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Date : 20080923

Dossier : A-97-08

Référence : 2008 CAF 281

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

HUI YANG

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

intimé

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 septembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE DÉCARY

Y A SOUSCRIT :                                                                                                     LE JUGE BLAIS

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                                   LE JUGE RYER

 

 


 

Date : 20080923

Dossier : A-97-08

Référence : 2008 CAF 281

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

HUI YANG

appelante

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]               Il s’agit d’un appel de plus, au cours des derniers mois, portant sur l’interprétation de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi) (voir Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c. Pham, 2007 CAF 141; Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CAF 186, [2008] 1 C.F. 33; Dag c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 95; Sellathurai c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (Solliciteur général du Canada), 2008 CAF 255). Comme dans les affaires précitées, l’appel en l’espèce a été instruit en vertu de la loi telle qu’elle existait avant les modifications entrées en vigueur le 10 février 2007 (voir la Loi modifiant la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la Loi de l’impôt sur le revenu et une autre loi en conséquence, L.C. 2006, ch. 12; voir aussi l’arrêt Pham, précité).

 

[2]               En avril 2006, alors que l’appelante, à l’aéroport international de Vancouver, se préparait à embarquer sur un vol à destination de la Chine, un agent des douanes lui a demandé si elle transportait 10 000 $ ou plus en espèces. Elle a répondu par la négative, mais il s’est avéré finalement qu’elle transportait 21 843,35 $ en devises canadiennes, américaines et chinoises ainsi qu’en devises de Hong Kong. En ne déclarant pas qu’elle transportait des espèces d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $, l’appelante contrevenait au paragraphe 12(1) de la Loi.

 

[3]               L’agent des douanes a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces constituaient des produits de la criminalité et il a saisi les espèces à titre de confiscation au profit de Sa Majesté du chef du Canada, conformément au paragraphe 18(2) de la Loi.

 

[4]               Le 2 juin 2006, l’appelante, ainsi que le lui permet l’article 25 de la Loi, a demandé au ministre de décider s’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1). Dans sa demande, elle a présenté une version des faits différente de celle qu’elle avait donnée à l’agent des douanes. Le 23 juin 2006, elle a été invitée par l’arbitre à produire tous moyens de preuve à l’appui de ses prétentions, comme le prévoit le paragraphe 26(2). Elle a répondu à l’arbitre le 14 juillet 2006, puis a produit d’autres éléments de preuve le 21 juillet 2006. Par lettres datées du 24 juillet et du 3 août 2006, l’arbitre a de nouveau invité l’appelante à fournir des renseignements ou des documents additionnels. Le 27 octobre 2006, il a rempli un document intitulé « Synopsis du dossier et motifs de décision », qui contient un résumé des documents reçus dans le cadre de la révision ministérielle et une recommandation adressée au délégué du ministre responsable de rendre une décision conformément aux articles 27 et 29 de la Loi.

 

[5]               Le 8 décembre 2006, le délégué du ministre a envoyé à l’appelante une lettre dans laquelle il lui a fait part de ses décisions. Il l’a informée qu’il avait décidé, conformément à l’article 27, qu’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) et qu’il confirmait en outre la confiscation des espèces saisies, en application de l’article 29. L’appelante ayant reconnu avoir contrevenu au paragraphe 12(1), la décision rendue au regard de l’article 27 n’est pas en cause dans le présent appel. 

 

[6]               L’appelante a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre (elle n’a pas contesté que le délégué du ministre a compétence pour exercer le pouvoir du ministre de rendre décision au titre de l’article 29, et il me semble plus commode, dans les présents motifs, de faire référence à la décision du ministre plutôt qu’à la décision du délégué du ministre).

 

[7]               Madame la juge Snider a rejeté la demande (2008 CF 158), d’où le présent appel.

 

[8]               L’appelante soulève deux séries de moyens d’appel. L’une a trait au fondement du pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre en vertu de l’article 29 de la Loi. L’autre porte sur l’équité procédurale. Je les examinerai tour à tour.

L’exercice du pouvoir discrétionnaire

[9]               Tout récemment, notre Cour a statué que la norme de contrôle applicable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre au titre de l’article 29 de la Loi est celle de la décision raisonnable (voir les arrêts Dag et Sellathurai). Elle a aussi eu l’occasion, il y a quelques jours, d’analyser la nature d’une décision prise en vertu de l’article 29 et le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre (Sellathurai).

 

[10]           À l’audience du présent appel, l’avocat de l’intimé a invité la Cour à ne pas tenir compte des motifs rendus par les juges Pelletier et Nadon dans l’arrêt Sellathurai et à retenir plutôt le critère exposé dans les motifs concourants du juge Ryer. Il n’a cependant présenté aucun argument expliquant les raisons pour lesquelles la règle du stare decisis ne s’appliquerait pas. Je n’accéderai donc pas à son invitation.

 

[11]           Étant donné que la décision du ministre et la décision de la juge Snider ont toutes deux été rendues avant l’arrêt Sellathurai, elles n’ont pas été formulées dans les termes employés par notre Cour dans sa récente décision. Pour des motifs de commodité, je suis disposé à admettre que le critère énoncé par la juge Snider ne constitue pas littéralement le critère applicable et, partant, à examiner de novo la décision du ministre pour vérifier si celui-ci a bien exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière compatible avec les principes établis dans Sellathurai.

 

[12]           Il est opportun, en débutant, de reproduire les passages pertinents des motifs du jugement rendu par le juge Pelletier dans l’arrêt Sellathurai :

 

25.     Notre Cour a tranché, au paragraphe 4 de l’arrêt Dag c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 95, 70 Admin. L.R. (4th) 214 (Dag), la question de la norme de contrôle applicable à la décision du ministre prévue à l’article 29 : il s’agit de la norme de la décision raisonnable. Pour des raisons qui deviendront évidentes, nous reviendrons plus loin dans les présents motifs sur la question de la norme de contrôle applicable à la décision relative à la norme de preuve à laquelle l’intéressé doit satisfaire.

 

36.     Selon moi, il s’ensuit que la conclusion de l’agent des douanes suivant laquelle il a des motifs raisonnables de soupçonner que les devises saisies sont des produits de la criminalité devient caduque dès que le ministre confirme qu’il y a eu contravention à l’article 12. La confiscation est complète et les devises sont la propriété de l’État. La seule question qu’il reste à trancher pour l’application de l’article 29 est celle de savoir si le ministre exercera son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation soit en restituant les espèces confisquées elles-mêmes soit en remboursant la pénalité prévue par la loi qui a été versée pour obtenir la restitution des espèces saisies.

 

49.     Lorsque le ministre réclame de façon répétée une preuve de la légitimité de la provenance des devises saisies, comme il l’a fait en l’espèce, on est en droit de conclure qu’il s’est fondé sur les éléments de preuve fournis à cet égard par le demandeur pour prendre sa décision. La logique sous‑jacente est inattaquable. Si l’on peut démontrer la légitimité de leur provenance, les devises ne peuvent être considérées comme des produits de la criminalité.

 

50.     Si, en revanche, le ministre n’est pas convaincu de la légitimité de la provenance des devises saisies, il ne s’ensuit pas que les fonds sont des produits de la criminalité, mais simplement que le ministre n’est pas convaincu qu’il ne s’agit pas de produits de la criminalité. La distinction est importante parce qu’elle porte directement sur la nature de la décision que le ministre est appelé à prendre en vertu de l’article 29 qui, comme nous l’avons déjà signalé, vise une demande d’annulation de la confiscation. La question à trancher n’est pas celle de savoir si le ministre peut démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds saisis sont des produits de la criminalité, mais uniquement celle de savoir si le demandeur est en mesure de convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en lui démontrant que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité. Sans exclure la possibilité de convaincre par d’autres moyens le ministre à cet égard, la démarche qui s’impose consiste à démontrer la légitimité de la provenance des fonds. C’est bien ce que le ministre a réclamé en l’espèce et, vu l’incapacité de M. Sellathurai de lui faire cette démonstration, le ministre avait le droit de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation.

 

51.     On en arrive à la question qui a été débattue à fond devant nous. À quelle norme de preuve le demandeur doit-il satisfaire pour convaincre le ministre que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité? À mon avis, pour y répondre, il faut d’abord répondre à la question de la norme de contrôle. La norme de contrôle qui s’applique à la décision du ministre prévue à l’article 29 est celle de la décision raisonnable. Il s’ensuit que, si la conclusion du ministre au sujet de la légitimité de la provenance des fonds est, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, raisonnable, sa décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Dans le même ordre d’idées, si la conclusion du ministre n’est pas raisonnable, sa décision est susceptible de contrôle et la Cour doit intervenir. Il n’est ni nécessaire ni utile de tenter de définir à l’avance la nature et le type de preuve que le demandeur doit soumettre au ministre.

 

 

[13]           Le ministre, à bon droit, a cherché à obtenir de l’appelante des renseignements additionnels quant à la légitimité des fonds. Il n’a pas été convaincu que des renseignements crédibles avaient été présentés à cet égard. Il a conclu que l’appelante n’avait pas [traduction] « produit de preuve documentaire légitime ou de renseignement montrant que les fonds ont été obtenus par des moyens légitimes » et que « le soupçon subsiste » (dossier d’appel, page 06). Pour reprendre les mots employés par le juge Pelletier au paragraphe 50, le ministre n’étant pas convaincu « que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité », il lui était raisonnablement loisible de confirmer la confiscation.

 

Équité procédurale

[14]           Les arguments avancés par l’appelante sont analysés par la juge Snider aux paragraphes 27 à 30 de ses motifs. Je souscris sans réserve à son analyse.

 

[15]           J’ajouterai seulement que sa conclusion, au paragraphe 29, selon laquelle la non-divulgation de renseignements qui n’auraient été d’aucune utilité à l’appelante ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale, est conforme au jugement rendu par notre Cour dans Uniboard Surfaces Inc. c. Kronotex Fussboden GmbH and Co., 2006 CAF 398, [2007] 4 C.F. 101.

 

[16]           L’appel devrait être rejeté avec dépens.

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

     Pierre Blais j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


LE JUGE RYER (concourant)

 

[17]           Je souscris à la conclusion de mon collègue le juge Décary selon laquelle l’appel devrait être rejeté.

 

[18]           Je souhaite ajouter qu’à mon avis, le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît le paragraphe 29(1), n’était pas tenu de tenir compte des facteurs soulevés par l’appelante, à savoir :

a)         si le fait de confirmer la confiscation des fonds en cause servirait l’intérêt public ou les objets de la Loi;

b)         la raison probable pour laquelle la personne concernée a contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi;

c)         les répercussions, pour la personne concernée, de la confirmation de la confiscation.

 

[19]           En concluant ainsi, je partage l’avis de la juge Snider, qui a fait sienne la position de la juge Simpson énoncée en ces termes au paragraphe 58 des motifs rendus dans Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 208 :

 

58.       Le défendeur affirme que, dans son application de la Partie 2 de la Loi, le représentant du ministre est appelé à soupeser les intérêts du demandeur et ceux du public canadien. Toutefois, je ne partage pas cette opinion. À mon avis, l’équilibre entre les intérêts privés et les intérêts publics a été établi par le législateur lorsqu’il a mis en place le régime législatif. Le représentant du ministre a un rôle beaucoup plus limité en vertu de l’article 29. Il détermine simplement si, compte tenu des faits d’une affaire donnée, il y a lieu de confirmer une confiscation.

 

 

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-97-08

 

INTITULÉ :                                                   HUI YANG c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE DÉCARY

 

Y A SOUSCRIT :                                           LE JUGE BLAIS

 

MOTIFS CONCOURANTS :                       LE JUGE RYER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Glen W. Bell

POUR L’APPELANTE

 

Jan Brongers

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocats Bell

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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