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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20090601

Dossier : A-472-08

Référence : 2009 CAF 183

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE SEXTON              

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

(défendeurs)

 

et

PHARMASCIENCE INC.

intimée

(demanderesse)

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario) le 19 mai 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 1er juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LE JUGE LINDEN

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW                                                                                                                                                                                   


Date : 20090601

Dossier : A-472-08

Référence : 2009 CAF 183

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE SEXTON              

                        LE JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

(défendeurs)

 

et

 

PHARMASCIENCE INC.

intimée

(demanderesse)

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Santé (le ministre) et le procureur général du Canada à l’encontre de l’ordonnance par laquelle la juge Simpson, de la Cour fédérale, a fait droit à la demande présentée par Pharmascience en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé (le ministre) avait enjoint à Pharmascience de traiter de certains brevets dans le cadre de sa présentation abrégée supplémentaire de drogue nouvelle (la PASDN) déposée en application du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur l’avis de conformité).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel devrait être rejeté. Le ministre a commis une erreur de droit en ne procédant pas à l’analyse portant sur des brevets précis exigée par l’arrêt AstraZeneca c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, de la Cour suprême du Canada. La juge de première instance a donc entrepris elle-même cette analyse et j’estime que sa conclusion était raisonnable et qu’il y a lieu de la confirmer.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[3]               Le paragraphe 5(1) du Règlement sur l’avis de conformité oblige la seconde personne qui dépose une présentation pour un avis de conformité à traiter de tous les brevets inscrits au registre relativement à l’avis de conformité délivré à la première personne, lorsque la seconde personne compare son médicament à celui pour lequel l’avis de conformité a été délivré ou y fait référence [Non souligné dans l’original.] :

5. (1) Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans sa présentation :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration présentée par la première personne aux termes de l’alinéa 4(4)d) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation est déposée.

5. (1) If a second person files a submission for a notice of compliance in respect of a drug and the submission directly or indirectly compares the drug with, or makes reference to, another drug marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

 

 

(a) state that the second person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

 

(i) the statement made by the first person under paragraph 4(4)(d) is false,

 

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicinal ingredient, no claim for the formulation, no claim for the dosage form and no claim for the use of the medicinal ingredient would be infringed by the second person making, constructing, using or selling the drug for which the submission is filed.

 

 

LES FAITS

 

[4]               Les faits du présent appel ne sont pas contestés et ils ont été relatés en détail par la juge de première instance aux paragraphes 2 à 30 de ses motifs. L’intimée cherche à commercialiser une version générique du ramipril, un inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine. Le ramipril est commercialisé au Canada par Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi) sous la marque ALTACE. En date du 10 juillet 2000, Sanofi avait obtenu quatre avis de conformité pour l’ALTACE et avait fait inscrire trois brevets relativement à ces avis de conformité. À l’époque, ALTACE était approuvé pour le traitement de l’hypertension.

 

[5]               Le 10 juillet 2000, l’intimée a acheté des capsules d’ALTACE en quatre concentrations (1,25 mg, 2,5 mg, 5 mg et 10 mg) en vue de les utiliser comme produits de référence canadiens. Le ministre a reçu le 4 septembre 2001 la présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN) de l’intimée. La PADN était fondée sur la bioéquivalence déclarée entre les capsules de ramipril de chacune des concentrations de l’intimée et les capsules de ramipril ALTACE de mêmes concentrations. L’intimée a produit des études de biodisponibilité qui montrent la bioéquivalence entre ses capsules de ramipril en concentration de 10 mg et les capsules d’ALTACE de même concentration. L’intimée a ensuite demandé à être dispensée de l’obligation de produire des études de biodisponibilité au sujet de ses autres concentrations conformément à la Politique du ministre sur la bioéquivalence des formulations proportionnelles (la Politique sur la proportionnalité). L’intimée a demandé l’approbation de ses capsules de ramipril uniquement pour le traitement de l’hypertension.

 

[6]               À la PADN était jointe la copie d’une facture datée du 10 juillet 2000 pour l’achat d’échantillons du médicament, ainsi qu’un rapport clinique concernant la bioéquivalence entre les capsules de 10 mg dans lequel il était précisé que le laboratoire avait reçu des échantillons d’ALTACE le 15 décembre 2000 en vue de faire des tests.

 

[7]               Le 24 février 2003, l’intimée a soustrait de sa PADN les capsules de 1,25 mg pour manque de données quant à leur stabilité. Le 27 août 2003, le ministre a conclu que l’intimée avait droit à un avis de conformité à l’égard des autres concentrations (2,5 mg, 5 mg et 10 mg), sous réserve du respect du Règlement sur l’avis de conformité.

 

[8]               Le 30 décembre 2005, l’intimée a déposé une PASDN visant ses capsules de 1,25 mg de ramipril. Elle a de nouveau demandée à être dispensée de l’obligation de soumettre des études de biodisponibilité distinctes conformément à la Politique sur la proportionnalité, proposant plutôt de démontrer la proportionnalité entre sa capsule de 1,25 mg et sa capsule de ramipril de 10 mg.

 

[9]               Le 6 novembre 2003, soit dans l’intervalle entre le dépôt de la PADN de l’intimée et celui de sa PASDN, Sanofi s’est vu délivrer un autre avis de conformité (le 6e avis de conformité), à la suite de quoi Sanofi a fait inscrire au registre les brevets canadiens 2382387 et 2383549 (les brevets 387 et 549 respectivement). Ces brevets enseignent une nouvelle indication – le traitement suivant une crise cardiaque. L’intimée ne cherche pas à faire approuver ses capsules de ramipril pour cette nouvelle indication.

 

[10]           Néanmoins, le 12 avril 2007, le ministre a décidé qu’en vertu du paragraphe 5(1) du Règlement sur l’avis de conformité, l’intimée devait traiter des brevets 387 et 549 au sujet des capsules de ramipril générique de 1,25 mg faisant l’objet de sa PASDN. Le 17 mai 2007, le ministre a reconnu que les capsules de ramipril d’une concentration de 1,25 mg de l’intimée étaient bioéquivalentes, au titre de la politique sur la bioéquivalence des formulations proportionnelles, aux capsules d’ALTACE de même concentration. Sous réserve du respect du Règlement sur l’avis de conformité, l’intimée avait donc droit à la délivrance d’un avis de conformité pour ses capsules de 1,25 m.

 

[11]           Le ministre a rejeté le 8 juin 2007 la demande de réexamen de sa décision du 12 avril que lui avait présentée l’intimée et celle-ci a introduit une demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

[12]           La juge de première instance a fait droit à la demande de l’intimée en se fondant sur les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt AstraZeneca. Elle a conclu que l’arrêt AstraZeneca appuyait le principe qu’« un fabricant de générique n’a à traiter que des brevets inscrits en rapport avec les avis de conformité déposés au moment où il a acheté la drogue de comparaison qu’il a choisie aux fins de sa PADN » (2008 CF 922, au paragraphe 32).

 

[13]           Comme l’intimée ne cherche pas à faire approuver ses capsules de ramipril pour le traitement suivant une crise cardiaque, la juge de première instance a également conclu qu’elle « n’a pas en fait utilisé les inventions brevetées décrites aux brevets 387 et 549 » (au paragraphe 31). Elle a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas lieu d’obliger l’intimée à traiter de ces brevets conformément au Règlement sur l’avis de conformité.

 

QUESTION EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[14]           La seule question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la juge de première instance a commis une erreur en estimant qu’il n’y avait pas lieu d’obliger l’intimée à traiter des brevets 387 et 549. À mon avis, l’arrêt AstraZeneca a établi de façon satisfaisante que la norme de contrôle à appliquer lorsqu’il s’agit d’interpréter le Règlement sur l’avis de conformité est celle de la décision correcte (au paragraphe 25). Il y a lieu de faire preuve de retenue en ce qui concerne les conclusions de fait qu’a tirées la juge de première instance lorsqu’elle a appliqué le bon critère prévu par la loi, et ces conclusions ne doivent pas être modifiées s’il lui était raisonnablement loisible de les tirer au vu du dossier.

 

ANALYSE

[15]           Dans leurs observations, les deux parties ont analysé en détail l’arrêt AstraZeneca de la Cour suprême. Dans cette affaire, la question soumise au tribunal était celle de savoir si l’on devait obliger Apotex à traiter de deux brevets inscrits à l’égard d’avis de conformité délivrés à AstraZeneca pour l’oméprazole après qu’Apotex eut déposé sa PADN. Les circonstances étaient quelque peu uniques en ce sens qu’AstraZeneca n’avait jamais commercialisé au Canada de médicament incorporant les inventions enseignées par les deux brevets inscrits subséquemment. Écrivant au nom d’une cour unanime, le juge Binnie a souligné que le Règlement sur l’avis de conformité avait été édicté pour empêcher d’abuser de l’exception relative aux « travaux préalables » prévue au paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, et que le Règlement devait être interprété en tenant compte de cet objectif (aux paragraphes 15 et 16).

 

[16]           Le juge a expliqué que le Règlement s’inscrivait dans le cadre de la recherche d’un équilibre par le législateur. Ainsi, les fabricants de médicaments génériques se voient reconnaître le droit de se servir des travaux préalables relatifs aux inventions brevetées de l’innovateur pour satisfaire aux exigences de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27, et son règlement d’application (C.R.C. 1978, ch. 870) en vue d’obtenir un avis de conformité. Cependant, le dépôt par l’innovateur d’une demande visant à faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité au fabricant de générique empêche automatiquement le ministre d’agir pendant 24 mois. La Cour suprême avait déjà qualifié ce sursis de « draconien » dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193, au paragraphe 33.

 

[17]           Le juge Binnie a conclu qu’en principe, le fabricant de produits génériques n’a besoin de traiter que des brevets inscrits à l’égard des demandes visées par l’avis de conformité relatif à la drogue de comparaison (AstraZeneca, au paragraphe 39, non souligné dans l’original) :

À mon avis, le par. 5(1) du Règlement AC exige une analyse portant sur des brevets précis, à savoir que le fabricant de produits génériques n’a besoin de traiter que des brevets inscrits à l’égard des demandes visées par l’AC relatif à la drogue de comparaison, en l’occurrence la version de 1989 du Losec 20.

 

Dans cette affaire, la drogue de comparaison était celle qu’Apotex avait effectivement achetée et analysée en vue de démontrer la bioéquivalence de ses propres comprimés d’oméprazole (aux paragraphes 34 à 37).

 

[18]           Le différend en l’espèce porte sur la façon d’identifier la « drogue de comparaison ». Les appelants soutiennent que, légalement, l’ALTACE n’est pas simplement un composé physique. L’ALTACE se définit plutôt comme la somme de toutes les présentations approuvées à son égard à une date donnée, c’est-à-dire la première présentation de drogue nouvelle à l’égard de laquelle le premier avis de conformité a été délivré, ainsi que toutes les présentations supplémentaires de drogue nouvelle subséquentes ayant donné lieu par la suite à la délivrance d’autres avis de conformité. Les appelants soutiennent donc qu’en l’espèce, la drogue de comparaison est la version d’ALTACE qui était disponible en vue d’être copiée à la date à laquelle l’intimée a soumis sa PASDN, en l’occurrence la version pour laquelle Sanofi a obtenu son sixième avis de conformité à l’égard duquel elle a inscrit les brevets 387 et 549.

 

[19]           L’intimée soutient en revanche que la drogue de comparaison est celle qu’elle a effectivement achetée en juillet 2000 et qu’elle a analysée pour démontrer la bioéquivalence de ses capsules de ramipril. Elle soutient que, malgré le fait qu’elle a retiré sa PADN initiale en ce qui concerne les capsules de 1,25 mg et qu’elle a par la suite soumis une PASDN, elle ne s’est quand même fondée que sur la drogue qu’elle avait achetée en 2000 pour démontrer la bioéquivalence avec l’ALTACE.

 

[20]           Malgré l’habile plaidoyer des avocats des appelants, je ne puis souscrire à leur interprétation de l’arrêt AstraZeneca, dans lequel le juge Binnie écrit (au paragraphe 28) :

J’accepte le point de vue linguistique du juge Noël, de la Cour d’appel fédérale, selon lequel le terme « à l’égard de laquelle » au par. 5(1) renvoie à l’« autre drogue », c.‑à‑d. au produit de référence canadien et non à une liste de brevets particulière ou à une liste de brevets modifiée.  Toutefois, « cette autre drogue » me paraît être la drogue à laquelle le fabricant de produits génériques fait référence « pour [. . .] démontrer la bioéquivalence ». 

 

Bien que les mots « pour démontrer la bioéquivalence » aient été supprimés du paragraphe 5(1) à la suite de modifications apportées à cette disposition, aucune des parties n’a laissé entendre que le sens de cette disposition avait changé. Dans l’arrêt AstraZeneca, la Cour suprême souligne par ailleurs que « c’est le médicament proprement dit, à partir duquel des échantillons peuvent être prélevés et utilisés à des fins comparatives, qui est pertinent pour l’application du paragraphe 5(1) du Règlement relatif aux avis de conformité » (au paragraphe 34, citant le jugement du juge Noël, de la Cour, 2005 CAF 189, [2006] 1 R.C.F. 297, au paragraphe 46 (passage souligné par le juge Binnie).

 

[21]           Dans le jugement Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2008] 1 R.C.F 19, conf. par 2007 CAF 276, 370 N.R. 263, le juge Hughes a reconnu l’importance, pour l’analyse de brevets précis exigée par l’arrêt AstraZeneca, de la date à laquelle le fabricant de médicaments génériques achète la drogue de comparaison. Toutefois, en obiter dicta, il s’est dit préoccupé par le fait que la date d’achat des échantillons est une date dont l’existence n’est connue que du fabricant du générique qui achète la drogue. Pour faciliter la preuve, il a suggéré que le ministre tienne compte de la date de dépôt de la PADN par le fabricant du générique « car elle est logiquement la dernière date à laquelle le fabricant du générique aurait pu obtenir la drogue de comparaison ». Il s’est également dit d’avis que le ministre devrait obliger le fabricant du générique à traiter les brevets ajoutés à la liste de brevets seulement lorsque le fabricant du générique a utilisé les changements apportés à la drogue de comparaison depuis la date d’achat originale, pour démontrer la bioéquivalence (au paragraphe 65).

 

[22]           Il est donc de jurisprudence constante que l’analyse portant sur des brevets précis oblige le fabricant de médicaments génériques à ne traiter que des brevets à l’égard desquels il invoque l’exception relative aux travaux préalables prévue par la Loi sur les brevets afin de démontrer la bioéquivalence et d’obtenir un avis de conformité.

 

[23]           La thèse des appelants est que le fabricant de médicaments génériques devrait être obligé de traiter de tout brevet qui est en principe disponible pour des travaux préalables (c.-à-d. tout brevet inscrit au registre avant le dépôt d’une PADN ou d’une PSADN) et que le ministre ne devrait pas avoir à décider d’après la preuve si le brevet a effectivement fait l’objet de travaux préalables. Les appelants soutiennent donc que, dans les cas litigieux, la procédure à suivre pour trancher le litige consiste à introduire une instance en avis de conformité à laquelle l’innovateur peut prendre part. Les appelants cherchent à établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire AstraZeneca au motif que, dans cette dernière, une drogue intégrant les enseignements des brevets inscrits postérieurement n’était jamais devenue disponible et que, contrairement à la présente espèce, il était impossible, vu l’ensemble des faits, que des travaux préalables aient été effectués dans cette affaire.

 

[24]           Je ne puis accepter cet argument, qui obligerait le fabricant de médicaments génériques à traiter des brevets dès que l’innovateur les inscrit, indépendamment de la question de savoir si le fabricant de médicaments génériques s’est prévalu de l’exception relative aux travaux préalables. Ainsi que le juge Binnie l’écrit dans l’arrêt AstraZeneca (aux paragraphes 21 et 23, non souligné dans l’original) :

Il n’existe aucun lien entre les brevets 037 et 470 et les demandes qui donnent lieu au Losec 20 copié par Apotex.  AstraZeneca a indiqué ces brevets obtenus ultérieurement à l’égard du SPDN du 22 janvier 1999 pour un nouvel usage thérapeutique du Losec 20 (traitement de H. Pylori) — usage pour lequel le produit d’Apotex n’a pas été approuvé — et à l’égard du SPDN présenté par AstraZeneca le 12 juillet 2000, qui est de nature administrative et qui n’a rien à voir avec la technique incorporée au Losec 20.

[…]

 

[…] Selon ce point de vue, la « première personne » pourrait perpétuer son produit en ajoutant de nouveaux brevets de peu d’importance qui déclencheraient une série indéfinie de gels de 24 mois prévus par la loi, même si les brevets inscrits ultérieurement ne font pas l’objet des « travaux préalables » effectués par le fabricant de produits génériques et que celui‑ci n’en tire aucun avantage (comme c’est le cas en l’espèce)

 

[25]           Ainsi que la juge de première instance l’a signalé, il incombe au ministre de procéder à l’analyse portant sur des brevets précis et à « préciser les brevets sur lesquels un fabricant de médicaments génériques peut se fonder pour les “travaux préalables”» (au paragraphe 35, citant l’arrêt AstraZeneca, au paragraphe 22). À mon avis, la date à laquelle la drogue de comparaison a été achetée constitue le point de départ. Le ministre doit ensuite évaluer les éléments de preuve portés à sa connaissance pour décider si le fabricant de médicaments génériques a tiré profit des enseignements des brevets inscrits postérieurement. En règle générale, au moment du dépôt d’une PADN ou d’une PSADN, le ministre dispose d’éléments de preuve tels que des factures constatant l’achat d’échantillons de médicaments, des études cliniques indiquant quand les échantillons ont été reçus en vue des tests, et la monographie du produit du fabricant de médicaments génériques dans laquelle sont énumérées les utilisations projetées du médicament, et l’on peut recueillir ces éléments de preuve à cette fin. Nous sommes d’accord avec la juge de première instance pour dire que, dans les cas où la preuve n’est pas claire ou que les preuves ne sont pas fiables, le ministre peut se servir de la date du dépôt de la PADN (ou, le cas échéant, de la PSADN) comme solution de repli.

 

[26]           Le ministre n’a pas procédé à cette analyse. Il était donc loisible à la juge de première instance de le faire. Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre disposait d’éléments de preuve (en l’occurrence la facture de juillet 2000) au sujet de la date à laquelle l’intimée avait acheté la drogue de comparaison. L’intimée a soumis des études de biodisponibilité qui reposaient exclusivement sur les échantillons en question. Bien qu’elle ait retiré sa PADN relativement à ses capsules de 1,25 mg et qu’elle ait par la suite soumis une PSADN, elle l’a fait uniquement en raison du manque initial de données sur la stabilité de ces capsules et non en vue de mener des études sur la bioéquivalence ou de modifier son médicament pour incorporer de nouvelles technologies.

 

[27]           Ainsi que l’intimée le souligne, une PSADN ne vient jamais seule. Le ministre doit tenir compte des liens qui existent entre la PSADN qui lui est soumise et la PADN qui a déjà été déposée lorsqu’il procède à son analyse sur des brevets précis.

 

[28]           Fait très significatif en l’espèce, l’intimée n’a jamais cherché à faire approuver la nouvelle utilisation des capsules de ramipril pour le traitement suivant une crise cardiaque, comme l’enseignaient les brevets inscrits postérieurement. Les appelants soulignent que ce fait soulève la question ultime de la contrefaçon et non pas celle de savoir si l’intimée aurait dû traiter des nouveaux brevets. La Cour suprême a toutefois jugé à propos de tenir compte de ce facteur dans l’affaire AstraZeneca, lorsqu’elle a fait observer à au moins deux reprises qu’Apotex ne cherchait pas à tirer profit d’une nouvelle indication enseignée par les brevets qui avaient été inscrits postérieurement dans cette affaire (aux paragraphes 21 et 42).

 

[29]           La juge de première instance a conclu que l’intimée n’avait pas en fait utilisé les inventions brevetées décrites aux brevets 387 et 549 (motifs, au paragraphe 31), et « n’a pas à cet égard contrevenu au Règlement sur l’avis de conformité » (AstraZeneca, au paragraphe 38). D’ailleurs, les appelants n’ont pas été en mesure de citer à la Cour d’éléments de preuve qui iraient à l’encontre de cette conclusion parmi ceux qui avaient été versés au dossier. En conséquence, il était raisonnablement loisible à la juge de première instance de tirer cette conclusion et rien ne justifie donc la Cour d’intervenir.

 

CONCLUSION

[30]           J’arrive donc à la conclusion que la juge de première instance a conclu à bon droit que, dans les circonstances de l’espèce, l’intimée n’a besoin de traiter que des brevets inscrits à l’égard des demandes visées par l’avis de conformité relatif à la drogue de comparaison qu’elle a effectivement achetée et analysée en vue de démontrer la bioéquivalence. Le ministre a commis une erreur en l’obligeant à traiter des brevets 387 et 549.

 

[31]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord 

            A.M. Linden, j.c.a. »

« Je suis d’accord 

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-472-08

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE LE 29 JUILLET 2008 PAR LA JUGE SIMPSON DANS LE DOSSIER T-837-07

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA SANTÉ et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.  PHARAMASCIENCE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 19 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge Sexton

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     Le juge Linden

                                                                        La juge Sharlow

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 1er juin 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rick Woyiwada

 

POUR LES APPELANTS

 

Donald MacOdrum

Mark S. Mitchell

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES APPELANTS

 

 

Lang Michener srl

Toronto (Ontario) 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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