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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

 

Date : 20090416

Dossier : A-265-08

Référence : 2009 CAF 113

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL       

                        LA JUGE TRUDEL 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

(intimée dans l’appel incident)

 

et

GARY LANDRUS

intimé

(appelant dans l’appel incident)

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mars 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 avril 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

LA JUGE TRUDEL

 


 

Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

 

 

Date : 20090416

Dossier : A-265-08

Référence : 2009 CAF 113

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL       

                        LA JUGE TRUDEL 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

(intimée dans l’appel incident)

 

et

GARY LANDRUS

intimé

(appelant dans l’appel incident)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

 

[1]               Il s’agit d’un appel et d’un appel incident d’une décision du juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt) ayant accueilli l’appel de Gary Landrus (l’intimé) concernant une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) refusant la déduction d’une perte finale de 29 130 $ dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1994. Pour ratifier la nouvelle cotisation au stade de l’opposition, le ministre s’est appuyé exclusivement sur la règle générale anti-évitement (RGAE) figurant à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la Loi).

 

[2]               Il a été convenu devant la Cour de l’impôt que la déduction de la perte finale suivant le paragraphe 20(16) de la Loi constituait un avantage fiscal au sens du paragraphe 245(1). Bien que le juge de la Cour de l’impôt ait conclu que les opérations dont découlait cet avantage étaient des opérations d’évitement, il a décidé que la RGAE ne s’appliquait pas puisqu’il n’y avait pas eu d’abus à l’égard des dispositions invoquées pour déduire la perte ni aucun abus quant à la Loi dans son ensemble.

 

[3]               En appel, Sa Majesté la Reine (l’appelante) conteste la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle les opérations en question n’avaient pas entraîné un abus dans l’application des dispositions de la Loi. Par voie d’appel incident, l’intimée soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur susceptible de contrôle en ne reconnaissant pas que les opérations ont été effectuées principalement pour des raisons d’affaires. En tant que telles, les opérations en question n’étaient pas des « opérations d’évitement » au sens du paragraphe 245(3). Bien que nous soyons dûment saisis de ce dernier argument, il est utile de souligner que l’intimé n’avait pas à interjeter appel incident pour le faire valoir puisqu’aucune ordonnance n’a été prononcée contre lui dans le jugement frappé d’appel.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[4]               L’article 245 et la disposition en vertu de laquelle la perte finale a été déduite prévoient respectivement :

ARTICLE 245: Définitions.

 

(I) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu. revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

 

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

 

[…]

 

 

(3) Opération d’évitement. L’opération d’évitement s’entend:

 

 

a) soit de l‘opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectué pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

 

(4) Application du par. (2).

Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

 

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

 

(i) la présente loi,

 

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

 

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

 

(iv) un traité fiscal,

 

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

 

 

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

 

 

(5) Attributs fiscaux à déterminer. Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal, qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

 

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

 

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

 

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

 

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

 

245. [General Anti-Avoidance Rule — DGAE) —

(1) Definitions -— In this section,

tax benefit” means a reduction, avoidance or deferral of tax or other amount payable under this Act or an increase in a refund of tax or other amount under this Act, and includes a reduction, avoidance or deferral of tax or other amount that would be payable under this Act but for a tax treaty or an increase in a refund of tax or other amount under this Act as a result of a tax treaty;

 

tax consequences” to a person means the amount of income, taxable income, or taxable income earned in Canada of, tax or other amount payable by or refundable to the person under this Act, or any other amount that is relevant for the purposes of computing that amount;

 

 

transaction” includes an arrangement or event.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

 

(3) Avoidance transaction — An: avoidance transaction means any transaction

 

(a) that, but for this section, would result directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit; or

 

 

 

(b) that is part of a series of transactions, which series, but for this section, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may ,reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit,

 

 

 

(4) Application of subsec. (2) — Subsection (2) applies to a transaction only if it may reasonably be considered that, the transaction

 

(a) would, if this Act were read without reference to this section, result directly or indirectly in a misuse of the provisions of any one or more of

 

 

(i) this.Act,

 

(ii) the Income Tax Regulations,

 

(iii) the Income Tax Application Rules,

 

 

(iv) a tax treaty, or

 

(v) any other enactment that is relevant in computing tax or any other amount payable by or refundable to a person under this Act or in determining any amount that is relevant for the purposes of that computation; or

 

 

(b) would result directly or indirectly in an abuse having regard to those provisions, other than this section, read as a whole.

 

 

 

(5) Determination of tax consequences — Without restricting the generality of subsection (2), and notwithstanding any other enactment, -

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) any deduction, exemption or exclusion in computing income, taxable income, taxable income earned in Canada or tax payable or any part thereof may be allowed or disallowed in whole or in part.

 

(b) any such deduction, exemption or exclusion, ally income, loss or other amount or past thereof may be allocated to any

 

 

(c) the nature of any payment or other amount may be recharacterized, and

 

(d) the tax effects that would otherwise result from the application of other provisions of this Act may be ignored,

 

in determining the tax consequences to a person as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that would, but for this section, result, directly or indirectly, from an avoidance transaction.

 

 

 

20. (16) Perte finale.

Malgré les alinéas 18(1)a), 18(1)b) et 18(1)h), lorsque, à la fin d’une année d’imposition :

 

a)      d’une part, le total des montants utilisés pour le calcul des éléments A à D de la formule figurant à la définition de « fraction non amortie du coût en capital » au paragraphe 13(21) est supérieur au total des montants utilisés pour le calcul des éléments E à J de la même formule, au titre des biens amortissables d’une catégorie prescrite d’un contribuable;

b)      d’autre part, le contribuable ne possède plus de biens dans cette catégorie,

 

dans le calcul de son revenu pour l’année :

 

c)      il doit déduire l’excédent déterminé en vertu de l’alinéa 20(16)a);

 

d)      il ne peut déduire aucun montant pour l’année en vertu de l’alinéa 20(1)a) à l’égard des biens de cette catégorie.

 

20. (16) Terminal loss. – Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), 18(1)(b) and 18(1)(h), where at the end of a taxation year,

 

(a)   the total of all amounts used to determine A to D in the definition “undepreciated capital cost” in subsection 13(21) in respect of a taxpayer’s depreciable property of a particular class exceeds the total of all amounts used to determine E to J in that definition in respect of that property, and

 

 

(b)   the taxpayer no longer owns any property of that class,

 

 

in computing the taxpayer’s income for the year

 

(c)     there shall be deducted the amount of the excess determined under paragraph 20(16)(a), and

 

(d)   no amount shall be deducted for the year under paragraph 20(1)(a) in respect of property of that class.

 

 

 

LES OPÉRATIONS EN LITIGE

 

[5]               L’affaire a été instruite devant la Cour de l’impôt sur la base d’un exposé conjoint des faits partiel. Plusieurs témoins ont également été entendus. Dans ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a fait un compte rendu détaillé de la preuve qu’aucune des parties n’a contesté (motifs, paragraphes 7 à 52). Pour les besoins de la présente instance, nous nous bornerons à résumer les opérations qui ont entraîné la perte finale déduite par l’intimé.

 

[6]               Roseland I a été constituée en 1988 à titre de société en commandite afin d’acquérir et d’exploiter un immeuble d’habitation en copropriété comprenant 94 appartements situé au 858 Commissioners Road East, à London en Ontario (l’immeuble Roseland I). Son associé commandité était Roseland Park (I) General Partner Ltd. jusqu’en décembre 1991, moment où celui-ci a été remplacé par Roseland Park I Management Inc.

 

[7]               Roseland II a été constituée en 1989 à titre de société en commandite afin d’acquérir et d’exploiter un immeuble d’habitation en copropriété comprenant 110 appartements situé à côté de Roseland I au 860 Commissioners Road East (l’immeuble Roseland II). Son associé commandité était Roseland Park (II) General Partner Limited jusqu’au 23 juin 1993, moment où toutes les actions en circulation de Roseland Park (II) General Partner Limited ont été acquises par Allied Canadian Corporation (ACC).

 

[8]               En décembre 1988, des parts de la société en commandite Roseland I ont été offertes en vente au public dans un prospectus. Roseland I a fait l’acquisition de l’immeuble Roseland I le 30 décembre 1988 et a commencé ses activités de location en février 1989. De la même façon, des parts de la société en commandite Roseland II ont été mises en vente en février 1989. Roseland II a fait l’acquisition de l’immeuble Roseland II le 31 janvier 1990 et a commencé ses activités de location en février 1990.

 

[9]               Les unités de Roseland I et Roseland II ont été offertes sur le marché de la même façon. Chaque part dans Roseland I et Roseland II était rattachée à une unité précise. Le prix payé par le commanditaire pour sa participation dans la société variait en fonction des caractéristiques de l’unité (telles que le plan d’étage, l’étage et la vue). S’ils se retiraient de la société, les associés de Roseland I et Roseland II avaient le droit de recevoir en échange l’unité rattachée à leur part.

 

[10]           Le revenu locatif de toutes les unités était mis en commun pour chacun des immeubles et le bénéfice net était réparti entre les commanditaires proportionnellement à leur participation dans la société.

 

[11]           Le 10 mai 1989, l’intimé a souscrit une part dans Roseland II au prix de 107 650 $. Cette part était rattachée à l’unité 1005A. M. Froio, qui a comparu à titre de témoin à l’audience, et trois de ses amis ont fait l’acquisition de deux parts dans Roseland I. Ces parts étaient rattachées aux unités 101A et 508B.

 

[12]           Peu après que l’intimé a investi dans Roseland II, les prix des immeubles ont commencé à baisser et cette baisse s’est poursuivie jusqu’au début des années 1990. Le revenu locatif était inférieur aux attentes et le prix de revente des unités condominiales est tombé sous le prix d’achat initial des parts auxquelles elles se rattachaient. En 1994, la juste valeur marchande des unités des deux immeubles avait subi la même baisse et valait moins que leur fraction non amortie du coût en capital (FNACC).

 

[13]           Certains associés ont également exprimé leur mécontentement à l’égard du fait qu’ils n’ont pu déduire une perte finale reflétant le déclin de la valeur qu’une fois toutes les unités vendues. Ils s’attendaient à ce que les attributs fiscaux de leur investissement soient ceux d’un investissement direct dans des biens immeubles compte tenu de la nature intermédiaire des sociétés en commandite. À l’initiative d’ACC, une proposition a été formulée et présentée aux commanditaires de Roseland I et Roseland II afin, entre autres choses, de remédier à ce problème. 

 

[14]           La proposition impliquait le transfert des actifs de Roseland I et Roseland II à une nouvelle société en commandite à leur juste valeur marchande, ce qui entraînerait une perte terminale. L’intimé et les autres commanditaires des deux sociétés devaient devenir associés de la nouvelle société et chacune de leur part dans cette dernière devait continuer à être rattachée à l’unité correspondante dans l’un des immeubles Roseland.

 

[15]           En vertu de résolutions spéciales adoptées le 8 septembre 1994 et le 22 septembre 1994, les commanditaires de Roseland I et Roseland II, dont l’intimé et M. Froio, ont approuvé le transfert des immeubles Roseland I et II à une nouvelle société à leur juste valeur marchande. Le transfert a été complété avant la fin de l’année.

 

[16]           Voici les étapes ayant donné effet au transport des immeubles Roseland I et Roseland II, conformément au plan :

 

-         Une nouvelle société nommée Roseland Park Master Limited Partnership (RPM) a été créée et enregistrée le 21 décembre 1994.

 

            Opérations pour Roseland II

 

-         Le 23 décembre 1994, Roseland II a souscrit 4 448 parts dans RPM. Le prix de souscription était de 4 448 000 $, ce qui équivalait à la juste valeur marchande de l’ensemble des unités de Roseland II.

 

-         Le 23 décembre 1994, Roseland II a demandé à RPM d’émettre les parts qui avaient été souscrites dans RPM, en faveur des commanditaires de Roseland II proportionnellement aux parts que ceux-ci détenaient alors dans Roseland II.

 

-         En vertu d’une convention de prise ferme datée du 28 décembre 1994, Roseland II a vendu toutes ses unités condominiales à RPM pour 4 448 000 $.

 

 

Opérations pour Roseland I

 

-         Le 23 décembre 1994, Roseland I a souscrit 3 243 parts dans la société en commandite Roseland Park (I-A) (Roseland I-A). Le prix de souscription était de 3 243 000 $, ce qui équivalait à la juste valeur marchande de l’ensemble des unités de Roseland I.

 

-         En vertu d’une convention de prise ferme datée du 28 décembre 1994, Roseland I a vendu la totalité de ses actifs à Roseland I-A pour 3 243 000 $.

 

-         Le 30 décembre 1994, Roseland I a souscrit 3 243 parts dans RPM. Le prix de souscription était de 3 243 000 $.

 

-         Le 30 décembre 1994, Roseland I a demandé à RPM d’émettre les parts qui avaient été souscrites dans RPM, en faveur des commanditaires de Roseland I proportionnellement aux parts que ceux-ci détenaient alors dans Roseland I.

 

-         Le 30 décembre 1994, Roseland I a transféré 3 243 parts de Roseland I-A à RPM pour 3 243 000 $.

 

-         Par acte général de transport daté du 31 décembre 1994, Roseland I‑A a transféré tous ses actifs à RPM.

 

-         Roseland I-A a été dissoute le 31 décembre 1994.

 

 

[17]           La réorganisation a eu les deux conséquences pratiques suivantes : des pertes finales de 1 709 454 $ et 2 916 612 $ découlant de la vente des immeubles Roseland I et II respectivement et le fait que les deux immeubles sont devenus la propriété d’une seule société gérée par la même direction. La preuve démontre qu’il en est résulté une amélioration des performances, tant en termes d’augmentation du revenu par unité que de réduction des frais d’exploitation (dossier d’appel, Vol. I, p. 212, 217, 218 et 223; Vol. IV, p. 1235).

 

[18]           L’appelant s’est retiré de RPM en 2000 et a levé l’option d’achat de l’unité 1005A. Il l’a ensuite vendue à une partie non liée pour 63 500 $. Il a déclaré au titre du revenu la différence entre le prix de vente et sa part de ce qu’il en avait coûté à RPM pour acheter les actifs de Roseland II en 1994. À la date de l’audience, M. Froio était toujours membre de RPM.

 

[19]           Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1994, l’intimé a déduit sa quote-part de la perte finale résultant de la cession de Roseland II à RPM. La perte finale représente la différence entre la FNACC de son unité et le prix de vente à la juste valeur marchande.

 

[20]           Le ministre a refusé la perte finale déduite par les commanditaires de Roseland I et II, dont celle de l’intimé. La position initiale du ministre était qu’il n’y avait pas eu de changement quant à la propriété effective et que les règles sur la « minimisation des pertes » (paragraphe 85(5.1)) faisaient en sorte que la perte finale devait être refusée. À titre subsidiaire, le ministre s’est appuyé sur la RGAE pour justifier son refus. À l’étape de l’opposition, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation, ne s’appuyant que sur la RGAE.

 

[21]           L’intimé a interjeté appel de la nouvelle cotisation établie par le ministre devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

LA DÉCISION DE LA COUR DE L’IMPÔT

 

[22]           Le juge de la Cour de l’impôt a décrit la question soulevée devant lui comme suit :

[6] Étant donné que l’appelant a reconnu l’existence d’un avantage fiscal, il s’agit en l’espèce de savoir si les actifs de Roseland II ont été transférés à RPM principalement aux fins de l’obtention de cet avantage fiscal et, dans l’affirmative, si cela constituait un évitement fiscal abusif. Si les deux conditions sont réunies, la RGAE s’applique et l’appelant reconnaît que le ministre pourrait à bon droit refuser la déduction de la perte finale, conformément au paragraphe 245(5) de la Loi.

 

[23]           Le juge de la Cour de l’impôt a d’abord conclu que la cession des actifs de Roseland Park II à RPM était une « opération d’évitement » au sens du paragraphe 245(3) de la Loi, car il a estimé que la cession ne pouvait avoir été effectuée ou planifiée principalement dans un autre but que celui d’obtenir un avantage fiscal (motifs, par. 96).

 

[24]           En conformité avec les directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Hypothèques Trustco Canada) (par. 44 et 45), le juge de la Cour de l’impôt a d’abord mené une analyse contextuelle et téléologique des dispositions sur lesquelles s’est appuyé l’intimé pour déduire la perte finale, en particulier le paragraphe 20(16) (motifs, par. 98 et 99).

 

[25]           Il a d’abord souligné que la cession par Roseland I et Roseland II des deux immeubles à RPM a entraîné une perte finale. En conséquence de cette cession, les deux conditions énoncées au paragraphe 20(16) étaient remplies puisque Roseland I et II ne détenaient plus aucun bien de la catégorie à laquelle appartenaient les immeubles (20(16)b)) et que dans chaque cas la FNACC était un montant positif (20(16)a)). Puisque les immeubles ont été cédés pour un montant inférieur à leur FNACC, Roseland I et II étaient autorisées à déduire le solde restant à titre de perte finale (motifs, par. 104 à 106).

 

[26]           Le juge de la Cour de l’impôt a fait remarquer que bien que l’article 96 soit également pertinent dans le sens où la perte finale a été calculée au niveau de la société, cette disposition en soi n’a donné lieu à aucun avantage (motifs, par. 101).

 

[27]           En ce qui concerne le paragraphe 20(16), le juge de la Cour de l’impôt a d’abord souligné qu’il n’y a aucune ambiguïté dans le libellé de la disposition. Les parties conviennent qu’en ce qui concerne les faits de l’espèce, les conditions préalables à l’application de cette disposition sont remplies (motifs, par. 107).

 

[28]           Le juge de la Cour de l’impôt a ajouté qu’aucune disposition ne restreint le droit de déduire une perte finale lorsque le cédant et le cessionnaire de biens amortissables sont des sociétés. Il a également fait remarquer que le paragraphe 20(16) n’empêche pas un contribuable de déduire une perte finale lorsqu’un bien amortissable est cédé à une partie liée (motifs, par. 108).

 

[29]           Selon le juge de la Cour de l’impôt, l’objet du paragraphe 20(16) est de rajuster le total des déductions annuelles effectuées au titre de la déduction pour amortissement (DPA) utilisée par un contribuable pour une catégorie de biens amortissables lorsque des événements ultérieurs démontrent que les biens de cette catégorie ont fait l’objet d’un amortissement insuffisant. Le rajustement est effectué lorsqu’un contribuable ne possède plus aucun bien de cette catégorie à la fin d’une année d’imposition donnée et repose sur le fait que le contribuable n’est plus en mesure de faire usage du bien dans le but d’en tirer un revenu parce qu’il n’en dispose. Le rajustement vise à faire correspondre la déduction totale effectuée au titre de la DPA en vertu de la Loi à l’égard des biens dont un contribuable tire un revenu au coût réel de ces biens pour le contribuable (motifs, par. 112). Puisque les opérations dont il est question ont précisément entraîné ce résultat, aucun abus dans l’application du paragraphe 20(16) n’est réputé avoir découlé des faits en l’espèce.

 

[30]           Le juge de la Cour de l’impôt a reconnu qu’un certain nombre de dispositions ont été élaborées afin de prévenir la déduction de perte finale dans certaines circonstances précises. À cet égard, il s’est référé à l’alinéa 40(2)e), au paragraphe 85(4) et au paragraphe 85(5.1). Après avoir examiné ces dispositions, il a conclu qu’elles créent des exceptions à la politique générale qui admet la déduction de pertes pour la cession de biens amortissables lorsque les conditions énoncées au paragraphe 20(16) sont remplies (motifs, par. 115 à 121). Ces dispositions ne démontrent pas l’existence d’une politique générale interdisant les pertes lors d’un transfert entre des parties formant une unité économique, comme l’a fait valoir le ministre (motifs, par. 122).

 

ERREURS ALLÉGUÉES

[31]           L’appelante a soulevé à nouveau devant nous tous les arguments soulevés devant le juge de la Cour de l’impôt. Elle prétend que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son analyse de l’objet et de l’esprit du paragraphe 20(16), des dispositions de la Loi portant sur les sociétés de personnes ainsi que des règles concernant la minimisation des pertes, dont le paragraphe 85(5.1). Selon l’appelante, le juge de la Cour de l’impôt a accordé trop d’importance au libellé des dispositions pertinentes de la Loi et n’en a pas accordé suffisamment au contexte et à l’objet de ces dispositions.

 

[32]           Dans ses observations supplémentaires produites après que la Cour suprême a rendu l’arrêt Lipson c. Canada, 2009 CSC 1 (Lipson), l’appelante maintient que la décision de la majorité dans cet arrêt étaye son opinion que deux avantages fiscaux découlent des opérations en question : premièrement, la création d’une perte finale et deuxièmement, la déduction en soi de la perte finale par l’intimé en application des règles sur les sociétés de personnes.

 

[33]           De son côté, l’intimé est d’accord avec l’analyse portant sur l’abus effectuée par le juge de la Cour de l’impôt et s’appuie essentiellement sur le raisonnement de ce dernier. Il ajoute qu’en s’appuyant sur Lipson pour conclure à l’existence de deux avantages distincts, l’appelante tente peu judicieusement de relier la présente affaire à la décision de la majorité dans l’arrêt Lipson.

 

[34]           Par voie d’appel incident, l’intimé conteste la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle les opérations ayant donné lieu à la perte finale sont des opérations d’évitement. Plus précisément, l’intimé prétend que la preuve ne permet pas d’appuyer la conclusion du juge de la Cour de l’impôt voulant que les opérations aient été effectuées principalement afin d’obtenir un avantage fiscal.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[35]           Selon l’appelante, le juge de la Cour de l’impôt a mal interprété les dispositions pertinentes de la Loi et a commis une erreur en ne concluant pas qu’il y a eu abus dans l’application du paragraphe 20(16) aux faits en l’espèce. L’appelante a formulé cet argument de la manière suivante (Mémoire des faits et du droit, par. 63) :

 

[TRADUCTION] Les opérations en question ont entraîné un abus dans l’application du paragraphe 20(16) de la Loi lorsque cette disposition est examinée en contexte et en conformité avec l’objet et l’esprit de la Loi en relation avec :

 

(i)            le régime de la DPA, dont le paragraphe 20(16) constitue une partie importante;

(ii)          les dispositions relatives aux sociétés de personnes figurant à l’article 96 de la Loi;

(iii)         les règles anti-évitement spécifiques figurant dans la Loi et qui limitent ou refusent les pertes découlant de certaines cessions de biens.

 

 

[36]           Cette proposition soulève deux questions. Premièrement, le juge de la Cour de l’impôt a‑t‑il correctement interprété les dispositions de la Loi sur lesquelles l’intimé s’est appuyé afin d’obtenir l’avantage fiscal? Il s’agit d’une question de droit qui doit être examinée suivant la norme de la décision correcte. Deuxièmement, le juge de la Cour de l’impôt a-t-il eu raison de décider qu’il n’y a eu aucun abus dans l’application des dispositions conférant des avantages aux faits en l’espèce? La question de savoir s’il y a eu abus constitue une question mixte de fait et de droit qui dépend nécessairement des faits et qui ne peut donc être contrôlée que dans le cas où il peut être démontré que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante (Hypothèques Trustco Canada, précité, par. 44 et 45; Lipson, précité, par. 25).

 

L’objet et l’esprit du paragraphe 20(16)

[37]           Pour interpréter l’objet et l’esprit du paragraphe 20(16), le juge de la Cour de l’impôt a examiné le régime de DPA dans le cadre duquel le paragraphe 20(16) s’applique, les dispositions relatives aux sociétés de personnes figurant à l’article 96 de la Loi ainsi que la disposition anti‑évitement limitant ou refusant les pertes qui découlent de certaines cessions dans certaines circonstances.

 

[38]           Le juge de la Cour de l’impôt a décrit l’objet du régime de DPA de la manière suivante (motifs, par. 111) :

La DPA est permise à titre de déduction en vertu de l’alinéa 20(1)a) dans la mesure prévue par le Règlement de l’impôt sur le revenu.

 

Les actifs admissibles, appelés les « biens amortissables », sont groupés dans des catégories prescrites conformément à l’annexe II du Règlement;

 

L’article 1100 du Règlement indique les taux de DPA qui peuvent être déduits chaque année pour chaque catégorie de biens amortissables. Ce taux est un pourcentage de la « fraction non amortie du coût en capital » des biens de la catégorie en question;

 

La « fraction non amortie du coût en capital » est définie au paragraphe 13(21); il s’agit en somme du coût pour le contribuable des biens de cette catégorie moins le montant de la DPA utilisée à l’égard des biens de cette catégorie au cours d’années antérieures, moins le produit de la disposition de tout actif de la catégorie avant ce moment‑là (jusqu’à concurrence du coût des actifs).

 

Au moment de la disposition d’actifs, dans la mesure où le produit de la disposition excède la « fraction non amortie du coût en capital » de la catégorie, la déduction pour amortissement antérieurement utilisée est « récupérée » (c’est‑à‑dire qu’elle est rajoutée au revenu) conformément au paragraphe 13(1) de la Loi.

 

Au moment de la disposition de tous les actifs d’une catégorie particulière, tout solde qui reste à l’égard de la « fraction non amortie du coût en capital » pour la catégorie est déductible au cours de l’année à titre de perte finale en vertu du paragraphe 20(16).

 

 

[39]           Son appréciation de l’objet et de l’esprit du paragraphe 20(16) est résumée dans le passage suivant :

 

[112]    La disposition relative à la perte finale vise à rajuster l’ensemble des déductions annuelles effectuées au titre de la DPA utilisée par un contribuable à l’égard d’une catégorie de biens amortissables lorsque des événements ultérieurs démontrent que les biens de cette catégorie ont fait l’objet d’un amortissement insuffisant. Le rajustement se produit lorsqu’un contribuable ne possède plus de biens de cette catégorie à la fin d’une année d’imposition donnée et il est fondé sur le fait que le contribuable n’est plus capable d’utiliser les biens en vue de gagner un revenu parce que ces biens ne sont plus mis à sa disposition. Le rajustement vise à faire correspondre la déduction totale effectuée au titre de la DPA en vertu de la Loi à l’égard des biens qu’un contribuable utilise en vue de gagner un revenu au coût réel de ces biens pour le contribuable.

 

 

[40]           À mon humble avis, il s’agit d’une appréciation correcte de l’objet et de l’esprit du paragraphe 20(16) (voir Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Sa Majesté la Reine, 2002 CAF 291, [2002] A.C.F. no 1031, par. 41 et 44). Je ne comprends pas pourquoi l’appelant conteste cette appréciation. Ce dernier soutient que puisque le paragraphe 20(16) repose sur le fait que le contribuable n’est plus en mesure de faire usage du bien, il y a eu utilisation abusive de cette disposition puisqu’en l’espèce les biens de la société sont demeurés disponibles pour les associés malgré la cession. Cette question est traitée plus loin dans l’analyse portant sur l’abus.

 

[41]           Le juge de la Cour de l’impôt a également pris en considération les dispositions relatives aux sociétés de personnes figurant à l’article 96 de la Loi :

 

[101] L’article 96 est pertinent, en ce qui concerne l’allégation de l’appelant, en ce sens que la perte finale a été calculée au niveau de la société, parce que l’opération comportait la disposition des actifs de la société, mais cette disposition, en soi, ne donne pas lieu à un avantage. Dans ce cas‑ci, l’effet de la disposition est limité au transfert des pertes résultant de la disposition des biens de la société en faveur des associés de la société en commandite. Dans l’arrêt Mathew c. Canada[1], la Cour suprême a dit ce qui suit au paragraphe 51 :

 

Les règles relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 reposent sur l’exigence que les associés d’une société de personnes aient un intérêt commun dans les activités commerciales de la société, et ce, dans le cadre de rapports avec lien de dépendance. [...]

 

 

[102] Il n’est pas contesté qu’au moment où Roseland II a transféré les biens de la société à RPM, les associés de Roseland II exploitaient une entreprise en commun et qu’il y avait entre eux un lien de dépendance. Le transfert de la perte finale aux commanditaires est conforme à l’objet sous‑jacent des règles applicables aux sociétés de personnes. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner plus à fond le contexte et l’objet des règles applicables aux sociétés de personnes.

 

 

[42]           La conclusion selon laquelle Roseland II et RPM sont de véritables sociétés de personnes et que le transfert de la perte finale aux commanditaires est conforme à l’objet sous-jacent de l’article 96 est correcte. Plus précisément, le paragraphe 96(1) prévoit que le revenu de la société doit être calculé « comme si » la société était une personne et prévoit qu’il doit être attribué aux associés. L’appelante insiste sur le fait que bien que la perte finale ait été reconnue au niveau de la société, la déduction de la perte a été réclamée par les commanditaires (Mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 41 à 46). Il ne fait aucun doute que tel est le cas, mais le juge de la Cour de l’impôt en avait conscience lorsqu’il a fait remarquer que bien que la perte finale soit reconnue au niveau de la société, la déduction est transférée aux associés.

 

[43]           De plus, le juge de la Cour de l’impôt a examiné l’incidence des dispositions portant sur la minimisation des pertes figurant au sous-alinéa 40(2)g)i), au paragraphe 85(4), à l’alinéa 40(2)e) et au paragraphe 85(5.1) de la Loi et dans certaines modifications apportées à ces dispositions. Ces dispositions anti-évitement font partie du contexte législatif dans lequel doit être examiné le paragraphe 20(16) (motifs, par. 114).

 

[44]           Bien que les parties conviennent qu’aucune de ces règles n’est applicable aux faits de l’espèce, l’argument soulevé devant le juge de la Cour de l’impôt (et devant nous) est qu’elles démontrent l’existence d’une politique générale selon laquelle il n’est pas tenu compte des cessions de biens en faveur de personnes qui sont des parties liées ou qui appartiennent à « la même unité économique » (motifs, par. 114). Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que ces dispositions relatives à la minimisation des pertes ne démontraient pas l’existence d’une telle politique (motifs, par. 115). À son avis, la nature précise et détaillée de ces dispositions montre qu’elles visent à refuser les pertes pour les circonstances précises qui y sont décrites (motifs, par. 117).

 

[45]           Plus précisément, les variantes quant au degré de connexion requis par ces dispositions, leur champ d’application différent, les restrictions fondées sur les particularités du bien transféré et les différents types de cessionnaires visés sont telles qu’il est raisonnable d’inférer que le législateur voulait promouvoir des objectifs précis plutôt qu’une directive générale non exprimée (motifs, par. 118 et 119). La spécificité de ces règles démontre qu’elles constituent des exceptions à la politique générale permettant les pertes pour toutes les cessions (motifs, par. 120).

 

[46]           Se référant spécifiquement au paragraphe 85(5.1) (aujourd’hui le paragraphe 13(21.2)), le juge de la Cour de l’impôt a fait remarquer que le législateur a choisi de définir les circonstances pour lesquelles la perte finale sera refusée pour les transferts de biens amortissables entre sociétés. Le juge de la Cour de l’impôt en a inféré que le législateur a choisi de permettre aux contribuables qui ne sont pas visés par cette disposition de déduire leurs pertes finales (motifs, par. 123).

 

[47]           Je conviens avec l’appelante que le fait qu’il est avéré que des dispositions anti‑évitement précises ne s’appliquent pas à certaines situations ne prouve pas, en soi, que le résultat était celui souhaité par le législateur (Canada c. Central Supply Company (1972) Ltd., [1997] 3 C.F. 674 (C.A.F.). Cependant, lorsqu’il est possible de démontrer qu’une disposition anti-évitement a été soigneusement conçue de manière à inclure certaines situations et à en exclure d’autres, il est raisonnable d’inférer que le législateur a choisi de limiter sa portée en conséquence.

 

[48]           Bien que l’appelante conteste cette conclusion, elle n’a pu démontrer que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son raisonnement. L’appréciation de l’objet et de l’esprit du paragraphe 20(16) faite par le juge de la Cour de l’impôt est, à mon avis, correcte.

 

Abus

[49]           L’étape suivante consiste à déterminer si le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que les opérations en question ne constituaient pas une utilisation abusive du paragraphe 20(16). Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité, au paragraphe 46 : « Une fois que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu sont interprétées correctement, la question de fait à laquelle doit répondre le juge de la Cour de l’impôt est de savoir si, en supprimant l’avantage fiscal, le ministre a établi l’existence d’un évitement fiscal abusif au sens du paragraphe 245(4) » (voir également Lipson, précité, par. 22).

 

[50]           La contestation de l’appelante s’appuie sur une variation sur le même thème, à savoir que les commanditaires continuaient de jouir des biens de la société après la cession, bien que par l’intermédiaire d’une autre société. Selon l’appelante, cela démontre qu’il y a eu abus dans l’application du paragraphe 20(16) puisque, comme l’a admis le juge de la Cour de l’impôt, cette disposition prévoit qu’une perte finale n’est reconnue que lorsque le contribuable ne dispose plus du bien.

 

[51]           À l’appui de sa position, l’appelante soutient qu’une société n’est pas une personne et qu’elle ne peut légalement être la propriétaire d’un bien. Ainsi, ce qu’on appelle « les biens de la société » appartient aux associés et non à la société (Manzer R. Alison, A Practical Guide to Canadian Partnership Law, Aurora:  Canada Law Book, 2007, par. 4.820; VanDuzer J. Anthony, The Law of Partnerships and Corporations, Toronto:  Irwin Law, p. 27). Ce n’est qu’en raison de la fiction créée par le paragraphe 96(1), qui requiert que le revenu des sociétés de personnes soit calculé « comme si » la société était une personne distincte, qu’on peut affirmer qu’un bien appartient à la société.

 

[52]           Selon l’appelante, les commanditaires n’ont pas mis fin à leur investissement lorsque la perte finale a été enregistrée. Ils ont continué à détenir des parts dans l’immeuble Roseland II par l’entremise de leur droit indivis dans les actifs de RPM, et ont continué de percevoir un revenu locatif par l’intermédiaire de RPM. En ce sens, la perte réalisée au moment de la cession n’était pas une perte « véritable ».

 

[53]           La principale difficulté concernant la position de l’appelante est qu’elle n’est pas en accord avec ce qu’elle a elle-même reconnu. En effet, l’appelante a convenu que Roseland II a cédé sa propriété légale et effective de l’immeuble Roseland II à RPM avec pour résultat qu’elle ne possédait plus de biens de cette catégorie à la fin de l’année d’imposition 1994 (motifs, par. 107). Or, elle dit maintenant qu’il ne faudrait pas tenir compte du transport des biens à RPM.

 

[54]           Manifestement, on ne saurait ignorer une opération dans le cadre d’une analyse en matière d’abus au motif que celle-ci a été effectuée en fonction d’une exigence spécifique de la loi. Le paragraphe 96(1) prévoit que l’immeuble Roseland II doit être considéré comme le bien de la société et les commanditaires se sont pliés à cette exigence.

 

[55]           L’argument le plus convaincant est que malgré le transfert des biens de la société de personnes à une nouvelle société de personnes, dans les faits rien n’a changé puisque les associés de Roseland, maintenant associés de RPM, détenaient toujours des parts dans l’immeuble Roseland II au titre de leur droit indivis dans les actifs de RPM et qu’ils continuaient à jouir du droit d’acquérir les unités rattachées à leurs parts dans l’éventualité où ils se retireraient de la société (Mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 66 à 71).

 

[56]           Je conviens que les opérations en question seraient sans doute abusives si elles avaient entraîné l’avantage fiscal dans des circonstances où les droits et obligations juridiques de l’intimé n’avaient été aucunement affectés. Cependant, ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[57]           Les opérations ont modifié les droits et obligations juridiques de l’intimé. Il a cessé d’être un associé de Roseland II et s’est joint à RPM, devenant de ce fait associé avec les anciens associés de Roseland I et Roseland II. Il a ainsi fait l’acquisition d’un droit indivis dans des actifs deux fois plus importants et partageait un pool locatif plus grand où étaient recueillis les revenus générés tant par Roseland I que par Roseland II. Ces changements sont réels, tant en termes de risques que de profits. L’appelante a une perception sélective de la preuve lorsqu’elle affirme que les opérations n’ont pas entraîné de changements.

 

[58]           Il appartient au ministre de démontrer l’existence de l’évitement fiscal abusif (Hypothèques Trustco Canada, précité, par. 66 et 66(4)). L’appelante n’a pas été en mesure de démontrer que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les opérations en cause ne constituaient pas un abus dans l’application du paragraphe 20(16) ou de la Loi dans son ensemble.

 

Lipson

[59]           L’appelante soutient que l’arrêt Lipson fournit un appui additionnel à son argument voulant que la décision du juge de la Cour de l’impôt soit entachée d’erreur. Un certain nombre d’observations ont été faites à cet égard. À mon avis, seulement deux doivent être prises en considération.

 

[60]           Le juge Lebel, s’exprimant pour les juges majoritaires dans l’arrêt Lipson, a défini deux avantages fiscaux : la déduction des intérêts sur le prêt obtenu par Mme Lipson en vue d’acquérir les actions en application de l’alinéa 20(1)c) et du paragraphe 20(3) de la Loi, et l’application de la règle d’attribution (paragraphe 74.1(1)) ayant permis à M. Lipson de déduire l’intérêt payé sur le prêt hypothécaire (Lipson, précité, par. 22 et 23).

 

[61]           Similairement, l’appelante plaide que deux avantages fiscaux ont été obtenus en l’espèce : la création de la perte finale lors du transfert des immeubles Roseland à RPM et la déduction de la perte elle-même par l’intimé au titre de sa participation dans la société et de l’application des dispositions relatives aux sociétés de personnes (paragraphe 96(1)). Par conséquent, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse de l’objet et de l’esprit du paragraphe 96(1) qui aurait fait plus que démontrer que les exigences de cette disposition avaient été respectées à l’époque du transfert.

 

[62]           Même en présumant que le juge de la Cour de l’impôt a omis d’effectuer l’analyse requise, il n’en demeure pas moins que l’appelante n’a pu définir aucune politique sous-jacente au paragraphe 96(1) qui aurait été contrecarrée par les opérations en cause. À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que l’avantage fiscal découlait de l’interaction du paragraphe 20(16) et du paragraphe 96(1). Plus précisément, le paragraphe 96(1) est la disposition qui a permis que l’avantage fiscal découlant de l’application du paragraphe 20(16) soit attribué aux commanditaires. Cependant, l’avantage fiscal découle manifestement de l’application du paragraphe 20(16).

 

[63]           S’appuyant sur l’arrêt Lipson, l’appelante fait également valoir qu’il y a eu utilisation abusive du paragraphe 85(5.1) parce que les opérations en cause ont été planifiées de manière à éviter son application. Cependant, Lipson établit que l’usage inapproprié d’une disposition anti‑évitement dans le but d’obtenir un avantage fiscal équivaut à un abus dans l’application de cette disposition (Lipson, précité, par. 42). Or rien ne laisse supposer dans la présente affaire que le paragraphe 85(5.1) a été utilisé dans le but d’obtenir un avantage fiscal.

 

[64]           L’appelante a effectivement aussi fait valoir que les opérations en cause ont été planifiées de manière à contourner l’application du paragraphe 85(5.1), entraînant ainsi un abus (Mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 56 et Mémoire des faits et du droit supplémentaire de l’appelante, par. 24). À cet égard, il est fait référence à l’arrêt Hypothèques Trustco Canada où on a indiqué (par. 45) qu’un abus peut résulter d’un arrangement effectué dans le but de contourner une disposition anti-évitement précise.

 

[65]           Cette question n’a pas été soulevée devant le juge de la Cour de l’impôt. De plus, le paragraphe 85(5.1), qui a initialement été invoqué comme base de la cotisation, n’a pas été invoqué à l’étape de la ratification. L’avocat de l’intimé a indiqué qu’une preuve matérielle sur la question de savoir s’il y avait effectivement eu tentative de contournement du paragraphe 85(5.1) aurait pu être produite, mais que cela n’a pas été fait. Dans les circonstances, je n’examinerai pas cet argument.

 

[66]           Dans Lipson, le juge Lebel a confirmé l’approche contextuelle et téléologique pour l’analyse fondée sur la RGAE exposée dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada (Lipson, précité, par. 26 et 27). Il a également estimé que bien que « l’objet global » des opérations ne soit pas pertinent pour l’analyse, il était utile d’examiner « l’effet global » et de déterminer si le résultat contrecarrait l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes (Lipson, précité, par. 34 et 38).

 

[67]           À mon humble avis, l’effet global en l’espèce ne va pas à l’encontre de l’objet et de l’esprit du paragraphe 20(16). Lorsque l’intimé a investi dans Roseland II, il espérait que le marché immobilier s’améliorerait avec le temps. Un repli important du marché est survenu et il en est résulté une baisse importante de la valeur des deux immeubles Roseland. À ce stade, il est devenu évident que les immeubles faisaient l’objet d’un amortissement insuffisant.

 

[68]           Le montant de la perte finale ayant résulté de la cession des immeubles à leur juste valeur marchande témoigne d’une perte économique réelle et le coût auquel RPM a fait l’acquisition de ces actifs (toujours à la juste valeur marchande) reflète leur véritable valeur marchande. Par conséquent, toute DPA demandée par la suite devait être calculée en fonction de ce coût et toute vente ultérieure au-delà de ce coût serait récupérée. Je ne détecte aucun abus dans ce résultat.

 

[69]           Une autre façon de démontrer la justesse de ce résultat est de souligner, comme l’a fait le juge de la Cour de l’impôt, que la même perte finale aurait été réalisée si les commanditaires, plutôt que d’effectuer les opérations en cause, avaient simplement dissous la société et en avaient distribué les actifs aux associés (motifs, par. 52).

 

[70]           L’appelante n’a pas réussi à établir que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les opérations en cause n’étaient pas abusives.

 

L’appel incident

[71]           Ayant conclu que l’appel ne peut être accueilli, il n’est pas nécessaire de disposer de l’appel incident. Cependant, dans l’éventualité où ma décision serait invalidée, il est utile d’en examiner le bien-fondé.

 

[72]           À l’appui de son appel incident, l’intimé soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les opérations n’ont pas été effectuées principalement pour des raisons d’affaires. À cet égard, l’intimé avance que l’objectif premier des opérations était de réduire les coûts et d’éliminer la compétition en matière de location. L’intimé reconnaît que la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle il ne s’agissait pas de l’objectif premier est une conclusion de fait qui ne peut être infirmée sans preuve d’une erreur manifeste et dominante.

 

[73]           L’intimé fait valoir que le juge de la Cour de l’impôt a commis une telle erreur en axant son analyse sur les effets des opérations plutôt que sur leur objet. Les paragraphes 92, 93 et 95 des motifs sont cités comme preuve de cette erreur. À l’appui de cette prétention, l’intimé cite la décision du juge de la Cour de l’impôt dans MIL (Investments) S A c. La Reine, (2006) 60 DTC 3307 (Can LII) aux paragraphes 50 et 53 où il est dit que lorsque vient le temps de déterminer l’objet d’une opération, le « comment » est subordonné au « pourquoi ». Cette décision a été confirmée en appel (2007 CAF 236), mais pour d’autres motifs.

 

[74]           Le libellé du paragraphe 245(3) dit clairement que c’est « l’objet » de l’opération qui doit être pris en compte dans l’analyse. Il s’en suit que si une opération a été effectuée principalement pour des raisons d’affaires, le fait qu’elle procure également un ou plusieurs avantages fiscaux ne change rien à cet objet.

 

[75]           Cela dit, il est pertinent de prendre en compte l’ampleur de l’avantage fiscal obtenu pour déterminer l’objet premier d’une opération. Par exemple, le fait que l’avantage fiscal obtenu en l’espèce était de loin supérieur aux économies à réaliser appuie la conclusion que l’avantage fiscal était le premier objectif de l’opération. De plus, le juge de la Cour de l’impôt a examiné des éléments de preuve documentaire démontrant qu’à l’étape de la planification, l’accent a été mis exclusivement sur [TRADUCTION] « les avantages fiscaux importants » que la proposition entraînerait (motifs, par. 85 et 86). Il est également avéré que ACC avait acquis une certaine expérience dans l’obtention du type d’avantage fiscal que les opérations en cause ont procuré (motifs, par. 88).

 

[76]           À mon humble avis, la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle les opérations ont été effectuées principalement en vue d’obtenir un avantage fiscal était étayée par la preuve.

 

[77]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel et l’appel incident, avec dépens en faveur de l’intimé.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je consens.

        Alice Desjardins j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

        Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-265-08

 

(APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE PARIS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU CANADA, DATÉE DU 2 MAI 2007, NO 2004-3026(IT)G.)

 

INTITULÉ :                                                                           SA MAJESTÉ LA REINE et GARY LANDRUS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 26 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             La juge Desjardins

                                                                                                La juge Trudel

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 16 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Franco Calabrese

Martin Beaudry

POUR L’APPELANTE

(intimée dans l’appel incident)

 

Louise R. Summerhill

Christopher Dunn

POUR L’INTIMÉ

(appelant dans l’appel incident)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c. r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANTE

(intimée dans l’appel incident)

 

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

(appelant dans l’appel incident)

 

 



 

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