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Date : 20090429

Dossier : A-291-08

Référence : 2009 CAF 131

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE DÉCARY             

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

NCJ EDUCATIONAL SERVICES LIMITED

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 11 mars 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

 


Date : 20090429

Dossier : A-291-08

Référence : 2009 CAF 131

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE DÉCARY             

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

NCJ EDUCATIONAL SERVICES LIMITED

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DESJARDINS

[1]               Le présent appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, rendue par le juge Archambault (le juge de la Cour de l’impôt), 2008 CCI 300, soulève une fois de plus l’épineuse question de savoir où il faut tracer la ligne de démarcation entre un contrat de louage de services (ou contrat de travail) et un contrat de service (ou contrat d’entreprise).

 

[2]               Il convient, d’entrée de jeu, de nous rappeler les propos tenus en 1977 par l’Office de révision du Code civil dans le Rapport sur le Code civil du Québec (p. 752, chap. VI), au sujet du contrat de travail et du contrat d’entreprise. Au paragraphe 667, les auteurs du rapport signalent ce qui suit :

667       [...] La ligne de démarcation, parfois si ténue, entre ces deux opérations

juridiques, a suscité des difficultés tant en doctrine qu’en jurisprudence.

 

[3]               Dans le cas qui nous occupe, le juge de la Cour de l’impôt a confirmé les décisions du ministre du Revenu national (le ministre) suivant lesquelles les services fournis par sept des travailleurs de l’appelante (également désignés sous l’appellation de tuteurs) au cours des années civiles 2004, 2005 et 2006 constituaient des emplois assurables au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

 

[4]               L’alinéa 5(1)a) de la Loi définit comme suit l’emploi assurable : « emploi exercé [...] aux termes d’un contrat de louage de services [...] exprès ou tacite [...] ». En voici le texte exact :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Non souligné dans l’original.]

5. (1) Subject to subsection (2), insurable employment is

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

[Emphasis added.]

 

[5]               Les appels interjetés devant la Cour canadienne de l’impôt ont été entendus sur preuve commune et selon la procédure informelle.

 

FAITS PERTINENTS

[6]               On trouve un exposé détaillé des faits dans la décision publiée de la Cour canadienne de l’impôt. Pour les besoins du présent appel, nous ne retiendrons que les faits saillants suivants.

 

[7]               L’appelante a été constituée en personne morale le 23 juin 1980. Margaret Jacobs en est l’unique actionnaire et détient toutes les actions avec droit de vote. Selon ses termes, les activités de l’entreprise consistent en des services de tutorat.

 

[8]               Au moment des faits, l’appelante offrait des services éducatifs, notamment des services de tutorat, en recrutant chaque année une vingtaine de tuteurs dans divers domaines d’études. Les clients de l’appelante étaient des parents d’élèves qui fréquentaient l’école primaire ou secondaire, le cégep ou l’université. Les activités de tutorat de l’appelante se déroulaient dans une salle de tutorat située à Westmount, au Québec. Il s’agissait d’une grande salle commerciale qui pouvait accueillir une cinquantaine de personnes.

 

[9]               Il n’y avait pas de contrat écrit entre l’appelante et ses tuteurs.

 

[10]           Les tuteurs étaient payés à l’heure par l’appelante. Ils n’étaient pas tenus d’engager des dépenses pour fournir leurs services, mis à part les frais nécessaires pour se rendre au travail.

 

[11]           Margaret Jacobs a expliqué que, durant l’année scolaire, elle était presque toujours présente dans la salle du tutorat, et ce, sept jours par semaine, du matin jusqu’à la fermeture, c’est-à-dire environ 14 heures par jour, sept jours par semaine. C’est elle qui décidait à quel tuteur un étudiant était assigné. Voici comment elle a décrit une journée de travail typique :

[traduction] Mon rôle est très clair. C’est moi qui dirige l’entreprise, ce qui veut dire que je passe pas mal de temps à recruter des tuteurs. Je consacre une partie de mon temps à communiquer avec les familles et à assurer le suivi des candidatures qui m’ont été recommandées. Je m’occupe de tout le travail administratif consistant à diriger l’entreprise, effectuer les opérations bancaires, répondre aux courriels, ce qui est une tâche énorme et incessante. Nous recevons entre soixante (60) et quatre-vingts (80) appels téléphoniques par jour [...] (dossier d’appel, vol. III, p. 400.)

 

[12]           Mme Jacobs a pris l’initiative de non seulement vérifier les diplômes et attestations des tuteurs, mais également leurs références. Elle exigeait également des tuteurs de sexe masculin qu’ils se conforment à un code vestimentaire.

 

[13]           Les tuteurs appelaient à l’avance pour prévenir l’appelante de leur absence. Il incombait alors à l’appelante de tâcher de leur trouver un remplaçant. Mme Jacobs n’a pas continué à retenir les services des tuteurs qui ne respectaient pas leur horaire de tutorat.

 

[14]           Les tuteurs ont expliqué que, même s’ils estimaient qu’ils n’étaient pas tenus de rédiger des rapports sur les progrès de leurs élèves, ils tenaient néanmoins verbalement l’appelante au courant des progrès de leurs élèves.

 

[15]           Les tuteurs ne facturaient pas les leçons aux parents. C’est l’appelante qui préparait les factures chaque semaine. L’appelante obligeait ses tuteurs à remplir des feuilles de temps détaillées dont elle se servait ensuite pour établir ses factures hebdomadaires.

 

[16]           Les décisions prises par le ministre au sujet des sept travailleurs faisaient suite à une demande de prestations d’assurance-emploi présentée par une des tutrices, Mme Hamdane, à l’été 2005. Aucun autre des travailleurs n’a demandé de prestations d’assurance-emploi.

 

[17]           À la suite de la demande présentée par Mme Hamdane, l’appelante a dit à celle-ci qu’elle était une entrepreneure indépendante et non une employée. On a alors demandé à un agent d’assurabilité de l’Agence du revenu du Canada de décider, en application du paragraphe 90(1) de la Loi, si l’emploi en question était assurable.

 

[18]           Se fiant aux conversations qu’il avait eues avec Mme Hamdane, Mme Jacobs et le comptable de l’appelante, l’agent d’assurabilité a conclu que Mme Hamdane avait effectivement exercé un emploi assurable pour l’appelante au cours de la période allant du 1er novembre 2004 au 16 juin 2005 (dossier d’appel, vol. II, aux p. 249 à 267). L’appelante a porté la décision en appel devant le ministre conformément à l’article 91 de la Loi.

 

[19]           Par la suite, un autre agent d’assurabilité a jugé que les six autres tuteurs avaient eux aussi exercé un emploi assurable auprès de l’appelante au cours des périodes en cause. L’appelante a de nouveau porté la décision en appel devant le ministre en application de l’article 91 de la Loi.

 

[20]           Le ministre a rendu le 28 mars 2007 des décisions au sujet de tous les travailleurs conformément au paragraphe 93(3) de la Loi. Il a estimé que les sept travailleurs exerçaient un emploi assurable aux époques en cause (dossier d’appel, vol. I, p. 39, 45, 50, 55, 60, 65 et 70).

 

[21]           L’appelante a interjeté appel des décisions du ministre à la Cour canadienne de l’impôt en vertu de l’article 103 de la Loi.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[22]           L’article 2085 du Code civil du Québec, 1991, ch. 64 (le Code) définit comme suit le contrat de travail :

2085.  Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

[Non souligné dans l’original.]

2085.  A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

[Emphasis added.]

 

[23]           Les articles 2098 et 2099 du Code définissent comme suit le contrat d’entreprise ou de service :

2098.  Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

 

2099.  L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

2098.  A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or to provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

 

 

2099.  The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

[Emphasis added.]

 

[24]           À titre comparatif, les extraits pertinents de l’alinéa 1665a) et des articles 1666.1 et 1667 du Code civil du Bas-Canada étaient ainsi libellés :

1665a)

Le louage d’ouvrage est un contrat par lequel le locateur s’engage à faire quelque chose pour le locataire moyennant un prix.

 

[...]

 

1666

Les principales espèces d’ouvrage qui peuvent être louées, sont :

 

1.  Le service personnel des ouvriers, domestiques et autres ;

 

[...]

 

3.  Celui des constructeurs et autres entrepreneurs de travaux suivant devis et marchés.

 

1667

Le contrat de louage de service personnel ne peut être que pour un temps limité, ou pour une entreprise déterminée.

 

Il peut être continué par tacite reconduction.

 

[...]

1665(a)

The lease and hire of work is a contract by which the lessor undertakes to do something for the lessee for a price.

 

...

 

1666

The principal kinds of work which may be leased or hired are:

 

1. The personal services of workmen, servants and others;

 

...

 

3.  That of builders and others, who undertake works by estimate or contract.

 

1667

The contract or lease or hire of personal service can only be for a limited term, or for a determinate undertaking.

 

It may be prolonged by tacit renewal.

 

 

...

 

 

JUGEMENT DE LA COUR DE L’IMPÔT

[25]           Le juge de la Cour de l’impôt a commencé par expliquer les différences entre la common law et le droit civil au sujet du contrat de travail. Il a expliqué qu’en droit civil, « la question centrale est de savoir s’il existe un lien de subordination, à savoir un pouvoir de contrôle ou de direction » (paragraphe 25 de ses motifs, citant le paragraphe 23 de sa décision dans l’affaire Michel Grimard c. La Reine, 2007 CCI 755, confirmée par notre Cour à 2009 CAF 47).

 

[26]           Le juge de la Cour de l’impôt a fait observer qu’il n’y avait pas de contrats écrits en l’espèce, de sorte qu’il était plus difficile de découvrir ce qui avait été convenu entre l’appelante et ses travailleurs, et encore plus difficile de déterminer le type de contrat qui avait été établi. Il a ajouté que, même si les deux parties avaient eu l’intention manifeste de conclure un contrat de service plutôt qu’un contrat de travail, la Cour avait le devoir de vérifier si le nom donné au contrat par les parties correspondait à la réalité.

 

[27]           Il a poursuivi en se demandant si l’appelante avait la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur le travail effectué par ses tuteurs. Il a estimé que l’on pouvait déduire cette faculté à la lumière des preuves directes et des preuves circonstancielles. Il a examiné ce qu’il a appelé les [traduction] « indices d’intégration » des services des travailleurs dans le fonctionnement de l’entreprise de l’appelante, à savoir la nature des services offerts, les locaux où les services étaient dispensés, la personne qui avait la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur le travail des tuteurs et la façon dont cette faculté était exercée, la nature de l’entreprise dans son ensemble et la préparation des factures. Il a fait allusion dans une moindre mesure à la question de la propriété des outils de travail. Voici l’essentiel de ces conclusions :

34     Malgré le fait qu’en l’espèce, contrairement à la situation dans Teach & Embrace, les tuteurs n’avaient pas l’obligation de faire des rapports écrits ou oraux quant aux progrès de leurs élèves, le fait est que Mme Jacobs se trouvait sur le lieu de travail la plupart du temps et qu’elle recevait des rapports oraux relativement aux progrès des élèves. Ce fait a à la fois été confirmé par Mme Jacobs et par tous les travailleurs qui ont témoigné dans les présents appels. Je ne peux pas concevoir que la propriétaire de NCJ n’ait pas accordé un grand intérêt à la qualité des services que sa société offrait à ses clients. Une entreprise ne peut pas survivre bien longtemps sans accorder d’importance à la qualité de ses services et à la satisfaction de ses clients. Mme Jacobs avait donc intérêt à exercer un contrôle.

 

[...]

 

36     En fin de compte, pour reprendre la formule utilisée dans Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (M.R.N.), 2002 CAF 144, [2002] A.C.F. no 572 (QL) et dans Gallant, précité, la question est de savoir si NCJ avait la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur le travail effectué par ses tuteurs. Je crois que l’on peut déduire que cette faculté existait non seulement à la lumière des preuves directes mentionnées ci‑dessus, mais aussi à  la lumière des preuves circonstancielles mentionnées ci‑dessous. Il existe plusieurs « indices d’encadrement » (pour reprendre les mots de Robert Gagnon, cité ci‑dessus) et plusieurs [traduction] « indices d’intégration » (pour [employer] mes propres mots) des services des travailleurs dans le fonctionnement de l’entreprise de NCJ. D’abord, il est important de comprendre que l’entreprise exploitée par NCJ consiste en la fourniture de services de tutorat aux enfants des parents qui constituent sa clientèle. Il est manifeste que les élèves et leurs parents sont les clients de NCJ, et non pas des tuteurs. Pour pouvoir fournir ses services de tutorat, NCJ doit faire appel à des tuteurs. Contrairement à ce que Mme Jacobs a affirmé, l’entreprise de NCJ ne consiste pas simplement à assigner des élèves à des tuteurs. Les tuteurs ne communiquent pas avec les clients de NCJ, à savoir les parents. Les tuteurs ne connaissent pas les adresses et les numéros de téléphone des parents. Comme l’a dit Mme Cooper, il se peut qu’un tuteur ne sache même pas pourquoi un élève cesse de se présenter à ses séances de tutorat. C’est Mme Jacobs qui traite avec les clients.

 

[37]   Un autre indice qui porte fortement à croire qu’il y avait intégration, de même que contrôle ou direction du travail des tuteurs, est le fait que les tuteurs fournissaient leurs services dans les locaux de NCJ et que, la plupart du temps, Mme Jacobs s’y trouvait. Bien que les tuteurs étaient libres d’utiliser leur propre matériel, NCJ leur donnait accès à une bibliothèque et à Internet. Les tuteurs n’étaient pas tenus d’engager des dépenses pour fournir leurs services de tutorat, mis à part les frais nécessaires pour se rendre à la salle de tutorat, mais tous les enseignants salariés employés par les commissions scolaires du Québec et du reste du Canada doivent payer les frais nécessaires pour se rendre aux établissements où ils enseignent.

 

[38]   Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que NCJ avait un pouvoir de direction ou de contrôle sur ses tuteurs; il s’agit d’un pouvoir qu’elle devait avoir pour exploiter son entreprise avec succès depuis 1980. L’entreprise de NCJ ne consistait pas simplement en des activités de recrutement, c’est-à-dire d’essayer de trouver les employés voulus pour un employeur donné, ni en la fourniture des services d’un bassin de tuteurs à d’autres employeurs. L’entreprise de NCJ consistait à offrir directement des services de tutorat à ses élèves. Je n’arrive pas à croire que Mme Jacobs, en exploitant son entreprise de 1980 jusqu’à aujourd’hui, n’a jamais eu de problèmes avec la façon dont ses tuteurs fournissaient leurs services. Par conséquent, le témoignage de Mme Jacobs selon lequel le rôle de NCJ se limitait à assigner l’élève à un tuteur ne m’a pas convaincu.

 

[39]   En l’espèce, l’activité qui est en cause n’est pas un service simple et limité qui n’exige que très peu de supervision, comme la livraison de colis ou de véhicules comme c’était le cas dans D & J Driveway Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2003 CAF 453, [2003] A.C.F. n1784 (QL), et dans Sauvageau Pontiac Buick GMC Ltée c. Canada (ministre du Revenu national ), [1996] A.C.I. no 1383 (QL).

 

[40]   En l’espèce, l’objet principal des activités de NCJ était de fournir des services de tutorat durant l’année scolaire, sept jours sur sept, de 9 h à 22 h, ce qui nécessitait la présence de Mme Jacobs sur les lieux de 9 h à 21 h. Je crois que la supervision que Mme Jacobs exerçait sur ses tuteurs était plus importante qu’elle ne l’a prétendu. Le fait que Mme Jacobs ait exercé ce pouvoir discrètement ne veut pas dire qu’elle ne l’a pas exercé. Dans les circonstances en cause, je suis convaincu que si Mme Jacobs avait été confrontée à un problème, elle aurait eu la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur ses tuteurs. Mme Jacobs l’a elle-même admis lorsqu’elle s’est fait demander comment elle aurait réagi si elle avait remarqué un comportement (sexuel) déplacé. De plus, si un tuteur n’avait pas suivi les suggestions de Mme Jacobs, cette dernière aurait pu soit diminuer la charge de travail de ce tuteur en assignant un de ses élèves à un autre tuteur, soit cesser de faire appel à ce tuteur‑là.

 

[41]   De surcroît, et bien qu’il s’agisse là d’un point ayant très peu d’importance, je n’ai jamais entendu parler d’entrepreneurs qui demandent à leurs clients de préparer leurs factures pour eux.

 

[42]   Pour tous ces motifs, je conclus que NCJ n’a pas su convaincre la Cour qu’elle n’avait pas la faculté d’exercer un contrôle ou une direction sur le travail des sept travailleurs durant les diverses périodes pertinentes. Comme il existait un lien de subordination entre les sept travailleurs et NCJ, les contrats qu’ils avaient conclus ne pouvaient pas être des contrats de service (voir l’article 2099 du Code civil du Québec). À mon avis, NCJ a engagé chacun des travailleurs comme employé.

 

[43]   Les appels interjetés par NCJ sont rejetés.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[28]           L’appelante reproche trois erreurs au juge de la Cour de l’impôt :

1.  Elle soutient que les interventions excessives du juge de la Cour de l’impôt et le long contre-interrogatoire auquel il a soumis les témoins de l’appelante suscitent une crainte raisonnable de partialité en plus de constituer un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

2.  Elle soutient que le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait, pour décider que l’appelante exerçait un contrôle sur les travailleurs en question.

 

3.  Elle soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en appliquant fautivement les principes juridiques pertinents qui régissent la décision de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant.

 

ANALYSE

1.  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a-t-il omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter?

 

[29]           L’avocat de l’appelante soutient que le juge de la Cour de l’impôt a interrompu l’interrogatoire principal de sa cliente, Margaret Jacobs, en lui posant des questions clés, qui étaient souvent des questions suggestives, au sujet du critère du lien de subordination. Il affirme qu’il ne s’agissait pas de questions visant à obtenir des éclaircissements, mais de questions qui portaient sur le nœud du litige. Les questions 219, 220 et 221 (dossier d’appel, volume III, p. 404 et 405) ont en particulier été portées à notre attention :

[traduction]

[219]    Q. Et que faites-vous lorsqu’un de vos tuteurs n’est pas disponible? Est-ce que vous le remplacez par un autre tuteur ou une autre tutrice ou est-ce que vous changez seulement son horaire?

 

            R.   Eh bien, je fais les deux. S’il y a par hasard un autre tuteur qui est disponible parce que ce n’est pas encore l’heure de sa leçon, je lui demande s’il est prêt à prendre la relève pour la leçon et, s’il répond « oui », je procède au replacement et...

 

[220]     Q.  Il n’est pas important que le même tuteur rencontre toujours les mêmes élèves?

 

              R.  Non.

 

[221]     Q.  Non. En temps normal, est-ce une relation de longue durée ou seulement une relation pour une courte période de temps?

 

            R.  Avec qui? Les tuteurs...

 

 

[30]           L’appelante affirme que, de toute évidence, le juge de la Cour de l’impôt, dont le rôle consiste à écouter les témoignages, avait en fait une idée derrière la tête en posant ces questions.

 

[31]           L’appelant signale qu’à une autre occasion, le juge de la Cour de l’impôt est intervenu au beau milieu d’une série de questions que l’appelante posait au tuteur Shawn Weiland lors de l’interrogatoire principal de ce dernier (dossier d’appel, vol. III, p. 506, 510, 516 et 521).

 

[32]           L’appelante soutient que la même chose est arrivée au cours de l’interrogatoire d’Ellen Cooper. Cette fois‑ci, après le contre-interrogatoire d’Ellen Cooper, le juge de la Cour de l’impôt a pris le contrôle de l’interrogatoire et a posé une série de questions qui s’apparentaient à un contre-interrogatoire. Voici ce qu’on trouve dans le procès-verbal de l’audience (dossier d’appel, volume III, p. 563, questions 1096 à 1105) :

INTERROGÉ PAR LA COUR

 

[1096]   Q. Ainsi donc, pour résumer vos réponses. Est-ce que vous vous souvenez oui ou non d’avoir fourni certains renseignements au sujet des rapports? Vous rappelez-vous avoir discuté des rapports avec M. Hyland?

 

            R.  Les rapports sur les progrès de mes étudiants?

 

[1097]   Q.   Oui.

 

            R.   Je crois me souvenir de cette question et je sais ce que j’aurais répondu, et ma réponse n’aurait pas été juste.

 

[1098]   Q.  Celle-là?

 

            R.  C’est exact.

 

[1099]   Q.  Donc, vous vous souvenez d’avoir discuté de la chose et vous êtes complètement en désaccord avec ...

 

            R.   Oui, c’est faux.

 

[1100]   Q.  ... cela ne correspond pas à votre compréhension actuelle et au moment où vous avez répondu.

 

            R.  Ça ne correspond pas à la réalité.

 

[1101]   Q. Oui. Parce qu’ici, il est indiqué que ... vous avez répondu « oui », que vous aviez fourni des rapports à Mme Jacobs et vous n’êtes pas d’accord avec cela?

 

            R. Je ne suis pas d’accord... expliquer pourquoi... Est-ce que je peux expliquer pourquoi je ne suis pas d’accord?

 

[1102]   Q. Vous n’étiez pas obligée?

 

            R. Je n’étais pas obligée de...

 

[1103]   Q. Mais vous avez effectivement communiqué spontanément certains renseignements. C’est bien ce que vous avez déjà dit.

 

            R. J’ai communiqué spontanément des renseignements, mais seulement de vive voix, c’est exactement comme je l’ai dit, c’est tout.

 

[1104]   Q. Oui. Alors, on peut supposer que, avez-vous déjà fourni des rapports écrits?

 

            R. Non, je n’en ai jamais fournis.

 

[1105]   Q. Vous n’avez jamais fait de rapports écrits.

 

            R. Non, pendant toutes les années que j’ai passées là-bas.

 

[33]           L’avocat de l’appelante admet que le juge de la Cour de l’impôt a reconnu les problèmes que soulevait cette série de questions à la question 1106 :

[traduction]

[1106]   Q. Oui.

            D’accord. Donc, c’est clair. C’est ça le problème avec les questions suggestives. La question contient beaucoup de mots et le témoin ne s’attarde pas nécessairement au mot « obligée » et c’est probablement ce qui s’est produit ici. La question était la suivante : « Était-elle obligée? » Le témoin a répondu : « oui », mais elle ne s’est peut-être pas attardée au mot « obligée ». Êtes-vous d’accord?

 

Me STÉPHANE ELJARRAT : C’est de la spéculation, Monsieur le juge, mais je ne comprends pas ...

 

LE JUGE : Oui, c’est de la spéculation, bien sûr, nous n’étions pas là lorsque cela s’est passé, mais ...

 

Me STÉPANE ELJARRAT : Mais ce que je peux dire, Monsieur le juge, sur la question, c’est qu’il est curieux de constater que dans les rapports qui ont été tapés, on constate que certains faits sont exposés de la même manière, alors que l’on sait que les personnes ne parlent pas de la même façon.

 

LE JUGE : Um-hum.

 

Me STÉPANE ELJARRAT : Mais cela étant dit, je n’ai pas compris l’expression que vous avez employée, est-ce que vous faisiez allusion à la personne qui posait des questions suggestives?

 

LE JUGE : Ce que je dis, c’est qu’en général, lorsqu’on pose une question suggestive, on emploie des mots que la personne qui répond par oui ou par non ne comprend peut-être pas bien.

 

Me STÉPANE ELJARRAT : Non, bien sûr, c’est la raison pour laquelle c’est une bonne chose d’obtenir de plus amples explications.

 

LE JUGE : Oui. C’est pourquoi il est toujours préférable de poser une question ouverte pour ne pas suggérer la réponse. Et c’est peut-être ce qui est arrivé avec l’agent lorsqu’il a posé la question.

D’accord. D’autres questions?

 

Me NADIA GOLMIER : Non.

 

LE JUGE : Voilà donc pour vos questions. D’accord.

            Dans le questionnaire, le même questionnaire et je parle de celui qui correspond à la conversation que vous avez eue, on trouve ce qui suit :

                       

                        Est-ce que la personne qui payait, Mme Jacobs, supervisait votre travail?

Et on trouve comme réponse :

                        Oui.

 

Et :

                        Si la réponse est oui, de quelle manière?

 

                        Mme Jacobs est présente en personne.

 

Êtes-vous d’accord ou non avec ce compte rendu pour ce qui est de cette question précise?

 

            R.  Mme Jacobs ne supervise jamais mon travail, n’est jamais présente pour vérifier comment se déroule ma leçon. Je ne suis pas en désaccord avec cela, elle peut être présente dans la salle de son propre...

 

[34]           Le juge de la Cour de l’impôt a poursuivi son interrogatoire de Mme Cooper jusqu’à la question 1143. Il a alors invité l’appelante à réinterroger son témoin.

 

[35]           L’appelante affirme que le juge de la Cour de l’impôt s’est par la suite servi des réponses défavorables au paragraphe 26 de ses motifs du jugement :

[...] [Mme Jacobs] a aussi témoigné qu’elle négociait les salaires en demandant aux tuteurs de lui dire combien ils voulaient gagner. Cependant, Mme Cooper est venue contredire Mme Jacobs sur ce point en disant qu’elle avait simplement accepté l’offre salariale que Mme Jacobs lui avait faite. Les déclarations de Mme Jacobs semblent donc ne pas nécessairement refléter ce qui s’est passé durant les périodes en cause, et elles ne sont donc pas complètement fiables.

[Non souligné dans l’original.]

 

[36]            À une autre occasion au cours du contre-interrogatoire par l’appelante d’Assia Hamdane, témoin de l’intimé, le juge de la Cour de l’impôt a interrompu les avocats pour interroger activement le témoin (dossier d’appel, volume IV, p. 720 à 722).

 

[37]           L’appelante affirme que le juge de la Cour de l’impôt a même soulevé de son propre chef des questions qui n’avaient pas été soumises par les parties. Au cours du long interrogatoire que la Cour a fait subir à Mme Jacobs, à la fin du contre-interrogatoire de celle-ci par Me Golmier, le juge de la Cour de l’impôt a posé des questions au sujet de la possible inconduite des tuteurs et de l’assurance-responsabilité (dossier d’appel, volume III, p. 456) :

[traduction]

[540]    Q. Vous avez dit qu’il n’y a pas de code de déontologie, mais que si vous voyiez un de vos tuteurs poser la main sur le genou d’un élève...

            R.  J’interviendrais, Monsieur le juge.

 

[541]    Q.  Vous interviendriez?

            R.  Oui, Monsieur le juge, je le ferais.

 

[542]    Q.  Et avez-vous une assurance-responsabilité pour protéger votre entreprise si vous faites l’objet d’une poursuite?

            R.  Contre le tuteur?

 

[38]           Il importe de se rappeler que l’instance introduite devant la Cour de l’impôt se déroulait selon la procédure informelle. Aux termes du paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T- 2, le juge de la Cour de l’impôt a toute latitude pour écarter les règles habituelles de preuve et est autorisé à instruire les appels d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent. Le paragraphe 18.15(3) de la Loi est ainsi libellé :

18.15(3) Par dérogation à la loi habilitante, la Cour n’est pas liée par les règles de preuve lors de l’audition de tels appels; ceux-ci sont entendus d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent.

 

[Non souligné dans l’original.]

18.15(3) Notwithstanding the provisions of the Act under which the appeal arises, the Court is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting a hearing and the appeal shall be dealt with by the Court as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness permit.

[Emphasis added.]

 

[39]           Dans l’arrêt Kenneth James c. Sa Majesté la Reine, [2001] D.T.C. 5075 (C.A.F.) (l’arrêt Kenneth James), notre Cour a jugé, aux paragraphes 51, 52 et 53, que le critère applicable dans les cas où une crainte raisonnable de partialité est soulevée est le suivant :

[51] Les principes applicables ne sont pas contestés. Ils sont bien établis comme l’indiquent les affaires suivantes : Yuill v. Yuill, [1945] 1 All E.R. 183 (C.A.), Jones v. National Coal Board, [1957] 2 All E.R. 155 (C.A.), Majcenic v. Natale, [1968] 1 O.R. 189 (C.A.); R. c. Brouillard, [1985] 1 R.C.S. 39, Rajaratnam c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991), 135 N.R. 300, [1991] F.C.J. No. 1271 (C.A.F.) (QL); Sorger v. Bank of Nova Scotia, (1998), 39 O.R. (3d) 1, 160 D.L.R. (4th) 66 (C.A.).

 

[52]   En règle générale, un juge peut poser des questions aux témoins pour préciser certaines choses ou obtenir des détails mais il ne doit pas intervenir dans l’interrogatoire des témoins au point de donner l’impression qu’il agit comme un avocat. Un juge qui se comporterait ainsi donnerait automatiquement l’impression qu’il a adopté une position contraire à l’une des parties. Cela compromettrait l’apparence d’impartialité qui est essentielle si l’on veut que justice soit non seulement faite mais qu’elle paraisse l’être. Une telle attitude risque également de nuire au travail des avocats.

[53]      Il y a lieu d’examiner dans le contexte de l’instance, prise globalement, l’allégation selon laquelle le juge serait intervenu de façon irrégulière au cours de l’interrogatoire des témoins. L’objectif recherché n’est pas d’apprécier les motifs ou les intentions à l’origine de ces interventions. Il s’agit plutôt de déterminer si ces interventions amèneraient un observateur raisonnable et bien informé à craindre que l’attitude du juge de première instance empêche celui-ci d’examiner les faits de façon juste et impartiale : Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369. Si le tribunal constate que certaines interventions ont eu cet effet, la seule réparation possible est de renvoyer l’affaire pour un nouveau procès.

[Non souligné dans l’original.]

 

[40]           On trouve les indications suivantes au sujet de l’intervention judiciaire dans l’ouvrage « A Book for Judges » que l’honorable J.O. Wilson a écrit à la demande du Conseil canadien de la magistrature (Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1980) (p. 44) :

[traduction] [...] Il n’est pas interdit d’intervenir, seulement d’intervenir de manière excessive. Comme le disait Edmund Burke, « le juge n’occupe pas ce poste prestigieux pour n’être que le simple arbitre des parties. Il a aussi un autre devoir, indépendant du premier, d’établir la vérité ».

 

[41]           En ce qui concerne les questions que le juge peut poser aux témoins, l’auteur déclare ce qui suit (à la page 45) :

[traduction] En principe, le juge devrait laisser les avocats mener l’interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins sans les interrompre. S’il estime qu’ils ont omis de traiter d’une question essentielle, le juge ne doit pas conclure trop rapidement que cette question ne sera pas posée plus tard. En principe, il devrait attendre que tous les avocats aient terminé leur interrogatoire avec de poser ses propres questions au témoin. Il ne fait cependant aucun doute qu’il a le droit, et même le devoir, de chercher à connaître la vérité au sujet de faits qui se rapportent au litige et qui ont été laissés en suspens en raison de l’omission des avocats de poser les questions légitimes qui s’imposaient.

 

 

[42]           Aux pages 46 et 47 du même ouvrage, l’auteur s’inspire des paroles de sagesse proposées par le maître des rôles Greene dans l’arrêt Yuill c. Yuill, [1945] 1 All E. R. 183 (à la p. 185) :

[traduction] Il va sans dire qu’un juge a le pouvoir, voire le devoir, de poser des questions en vue d’obtenir des éclaircissements sur une réponse obscure ou lorsqu’il estime que le témoin a mal compris une question que lui a adressée l’avocat. Si, de l’avis du juge, il subsiste des doutes sur certains points ou s’il croit que certaines questions auraient dû être posées, il peut, bien sûr, voir lui-même à combler la lacune. Or, selon moi, il vaut mieux, en règle générale, que cela se fasse au moment où l’avocat a terminé son interrogatoire ou lorsqu’il est sur le point d’aborder un nouveau sujet. On ne doit jamais perdre de vue que le juge ignore la teneur du mémoire de l’avocat et n’a pas les mêmes possibilités que l’avocat de mener un interrogatoire principal ou un contre-interrogatoire efficaces. Au cours du contre-interrogatoire, par exemple, un avocat expérimenté verra tout aussi clairement que le juge l’importance capitale de telle question. Mais il appartient à l’avocat de décider à quel moment il la posera et toute la force du contre-interrogatoire peut être anéantie si le juge, dans son désir de venir à ce qui lui semble être le point fondamental, pose prématurément la question.

 

 

[43]           Dans le cas qui nous occupe, il ressort de la transcription que le juge de la Cour de l’impôt est à plusieurs reprises intervenu de façon excessive et indûment acharnée. Il savait, tout comme l’appelante que la ligne de démarcation à tracer pour trancher le litige était ténue et qu’on ne pouvait la tracer que si tous les faits étaient présentés. Le sujet en litige était important et il se peut que le juge de la Cour de l’impôt ait voulu s’assurer qu’aucune piste ne soit négligée.

 

[44]           Ses interventions s’écartaient souvent des lignes directrices proposées dans le manuel rédigé à l’intention des juges. Je constate toutefois que le juge de la Cour de l’impôt a pris soin, à l’occasion, au terme de son propre interrogatoire, d’accorder aux avocats la possibilité de réinterroger les témoins qu’il venait d’interroger.

 

[45]           Malgré le fait que ses interventions étaient souvent inopportunes et excessives, je ne puis conclure que le juge de la Cour de l’impôt a franchi la limite permise de sorte que ces interventions amèneraient un observateur raisonnable et bien informé à craindre que l’attitude du juge l’a empêché d’examiner les faits de façon juste et impartiale (voir l’arrêt Kenneth James, précité) ou encore qu’il avait perdu son impartialité (voir l’arrêt Morley c. Canada, 2006 CAF 171, aux paragraphes 3, 5, 6, 7 et 8).

 

[46]           J’écarterais donc l’argument de l’appelante selon lequel la conduite du juge de la Cour de l’impôt soulève une crainte raisonnable de partialité.

 

2.  Le juge de la Cour de l’impôt s’est-il fondé sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait, pour décider que l’appelante exerçait un contrôle sur les travailleurs en question?

 

[47]           L’appelante a attiré notre attention sur les conclusions de fait du juge de la Cour de l’impôt qui, selon elle, ont été tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait.

 

[48]           Elle ne m’a pas convaincue que les exemples cités justifient l’intervention de notre Cour.

 

3. Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur de droit en statuant que le facteur essentiel pour établir la distinction entre un contrat de travail et un contrat de service aux termes du Code civil du Québec était le contrôle ou la subordination?

 

[49]           Comme l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi ne contient aucune définition du contrat de louage de services, on doit se référer au principe de complémentarité consacré à l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-2, qui indique qu’il faut appliquer les critères prévus par le Code civil du Québec pour décider si un ensemble de faits déterminé crée un contrat de travail. L’article 8.1 dispose :

 

RÈGLES D’INTERPRÉTATION

Propriété et droits civils

Tradition bijuridique et application du droit provincial

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

RULES OF CONSTRUCTION

Property and Civil Rights

Duality of legal traditions and application of provincial law

8.1 Both the common law and the civil law are equally authoritative and recognized sources of the law of property and civil rights in Canada and, unless otherwise provided by law, if in interpreting an enactment it is necessary to refer to a province’s rules, principles or concepts forming part of the law of property and civil rights, reference must be made to the rules, principles and concepts in force in the province at the time the enactment is being applied.

 

 

[50]            Il faut donc recourir aux articles 2085, 2098 et 2099 du Code civil du Québec.

 

[51]           Aux termes de l’article 2085 du Code civil du Québec, le contrat de travail se caractérise par les trois éléments suivants :

1.                  l’exécution d’un travail;

2.                  la rémunération;

3.                  la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

[52]           En revanche, l’article 2099, qui définit avec l’article 2098 le contrat d’entreprise ou de service, indique dans les termes les plus nets que, dans le cas d’un contrat d’entreprise, « il n’existe entre [le prestataire de services] et le client aucun lien de subordination ».

 

[53]           Dans l’arrêt 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), 2005 CAF 334, le juge Décary explique, au nom de la Cour, au paragraphe 12 de ses motifs :

[...] en droit civil québécois, la définition même du contrat de travail met l’accent sur « la direction ou le contrôle » (art. 2085 C.c.Q.), ce qui fait du contrôle l’objet même de l’exercice [...].

 

[54]           Ce critère précis avait déjà été consacré par la jurisprudence relative au Code civil du Bas-Canada, malgré le fait qu’il n’était pas expressément énoncé dans le texte des alinéas 1665a)et ff) de ce Code.

 

[55]           Dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553, notre Cour a souligné l’importance du critère du contrôle tant selon les règles du droit civil qui existaient à l’époque (le Code civil du Bas-Canada) que sous le régime de la common law traditionnelle. Voici ce que la Cour a déclaré au paragraphe 6 et à la note infrapaginale 1 :

6     En common law, le critère traditionnel qui confirme l’existence d’une relation employeur-employé est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a défini dans Regina. v. Walker, (1858), 27 L.J.M.C. 207, à la page 208 :

    

[traduction] « À mon sens, la différence entre une relation commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante : -- un mandant a le droit d’indiquer au mandataire ce qu’il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.

 

Ce critère est tout aussi important aujourd’hui, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’affaire Hôpital Notre-Dame de l’Espérance et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, en souscrivant à l’énoncé suivant, à la page 613) : « le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail »1.

______________________

1 Même s’il s’agit d’une affaire de droit civil, la Cour estime qu’en l’espèce, les règles du droit à cet égard sont identiques à celles de la common law.               

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[56]           On trouve un survol historique du concept de la subordination selon le Code civil du Québec dans l’ouvrage de Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec. Cet auteur, maintenant décédé, est souvent cité par notre Cour (Wolf c. La Reine, [2002] 4 C.F. 396, le juge Décary, 9041-6868 Québec Inc., paragraphe 12; Michel Grimard c. La Reine, 2009 CAF 47, paragraphe 36). Le survol historique qu’il dresse ressemble de façon frappante au récit de l’évolution des règles de droit applicable en common law (voir lord Wright dans l’arrêt Montreal (City) c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.) aux pages 169 et 170 (l’arrêt Montreal Locomotive Works).

 

[57]           La difficulté que soulève l’application du concept de la subordination à l’époque moderne est bien expliquée par Marie-France Bich dans son ouvrage Le Contrat de travail, Code civil du Québec, chapitre septième, articles 2085-2097, C.c.Q.) La Réforme du Code civil, Obligations, contrats nommés, 1983, Les Presses de l’Université Laval, p. 752.

 

[58]           Bien que le critère du contrôle et la présence ou l’absence de lien de subordination constituent les éléments caractéristiques du contrat de travail, la multiplication des situations factuelles a contraint les tribunaux à élaborer des indices d’analyse dans leur recherche de la véritable nature d’une relation déterminée.

 

[59]           Dans l’édition la plus récente de l’ouvrage de Robert Gagnon (6e édition, mise à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche), les indices suivants (ci-après soulignés) ont été ajoutés à ceux que l’on trouvait dans la 5édition. Ces nouveaux indices sont les mêmes que ceux qui avaient été élaborés dans l’arrêt Montreal Locomotive Works et que notre Cour avait appliqués dans l’arrêt Wiebe Door.

92 – Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C. ; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[60]           Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il mal appliqué la loi?

 

[61]           L’appelante reproche au juge de la Cour de l’impôt de s’être attaché exclusivement au critère du contrôle de sorte que tout indice de subordination ou de contrôle, aussi minuscule ou insignifiant qu’il puisse être, l’amenait automatiquement à conclure à un contrat de travail. Le juge de la Cour de l’impôt a oublié, soutient l’appelante, que le chef d’une entreprise a tout intérêt à ce que son entreprise réussisse. Pourtant, les propos que le juge de la Cour de l’impôt a tenus au paragraphe 34 de ses motifs ne laissent aucune place à quelque type de relation de contrat de service par opposition à une relation employeur-employé :

[...] Une entreprise ne peut pas survivre bien longtemps sans accorder d’importance à la qualité de ses services et à la satisfaction de ses clients. Mme Jacobs avait donc intérêt à exercer un contrôle.

 

[62]           L’appelante prétend que cette affirmation va à l’encontre des décisions dans lesquelles notre Cour a expliqué qu’il ne faut pas confondre le contrôle du résultat et le contrôle du travailleur (Jaillet c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2002 CAF 394, paragraphe 10; D & J. Driveway Inc. c .Canada (Ministre du Revenu national -  M.R.N.), 2003 CAF 453, paragraphes 9 et 10).

 

[63]           Il est vrai que le juge de la Cour de l’impôt a surtout tenu compte du facteur du contrôle et du « pouvoir de contrôle » au sens où cette expression a été appliquée dans les arrêts Gallant c. Canada (Ministre du Revenu national) (CAF), [1986] A.C.F. n330, et Groupe Desmarais Pinsonneault et Arard Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2002 CAF 144.

 

[64]           Le juge de la Cour de l’impôt a écrit, au paragraphe 29, que « la preuve ne révèle pas que NCJ a exercé beaucoup de gestes de direction ou de contrôle sur le travail des tuteurs. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il n’y en a pas eu ».

 

[65]           Résumant les éléments de preuve directs, le juge de la Cour de l’impôt a signalé que la plaignante, Mme Hamdane, a témoigné qu’elle avait reçu des instructions relativement au travail qu’elle devait effectuer. Elle travaillait jusqu’à ce que Mme Jacobs lui dise qu’elle pouvait partir. La plupart du temps, Mme Jacobs était présente lorsque les séances de tutorat avaient lieu; elle pouvait donc superviser ce qui se passait dans la salle de tutorat. Mme Jacobs a reconnu que si elle avait vu un de ses tuteurs agir de façon déplacée, par exemple, en posant la main sur le genou d’un élève, elle serait immédiatement intervenue pour rappeler ce tuteur à l’ordre. Mme Jacobs exerçait aussi son pouvoir de direction ou de contrôle sur le travail effectué par ses tuteurs en imposant un code vestimentaire aux tuteurs de sexe masculin.

 

[66]           Le juge de la Cour de l’impôt a fait observer que Mme Jacobs exerçait une direction ou un contrôle en assignant les élèves aux tuteurs, en réassignant les élèves si leur tuteur était absent pour cause de maladie et en donnant des instructions aux tuteurs quant à la durée des séances de tutorat. Lorsqu’un tuteur ne pouvait pas se présenter à une séance de tutorat, il appelait NCJ et non pas son élève. C’est M me Jacobs qui se chargeait de trouver un remplaçant. Comme cela est normal lorsqu’on a affaire à des professionnels, Mme Jacobs ne disait toutefois pas aux tuteurs comment s’acquitter de leurs fonctions.

 

[67]           Le juge de la Cour de l’impôt a ajouté que lorsque les parents avaient des commentaires à formuler, ils s’adressaient non pas au tuteur, mais à Mme Jacobs. Celle‑ci transmettait ensuite aux tuteurs les commentaires des parents. Elle pouvait même assigner l’élève à un autre tuteur, ou décider simplement de ne plus faire appel aux services de ce tuteur.

 

[68]           Le juge de la Cour de l’impôt s’est ensuite penché sur ce qu’il a appelé les « preuves circonstancielles ». Il a qualifié son analyse (au paragraphe 36) de recherche d’« indices d’encadrement » (« pour reprendre les mots de Robert Gagnon, cité ci‑dessus », a précisé le juge) et d’« indices d’intégration » (« pour [employer] mes propres mots », a-t-il ajouté).

 

[69]           On ne sait pas avec certitude si le juge de la Cour de l’impôt a préféré le terme « intégration » élaboré dans la jurisprudence de la common law, au mot « subordination » de l’article 2099 C.c.Q. Il ressort toutefois de ce qu’il écrit au paragraphe 36 (reproduit plus haut) que le juge de la Cour de l’impôt a adopté une approche globale et qu’il a cherché non seulement à déterminer la nature de l’entreprise et à trancher la question du contrôle, mais également à savoir à qui appartenait cette entreprise, concept se rattachant au critère de l’intégration.

 

[70]           Il lui était loisible de le faire. Notre Cour a, dans l’arrêt récent Michel Grimard c. La Reine, 2009 CAF 47, précisé dans quelle mesure on peut recourir à la jurisprudence de common law pour établir la nature d’un contrat de travail en droit civil.

 

[71]           Le juge de la Cour de l’impôt a examiné plusieurs indices. Il a même tenu compte du lieu où le travail était effectué et du pouvoir de réprimande. Bien que ni l’un ni l’autre de ces indices ne permette de conclure à un type de contrat à l’exclusion de l’autre, le juge y a trouvé un appui, en tenant compte des circonstances.

 

[72]           Le juge de la Cour de l’impôt a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que NCJ avait un pouvoir de direction et exerçait donc un contrôle sur ses tuteurs et que cette supervision exercée par Mme Jacobs était plus importante que ce qui avait été admis.

 

[73]           Signalant qu’il s’agissait là d’un point ayant très peu d’importance, il a ajouté qu’il n’avait jamais entendu parler d’entrepreneurs qui demandent à leurs clients de préparer leurs factures pour eux. Ce faisant, il sous-entendait que les tuteurs ne pouvaient être des entrepreneurs parce que, s’ils avaient été des entrepreneurs et que NCJ avait été leur client, ils n’auraient pas fait préparer leurs factures par NCJ.

 

[74]           Bien qu’il se soit concentré sur le concept du contrôle, le juge de la Cour de l’impôt a recouru, comme il lui était loisible de le faire, à une panoplie d’indices pertinents pour raffiner son analyse.

 

[75]           Je suis convaincue qu’il lui était loisible de rendre la décision qu’il a rendue et je ne vois aucune raison qui justifierait l’intervention de notre Cour.

 

[76]           Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

« Alice Desjardins »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Marc Noël, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-291-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT RENDU LE 15 MAI 2008)

 

INTITULÉ :                                                                           NCJ EDUCATIONAL SERVICES LIMITED c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 11 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE DESJARDINS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 29 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphane Eljarrat

Me Olivier Fournier

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Simon Petit

Me Nadia Golmier

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis Ward Phillips & Vineberg s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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