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Date : 20090417

Dossier : A-293-08

Référence : 2009 CAF 117

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ADP CANADA CO.

(SOCIÉTÉ REMPLAÇANT CANADIAN AUTOMATIC

DATA PROCESSING SERVICES LTD.),

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 1er avril 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LE JUGE NADON

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20090417

Dossier : A-293-08

Référence : 2009 CAF 117

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ADP CANADA CO.

(SOCIÉTÉ REMPLAÇANT CANADIAN AUTOMATIC

DATA PROCESSING SERVICES LTD.),

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en litige

 

[1]               Le juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt (le juge) a-t-il commis une erreur en concluant que la somme de 1,1 milliard de dollars reçue par l’appelante (ADP) devait, en application du paragraphe 181.2(3)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), être ajoutée à son « capital imposable » et à son « capital imposable utilisé au Canada » à titre d’avances. L’année d’imposition en litige est l’année 2001.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que le juge a commis une erreur et qu’en conséquence, sa décision ne peut être confirmée et qu’elle doit être infirmée.

 

[3]               Avant d’aborder la question en litige dans le présent appel, il est nécessaire de citer les dispositions législatives applicables et de rappeler certains faits.

 

Les dispositions législatives applicables et la nature de l’impôt en cause

 

[4]               L’alinéa 181.2(3)c) dispose :

 

181.2 (3) Capital – Le capital d’une société, sauf une institution financière, pour une année d’imposition correspond à l’excédent éventuel du total des éléments suivants :

 

a) le capital-actions de la société (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l’apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d’apport et tout autre surplus à la fin de l’année;

 

 

 

b) ses réserves pour l’année, sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu de la partie I;

 

b.1) ses gains sur change non réalisés reportés à la fin de l’année;

 

 

c) les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l’année;

181.2(3) Capital – The capital of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the amount, if any, by which the total of

 

 

(a) the amount of its capital stock (or, in the case of a corporation incorporated without share capital, the amount of its members’ contributions), retained earnings, contributed surplus and any other surpluses at the end of the year,

 

 

(b) the amount of its reserves for the year, except to the extent that they were deducted in computing its income for the year under Part I,

 

(b.1) the amount of its deferred unrealized foreign exchange gains at the end of the year,

 

(c) the amount of all loans and advances to the corporation at the end of the year,

 

            [Non souligné dans l’original.]

[5]               L’impôt prélevé en application de l’alinéa précité était un impôt temporaire frappant les sociétés et visant à réduire le déficit fédéral (Documents budgétaires déposés devant la Chambre des communes, 27 avril 1989, par le ministère des Finances du Canada, à la page 40). Il s’appliquait aux grandes sociétés qui disposaient de ressources financières de plus de 10 000 000 $ pour exercer leurs activités. Cet impôt a été aboli en 2005.

 

Les faits et le contexte procédural

 

[6]               ADP exploite une entreprise dans le cadre de laquelle elle fournit à ses clients des services intégrés de paie et de versement de charges sociales moyennant une rétribution. ADP verse, pour le compte de ses clients, aux employés de ceux‑ci leurs salaires et verse les charges sociales y afférentes aux autorités fiscales. En d’autres termes, au lieu de constituer leur propre service de paie, les clients d’ADP confient ce travail en sous-traitance à ADP. Pour l’année d’imposition se terminant le 30 juin 2001, le total des frais de traitement de la paie gagnés par ADP s’élevait à 130 520 848 $.

 

[7]               Les clients d’ADP sont tenus de verser à l’avance à ADP les montants nécessaires pour permettre à ADP de les traiter et de les transférer aux employés de ses clients et aux autorités fiscales à la date d’échéance prévue au contrat de services. Jusqu’à 48 heures avant qu’ADP n’entame le processus connexe de paiement de la paie aux employés de ses clients, les clients d’ADP sont tenus de lui verser tous les montants associés à la paie des employés, y compris les frais de traitement de la paie pertinents, plus toute retenue d’impôt qui doit être versée pour leur compte aux autorités fiscales compétentes.

 

[8]               Les montants des salaires et des retenues d’impôt (les fonds) versés à ADP par ses clients sont conservés dans un compte distinct où ils sont déclarés à titre de fonds conservés pour les clients jusqu’à ce qu’ils soient versés aux employés ou aux autorités fiscales. Dans ses états financiers, les obligations d’ADP en matière de virement de fonds sont qualifiées de Compte des obligations concernant les fonds des clients.

 

[9]               Au cours de l’année d’imposition 2001, ADP a traité 83 milliards de dollars pour le compte de ses clients. À la fin du mois de juin 2001, ADP a déclaré dans ses états financiers un solde de 1 104 129 044 $ relativement aux obligations concernant les fonds des clients.

 

[10]           Aux termes de ses contrats de services, ADP était autorisée à investir les fonds qu’elle recevait de ses clients et qu’elle conservait en leur nom jusqu’à ce qu’ils soient versés aux employés ou aux autorités fiscales. Compte tenu du flux de trésorerie constant généré par la paie de ses clients, ADP avait constamment à sa disposition un montant de 500 000 000 $ qu’elle pouvait investir. Le rendement sous forme d’intérêts sur le placement de ces sommes pour l’année 2001 se chiffrait à 57 089 700 $.

 

[11]           Dans la nouvelle cotisation qu’il a établie le 7 janvier 2005, le ministre du Revenu national (le ministre) a ajouté au capital imposable d’ADP la somme de 1,1 milliard de dollars déclarée par ADP en tant qu’obligations concernant les fonds des clients dans ses états financiers du 30 juin 2001. Cette somme a été ajoutée en application de la partie I.3 de la Loi.

 

[12]           Par suite de l’augmentation qu’il a effectuée à l’égard du capital imposable d’ADP, le ministre a refusé de permettre à ADP de reporter sur une année antérieure le crédit de surtaxe inutilisé de 140 759 $ dans le calcul de son impôt payable en vertu de la partie I.3 de la Loi pour son année d’imposition ayant pris fin le 30 juin 1999.

 

[13]           En raison et en corollaire de la conclusion à laquelle j’en suis arrivé dans le présent appel, j’estime qu’ADP a droit à ce crédit de surtaxe. Le jugement tiendra compte de cette conclusion.

 

[14]           J’ai résumé brièvement les faits essentiels nécessaires pour trancher le présent appel. L’instance qui s’est déroulée devant la Cour de l’impôt a été instruite sur la base d’un exposé conjoint des faits. Par souci d’exhaustivité, je reproduis un passage plus complet des faits pertinents, que l’on trouve au paragraphe 2 des motifs du jugement du juge :

[traduction]

 

[...]

 

6. L’appelante exploite une entreprise dans le cadre de laquelle elle fournit à ses clients des services intégrés de paie et de versement de charges sociales moyennant une rétribution (les « frais de traitement de la paie »).

 

7. Les tâches et obligations de l’appelante et de ses clients sont énoncées dans une entente signée par chaque partie.

 

8. L’appelante verse, pour le compte de ses clients, aux employés de ces derniers leurs salaires et verse les charges sociales y afférentes aux autorités fiscales.

 

9. L’obligation de payer les salaires et de verser les retenues d’impôt applicables aux autorités fiscales est une obligation qui incombe aux clients de l’appelante; il ne s’agit pas d’une obligation légale incombant à l’appelante.

 

10. L’obligation contractuelle que l’appelante a envers ses clients est limitée aux services de paie, et notamment au paiement des salaires des employés de ses clients et au versement aux autorités fiscales des retenues d’impôt applicables pour le compte de ses clients.

 

11. L’appelante ne reçoit de ses clients, comme rémunération, que les frais de traitement de la paie.

 

12. Pour l’année d’imposition qui a pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a reçu des frais de traitement de la paie s’élevant en tout à 130 520 848 $.

 

13. En plus de traiter les données relatives à la paie de ses clients (c’est‑à‑dire de calculer le montant des salaires que ses clients doivent à leurs employés ainsi que le montant de la retenue d’impôt que ses clients sont obligés de verser aux autorités fiscales pertinentes), les services de paie et de production de déclarations relatives aux charges sociales offerts par l’appelante comprennent également des paiements véritables effectués pour le compte des clients de l’appelante aux employés des clients ainsi qu’aux autorités fiscales.

 

14. Ces paiements proviennent ou sont retirés des comptes bancaires de l’appelante, plutôt que des comptes bancaires des clients de l’appelante.

 

15. Dans le cadre de son entreprise de prestation de services de paie, l’appelante recueille les fonds de ses clients pour payer leurs employés aux jours respectifs de la paie et pour verser aux autorités fiscales pertinentes les retenues d’impôt se rattachant à ces salaires.

 

16. Les clients de l’appelante sont tenus de verser à l’avance à l’appelante, jusqu’à 48 heures avant que l’appelante entame le processus connexe de paiement de la paie aux employés de ses clients, tous les montants associés à la paie des employés, y compris les frais de traitement de la paie pertinents, plus toute retenue d’impôt qui doit être versée pour leur compte aux autorités fiscales respectives.

 

17. L’appelante conserve ces montants pour une période de 3 à 45 jours avant de payer les salaires et de verser les retenues d’impôt appropriées aux autorités fiscales, compte tenu de la date limite de versement applicable à chaque client.

 

18. Ces montants fournissent une protection partielle à l’appelante en cas de financement insuffisant de la part des clients à l’égard de paies ultérieures.

 

19. Une partie de chaque paiement effectué à l’appelante par ses clients représente un montant à verser à certaines autorités fiscales qui ne devient exigible qu’après la date de paiement en question. Toutefois, pour simplifier les choses, les clients versent en même temps à l’appelante tous les montants applicables à une paie particulière.

 

20. Les montants des salaires, des retenues d’impôt et des frais de traitement de la paie versés à l’appelante par ses clients sont conservés dans un compte distinct de l’appelante jusqu’à ce qu’ils soient versés aux employés ou aux autorités fiscales, ou jusqu’à ce qu’ils soient gagnés par l’appelante, selon le cas.

 

21. Ces montants anticipés sont appelés dans le présent exposé conjoint partiel modifié des faits les « fonds détenus pour les clients » et les obligations respectives de l’appelante envers ses clients sont appelées les « obligations concernant les fonds des clients ».

 

22. Dès que l’appelante reçoit un montant de ses clients pour le paiement de la paie et le versement des retenues d’impôt appropriées, le montant reçu est crédité au compte des obligations concernant les fonds des clients et le même montant est débité du compte des fonds détenus pour les clients.

 

23. Dès que l’appelante paie les salaires et verse ensuite les retenues d’impôt aux autorités fiscales pour le compte de ses clients, le montant payé par l’appelante est débité du compte des obligations concernant les fonds des clients et le même montant est crédité au compte des fonds détenus pour les clients.

 

24. Dès que les frais de traitement de la paie versés à l’appelante par ses clients sont gagnés par l’appelante, le montant gagné est débité du compte des obligations concernant les fonds des clients et du compte bancaire et le même montant est crédité au compte des fonds détenus pour les clients et au compte des recettes.

 

25. Dans sa balance de vérification pour l’exercice ayant pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a déclaré un solde débiteur de 1 104 129 044 $ dans le compte des fonds détenus pour les clients et un solde créditeur au même montant dans le compte des obligations concernant les fonds des clients.

 

26. Sur le montant indiqué au titre des obligations concernant les fonds des clients dans la balance de vérification du 30 juin 2001 de l’appelante, seule une partie des frais de traitement de la paie payables à l’appelante a finalement été comptabilisée à titre de revenu aux fins comptables et fiscales.

 

27. C’est le montant de 1 104 129 044 $ déclaré au titre des obligations concernant les fonds des clients dans la balance de vérification de l’appelante du 30 juin 2001 que le ministre a ajouté à l’année d’imposition de l’appelante qui a pris fin le 30 juin 2001, par une nouvelle cotisation datée du 7 janvier 2005, « au capital », au « capital imposable » et au « capital imposable utilisé au Canada » de l’appelante pour l’application du paragraphe 181.1(1) de la LIR.

 

28. Au 30 juin 2001, l’appelante détenait dans le compte des fonds détenus pour les clients les montants suivants à valoir sur les frais payables par ses clients qui étaient gagnés et comptabilisés à titre de revenu aux fins de l’impôt sur le revenu, mais qui n’avaient pas encore été virés à son compte de banque :

 

Frais

                  4 583 744,78 $

TPS et TVH

                     335 247,97 $

TVQ

                       89 414,33 $

Total

                  5 008 407,08 $

 

29. Par suite de l’augmentation mentionnée au paragraphe 27 du présent exposé conjoint partiel modifié des faits, que le ministre a effectuée à l’égard du « capital », du « capital imposable » et du « capital imposable utilisé au Canada » de l’appelante, le ministre a refusé, par une nouvelle cotisation datée du 7 janvier 2005, de permettre à l’appelante de reporter sur une année antérieure le crédit de surtaxe inutilisé de 140 759 $ dans le calcul de son impôt payable en vertu de la partie I.3 de la LIR pour son année d’imposition qui a pris fin le 30 juin 1999.

 

30. Les montants que l’appelante a inclus dans le compte des fonds détenus pour les clients au 30 juin 2001 se rapportaient aux salaires et aux retenues d’impôt à verser aux autorités fiscales qui étaient payables après le 30 juin 2001, ainsi qu’aux frais de traitement de la paie gagnés par l’appelante, mais non encore virés dans son compte de banque.

 

31. Les montants des comptes des fonds détenus pour les clients et des obligations concernant les fonds des clients n’ont pas été déclarés dans le bilan de l’appelante pour son exercice qui a pris fin le 30 juin 2001, présenté avec sa déclaration de revenus de 2001.

 

32. Les états financiers que l’appelante a déposés avec sa déclaration de revenus de 2001 n’ont pas été vérifiés, mais ils comprenaient un « avis au lecteur ». Aucune note concernant les états financiers n’était jointe.

 

33. Selon les principes comptables généralement reconnus, les comptes des fonds détenus pour les clients et des obligations concernant les fonds des clients de l’appelante auraient dû être présentés à titre d’éléments de l’actif et d’éléments du passif respectivement dans les états financiers de l’appelante ou dans une note jointe à ces états financiers.

 

34. L’entreprise de prestation de services de paie de l’appelante est semblable aux entreprises de prestation de services de paie de ses sociétés sœurs.

 

35. Le bilan consolidé de la société mère américaine de l’appelante, à savoir Automatic Data Processing, Inc., déposé avec son rapport annuel de 2001, indiquait à titre d’éléments de l’actif et d’éléments du passif les comptes de « fonds détenus pour les clients » et d’« obligations concernant les fonds des clients » respectivement des sociétés sœurs de l’appelante.

 

36. La Securities and Exchange Commission américaine a expressément demandé que les comptes de « fonds détenus pour les clients » et d’«obligations concernant les fonds des clients » soient traités par la société mère de l’appelante comme des éléments de l’actif et des éléments du passif respectivement dans ses états financiers.

 

37. Les comptes de fonds détenus pour les clients et d’obligations concernant les fonds des clients de l’appelante sont maintenant présentés à titre d’éléments de l’actif et d’éléments du passif respectivement dans les états financiers de l’appelante, et ce, depuis l’année 2002.

 

38. L’appelante place, principalement dans des effets à revenu fixe (surtout des valeurs assimilables à des espèces et des titres négociables), les montants inclus dans le compte des fonds détenus pour les clients.

 

39. L’appelante comptabilise les intérêts sur ces placements dans ses recettes au fur et à mesure qu’ils sont gagnés.

 

40. Ces intérêts s’élevaient à 57 089 700 $ au cours de l’exercice de l’appelante qui a pris fin le 30 juin 2001.

 

41. Dans ses états financiers pour son exercice qui a pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a déclaré un revenu avant impôt de 30 280 238 $.

 

42. Dans son exercice ayant pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a versé à une société américaine liée une rémunération de 1 168 063 $ pour que celle‑ci gère le montant inclus dans le compte des fonds détenus pour les clients.

 

43. Les contrats conclus par l’appelante et ses clients prévoient qu’en cas d’inobservation par l’appelante du délai prévu par la loi aux fins du versement de la retenue d’impôt, l’appelante est redevable envers les autorités fiscales de toute pénalité ou de tout intérêt payable par suite du versement tardif.

 

44. Dans le cadre des services de paie qu’elle fournissait, l’appelante versait parfois les retenues d’impôt pour le compte de ses clients après l’expiration du délai prévu par la loi.

 

45. Dans son exercice qui a pris fin le 30 juin 2001, l’appelante a payé un montant de 397 929 $ au titre des pénalités et intérêts à l’égard du versement tardif des retenues d’impôt pour le compte de ses clients.

 

46. Ces pénalités et intérêts ont été payés par l’appelante dans le cours normal de ses activités.

 

47. L’appelante a déduit ce montant de 397 929 $ dans le calcul de son revenu d’entreprise pour son année d’imposition qui a pris fin le 30 juin 2001.

 

48. Par une nouvelle cotisation datée du 7 janvier 2005, le ministre du Revenu national a refusé cette déduction de 397 929 $.

 

[Passages soulignés par le juge.]

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt

 

[15]           Pour en arriver à sa conclusion, le juge s’est fortement inspiré d’une décision qu’il avait lui‑même rendue et qui avait été confirmée par la présente cour : Oerlikon Aérospatiale Inc. c. Canada, [1997] DTC 962, [1999] DTC 5318.

 

[16]           En toute déférence, je me dois de dire que l’arrêt Oerlikon n’est d’aucune utilité dans le cas qui nous occupe, parce que, dans cette affaire, il était acquis aux débats que les sommes ajoutées par le ministre au capital d’Oerlikon pour l’application de la partie I.3 étaient des « avances ». Le contribuable soutenait que les fonds avancés, qui étaient imputables à ses revenus à venir, ne constituaient pas des « avances » au sens de la partie I.3 de la Loi, parce que, selon lui, le terme « avance » à l’alinéa 181.2(3)c) n’avait que le sens d’« avance-prêt ». Le contribuable faisait valoir que l’alinéa en question envisageait une relation prêteur-emprunteur. Dans le cas qui nous occupe, le débat porte essentiellement sur la question de savoir si les fonds en litige constituent ou non des « avances » au sens de l’alinéa en question. Je reviendrai sur l’arrêt Oerlikon lorsque j’examinerai une conclusion précise tirée par le juge de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[17]           La Loi ne définit pas le terme « avance ». Comme il l’avait fait dans l’affaire Oerlikon, le juge a consulté des dictionnaires généraux, des dictionnaires financiers et des dictionnaires de comptabilité. Il a perçu un élément commun dans les définitions courantes du terme « avance », en l’occurrence le paiement d’un montant avant qu’il soit dû (paragraphe 17 des motifs de la décision du juge).

[18]           Citant un dictionnaire de comptabilité, il a retenu les deux définitions suivantes : « Somme versée à une personne pour lui permettre d’effectuer des dépenses dont elle devra rendre compte plus tard » et : « Somme à valoir sur le prix d’un contrat, de services ou de biens, versée avant que le contrat ne soit exécuté, les services rendus ou les biens livrés » (idem, aux paragraphes 9 et 17).

 

[19]           Enfin, pour en arriver à sa conclusion, le juge a expliqué qu’il se sentait conforté dans son analyse du fait qu’ADP avait le droit d’investir les fonds et de conserver les intérêts ainsi générés. Il a également accordé beaucoup d’importance au fait que les intérêts gagnés par ADP faisaient partie intégrante de l’entreprise d’ADP et que, n’eut été de ces intérêts, ADP aurait subi une perte (paragraphes 19 à 21 des motifs du jugement).

 

Analyse de la décision de la Cour canadienne de l’impôt et des observations des parties

 

[20]           ADP exécutait des contrats de services pour de nombreux clients. Comme nous l’avons déjà vu, aux termes des contrats en question, elle était tenue de s’assurer que le salaire dû aux employés de ces clients et l’impôt à payer aux autorités fiscales soient versés à temps. En raison de la nature des services qu’elle s’était engagée à rendre, les clients transféraient des fonds à ADP, qui les traitait et les transférait à des tiers. Je crois que la confusion qui a été créée en l’espèce résulte de la nature des services fournis et du fait que les services en question impliquaient des sommes d’argent. Si les biens qu’ADP devait transférer à des tiers avaient, par exemple, été des voitures, personne n’aurait prétendu que les voitures en question ou leur valeur auraient constitué des avances consenties à ADP. Une certaine confusion a été créée, à mon avis, entre les services qu’ADP devait rendre et les sommes dues par les clients d’ADP pour ces services.

 

[21]           En gardant à l’esprit ces considérations, le temps est venu d’examiner les définitions du terme « avance » sur lesquelles le juge a fondé sa décision.

 

a)         Le montant de 1,1 milliard de dollars constituait-il un montant payé avant qu’il soit dû?

 

[22]           En bref, la réponse à cette question est que le montant de 1,1 milliard de dollars ne correspond pas à ce qui était dû à ADP. Ce qui était dû à ADP, c’était les frais relatifs aux services de traitement rendus par ADP. Le montant de 1,1 milliard de dollars ne constitue tout simplement pas une avance sur les 130 millions de dollars payés en frais pour les services de traitement.

 

[23]           L’avocat d’ADP cite la définition du terme « avance » que la Commission de révision de l’impôt a retenue dans l’affaire Crassweller c. Minister of National Revenue, 49 DTC 1, à la page 18, et que le juge cite au paragraphe 9 (note 9) de ses motifs du jugement :

 

[traduction]

 

[…] ou une chose qui est payée à une personne avant le moment auquel le payeur doit effectuer le paiement à cette personne, paiement qui serait diminué du montant de l’avance et annulerait donc toute obligation de la part du bénéficiaire de rembourser l’avance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Il soutient que cet extrait de la décision Crassweller a été mal interprété et mal appliqué par le juge et par l’avocat de l’intimée. Je suis du même avis.

 

[24]           Si l’on transpose les mots soulignés au cas qui nous occupe, voici le texte que l’on obtient :

 

[traduction]

 

[…] ou une chose qui est payée à ADP avant le moment auquel le client doit effectuer le paiement à ADP, paiement qui serait diminué du montant de l’avance et annulerait donc toute obligation de la part d’ADP de rembourser l’avance.

                                                                       

            [Non souligné dans l’original.]

 

 

[25]           Les seules dettes que les clients avaient envers ADP étaient les frais imputables au contrat de services. Le montant de 83 milliards de dollars, dont faisait partie la somme de 1,1 milliard de dollars en litige, était une dette contractée par les clients envers leurs employés et le fisc. Les fonds visaient à payer les dettes de ces débiteurs, à savoir les clients d’ADP. ADP ne faisait qu’aider les débiteurs en question à payer leur dette. ADP n’était pas le créancier des fonds dus et, en conséquence, ces fonds ne pouvaient constituer une avance versée à ADP.

 

b)         Le montant de 1,1 milliard de dollars constituait-il une somme à valoir sur le prix d'un contrat, de services ou de biens, versée avant que le contrat ne soit exécuté ou les services rendus?

 

[26]           Il est évident que les seuls montants dus à ADP pour les services à rendre sont les frais stipulés dans le contrat de services. Il est également tout à fait clair que le montant de 1,1 milliard de dollars n’a aucun rapport avec le prix du contrat et qu’il ne constitue donc pas une avance sur le contrat.

 

c)         Le montant de 1,1 milliard de dollars constituait-il une somme versée à ADP pour lui permettre d’effectuer des dépenses dont elle devait rendre compte plus tard?

 

 

[27]           Je ne crois pas qu’on puisse douter que le montant de 1,1 milliard de dollars est une dépense engagée par les clients d’ADP, et non une dépense d’ADP, qui agissait comme simple intermédiaire pour s’assurer que les sommes dues aux employés des clients, au titre de leur salaire, et aux autorités fiscales, au titre de l’impôt, étaient versées à temps aux bénéficiaires prévus. Il n’est donc pas étonnant qu’ADP ne réclame pas cette dépense dans ses états financiers de 2001 et de 2002 (dossier d’appel, aux pages 142 à 149).

 

[28]           On ne peut prétendre que le montant de 1,1 milliard de dollars constitue une dépense engagée par ADP pour rendre à ses clients les services prévus par son contrat de services. En fait, le versement du montant de 1,1 milliard de dollars à des tiers est précisément le service qu’ADP s’était engagée à rendre aux termes de son contrat. Voilà qui répond aussi, à mon avis, à l’argument de l’intimée suivant lequel le montant de 1,1 milliard de dollars pourrait être considéré comme une dépense effectuée par ADP. Si cette somme doit être considérée comme une dépense, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une dépense engagée par les clients d’ADP.

 

d)         Les intérêts qui ont été générés par le placement des fonds et qui ont été utilisés comme ressource financière par ADP ont-ils changé la nature juridique des fonds en question?

 

 

[29]           En tenant compte du fait que les fonds pouvaient être investis par ADP, et à son profit, le juge a, au paragraphe 11 des motifs de son jugement, cité l’extrait suivant de l’arrêt rendu par la présente cour dans l’affaire Oerlikon :

 

[11]     Le juge Noël a ajouté ce qui suit au paragraphe 32 :

 

[32]       Une avance soit‑elle du type avance‑acompte ou avance‑prêt a comme effet de mettre à la disposition de celle ou celui qui en bénéficie la somme d’argent qu’elle représente. Ici, les avances faisaient partie intégrante des ressources financières à la disposition de l’appelante à la clôture de son année d’imposition 1989 selon les états financiers qu’elle a produits et rien dans le texte législatif ou dans la politique fiscale qui mena à son adoption n’indique que le législateur fédéral aurait voulu les exclure de l’impôt de la partie I.3.

 

            [Passages soulignés par le juge.]

 

 

[30]           Plus loin, aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs, le juge a insisté sur l’ampleur des ressources financières obtenues grâce au placement des fonds pour conclure que « le montant de 1,1 milliard de dollars représente des avances visées par la définition du mot “capital”, à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi ».

 

[31]           Je reproduis ces deux paragraphes :

 

[21]    À vrai dire, il n’existe aucune exigence à cet égard, mais il est réconfortant de se rendre compte que le montant de 1,1 milliard de dollars représentant des avances existant à la fin de l’année d’imposition 2001 représentait de fait une ressource financière importante mise à la disposition d’ADP. Les avances qui ont été reçues tout le long de l’année ont permis à ADP de gagner plus de 57 millions de dollars à titre d’intérêts, ce qui représentait 28 p. 100 de ses recettes brutes. Comme l’avocat du ministre l’a souligné, si ce n’avait été des intérêts gagnés sur les fonds avancés, ADP aurait subi une perte. La chose a été indirectement reconnue par M. Surminsky, qui a témoigné que, si elle n’avait pas été autorisée à placer les avances qui étaient mises à sa disposition en prévision de l’exécution des obligations incombant à ses clients à l’égard des salaires et des versements à effectuer au gouvernement, ADP aurait été obligée de modifier son modèle d’entreprise et d’augmenter ses frais.

[22]   Enfin, il vaut la peine de noter que le bilan d’ADP pour l’année qui a pris fin le 30 juin 2001 indique un capital‑actions de 3,8 millions de dollars et des bénéfices non répartis de 18,6 millions de dollars. Par conséquent, les avances consenties par les clients d’ADP, lesquelles sont décrites dans les documents comptables d’ADP comme étant les fonds détenus pour les clients ou les obligations concernant les fonds des clients et s’élevaient, à la fin de l’exercice 2001, à 1,1 milliard de dollars, constituent de fait un élément d’actif ou un élément de passif important à la fin de l’année d’imposition d’ADP. M. Surminsky a également dit qu’un montant de base de 500 millions de dollars représentait un élément d’actif ou de passif plus ou moins permanent d’ADP. Dans son argumentation, l’avocat d’ADP a également soutenu que ces fonds permettaient à ADP d’effectuer des placements à long terme, bien que ce fait n’ait pas nécessairement été présenté en preuve. Par conséquent, je n’hésite pas à conclure que le montant de 1,1 milliard de dollars représente des avances visées par la définition du mot « capital », à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi.

[Renvois omis.]

[Non souligné dans l’original.]

 

[32]           Dans la mesure où le juge a conclu que les fonds constituaient des « avances » parce qu’ils représentaient une ressource financière importante mise à la disposition d’ADP, cette conclusion est erronée.

 

[33]           Dans l’arrêt Oerlikon, dans le passage susmentionné cité par le juge, la présente cour a examiné les conséquences d’une avance, notamment la conséquence qui avait été de mettre à la disposition du bénéficiaire l’argent correspondant à l’avance. La présente cour avait déjà conclu qu’il s’agissait d’une avance. La présente cour ne s’est pas servie du fait que le bénéficiaire utilisait l’argent qui lui avait été confié comme ressource financière pour conclure que l’argent en question constituait une avance. La présente cour n’a pas confondu ou amalgamé la cause et l’effet.

Dispositif

 

[34]           Aux termes du contrat de services qu’elle a conclu, ADP agissait comme intermédiaire pour s’assurer que les sommes dues par ses clients aux employés de ces derniers et au fisc soient versées à temps. La nature des services offerts par ADP impliquait le traitement et le transfert des fonds des clients aux personnes à qui ils étaient dus et qui en étaient les bénéficiaires prévus. Les fonds constituaient les biens à transférer. Ils ne constituaient pas des « avances » consenties à ADP parce qu’ils n’étaient pas un paiement fait à ADP avant qu’il soit dû, une somme à valoir sur le prix de services, versée avant que les services ne soient rendus, ou une somme payée à ADP au titre d’une dépense engagée par ADP.

 

[35]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais avec dépens en Cour canadienne de l’impôt l’appel interjeté par l’appelante et je renverrais au ministre :

 

a)         l’avis de cotisation établi pour l’année d’imposition 2001 pour nouvel examen et nouvelle cotisation, au motif que le montant de 1 104 129 044 $ ne doit pas être inclus dans le capital d’ADP aux termes de l’article 181.2 de la Loi;

 

b)         l’avis de cotisation établi pour l’année d’imposition 1999 pour nouvel examen et nouvelle cotisation, au motif que le montant de crédit de surtaxe de 140 759 $ doit être accordé.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

« Je souscris aux présents motifs. »

            M. Nadon, j.c.a.

 

« Je souscris aux présents motifs. »

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-293-08

 

 

INTITULÉ :                                                   ADP CANADA CO. (SOCIÉTÉ REMPLAÇANT CANADIAN AUTOMATIC DATA PROCESSING SERVICES LTD.)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Louis Tassé

POUR L’APPELANTE

 

Benoit Mandeville

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin srl

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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