entre l’État et des personnes dont le bien-fonds est exproprié à des fins gouvernementales. Contrairement à d’autres types d’arbitrage, comme l’arbitrage choisi par les parties, les auteurs expliquent, aux pages 14-15, que [traduction] « [...] l’arbitrage imposé par la loi ne peut que régler les questions dans le cadre prévu par la loi habilitante ». Les auteurs ajoutent, à la page 92, que [traduction] « [d]e toute évidence, lorsque l’arbitrage est prévu par une loi donnée, les dépens sont accordés conformément aux directives énoncées dans la loi applicable ».

 

[61]           Comme l’arbitrage prévu par la Loi est manifestement un arbitrage imposé par la loi, il s’avère nécessaire de se référer à la Loi pour déterminer si le second groupe d’arbitrage pouvait adjuger les dépens de la première procédure d’arbitrage. Bien que la Loi ne traite pas expressément des conséquences d’un CAP amputé d’un membre, j’estime que, suivant une interprétation qui me paraît conforme au libellé de la Loi. le pouvoir d’un CAP d’adjuger des dépens repose sur le prononcé de la sentence arbitrale, et que ces dépens doivent être liés à la procédure introduite devant les mêmes membres qui ont rendu la sentence arbitrale.

 

[62]           Cette conclusion repose en partie sur l’article 93 de la Loi, lequel prévoit que le quorum du comité d’arbitrage est constitué de trois membres. Je me fonde également sur l’article 91 de la Loi, lequel dispose que, dès qu’un avis d’arbitrage lui est signifié, le ministre constitue un comité d’arbitrage et signifie l’avis à celui-ci.

 

[63]           En l’espèce, étant donné que le premier groupe d’arbitrage a perdu le quorum et n’a pas rendu de décision, le ministre n’avait d’autre choix que de constituer un second groupe d’arbitrage, et la procédure d’arbitrage, en effet, a dû recommencer avec le dépôt d’un avis d’arbitrage modifié. Il ressort clairement de la lettre du ministre en date du 11 août 2005 (voir par. 11 des présents motifs) que lorsqu’il a nommé un second groupe d’arbitrage, le ministre était conscient du préjudice que les parties pourraient subir. Malgré cela, le ministre a déclaré qu’ [traduction] « après mûre réflexion », il avait été décidé qu’il convenait dans les circonstances de nommer un second groupe d’arbitrage.

 

[64]           Je tiens également à préciser que la première procédure d’arbitrage a pris fin sans que l’on puisse en attribuer la faute à l’une ou l’autre des parties, et qu’aucune des parties n’en a tiré avantage étant donné que la preuve dont disposait le premier groupe d’arbitrage n’a pas été présentée au second groupe d’arbitrage et que la preuve dont disposait le second groupe d’arbitrage a été « présentée à nouveau » à l’audience.

 

[65]           Enfin, je renvoie au paragraphe 99(1) de la Loi, ainsi qu’à l’interprétation que j’en ai donnée plus tôt (voir par. 47 à 51 des présents motifs). Comme je l’ai déjà indiqué, les dépens que le CAP peut accorder en application de ce paragraphe correspondent aux frais entraînés par l’exercice du recours de l’intimé dans le cadre de la procédure d’arbitrage devant, en l’espèce, le second groupe d’arbitrage. Il s’ensuit que les frais engagés dans le cadre de la première procédure d’arbitrage, comme ceux se rattachant à la procédure devant la Cour de l’Alberta, ne sont pas visés par le paragraphe.

 

[66]           Les raisons pour lesquelles le pouvoir d’un groupe d’arbitrage d’adjuger des dépens ne s’étend pas à la procédure qu’il n’a pas présidée ne sont pas négligeables. En effet, comme le second groupe d’arbitrage n’a pas instruit la première procédure d’arbitrage ni statué sur celle-ci, il n’était pas en mesure de déterminer l’indemnité que le premier groupe d’arbitrage aurait accordée. Par exemple, on ne peut dire avec certitude si le premier groupe d’arbitrage aurait accordé une indemnité à l’intimé, et si l’indemnité, le cas échéant, aurait été supérieure à quatre-vingt-cinq pour cent de celle qu’avait offerte l’appelante. De même, comme le second groupe d’arbitrage n’a pas présidé la première procédure d’arbitrage, il ne pouvait se prononcer sur le caractère raisonnable des frais demandés eu égard à toutes les circonstances dans lesquelles la première procédure d’arbitrage s’était déroulée, ni ne pouvait déterminer de quelle façon, le cas échéant, le premier groupe d’arbitrage aurait exercé son pouvoir discrétionnaire s’il avait examiné la question des frais de la première audience.

 

[67]           Par conséquent, me fondant sur l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi, j’arrive à la conclusion que le second groupe d’arbitrage a eu tort d’exclure uniquement les frais se rattachant à l’audience et aux lettres échangées par la suite. La procédure d’arbitrage a recommencé avec la signification de l’avis d’arbitrage modifié en novembre 2005; en conséquence, tous les frais déjà engagés à cette date ne peuvent être recouvrés.

 

 

DISPOSITIF

[68]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la Cour fédérale et, prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre de la décision du CAP en date du 18 septembre 2006 et j’infirmerais la décision du second groupe d’arbitrage quant à l’octroi des dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Marc Noël, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.


LE JUGE PELLETIER (MOTIFS CONCOURANTS)

[69]           J’arrive à la même conclusion que mon collègue quant à l’issue du présent appel. Ceci dit, je suis d’avis qu’Alliance ne s’est pas conduite de manière honorable dans la présente affaire et que cela a occasionné à M. Smith des frais superflus. Il ne faut pas considérer le fait que ces sommes ne puissent être recouvrées en vertu des dispositions législatives en cause dans le présent appel comme excusant la conduite d’Alliance.

 

[70]           Les débours qui font l’objet du présent appel résultent directement du désaveu par Alliance de la position qu’elle avait adoptée devant le premier comité d’arbitrage. Dans sa réponse au premier avis d’arbitrage, Alliance a soulevé la question de l’incidence des décharges dont elle disposait (dossier d’appel, p. 175). Au cours de l’audience, Alliance a abandonné cette position et l’audience a porté sur le bien-fondé de la demande (dossier d’appel, p. 207-208). Bien qu’elle ait abandonné l’argument relatif aux décharges devant le comité d’arbitrage, Alliance a ensuite présenté une demande à la Cour du Banc de la Reine en vue d’obtenir, entre autres, un jugement déclaratoire portant que les décharges en question constituaient un moyen de défense absolu contre la demande d’indemnisation de M. Smith (dossier d’appel, p. 201-202), et une ordonnance enjoignant au comité d’arbitrage de ne pas statuer sur la demande de M. Smith tant que la question des décharges ne serait pas tranchée (dossier d’appel, p. 202). De plus, Alliance a écrit au comité d’arbitrage pour lui demander de s’abstenir de statuer sur la demande de M. Smith jusqu’à la conclusion de la procédure judiciaire (dossier d’appel, p. 205).

 

[71]           Bien que la demande d’injonction ait été rejetée en octobre 2003 (dossier d’appel, p. 748), le comité d’arbitrage n’a pas rendu de décision à l’égard de la demande de M. Smith et, par la suite, en janvier 2005, l’un de ses membres a été nommé à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (dossier d’appel, p. 879). Les deux autres membres étaient prêts à aller de l’avant afin de trancher le litige, mais Alliance a insisté pour qu’un nouveau comité d’arbitrage soit constitué (dossier d’appel, p. 881-891).

 

[72]           Alliance était parfaitement justifiée de plaider l’incidence des décharges à l’audience devant le premier comité d’arbitrage. Elle n’était nullement obligée d’abandonner cette position. Cependant, comme elle avait laissé tomber cet argument devant le premier comité d’arbitrage, Alliance a eu une conduite indigne lorsqu’elle a fait obstruction à M. Smith en revenant à sa position antérieure et en intentant, comme elle l’a fait, une procédure devant la Cour du Banc de la Reine. À mon avis, M. Smith et le public sont en droit de s’attendre à une conduite irréprochable de la part de ceux qui prétendent agir dans l’intérêt public.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-56-08

 

INTITULÉ :                                                                           ALLIANCE PIPELINE LTD. c. VERNON JOSEPH SMITH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 11 FÉVRIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y A SOUSCRIT :                                                                   LE JUGE NOËL

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                               LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 8 AVRIL 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Munaf Mohamed

POUR L’APPELANTE

 

 

Richard Secord

Meaghan Conroy

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain S.E.N.C.R.L.

Calgary (Alberta)

POUR L’APPELANTE

 

 

Ackroyd, Piasta, Roth & Day LLP

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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