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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20090417

Dossier : A-363-08

Référence : 2009 CAF 119

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

TIMBERWEST FOREST CORP.

appelante

et

PACIFIC LINK OCEAN SERVICES CORPORATION,

UNION TUG AND BARGE LTD.,

GREAT NORTHERN MARINE TOWING LTD.,

A.B.C. COMPANY, WARREN SINCLAIR, MARC McLEAN,

KENNETH HEMEON, les propriétaires des navires « SEA COMMANDER » ET « OCEAN OREGON », et toutes les autres personnes ayant un droit sur ces navires

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 27 janvier 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 17 avril 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                                  LE JUGE RYER

 


Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20090417

Dossier : A-363-08

Référence : 2009 CAF 119

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

 

TIMBERWEST FOREST CORP.

appelante

et

 

PACIFIC LINK OCEAN SERVICES CORPORATION,

UNION TUG AND BARGE LTD.,

GREAT NORTHERN MARINE TOWING LTD.,

A.B.C. COMPANY, WARREN SINCLAIR, MARC McLEAN,

KENNETH HEMEON, les propriétaires des navires « SEA COMMANDER » ET « OCEAN OREGON », et toutes les autres personnes ayant un droit sur ces navires

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La Cour statue sur l’appel du jugement en date du 25 juin 2008 par lequel le juge Harrington (2008 CF 801) a répondu à quatre questions soulevées dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts intentée à la suite de la perte de billes de bois transportées entre la Colombie-Britannique et la Californie sur le pont d’une barge. Les questions visent à déterminer si l’assureur est irrecevable à intenter une action subrogatoire contre l’affréteur à temps de la barge et contre le remorqueur, le propriétaire de la barge et ses employés et le propriétaire du remorqueur et ses employés. Les réponses du juge Harrington mettent toutes ces personnes à l’abri de l’action subrogatoire. La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si les réponses données par le juge de première instance sont fondées en droit.

 

Les faits

[2]               Les faits ne sont pas contestés. L’appelante Timberwest Forest Corp. (Timberwest), une société de la Colombie-Britannique, exploitait une entreprise dans le cadre de laquelle elle faisait notamment la vente et l’exportation de billes de bois. Un des clients de Timberwest était Harwood Products Inc. (Harwood), une société californienne.

 

[3]               L’intimée Pacific Link Ocean Services Corporation (Pacific Link), une société de la Barbade, était l’affréteur à temps de la barge Ocean Oregon à bord de laquelle se trouvait la cargaison qui a été perdue. Pacific Link était également l’affréteur à temps du remorqueur Sea Commander, qui remorquait l’Ocean Oregon lorsque la cargaison a été perdue. La barge Ocean Oregon appartenait à l’intimée Great Northern Marine Towing Ltd. (Great Northern), une société de la Colombie-Britannique. Le remorqueur Sea Commander appartenait à l’intimée Union Tug and Barge Ltd. (Union Tug), qui était également une société de la Colombie‑Britannique. Les intimés Warren Sinclair et Marc McLean sont des employés de Great Northern. L’intimé Kenneth Hemeon était le capitaine du Sea Commander et un employé d’Union Tug. Aucune des personnes physiques intimées ne travaillait pour Pacific Link.

 

[4]               Pacific Link, Great Northern et Union Tug appartenaient à 50 p. 100 à Peter Brown et à 50 p. 100 à Ed Jackson. Ces trois sociétés offraient leurs services collectivement sous le nom de Sea Link Group. Ce fait était connu d’Harwood et le juge Harrington en a déduit qu’il était aussi connu de Timberwest.

 

[5]               Timberwest a commencé à vendre des billes de bois à Harwood à la fin des années 1990 en vue de leur exportation et de leur transport jusqu’à Eureka, en Californie. Le contrat initial prévoyait la livraison franco à bord (FAB) des marchandises aux lieux d’entreposage de Timberwest, en Colombie-Britannique. Aux termes de ces contrats, Harwood assumait le risque du transport des billes et s’occupait du transport et des assurances.

 

[6]               Timberwest a commencé en 2001 à vendre des billes de bois destinées à l’exportation suivant des contrats aux termes desquels elle conservait le titre et la responsabilité du risque sur les chargements jusqu’à leur paiement. Le premier de ces chargements était destiné à une autre cliente qu’Harwood. Timberwest a conclu pour cette livraison un contrat de transport avec Brusco Tug & Barge Inc., une société américaine. Le contrat de transport prévoyait que ni les navires utilisés ni le transporteur ne pourraient être tenus responsables des pertes ou des dommages causés à la cargaison et ce, peu importe la cause du dommage. Timberwest, à titre de transporteur, devait souscrire une assurance tous risques sur facultés maritime désignant le transporteur et ses filiales comme assurés additionnels et comportant une clause de renonciation à la subrogation contre eux, contre tout navire servant à l’exécution du contrat, et contre le capitaine et l’équipage de ce navire.

 

[7]               Timberwest a communiqué avec M. Sikorski, un courtier d’assurance employé par Marsh Canada Ltd., pour faire assurer cette opération. M. Sikorski a obtenu de St. Paul & Marine Insurance Company (St. Paul) un avenant à une police d’assurance maritime de Timberwest qui respectait toutes les conditions contractuelles, y compris la désignation de Brusco Tug & Barge Inc. comme assurée. Cette police d’assurance a servi de modèle pour les polices d’assurance subséquentes visant les billes de bois vendues par Timberwest à Harwood entre avril 2002 et novembre 2003.

 

[8]               La première expédition effectuée à la suite d’un contrat de vente conclu entre Timberwest et Harwood, et dans lequel Timberwest conservait le titre et la responsabilité du risque jusqu’au paiement et à la livraison, a eu lieu en avril 2002. Cependant, dans ce cas, comme dans toutes les expéditions précédentes et subséquentes effectuées pour Harwood, il a été convenu que Harwood choisirait le chargeur et prendrait les mesures nécessaires afin d’assurer le transport. Timberwest a admis qu’elle était liée par les modalités du contrat de transport conclu par Harwood. Le juge Harrington a conclu que Timberwest était ainsi liée parce qu’en prenant les mesures nécessaires afin d’assurer le transport, Harwood agissait comme agent de Timberwest, en tant que commettant non déclaré. Cette conclusion n’est pas contestée dans le présent appel.

 

[9]               Timberwest s’est fié à M. Sikorski, de Marsh Canada Ltd., pour qu’il souscrive les assurances nécessaires relativement à son intérêt assurable dans les billes de bois vendues à Harwood. Pour souscrire les assurances nécessaires, M. Sikorski a obtenu le contrat de transport de l’agent de Harwood en Colombie-Britannique, Robeth Holdings Ltd. Les employés de Timberwest n’ont porté aucune attention aux modalités des polices d’assurance obtenues par M. Sikorski pour les opérations de Harwood.

 

[10]           Le contrat de transport relatif aux marchandises vendues en 2002 à Harwood a pris la forme d’une lettre d’entente entre Pacific Link et Harwood. Dans cette lettre, qui était datée du 29 avril 2002, Pacific Link s’engageait à [TRADUCTION] « fournir une barge » pour livrer des billes de bois à partir du fleuve Fraser jusqu’à Eureka. La barge qui a été désignée pour ce travail était l’Ocean Oregon. Cette lettre comportait des [TRADUCTION] « modalités types de remorquage » ainsi qu’un certain nombre de conditions spécifiques. Voici le texte d’une des conditions qui se trouvaient dans le document annexé :

[TRADUCTION] Tous les contrats de transport sont régis par les modalités contenues dans le formulaire‑type de connaissement utilisé par Pacific Link Ocean Services Corp., tel que modifié de temps à autre, et s’appliquent peu importe qu’un connaissement ait été délivré à l’égard de marchandises en particulier.

 

[11]           Le formulaire-type de connaissement de Pacific Link prévoit en caractères gras, au recto [TRADUCTION] « TOUTES LES MARCHANDISES SONT TRANSPORTÉES EN PONTÉE AU RISQUE DU CHARGEUR » (voir clause 9 au verso ou en annexe) ». La clause 9 du formulaire-type de connaissement de Pacific Link est ainsi libellée :

[TRADUCTION] CARGAISON EN PONTÉE ─ À moins que le présent connaissement ne fasse expressément mention du contraire, toutes les marchandises sont transportées en pontée. Le propriétaire des marchandises transportées en pontée en assume entièrement le risque. En aucun cas, le transporteur ne peut être tenu responsable des pertes ou des dommages causés à la cargaison, peu en importe la cause et notamment même s’ils étaient attribuables à l’état d’innavigabilité ou à la négligence, la grossière négligence, un défaut, une erreur ou une omission du transporteur ou de l’un de ses préposés ou mandataires, y compris notamment de toutes les personnes visées à la clause 14.

 

[12]           La clause 14 du formulaire-type de connaissement de Pacific Link est ainsi libellée :

[TRADUCTION]  14.  BÉNÉFICIAIRES DU CONTRAT. Les employés, agents et entrepreneurs indépendants du transporteur, ainsi que les propriétaires, exploitants, armateurs, affréteurs, capitaines, officiers et membres d’équipage de tout autre navire qui est la propriété d’une société liée ou non, ou dont une telle société assure l’exploitation, les manutentionnaires, débardeurs, exploitants de terminal et toute autre personne employée par le transporteur pour l’exécution de ses travaux ou services sont bénéficiaires du présent connaissement et ont droit à tout moyen de défense, exemption et immunité découlant de l’exonération de responsabilité accordée au transporteur par le présent connaissement et, dans la mesure des présentes dispositions, le transporteur conclut le présent contrat non seulement en son propre nom, mais également en qualité de mandataire et de fiduciaire de chacune des personnes et des sociétés décrites aux présentes, chacune d’elles étant réputée être partie au contrat constaté par le présent connaissement.

 

[13]           Une copie du formulaire-type de connaissement de Pacific Link Harwood a été remise à Harwood avant 2003. Ni Timberwest, ni Marsh Canada Ltd. ni St. Paul n’ont demandé ou reçu copie de ce document avant la perte qui est à l’origine de la présente instance. Le juge Harrington a toutefois conclu ─ et je suis du même avis ─ qu’elles sont toutes liées par ce document.

 

[14]           St. Paul a accepté de nommer Pacific Link comme assuré aux termes du contrat d’assurance de Timberwest et de renoncer à ses droits de subrogation contre Pacific Link, relativement à la cargaison de billes de bois livrée en avril 2002 par Timberwest à Harwood, et relativement à deux autres livraisons effectuées en mai 2002. L’inclusion de la renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link relativement à ces livraisons a été officialisée aux termes d’un avenant daté du 15 juillet 2002, dont voici le texte, pour ce qui est des deux livraisons en question :

[TRADUCTION]

Assuré additionnel bénéficiant de la clause de renonciation à la subrogation : Pacific Link Ocean Services Corporation

 

[15]           La police d’assurance maritime de Timberwest a été renouvelée pour l’année d’assurance comprise entre juillet 2002 et juillet 2003 et pour l’année d’assurance comprise entre juillet 2003 et juillet 2004. Les modalités de ces polices sont essentiellement les mêmes et les avenants relatifs à la police précédente y sont intégrés.  On trouve les dispositions suivantes dans la police de 2004, sous la rubrique « Conditions générales »:

[TRADUCTION]

6. ASSURÉS ADDITIONNELS

Relativement aux biens assurés en vertu du présent contrat, outre l’assuré nommément désigné, la police protège également les personnes suivantes : […]

b)   tout propriétaire, toute personne, toute entité, toute firme, toute organisation, tout fiduciaire, toute succession ou toute autorité gouvernementale pour lesquels l’assuré a convenu de souscrire une assurance ou a assumé l’obligation de dédommager ou de souscrire une assurance aux termes de tout contrat ou de toute entente ou par la délivrance ou l’existence de tout permis;

[…]

d)     les autres entités désignées ailleurs dans la présente police d’assurance et ses avenants.

Aucune des dispositions du présent acte ne donne droit aux assurés additionnels de recouvrer des assureurs maritimes un montant plus élevé que celui que pourrait recouvrer l’assuré nommément désigné.

Il est généralement accepté que les assureurs maritimes renoncent à leurs droits de subrogation contre les assurés additionnels.

Il est expressément convenu que l’assurance stipulée aux termes de la présente police en faveur de l’assuré nommément désigné ne sera pas invalidée et que la responsabilité des assureurs maritimes ne sera ni limitée ni diminuée par tout acte ou négligence d’un des assurés additionnels.

[…]

19. SUBROGATION

Disposition applicable à toutes les sections

Dans la mesure où l’assuré peut avoir renoncé, avant la survenance d’une perte ou d’un dommage, à tout droit d’être indemnisé par une personne physique ou morale (y compris les compagnies de transport) pour toute perte ou dommage causés aux biens désignés par les présentes, les assureurs maritimes renoncent, dans la même mesure, aux droits de subrogation que leur confère le présent contrat. […] 

Disposition applicable à la section III

Il est convenu que, sur règlement de toute réclamation portant sur une perte ou un dommage, les assureurs maritimes sont subrogés à tous les droits conférés à l’assuré en vertu de connaissements, de récépissés d’expédition ou autres contrats et contre tous les tiers jusqu’à concurrence des sommes ainsi payées […] Les assureurs maritimes ne sont subrogés à aucun des droits auxquels l’assuré a expressément renoncé par écrit avant la perte […]

 

[16]           On trouve les modalités suivants à la section intitulée « Section III – Facultés maritimes » :

[TRADUCTION]

D – Exportation des billes de bois

[…]

Incluant la clause de renonciation à la subrogation contre :

a.       Brisco Remorqueur & Barge, Inc.

b.                                 Pacific Link Ocean Services Corporation

 

[17]           Après la survenance de la perte qui est à l’origine de la présente instance, Pacific Link s’est rendue compte que son nom était mentionné dans la clause de renonciation à la subrogation du contrat d’assurance conclu entre Timberwest et St. Paul, et dans l’avenant des contrats d’assurance antérieurs. Le juge Harrington a conclu ─ et je suis du même avis ─ que ce défaut de connaissance préalable n’est pas pertinent.

 

[18]           M. Sikorski a vraisemblablement tenu pour acquis qu’il n’y avait pas de différence marquée entre le contrat de transport conclu avec Brusco Tug & Barge Inc., en tant que transporteur, et les contrats signés avec Pacific Link, en tant que transporteur. Il a expliqué que ce n’était qu’après le départ de la cargaison qu’il avait reçu le contrat de transport portant sur la première livraison à Harwood en avril 2002. Il ignorait alors ─ et n’a vraisemblablement pas cherché à savoir ─ si Pacific Link était le propriétaire ou l’affréteur à temps de la barge et du remorqueur qui seraient utilisés pour le transport des billes de bois vendues par Timberwest à Harwood lors de la première vente. Il n’a pas exploré plus tard la question lorsque les nouvelles polices ont été délivrées pour les années d’assurance 2003 et 2004 et il s’est contenté d’intégrer dans la police les avenants déjà établis.

 

[19]           La livraison en question dans le cas qui nous occupe était constituée de 11 463,17 mètres cubes de billes de Douglas taxifolié que Timberwest a vendues à Harwood entre septembre et novembre 2003. Harwood a conclu un contrat de transport avec l’intimé Pacific Link pour transporter les billes de bois en question des lieux d’entreposage de Timberwest jusqu’à Eureka, ainsi qu’environ 815 mètres cubes de billes de bois appartenant à Harwood, et sur lesquelles Timberwest n’avait aucun droit. Les modalités du contrat de transport étaient essentiellement les mêmes que celles du contrat de transport d’avril 2002 dont il a déjà été question. Tout comme pour le contrat de transport précédent, le formulaire-type de connaissement de Pacific Link a été intégré par renvoi.

 

[20]           À l’époque en cause, Timberwest, Harwood et Pacific Link étaient au courant que les billes de bois seraient transportées sur le pont de la barge Ocean Oregon. Au début de novembre 2003, les billes de bois ont été chargées sur le pont de l’Ocean Oregon, qui a été remorqué par le Sea Commander lors du transport jusqu’à Eureka. Le 11 novembre 2003, près de 10 000 mètres cubes de billes de bois appartenant à Timberwest, et environ 764 mètres cubes de billes de bois appartenant à Harwood, ont été perdus en mer. Le dossier ne révèle pas la cause du sinistre.

 

[21]           La perte des billes de bois a entraîné pour Timberwest une perte d’environ un million de dollars. L’assureur St. Paul a remboursé à Timberwest la partie non couverte par la franchise. C’est l’assureur St. Paul qui, par l’entremise de Timberwest, a intenté une action subrogatoire contre Pacific Link et les autres intimés.

 

[22]           L’action subrogatoire de St. Paul soulève plusieurs questions. L’une de ces questions est celle de savoir si la clause de renonciation à la subrogation stipulée en faveur de Pacific Link est invalidée par la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, annexe 3 (Règles de La Haye‑Visby). Dans la négative, il y a lieu de se demander si les intimés autres que Pacific Link peuvent bénéficier de la clause de renonciation à la subrogation.

 

[23]           La Cour a scindé les quatre questions qui découlaient de ces questions et a ordonné qu’elles soient tranchées dans le cadre d’une instance préliminaire. Voici ces quatre questions et les réponses du juge Harrington :

a)             Le contrat de transport est‑il régi par les Règles de La Haye-Visby?

Réponse : Le contrat de transport n’est pas régi par les Règles de La Haye-Visby.

b)             La cargaison constituait‑elle des « marchandises » au sens des Règles de La Haye-Visby?

Réponse :   La cargaison ne constitue pas des « marchandises » au sens des Règles de La Haye‑Visby. Bien que le chargement ait été « constaté » par un connaissement, ce connaissement, s’il avait été délivré, aurait stipulé que toute la cargaison était transportée en pontée, ce qui était effectivement le cas.

c)             La clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link contenue dans la police d’assurance de la demanderesse est‑elle devenue nulle, non avenue et sans effet par l’application des Règles de La Haye-Visby?

Réponse :   La clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link contenue dans la police d’assurance de Timberwest n’est pas devenue nulle, non avenue et sans effet par les Règles de La Haye‑Visby. Pacific Link est un tiers bénéficiaire et elle a le droit de se prévaloir de la clause contre St. Paul.

d)             Dans la négative, les défendeurs autres que Pacific Link peuvent‑ils se prévaloir de la clause de renonciation à la subrogation?

Réponse : Les autres défendeurs sont tous les trois bénéficiaires d’une ou de plusieurs clauses de renonciation à l’assurance, et ont également le droit de s’en prévaloir contre St.‑Paul. Ces défendeurs étaient les propriétaires du remorqueur et de la barge, le capitaine du remorqueur, et les membres de l’équipage ou les manutentionnaires travaillant sur la barge. À ce titre, ils étaient tous parties au contrat de transport et bénéficiaient des exonérations et des limitations de responsabilité qui y étaient prévues. D’autre part, ils sont des assurés additionnels bénéficiant d’une renonciation à la subrogation consentie par St. Paul.

Les Règles de La Haye-Visby

[24]           La Cour n’a pas invité l’intimée à faire valoir son point de vue au sujet de l’appel interjeté par Timberwest relativement aux réponses données par le juge Harrington aux trois premières questions. J’expliquerai plus loin pourquoi.

 

[25]           Aux termes de l’article 43 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, les Règles de La Haye-Visby ont force de loi au Canada à l’égard des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article X des Règles de La Haye-Visby. En l’espèce, le contrat de transport tombe sous le coup de l’article X.

 

[26]           L’article III des Règles de La Haye-Visby énumère les obligations des transporteurs et des navires et précise leur responsabilité. La clause 8 de l’article III des Règles de La Haye-Visby limite la capacité des transporteurs et des navires de céder ces obligations par contrat. En voici le texte :

8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou obligations édictés dans le présent article ou atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrivent les présents règles sera nul, non avenue et sans effet.

8. Any clause, covenant or agreement in a contract of carriage relieving the carrier or the ship from liability for loss or damage to or in connection with goods arising from negligence, fault or failure in the duties and obligations provided in this Article or lessening such liability otherwise than as provided in these Rules, shall be null and void and of no effect.

 

[27]           En l’espèce, le contrat de transport, qui comprend le connaissement, renferme des dispositions qui limitent la responsabilité du transporteur quant à la perte de la cargaison. Toutefois, la clause 8 de l’article III rend ces dispositions invalides seulement si la cargaison répond à la définition du terme « marchandises » prévue par les Règles de La Haye-Visby. Voici la définition que l’article I donne du mot « marchandises » :

Dans les présentes règles, les mots suivants sont employés dans le sens précis indiqué ci-dessous :

In these Rules the following expressions have the meanings assigned to them respectively, that is to say,

[…]

[…]

c) « marchandises » comprend : biens, objets, marchandises et articles de nature quelconque, à l’exception des animaux vivants et de la cargaison qui, par le contrat de transport, est déclaré comme mise sur le pont et, en fait, est ainsi transportée […].

(c) “goods” includes goods, wares, merchandise and articles of every kind whatsoever, except live animals and cargo which by the contract of carriage is stated as being carried on deck and is so carried […].

 

[28]           Le juge Harrington a conclu que, en l’espèce, la cargaison de billes de bois ne répondait pas à la définition du terme « marchandises » prévue par la loi, de sorte que la clause 8 de l’article III ne s’appliquait pas de manière à invalider les clauses limitant la responsabilité du transporteur, parce que : 1) la cargaison était en fait transportée en pontée (d’ailleurs, tous les intéressés étaient au courant qu’il n’y avait pas d’autre façon de transporter des billes de bois sur l’Ocean Oregon), et (2) la clause 9 du formulaire-type de connaissement de Pacific Link, qui fait partie du contrat de transport, stipulait : [TRADUCTION] « À moins que le présent connaissement ne fasse expressément mention du contraire, toutes les marchandises sont transportées en pontée ».

 

[29]           L’avocat de Timberwest a soutenu, en appel, que le juge Harrington avait commis une erreur en se fondant sur la clause 9 du formulaire-type de connaissement de Pacific Link, alors qu’il ressortait des modalités types de remorquage que l’on voulait que les Règles de La Haye-Visby s’appliquent. Ces présumées contradictions justifieraient la Cour d’interpréter le contrat de transport contra proferentum, autrement dit, en faveur de Timberwest. Je ne puis retenir cet argument. Il n’existe pas de modalités contractuelles qui contredisent celles suivant lesquelles la cargaison devait être transportée en pontée, car tous les intéressés savaient que les billes seraient nécessairement transportées de cette façon.

 

[30]           La Cour a conclu, après avoir entendu les observations de Timberwest, que le juge Harrington n’avait pas commis d’erreur de droit en concluant que la cargaison de billes de bois ne répondait pas à la définition du terme « marchandises » prévue par les Règles de La Haye-Visby, et que, en conséquence, le contrat de transport n’était pas régi par les Règles de La Haye-Visby, de sorte que la renonciation à la clause de subrogation du contrat d’assurance n’était pas invalidée par les Règles de La Haye-Visby. Voilà qui tranche l’appel pour ce qui est des trois premières questions.

 

Bénéficiaires de la renonciation à la subrogation

[31]           La quatrième question est soulevée parce que l’avocat de Timberwest affirme que, même si les Règles de La Haye-Visby ne s’appliquent pas, les intimés nommément désignées autres que Pacific Link n’ont pas le droit de bénéficier d’une renonciation à la subrogation.

 

[32]           Je souligne, entre parenthèses, que le droit de Pacific Link d’invoquer une renonciation à la subrogation ne fait pas l’objet de la quatrième question parce que l’élément D de l’article III (précité), renferme la disposition suivante : [TRADUCTION] « Incluant la clause de renonciation à la subrogation contre […] Pacific Link Ocean Services Corporation ». Il n’y a aucun doute que Pacific Link a le droit de bénéficier de cette clause parce qu’elle est explicitement nommée.

 

[33]           Si j’ai bien compris la preuve, il est normal, dans un contrat d’assurance maritime, de désigner, dans une clause expresse de renonciation à la subrogation, toutes les personnes contre lesquelles l’assureur sait qu’il ne peut intenter d’action subrogatoire. Il ne s’ensuit pas pour autant que la personne qui n’est pas ainsi désignée ne peut bénéficier d’une renonciation générale à la subrogation, si une telle clause a été stipulée dans le contrat d’assurance. Dans le cas qui nous occupe, on trouve une telle renonciation générale à la subrogation à l’article 19 du contrat d’assurance. L’extrait pertinent de l’article 19 a déjà été cité et est reproduit ici par souci de commodité :

[TRADUCTION]

19. SUBROGATION

Disposition applicable à toutes les sections

Dans la mesure où l’assuré peut avoir renoncé, avant la survenance d’une perte ou d’un dommage, à tout droit d’être indemnisé par une personne physique ou morale (y compris les compagnies de transport) pour toute perte ou dommage causés aux biens désignés par les présentes, les assureurs maritimes renoncent, dans la même mesure, aux droits de subrogation que leur confère le présent contrat. […] 

Disposition applicable à la section III

Il est convenu que, sur règlement de toute réclamation portant sur une perte ou un dommage, les assureurs maritimes sont subrogés à tous les droits conférés à l’assuré en vertu de connaissements, de récépissés d’expédition ou autres contrats et contre tous les tiers jusqu’à concurrence des sommes ainsi payées […] Les assureurs maritimes ne sont subrogés à aucun des droits auxquels l’assuré a expressément renoncé par écrit avant la perte […]

 

[34]           Ainsi que le juge Harrington le souligne, au paragraphe 65 de ses motifs (en s’appuyant sur l’article 81 de la Loi sur l’assurance maritime, 1993, L.C. 22), même sans l’article 19 du contrat d’assurance, St. Paul n’aurait pas plus de droits contre le transporteur que n’en aurait Timberwest.  L’article 19 va toutefois plus loin. Il prévoit une renonciation expresse à la subrogation contre certaines personnes qui répondent à certains critères, en l’occurrence, les personnes contre lesquelles l’assureur (Timberwest) a, avant la survenance de la perte ou du dommage, renoncé à son droit d’être indemnisée. La personne qui répond à ce critère a le droit de bénéficier de la renonciation à la subrogation prévue à l’article 19, qu’elle soit ou non nommée expressément dans une clause distincte de renonciation à la subrogation (bien qu’elle puisse effectivement être nommée, pour plus de certitude).

 

[35]           Quelles sont donc les personnes contre lesquelles Timberwest a renoncé à tout droit d’être indemnisée avant la survenance de la perte? La réponse se trouve dans le connaissement de Pacific Link, qui fait partie du contrat de transport. Ainsi que je l’ai déjà signalé, le formulaire-type de connaissement de Pacific Link prévoit en caractères gras, au recto [TRADUCTION] « TOUTES LES MARCHANDISES SONT TRANSPORTÉES EN PONTÉE AU RISQUE DU CHARGEUR » (voir clause 9 au verso ou en annexe) ». La clause 9 est ainsi libellée :

[TRADUCTION] CARGAISON EN PONTÉE ─ À moins que le présent connaissement ne fasse expressément mention du contraire, toutes les marchandises sont transportées en pontée. Le propriétaire des marchandises transportées en pontée en assume entièrement le risque. En aucun cas, le transporteur ne peut être tenu responsable des pertes ou des dommages causés à la cargaison, peu en importe la cause et notamment même s’ils étaient attribuables à l’état d’innavigabilité ou à la négligence, la grossière négligence, un défaut, une erreur ou une omission du transporteur ou de l’un de ses préposés ou mandataires, y compris notamment de toutes les personnes visées à la clause 14.

 

[36]           La clause 9 doit être interprétée à la lumière des termes qui sont définis au contrat. Selon la définition que l’on trouve dans le formulaire-type de connaissement de Pacific Link, le terme « transporteur » désigne « le navire, son propriétaire, l’exploitant, l’armateur, l’affréteur, le capitaine, les officiers, l’équipage, les manutentionnaires et toute personne visée par le transport des marchandises ». De plus, sont assimilés à un « navire » : [TRADUCTION] « tout remorqueur, toute barge ou tout bâtiment utilisé par le transporteur pour exécuter le contrat ». Il faut également rapprocher la clause 9 de la clause 14, dont voici le libellé :

[TRADUCTION]

14.  BÉNÉFICIAIRES DU CONTRAT. Les employés, agents et entrepreneurs indépendants du transporteur, ainsi que les propriétaires, exploitants, armateurs, affréteurs, capitaines, officiers et membres d’équipage de tout autre navire qui est la propriété d’une société liée ou non, ou dont une telle société assure l’exploitation, les manutentionnaires, débardeurs, exploitants de terminal et toute autre personne employée par le transporteur pour l’exécution de ses travaux ou services sont bénéficiaires du présent connaissement et ont droit à tout moyen de défense, exemption et immunité découlant de l’exonération de responsabilité accordée au transporteur par le présent connaissement et, dans la mesure des présentes dispositions, le transporteur conclut le présent contrat non seulement en son propre nom, mais également en qualité de mandataire et de fiduciaire de chacune des personnes et des sociétés décrites aux présentes, chacune d’elles étant réputée être partie au contrat constaté par le présent connaissement.

 

[37]           Il résulte du rapprochement de toutes ces dispositions que l’Ocean Oregon et le Sea Commander, ainsi que leurs propriétaires respectifs et les employés de leurs propriétaires, répondent à la définition du terme « transporteur » que l’on trouve au contrat, dans la mesure où ils sont concernés par le transport de la cargaison. Comme ils répondent à cette définition, ils ont droit à [TRADUCTION] « tout moyen de défense, exemption et immunité découlant de l’exonération de responsabilité accordée au transporteur par le présent connaissement », ce qui est confirmé par le fait que Pacific Link a conclu le contrat non seulement en son propre nom, mais également [TRADUCTION] « en qualité de mandataire et de fiduciaire de chacune des personnes et des sociétés décrites aux présentes, chacune d’elles étant réputée être partie au contrat constaté par le présent connaissement ».

 

[38]           Il est suffisamment clair que Timberwest a renoncé à son droit de poursuivre tous les intimés nommément désignés pour la perte de la cargaison de billes de bois. À mon avis, cette renonciation les fait tous bénéficier de la renonciation générale à la subrogation stipulée à l’article 19 du contrat d’assurance.

 

[39]           Pour ces motifs, je suis d’accord avec le juge Harrington pour dire que tous les intimés nommément désignés ont le droit de bénéficier de la clause de renonciation à la subrogation.

 

Dispositif

[40]           Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-363-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE HARRINGTON LE 25 JUIN 2008 DANS LE DOSSIER T-1999-04 (2008 CF 801)

 

INTITULÉ :                                                                           Timberwest Forest Corp. c. Pacific Link Ocean Services Corporation et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 27 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 17 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher J. Giaschi

POUR L’APPELANTE

 

David McEwen, c.r.

Fritz Gaerdes

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Giaschi & Margolis

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

Alexander Holburn Beaudin Lang LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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