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Date : 20090402

Dossier : A-419-08

Référence : 2009 CAF 107

 

CORAM :      LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

UNIVERSAL AIDE SOCIETY

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 avril 2009

Jugement rendu à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                            LE JUGE RYER

 


 

 

Date : 20090402

Dossier : A-419-08

Référence : 2009 CAF 107

 

CORAM :      LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

UNIVERSAL AIDE SOCIETY

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Motifs prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 avril 2009)

LE JUGE RYER

[1]               La Universal Aide Society (la demanderesse) a déposé une demande fondée sur l’alinéa 168(2)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR), L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), en vue d’obtenir une ordonnance prorogeant le délai de 30 jours que le ministre du Revenu national (le ministre) doit observer avant de publier l’avis faisant état de son intention de révoquer l’enregistrement (avis d’intention) de la demanderesse à titre d’organisme de bienfaisance au sens du paragraphe 248(1) de la LIR. La demanderesse souhaite que ce délai soit prorogé jusqu’à ce qu’elle ait épuisé ses droits de contester l’avis d’intention ou de le porter en appel.

 

[2]               Dans son avis de demande, la contribuable prie également la Cour de rendre un jugement déclaratoire portant que les frais de justice et les honoraires comptables qu’elle pourra engager pour répondre à l’avis d’intention peuvent être considérés comme des dépenses consacrées à une activité de bienfaisance.

 

[3]               La contribuable a en outre modifié son avis de demande pour prier la Cour de déclarer l’avis d’intention nul et non avenu pour signification irrégulière.

 

Contexte

[4]               La demanderesse a été constituée en personne morale le 10 mars 1993, sous le régime de la Society Act, R.S.B.C. 1996, ch. 433, et elle a obtenu le statut d’organisme de bienfaisance enregistré le 1er juillet  1995.

 

[5]               À la suite d’une vérification portant sur la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005, le ministre a relevé cinq cas possibles de contravention à des dispositions de la LIR, dont il a informé la demanderesse dans une lettre en date du 6 mai 2008 (lettre d’équité administrative) qui a été envoyée à la présidente et directrice de l’organisme, Mme Susan Jill Sampson, à son adresse de Qualicum Beach (Colombie‑Britannique). Le 7 juillet 2008, la demanderesse a informé le ministre qu’elle ne donnerait pas suite à la lettre d’équité administrative.

 

[6]               L’adresse indiquée dans la déclaration de renseignements de 2003 produite par la demanderesse était un casier postal à Gabriola (Colombie‑Britannique), mais celle qui était inscrite dans les déclarations de renseignements de 2004 et 2005 était 1364, Sea Lovers Lane, Gabriola.

 

[7]               L’avis d’intention du ministre, qui était daté du 18 juillet 2008, a été envoyé à la demanderesse par courrier recommandé à l’adresse de Mme Sampson à Qualicum Beach. La demanderesse reconnaît que Mme Sampson a reçu l’avis d’intention le 4 août 2008.

 

[8]               Le 18 août 2008, la demanderesse a institué le présent recours. Le 3 novembre 2008, elle a déposé un avis d’opposition à l’avis d’intention.

 

Demande d’un jugement déclaratoire de nullité

[9]               La demanderesse prie notre Cour de déclarer que l’avis d’intention est nul et non avenu parce qu’il aurait été envoyé à la mauvaise adresse. Elle ne conteste pas qu’elle a bien reçu ledit avis. C’est d’ailleurs parce qu’elle l’a reçu qu’elle a déposé la présente demande ainsi que l’avis d’opposition. Cependant, elle fait valoir que l’avis d’intention est nul parce qu’il a été envoyé à l’adresse de Mme Sampson à Qualicum Beach et non à l’adresse municipale à Gabriola indiquée dans les déclarations de renseignements de 2004 et 2005. À l’appui de cet argument, elle cite l’arrêt de notre Cour Canada c. 236130 British Columbia Ltd., 2006 CAF 352.

 

[10]           La situation, en l’espèce, se distingue de celle de cet arrêt où, par deux fois, des avis de nouvelle cotisation avaient été envoyés par courrier ordinaire à une mauvaise adresse. La première fois, les documents avaient été renvoyés au ministre. Le deuxième avis de nouvelle cotisation avait fini par parvenir au contribuable, mais hors du délai prescrit par la LIR, et jamais le contribuable n’avait accusé réception des documents ou n’y avait autrement donné suite. La Cour devait déterminer si le ministre avait prouvé que les avis de nouvelle cotisation avaient été envoyés au contribuable dans le délai prescrit. Le contribuable avait nié les avoir reçus et la preuve établissait qu’ils avaient été envoyés par deux fois à une adresse inexacte.

 

[11]           En l’espèce, non seulement la demanderesse a‑t‑elle reçu l’avis d’intention, mais elle y a répondu de deux façons : en déposant la présente demande et en produisant un avis d’opposition. Ayant accusé réception de l’avis d’intention, elle ne peut à présent nier qu’elle ne l’a pas validement reçu, d’autant plus qu’elle n’a pas démontré que l’envoi de l’avis d’intention à l’adresse de Mme Sampson lui avait causé préjudice. Il appert du dossier que le ministre n’a pas publié l’avis d’intention dans la Gazette du Canada à la fin de la période de 30 jours suivant le 18 juillet 2008. De fait, le ministre s’est abstenu jusqu’à présent de publier ledit avis.

 

[12]           En conséquence, nous sommes d’avis que l’avis d’intention n’était pas invalide au motif qu’il avait été envoyé à une adresse inexacte. Il n’est pas nécessaire, en l’espèce, d’examiner si la  conclusion de la Cour eût été différente si l’avis d’intention avait été retourné au ministre et si la demanderesse avait nié l’avoir reçu.

 

Ordonnance prévue à l’alinéa 168(2)b)

[13]           Suivant les parties, la demande de prorogation du délai de 30 jours visé à l’alinéa 168(2)b) de la LIR doit être examinée en fonction du critère tripartite formulé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; les parties ont en outre cité les arrêts suivants de notre Cour International Charity Association Network c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CAF 62, Choson Kallah Fund of Toronto c. Le Ministre du Revenu national, 2008 CAF 311, et Millennium Charitable Foundation c. Le Ministre du Revenu national, 2008 CAF 414.

 

[14]           Pour qu’une demande soit accueillie en application du critère tripartite, elle doit satisfaire aux trois éléments du critère, qui sont :

            a)         il doit y avoir une question sérieuse à juger;

b)         le refus de l’ordonnance demandée causera un préjudice irréparable au demandeur;

c)         la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’ordonnance.

 

[15]           Nous sommes d’avis que la demanderesse a satisfait au premier élément du critère, qui est assez peu exigeant. D’ailleurs, le défendeur a concédé ce point.

 

[16]           Le deuxième élément a été décrit de la façon suivante par les juges Sopinka et Cory, dans RJR-MacDonald, à la p. 341 :

À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire.

 

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue.  C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre.

 

[17]           Nous ne sommes pas convaincus que la demanderesse a satisfait à cet élément du critère. Elle n’a soumis aucune preuve démontrant que la poursuite du processus de révocation de son statut d’organisme de bienfaisance lui causera un préjudice irréparable. Bien qu’elle affirme avec raison, dans son exposé des faits et du droit, que l’atteinte à la réputation constitue une forme de préjudice irréparable, elle n’a apporté aucun élément de preuve établissant qu’elle subira un préjudice irréparable réel, sous forme d’atteinte à la réputation ou sous une autre forme, si elle n’obtient pas l’ordonnance. Comme notre Cour l’a indiqué dans Haché c. Canada, 2006 CAF 424, au paragraphe 11 :

Il appartient aux requérants de démontrer, sur la base de la balance des probabilités, que le préjudice qu'ils subiraient est irréparable : Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 167 au paragraphe 12. De simples affirmations ne sont pas suffisantes. Un préjudice irréparable ne peut pas être inféré. Il doit être établi par une preuve claire et concrète : A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc., [2001] 2 C.F. 568 au paragraphe 20.

 

[18]           La demanderesse ajoute que la révocation de son statut d’organisme de bienfaisance nuirait substantiellement à sa situation financière. À notre avis, cette affirmation n’est elle non plus appuyée d’aucun élément de preuve.

 

[19]           Parce que la demanderesse n’a pas satisfait à l’exigence du critère de l’arrêt RJR‑MacDonald relative au préjudice irréparable, il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre exigence de ce critère relative à la « prépondérance des inconvénients ».

 

Jugement déclaratoire portant sur les frais de justice et honoraires comptables

[20]           La demanderesse prie la Cour de rendre un jugement déclaratoire statuant sur le traitement fiscal de frais et dépenses qu’elle pourra engager en réponse à l’avis d’intention. Elle requiert en fait de la Cour l’équivalent d’une décision anticipée en matière d’impôt, du genre de celles que rend l’Agence du revenu du Canada.

 

[21]           Il est loisible à la défenderesse de qualifier comme elle l’entend, dans ses déclarations de revenus afférentes aux périodes pertinentes, les dépenses qu’elle peut ainsi engager et, en cas de désaccord du ministre concernant cette qualification, de contester tout avis de cotisation ou de nouvelle cotisation émanant du ministre et de s’adresser à la Cour canadienne de l’impôt si le ministre confirme l’avis de cotisation ou de nouvelle cotisation.

 

[22]           Le raisonnement de la demanderesse concernant la compétence de notre Cour de rendre un jugement déclaratoire comme celui qu’elle demande ne nous a pas convaincus. Notre conclusion, en cette matière, est conforme à l’opinion exprimée par notre Cour dans Harris c. Canada (C.A.), [2000] 4 C.F. 37, où le juge Sexton a indiqué, au paragraphe 30 :

Je conviens avec le procureur général qu'il n'est pas possible de demander un jugement déclaratoire simplement interprétatif d'un texte de loi, non lié à un ensemble de faits  …

 

[23]           Selon l’avocat de la demanderesse, notre Cour a compétence pour statuer sur cet élément de la demande parce qu’on peut raisonnablement craindre de la partialité de la part du ministre, lorsque viendra le temps pour celui‑ci, dans le cours normal du processus de cotisation, de se prononcer sur le bien‑fondé de la qualification des frais et dépenses en question effectuée par la demanderesse dans ses déclarations de revenu. Cependant, cette question n’a été soulevée ni dans l’avis de demande ni dans l’exposé des faits et du droit et, en conséquence, la Cour ne l’examinera pas.

 

[24]           Enfin, notre Cour ne saurait fonder l’exercice d’une compétence qu’elle n’a pas sur l’inexistence d’énoncés jurisprudentiels concernant le traitement fiscal des coûts et dépenses engagés pour répondre à un avis d’intention de révoquer.

 

Décision

[25]           Pour ces motifs, la demande sera rejetée avec dépens.

 

 

« C. Michael Ryer »

J.C.A.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Ghislaine Poitrass, LL.L., Trad. a.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-419-08

 

 

INTITULÉ :                                                                           UNIVERSAL AIDE SOCIETY c. MNR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 2 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       JUGES BLAIS, EVANS ET RYER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               LE JUGE RYER

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melanie Ash

Robert Grant

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lynn Burch

Laura Zumpano

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie LLP

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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