Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20090827

Dossier : A-368-08

Référence : 2009 CAF 254

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER                    

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

FREDERICK JAMES TOBIN

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 29 avril 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 août 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                                                  LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                                  LE JUGE RYER

 


Date : 20090827

Dossier : A-368-08

Référence : 2009 CAF 254

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER                    

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

FREDERICK JAMES TOBIN

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

 

INTRODUCTION

[1]               Le présent appel porte sur la qualité et l’effet des règles de conduite adoptées par l’employeur au sein de la fonction publique fédérale. Plus particulièrement, le présent appel soulève la question de savoir de quelle façon ces règles s’appliquent aux déclarations de culpabilité prononcées contre des fonctionnaires qui travaillent pour le Service correctionnel du Canada (SCC).

 

[2]               Le SCC a congédié l’appelant, M. Tobin, après que celui-ci eut reconnu sa culpabilité à une accusation de harcèlement criminel à l'endroit d’une femme qu’il a rencontrée dans l’exercice de ses fonctions au sein du SCC. Dans les motifs exposés sous la référence 2007 CRTFP 26 (Décision), un arbitre de grief désigné en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, a réintégré M. Tobin au motif que l’employeur ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir qu’il était en droit d’imposer des mesures disciplinaires à l’employé étant donné que la conduite visée par la plainte était survenue en dehors des heures de travail. En ce qui concerne la demande de contrôle judiciaire du SCC, le juge Campbell, juge de première instance, a annulé la décision de l’arbitre de grief et a renvoyé l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux principes de droit énoncés dans ses motifs. Il s’agit de l’appel de cette décision.

 

LES FAITS

[3]               Un bref résumé de l’expérience professionnelle de M. Tobin est ainsi exposé au

paragraphe 35 des motifs du juge de première instance, dans la décision publiée sous les références 2008 CF 740, [2008] A.C.F. no 932 (motifs) :

35  Au moment de son congédiement, M. Tobin occupait le poste d'attache de psychologue consultant (PS-03) au Centre régional de traitement (CRT), qui fait partie du pénitencier à sécurité maximale de Kingston, en Ontario. M. Tobin a commencé à travailler pour le SCC en 1988, et a depuis principalement travaillé à titre de directeur de programmes à l'Unité du comportement féminin. Au cours de la période se terminant en 2000, M. Tobin a occupé plusieurs postes, dont notamment celui de sous-directeur exécutif du CRT et celui de sous‑directeur de la prison pour femmes. 

 

[4]               Lorsqu’il a été congédié, M. Tobin était Sous-directeur, opérations correctionnelles, à l’Établissement Collins Bay. Il a été licencié le 7 mai 2004, après avoir reconnu sa culpabilité, le 28 avril 2008,  à une accusation de harcèlement criminel contre HM [la victime] en se comportant d’une manière menaçante, en violation de l’article 264 du Code criminel. À l’origine, M. Tobin était inculpé en vertu d’un acte d’accusation qui comptait six chefs comprenant, outre l’infraction à l’égard de laquelle il a reconnu sa culpabilité, celles de proférer des menaces, de détention illégale, d’intimidation sur une grande route, de harcèlement criminel en cernant et surveillant une maison d’habitation et d’agression sexuelle. La Couronne a abandonné les accusations pour les autres infractions à la suite du plaidoyer de culpabilité de M. Tobin.

 

[5]               Selon l’exposé conjoint des faits présenté à la Cour lors de la détermination de la peine, voici les circonstances entourant la perpétration de l’infraction. En 2001, HM a obtenu un emploi auprès du SCC dans le domaine des services sociaux où elle était sous la supervision de M. Tobin. Quelque temps après, M. Tobin qui était marié et HM ont entamé une relation intime. Quelques mois après le début de la relation, HM a tenté, à plusieurs reprises, d'y mettre fin en raison des comportements manipulateurs et excessivement possessifs de M. Tobin. Enfin, en raison d’un incident précis mettant en cause d’autres employés, HM a décidé de mettre un terme définitif à la relation. Cette décision a pavé la voie à une série d’appels téléphoniques répétés et non désirés de M. Tobin, dont certains ont pris la forme de messages dégradants laissés sur le répondeur de HM. En raison de ces appels, HM a décidé de quitter sa résidence pour passer la nuit chez ses parents. Sur la route, elle a croisé M. Tobin qui se dirigeait en sens contraire pour aller chez elle. M. Tobin a fait demi-tour avec sa voiture, a poursuivi HM et l’a éventuellement rattrapée. En raison de la conduite agressive de M. Tobin, HM a eu le sentiment qu’il était nécessaire, pour sa sécurité, de quitter la route pour se diriger vers un stationnement où M. Tobin l’a suivie. À l’audience de détermination de la peine, la Cour a été informée de l’admission des faits relatés ci-dessous, lesquels lui avaient été présentés par le poursuivant :

            [traduction]

Ils sont demeurés tous les deux dans leur véhicule respectif, et se sont parlés avant de franchir le stationnement en direction d’un centre commercial linéaire situé sur [nom de la rue]. L’accusé s’est approché du véhicule de la victime, et il l’a engueulée, rabaissée et virtuellement insultée de toutes les façons possibles pendant une période de près de deux heures [selon HM]  au cours de laquelle elle a pleuré et a craint pour sa sécurité.

 

Après que l’accusé eut maintes fois exigé qu’elle l’accompagne dans sa voiture, demandes qu’elle a refusées de façon répétée, la victime a finalement cédé et est montée à bord de son véhicule, craignant la réaction de l’accusé si elle continuait à lui résister.

 

L’accusé a circulé jusqu’à [...] Conservation Area, s’arrêtant en premier lieu au service au volant de Tim Horton. HM a témoigné que, pendant le trajet, Tobin l’a menacée de mort, et qu’elle craignait pour sa vie [...] que sa vie était en danger, lorsqu’ils sont arrivés à [Conservation Area].

 

Une heure environ après leur arrivée à [Conservation Area], la victime a tenté d’amadouer l’accusé en cédant à ses pressions et demandes dans une tentative pour [...] ne pas le faire enrager davantage. Elle a finalement réussi à convaincre l’accusé qu’elle voulait renouer et qu’elle l’aimait. Cela aurait eu pour effet de le convaincre et il l’a alors reconduite à son véhicule […]

 

LA COUR : Êtes-vous d’accord avec cet exposé des faits, M. Smith?

 

M. SMITH : Monsieur le juge, aux fins du plaidoyer, nous admettons ces faits comme fondamentalement exacts.

 

Dossier d’appel, pages 101 à 106

 

 

[6]               M. Tobin a été condamné à une peine avec sursis et a été assujetti à une probation de dix-huit mois assortie de certaines conditions, dont l’interdiction de se porter acquéreur d’armes à feu ou d’en avoir en sa possession pour une période de cinq ans.

 

[7]               Lorsqu’il a été informé que M. Tobin avait été arrêté et accusé de nombreuses infractions criminelles, le SCC l’a suspendu de ses fonctions. Il a été réintégré, dans un poste différent toutefois, dans l’attente de la décision relative aux accusations criminelles. Après son plaidoyer de culpabilité, il a été suspendu à nouveau et, par la suite, il a été licencié à compter de la date de la suspension qui a suivi sa condamnation. M. Tobin a déposé un grief contestant son congédiement. Comme je l’ai déjà indiqué, il a eu gain de cause et a fait l’objet d’une ordonnance de réintégration, laquelle a cependant été annulée à la suite de la demande de contrôle judiciaire du SCC.

 

 

L’EMPLOI AU SEIN DE LA FONCTION PUBLIQUE

[8]               Avant d’examiner la décision de l’arbitre de grief, il pourrait être utile d’examiner certaines des dispositions régissant la discipline des employés dans la fonction publique et, plus précisément, celles visant les employés du SCC.

 

[9]                Nous prenons pour point de départ la Loi sur la Gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la LGFP), qui traite de l’organisation du gouvernement du Canada. La LGFP crée le Conseil du Trésor, un comité du cabinet soutenu par un secrétariat, lequel agit en tant qu’organisme central à l’égard d’un certain nombre de fonctions du gouvernement. Aux fins du présent arrêt, voici les dispositions pertinentes de la LGFP (en date du 7 mai 2004, date du licenciement de M. Tobin) :

 

7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

 

a) les grandes orientations applicables à l’administration publique fédérale;

b) l’organisation de l’administration publique fédérale ou de tel de ses secteurs ainsi que la détermination et le contrôle des établissements qui en font partie;

[…]

 

 

e) la gestion du personnel de l’administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d’emploi;

 

 

11. (2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

 

 

 

 

[…]

 

f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d’être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

7. (1) The Treasury Board may act for the Queen’s Privy Council for Canada on all matters relating to

 

 

(a) general administrative policy in the public service of Canada;

(b) the organization of the public service of Canada or any portion thereof, and the determination and control of establishments therein;

 

 

 

(e) personnel management in the public service of Canada, including the determination of the terms and conditions of employment of persons employed therein;

 

11.(2) Subject to the provisions of any enactment respecting the powers and functions of a separate employer but notwithstanding any other provision contained in any enactment, the Treasury Board may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management including its responsibilities in relation to employer and employee relations in the public service, and without limiting the generality of sections 7 to 10,

 

 

(f) establish standards of discipline in the public service and prescribe the financial and other penalties, including termination of employment and suspension, that may be applied for breaches of discipline or misconduct, and the circumstances and manner in which and the authority by which or whom those penalties may be applied or may be varied or rescinded in whole or in part;

 

 

[10]           Ces dispositions prévoient que le Conseil du Trésor est responsable de l’organisation de la fonction publique, qu’il exerce les fonctions d’employeur en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publique, et qu’il peut établir des normes de discipline pour les membres de la fonction publique. Comme les normes de discipline en cause ont été établies par le commissaire du Service correctionnel (le commissaire), l’examen des dispositions en vertu desquelles le pouvoir du Conseil du Trésor d’édicter de telles normes a été délégué au commissaire s’impose. Ce pouvoir se trouve à l’article 12 de la LGFP :

 

12. (1) Le Conseil du Trésor peut, aux conditions et selon les modalités qu’il fixe, déléguer tel de ses pouvoirs en matière de gestion du personnel de la fonction publique à l’administrateur général d’un ministère ou au premier dirigeant d’un secteur de la fonction publique; cette délégation peut être annulée, modifiée ou rétablie à discrétion.

 

12. (1) The Treasury Board may authorize the deputy head of a department or the chief executive officer of any portion of the public service to exercise and perform, in such manner and subject to such terms and conditions as the Treasury Board directs, any of the powers and functions of the Treasury Board in relation to personnel management in the public service and may, from time to time as it sees fit, revise or rescind and reinstate the authority so granted.

 

[11]           Le SCC est un ministère selon les termes de l’article 2 de la LGFP, parce qu’il figure à la colonne I de l’annexe I.1 de la Loi :

 

« ministère »

a) L’un des ministères mentionnés à l’annexe I;

 

a.1) l’un des secteurs de l’administration publique fédérale mentionnés à la colonne I de l’annexe I.1;

[…]

"department" means

(a) any of the departments named in Schedule I,

 

(a.1) any of the divisions or branches of the public service of Canada set out in column I of Schedule I.1,

 

 

 

[12]           L’autorisation du Conseil du Trésor visée au paragraphe 12(1) de la LGFP est entrée en vigueur en vertu de l’article 50 du Règlement régissant les conditions d’emploi dans la fonction publique qui est l’Appendice A de la Politique des conditions d’emploi du Conseil du Trésor :

50. Sous réserve de tout édit du Conseil du Trésor, l'administrateur général peut :

  1. établir des normes de conduite

1.                   à l'égard des employés;

2.                   à l'égard des personnes occupant un poste de professeur ou de directeur d'école au ministère des Affaires indiennes et du Nord, et

 

2.   prescrire, imposer, modifier ou annuler, en tout ou en partie, les pénalités, d'ordre financier ou autre, y compris la suspension et le licenciement susceptibles d'être appliquées pour infraction à la discipline ou inconduite.

50. Subject to any enactment of the Treasury Board, a deputy head may:

  1. establish standards of discipline

1.                   for employees;

2.                   for persons occupying teacher and principal positions in the department of Indian and Northern Affairs, and

 

 

2.       prescribe, impose and vary or rescind, in whole or in part, the financial and other penalties, including suspension and termination of employment, that may be applied for breaches of discipline or misconduct.

 

 

 

[13]           Le statut et les pouvoirs du commissaire sont décrits dans la Loi sur le système conrrectionnel et la mise en liberté sous caution, L.C. 1992. ch. 20 (Loi sur le système correctionnel) :

 

6. (1) Le gouverneur en conseil nomme le commissaire; celui-ci a, sous la direction du ministre, toute autorité sur le Service et tout ce qui s’y rattache.

 

 

 

 

[…]

 

97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

a) la gestion du Service;

b) les questions énumérées à l’article 4;


c
) toute autre mesure d’application de cette partie et des règlements.

 

[…]

 

6. (1) The Governor in Council may appoint a person to be known as the Commissioner of Corrections who, under the direction of the Minister, has the control and management of the Service and all matters connected with the Service.

 

 

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

(a)   for the management of the Service;

(b) for the matters described in section 4; and

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

98. (1) Les règles établies en application de l’article 97 peuvent faire l’objet de directives du commissaire.

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner’s Directives any or all rules made under section 97.

 

 

[14]           Il n’a pas été contesté devant le juge de première instance ni devant notre Cour que le Commissaire est l’administrateur général d’un ministère.

 

[15]           Le commissaire a exercé son pouvoir délégué en édictant la Directive du commissaire no 60, datée du 30 mars 1994, qui contient le Code de discipline, un des éléments dont il est question en l’instance. Voici ce que prévoit l’article 3 de la Directive du commissaire :

 

3. On s'attend à ce que les employés du Service respectent les Règles de conduite professionnelle. Des règles de conduite professionnelle découlent un certain nombre de règles précises que les employés du Service correctionnel du Canada doivent observer. Une liste d'exemples d'infractions se trouve sous chaque règle précise. Ces listes ne sont pas exhaustives.

3. Employees of the Service are responsible for adhering to the Standards of Professional Conduct. Arising from the Standards of Professional Conduct are a number of specific rules that employees of the Correctional Service of Canada are expected to observe. Some examples of infractions are given in a list below each specific rule. These lists are not exhaustive.

 

 

[16]           La règle dont il est question en l’espèce s’appelle la Règle 2, laquelle renvoie aux Règles de conduite professionnelle qui sont à la source de la règle. Voici ce que prévoit cette règle :

 

 

Règle 2

CONDUITE ET APPARENCE

 

Le comportement d'une personne, qu'elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l'image de la profession, tant en paroles que par leurs actes. De même, lorsqu'ils sont de service, leur apparence extérieure doit refléter leur professionnalisme et être conforme aux normes de la santé et de la sécurité au travail.

 

Discussion et pertinence

 

L'esprit professionnel au sein du Service correctionnel dépend beaucoup de la manière dont les employés parlent, en service se présentent et s'habillent. Il faut montrer l'exemple. En tant que modèles pour les délinquants, les employés se doivent d'adopter des normes élevées que les délinquants peuvent respecter et essayer d'imiter. Employer un langage injurieux, être discourtois envers les autres ou ne pas respecter leurs opinions pourraient encourager les délinquants témoins de ce comportement à faire de même, et, de ce fait, créer une atmosphère peu favorable à une interaction saine. Les employés doivent veiller à se présenter, tant en service qu'en dehors du service, comme des citoyens responsables et respectueux des lois.

 

Les employés qui commettent des actes criminels ou d'autres violations graves de la loi - en particulier dans le cas de récidives ou d'infractions suffisamment graves pour entraîner l'incarcération - ne présente (sic) pas le genre de comportement considéré comme acceptable dans le Service, sur les plans tant personnel ou professionnel. Par conséquent, tout employé accusé d'une infraction au Code criminel ou à une loi fédérale, provinciale ou territoriale doit en aviser son surveillant avant de reprendre ses fonctions.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

Dossier d’appel, pages 152 et 153

 

 

[17]           La règle correspondante apparaissant au Code de discipline du SCC, CSC/SCC 1-11 (R‑94‑02) (Règle 2) [Code de discipline] est la suivante :

 

Conduite et apparence

 

6. Le comportement d'une personne, qu'elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l'image de la profession, tant en paroles que par leurs actes. De même, lorsqu'ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de la santé et de la sécurité au travail.

 
Infractions

Commet une infraction l'employé qui :

[…]

c) se conduit d'une manière susceptible de ternir l'image du Service, qu'il soit de service ou non;

 

d) commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d'une loi du Canada ou d'un territoire ou d'une province, risquant ainsi de ternir l'image du Service ou d'avoir un effet préjudiciable sur le rendement au travail;

 

Conduct and Appearance

 

6. Behaviour, both on and off duty, shall reflect positively on the Correctional Service of Canada and on the Public Service generally. All staff are expected to present themselves in a manner that promotes a professional image, both in their words and in their actions. Employees dress and appearance while on duty must similarly convey professionalism, and must be consistent with employee health and safety.

 
 
Infractions

An employee has committed an infraction, if he or she:

c) acts, while on or off duty, in a manner likely to discredit the Service;

 

d) commits an indictable offence or an offence punishable on summary conviction under any statute of Canada or of any province or territory, which may bring discredit to the Service or affect his or her continued performance with the Service;

            (Non souligné dans l’original.)

 

[18]           Le renvoi aux infractions c) et d)  de l’article 6 du Code de discipline au moyen de l’expression « Règle 2 » peut créer de l’ambiguïté. Aux fins des présents motifs, je n’utiliserai l’expression Règle 2 que pour le renvoi à l’article des Règles de conduite professionnelle intitulé « Règle 2 – Conduite et apparence ». J’utiliserai l’expression infraction disciplinaire en référence aux infractions décrites aux paragraphes c) et d) du Code de discipline. Lorsque je voudrai invoquer à la fois les Règles de conduite professionnelle et le Code de discipline, j’utiliserai le terme règles  du commissaire.

 

[19]            S’il est vrai que l’employeur est en droit d’établir des règles de conduite et de prendre des mesures disciplinaires contre ceux qui les transgressent, l’exercice de ce pouvoir disciplinaire est susceptible d’examen. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui était en vigueur lors du licenciement de M. Tobin, continue de s’appliquer à l’arbitrage de son licenciement en vertu de l’article 66 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, et prévoit ce qui suit :

 

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

 

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;



c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

 

 

 

 

 

93. La Commission désigne, en tant que de besoin, les commissaires pour entendre et juger les griefs renvoyés à l’arbitrage en application de la présente loi.

 

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

 

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

 

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

 

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

 

93. The Board shall assign such members as may be required to hear and adjudicate on grievances referred to adjudication under this Act.

 

[20]           La procédure applicable au grief visé par l’article 92 est celle prévue à la convention collective entre l’employeur et le syndicat représentant l’unité de négociation des employés. En l’instance, cette unité est le groupe Services santé et le syndicat est l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Il n’est pas contesté que les procédures dont  fait état la convention collective ont été respectées et que le licenciement de M. Tobin a été validement soumis à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

 

LA DÉCISION DE L’ARBITRE

[21]           Le licenciement de M. Tobin lui a été communiqué par lettre dont la teneur intégrale est reproduite ci-dessous :

 

[traduction]

Service correctionnel du Canada

Région de l’Ontario

 

Le 7 mai 2004

 

M. Fred Tobin

[Adresse]

 

Monsieur,

 

J’ai fait une analyse exhaustive du document sur votre plaidoyer et sur la peine, de même que de l’examen administratif réalisé en 2002. J’ai aussi tenu compte de vos propos lors de notre rencontre du 28 avril 2004.

 

Comme votre représentante syndicale l’a déclaré le 4 mai 2004, vous avez plaidé coupable à une accusation de conduite menaçante à l’endroit de [HM], incitant ainsi [HM] à avoir des craintes raisonnables pour sa sécurité dans toutes les circonstances; ce faisant, vous avez commis une infraction interdite par l’alinéa 264(2)d) du Code criminel du Canada. Vous avez déclaré accepter la responsabilité de vos actes dans le contexte de cette condamnation, et le tribunal vous a imposé une condamnation avec sursis assortie de dix-huit mois de probation.

 

Vous avez contrevenu à la Règle 2 - Conduite et apparence du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle :

            - se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non;

 

- est coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu d’une loi du Canada ou d’une province ou territoire pouvant jeter le discrédit sur le Service ou saper son rendement ultérieur au Service.

 

J’ai conclu dans ma décision que votre conduite était incompatible avec les fonctions dont vous devez vous acquitter comme psychologue, ainsi qu’avec la conduite attendue des employés du Service correctionnel du Canada.

 

Vous avez jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants, et la confiance qu’on vous accordait a été irrévocablement sapée.

 

J’ai tenu compte de vos années de service et de votre dossier disciplinaire, mais cela ne mitige pas la gravité de vos actes. Par conséquent, en fonction de ce qui précède et conformément au paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je vous informe que votre emploi au Service correctionnel du Canada a cessé à compter du 23 avril 2004.

 

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

 

[signée]

 

Nancy L. Stableforth

Commissaire adjointe, Ontario

 

c.c. IPFPC

 

Dossier d’appel, pages 197 et 198

 

[22]           M. Tobin a déposé un grief contestant son congédiement et son grief a été soumis à l’arbitrage. L’arbitre a conclu que comme le licenciement de M. Tobin reposait sur une conduite en dehors des heures de travail, et qu’aucun lien avec le lieu de travail n’avait été établi, la conduite en question échappait au contrôle du SCC et, qu’en conséquence, « toute sanction disciplinaire infligée pour punir cette conduite en dehors de ses heures de travail ne saurait être maintenue » (Non souligné dans l’original.) : voir le paragraphe 109 de la décision. L’arbitre a ordonné la réintégration de M. Tobin sans perte de salaire ou d’avantages sociaux.

 

[23]           L’arbitre a fondé son analyse sur le fait que les avocats avaient convenu, comme la conduite en cause se situait en dehors des heures de travail, que les critères auxquels il incombait de satisfaire étaient ceux exposés dans Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers International Union, Local 9-670, [1967] O.L.A.A. no4 (Millhaven Fibres), une affaire portant sur un litige du domaine privé assujetti aux modalités de la convention collective intervenue entre les parties.

 

[24]           L’arbitre a examiné chacun des cinq critères de la décision Millhaven Fibres qu’il a ainsi formulés :

[traduction]

1)         La conduite de M.Tobin a-t-elle porté atteinte à la réputation du SCC, et sa condamnation au criminel a-t-elle eu pour effet de porter atteinte à la réputation générale du SCC et des employés travaillant au SCC?

 

2)         La conduite de M. Tobin l’a-t-elle rendue incapable d’accomplir ses fonctions de façon satisfaisante?

 

3)         Le comportement de M. Tobin entraîne-t-il la réticence ou l’incapacité des autres employés du SCC à travailler avec lui ou encore le refus de le faire?

 

4)         M. Tobin était-il coupable d’un manquement grave au Code criminel?

 

5)         La conduite de M. Tobin a-t-elle rendu difficile pour le SCC la conduite adéquate de sa fonction de gérer efficacement ses tâches et de diriger efficacement ses effectifs?

 

 

[25]           L’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas satisfait aux cinq critères. En ce qui concerne le premier critère, l’arbitre a statué que pour étayer l’atteinte à la réputation il faut établir la réputation qu’avait le SCC avant et après les événements à l’origine du licenciement de M. Tobin, et le fait que cette réputation a été entachée en raison de sa conduite. Il a également conclu qu’aucune preuve n’établissait que la capacité de M. Tobin d’accomplir ses fonctions était compromise. L’arbitre a conclu à la nécessité de « solides preuvse objectives » pour le convaincre « que M. Tobin serait traité comme un paria s’il devait être réintégré » (paragraphe 101 de la décision). Quant à la question de savoir si M. Tobin avait commis une infraction criminelle grave, l’arbitre a souligné que les parties avaient conjoitement suggéré à la cour, et celle-ci a accepté, qu’une condamnation avec sursis assortie de 18 mois de probation constituerait une peine adéquate. Il en a conclu que M. Tobin n’avait pas commis d’infraction criminelle grave. Enfin, l’arbitre a conclu qu’aucune preuve n’a été présentée quant à des questions de rendement au travail pour la période entre la suspension initiale de M. Tobin et la date de son licenciement. 

 

[26]           Se fondant sur cette analyse, l’arbitre a conclu en ces termes :

109 Comme je l’ai déjà dit, l’employeur doit produire une preuve que les critères établis dans Millhaven Fibres s’appliquent, puisque, généralement parlant, il n’a aucun pouvoir sur les activités de ses employés hors de leurs heures de travail. Il doit prouver l’existence d’un lien entre les événements qui se sont produits en dehors des heures de travail et le lieu de travail. Avec les faits qui m’ont été présentés, je ne crois pas que l’employeur ait prouvé l’existence d’un tel lien. Je le répète, faute de ce lien essentiel, la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail échappe au contrôle du SCC, et toute sanction disciplinaire imposée pour punir cette conduite en dehors de ses heures de travail ne saurait être maintenue. 

 

 

[27]           L’employeur, représenté par le procureur général du Canada, a sollicité le contrôle judiciaire de la Décision.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[28]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, le procureur général a allégué le caractère manifestement déraisonnable de la Décision : voir le dossier d’appel, page 75. Le juge Campbell, juge de première instance, a accueilli la demande de contrôle judiciaire.

 

[29]           Lorsque l’affaire a initialement été présentée au juge de première instance, celui-ci a soulevé, de sa propre initiative, la question de la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la conduite de M. Tobin. Il s’est demandé « pourquoi la conduite de M.  Tobin n’a pas été examinée au regard des normes du commissaire? » (au paragraphe 4 de ses  motifs) par opposition à la norme formulée dans la jurisprudence en matière d’arbitrage, notamment les critères énoncés dans Millhaven Fibres. Comme les parties avaient convenu de tenir pour acquis ces  dernières normes, le juge de première instance a pris les deux parties par surprise. Il a alors ajourné l’affaire afin que des arguments additionnels soient déposés pour traiter de cette question. Dans sa réponse, le procureur général a soutenu que les règles du commissaire constituaient la norme au regard de laquelle la conduite de M. Tobin devait être examinée, adoptant ainsi une position contraire à celle adoptée auparavant devant l’arbitre. M. Tobin a maintenu sa position initiale, à savoir que les critères de la décision Millhvaven Fibres s’appliquaient.

 

[30]           Après avoir examiné les arguments des parties, le juge de première instance a annoncé qu’il instruirait l’affaire en appliquant les règles du commissaire et non les critères énoncés dans Millhaven Fibres. À son avis, la question de la norme correcte pour l’appréciation de la conduite de M. Tobin est si fondamentalement importante que l’application de la mauvaise norme constituerait une erreur judiciaire. Compte tenu du changement de position du procureur général, le juge de première instance a cependant conclu que les dépens de la demande de contrôle judiciaire devraient être adjugés en faveur de M. Tobin, quelle que soit l’issue de la cause. Cette erreur constituait donc la première qu’a relevée le juge de première instance dans la décision de l’arbitre.

 

[31]            Se penchant sur le fond du litige, le juge de première instance a examiné le régime juridique régissant la gestion du personnel dans la fonction publique et, plus particulièrement, la gestion des effectifs du SCC. Il a conclu que le pouvoir du commissaire d’établir des règles en matière de conduite et de discipline découlait de l’article 97 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20.

 

[32]           Le juge de première instance s’est ensuite penché sur l’argument de M. Tobin selon lequel la directive du commissaire étant uniquement de nature administrative, ne saurait en droit lier l’arbitre. La position de M. Tobin s’appuie sur l’arrêt Martineau c. Matsqui Institution, [1978] 1 R.C.S. 118, une affaire dans laquelle s’appliquait la première version de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et où les décisions ou ordonnances de nature administrative étaient exclues de la compétence de la Cour. De plus, M. Tobin a fait valoir que comme la délégation d’autorité au commissaire a été effectuée en vertu de la Politique des conditions d’emploi du Conseil du Trésor, les mesures résultant de l’exercice de ce pouvoir ne sont  qu’administratives et, par conséquent, elles n’ont pas force de loi. Le juge de première instance a examiné cet argument en détail et l’a rejeté au motif que « l’objet du régime juridique décrit ci‑dessus, et en particulier la fonction de la politique en matière d’emploi, replacé dans le contexte de la nécessité d’établir des règles de discipline exécutoires pour les employés du SCC, permet au commissaire d’atteindre ce résultat » (au paragraphe 27 de ses motifs).

 

[33]           Le juge de première instance a ensuite examiné les faits et la décision du SCC. Il a également conclu que l’arbitre avait commis une erreur en n’appliquant pas la preuve de façon adéquate. L’essentiel de son raisonnement se trouve dans le passage suivant du paragraphe 48 de ses motifs :

48         […] En conséquence, la première chose que l’arbitre aurait dû examiner est la preuve utilisée pour étayer le congédiement de M. Tobin, et il aurait dû se demander si cette conduite « portait atteinte » à la réputation du SCC, puisque c’est exactement ce que Mme Stableforth a conclu. Plutôt que de faire cela, l’arbitre a conclu que la conduite de M. Tobin en dehors des heures de travail n’était pas pertinente. Il semble que cette conclusion soit fondée sur sa conclusion exprimée au paragraphe 88 selon laquelle il avait besoin d’une preuve d’une source qui lui permettrait d’arriver à une opinion et à l’exprimer. Il s’agit d’une mauvaise compréhension de son devoir. Il n’y a que l’arbitre qui puisse se forger une opinion en recourant à ses propres connaissances et à son habileté analytique. Aucune preuve de perte du respect public n’est nécessaire pour parvenir à une conclusion. En d’autres mots, la question de savoir si la confiance et le respect du public à l’endroit du SCC diminueront si M. Tobin n’est pas congédié n’est pas une question de preuve; c’est une question de jugement, qu’on doit exercer de façon correcte, équitable et raisonnable.

 

 

 

[34]           Le juge de première instance a ensuite conclu que les questions juridiques soulevées par le licenciement de M. Tobin outrepassaient le champ d’expertise de l’arbitre, citant le paragraphe 60 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir] :

60  Rappelons que dans le cas d’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62, le juge LeBel), la cour de révision doit également continuer de substituer à la décision rendue celle qu’elle estime constituer la bonne.  Pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble.  C’est ce que la Cour a conclu dans l’affaire Toronto (Ville) c. S.C.F.P., où étaient en cause des règles de common law complexes ainsi qu’une jurisprudence contradictoire concernant les doctrines de la chose jugée et de l’abus de procédure, des questions qui jouent un rôle central dans l’administration de la justice (par. 15, la juge Arbour).

 

Au paragraphe 53 de ses motifs

 

 

[35]           En conséquence, le juge de première instance a conclu que la norme de contrôle était celle de la décision correcte et que l’arbitre avait commis une erreur de droit dans son analyse des principes applicables. À titre subsidiaire, il a conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable en ce qu’elle avait été un « processus vicié quant à la preuve et à l’analyse », lequel avait mené à une décision qui n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47) » (au paragraphe 55 de ses motifs). Il a annulé la décision de l’arbitre et a renvoyé l’affaire à un autre arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision conformément à ses motifs (ceux du juge de première instance).

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[36]           L’avocat de M. Tobin formule les questions en litige dans le présent appel en ces termes :

1 – La Cour aurait-elle dû refuser d’examiner cet argument [l’effet des normes de conduite de l’employeur]? Étant donné que ce point n’a pas été soulevé devant l’arbitre ni même dans la demande de contrôle judiciaire, la Cour aurait dû refuser d’examiner cet argument.

 

2 – Quelle est la norme de contrôle applicable? La décision rendue par l’arbitre tombait bel et bien dans son champ d’expertise en matière de relations de travail et de questions relatives à la preuve. À ce titre, la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

3 – L’arbitre a-t-il commis une erreur en ne reconnaissant pas le caractère contraignant des règles du SCC? Aucun fondement juridique ou factuel ne permettait de conclure que l’arbitre était lié par les règles de façon à restreindre sa compétence.

 

4 – L’arbitre a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la preuve? Il n’en a pas commise, particulièrement dans la mesure où le fardeau incombait à l’employeur, et où l’arbitre n’était seulement saisi que la question de savoir si la preuve étayait les allégations de fait présentées par l’employeur. 

 

 

[37]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que les questions à trancher seraient plus justement formulées ainsi :

 

1 – Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer à la décision de l’arbitre?

 

2 – L’arbitre a-t-il commis une erreur en décidant d’appliquer les critères de la décision  Millhaven Fibres?

 

3 – L’arbitre a-t-il commis une erreur dans sa façon d’appliquer les critères de la décisioin  Millhaven Fibres?

 

 

 

 

ANALYSE

 

1 – Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer à la décision de l’arbitre?

 

 

[38]           La première tâche du juge de première instance consistait à correctement déterminer la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer à la décision de l’arbitre : paragraphe 43 de l’arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

 

[39]           Le juge de première instance a reconnu les directives formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, selon lesquelles, de façon générale, lorsqu’un tribunal spécialisé agit dans son champ d’expertise, la déférence est de mise, c’est-à-dire qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable à sa décision. Le juge de première instance a toutefois conclu que les deux questions sur lesquelles son examen a porté ne tombaient pas dans le domaine d’expertise de l’arbitre, étant donné que ce dernier était un expert en relations de travail et non dans « des questions juridiques complexes comme celles soulevées dans le cadre du grief de M. Tobin » : au paragraphe 53 de ses motifs. En conséquence, il a appliqué la norme de la décision correcte et a conclu que l’arbitre avait commis dans son analyse des erreurs susceptibles de contrôle.

 

[40]           À mon avis, l’appréciation de la norme de contrôle par le juge de première instance est erronée. L’arbitre agissant en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’est pas seulement un expert en relations en travail, il est aussi un expert en relations de travail dans la fonction publique. J’estime que le juge de première instance a délimité de façon trop étroite le champ d’expertise de l’arbitre. Les « questions juridiques complexes » écartées du champ d’expertise de l’arbitre par le juge de première instance constituent le genre de questions à l’égard desquelles sont souvent appelés à se prononcer les arbitres en matière de griefs dans la fonction publique. Je conclus que le juge de première instance a commis une erreur et que la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer à la décision de l’arbitre était celle de la décision raisonnable. L’arbitre constitue un tribunal spécialisé agissant bel et bien dans son champ d’expertise, c’est pourquoi la déférence doit être de mise même à l’égard des questions de droit : paragraphe 54, arrêt Dunsmuir.

 

2 – L’arbitre a-t-il commis une erreur en décidant d’appliquer les critères de la décision Millhaven Fibres?

 

[41]           M. Tobin soutient que le juge de première instance a soulevé sans droit la question de l’application des règles du commissaire. Il est vrai que dans l’optique traditionnelle d’un système fondé sur le débat contradictoire, le juge ne statue habituellement que sur les seules questions dont les parties l’ont saisi. Ceci étant dit, la Cour doit disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour intervenir lorsque la qualification d’une question par les parties risque de déformer le droit. Tel était le cas dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, où l’affaire s’est rendue devant la Cour suprême sans qu’aucune des parties ne soulève ou ne traite de la question de la détermination de la norme de contrôle. Reconnaissant qu’elle n’avait pas été débattue au fond devant elle, la Cour suprême a néanmoins statué sur la question, au motif que le pourvoi ne pouvait être tranché sans arrêter au préalable une réponse à cette question :

 

Sans la certification d’une « question grave de portée générale », l’appel ne serait pas justifié. L’objet de l’appel est bien le jugement lui-même, et non simplement la question certifiée. L’un des éléments nécessaires pour trancher la demande de contrôle judiciaire est la norme de contrôle applicable au jugement du tribunal administratif qui fait l’objet du contrôle, et cette question est de toute évidence en cause dans le présent pourvoi. Quoique notre Cour soit peu disposée à statuer sur des questions qui n’ont pas été débattues à fond devant elle, le présent pourvoi ne saurait être tranché sans détermination préalable de la norme de contrôle applicable.

 

                  Pushpanathan, précité, au paragraphe 25

 

[42]           Il en est de même en l’espèce. La question soulevée par le juge de première instance était préalable à l’issue du litige. Peut-être induit en erreur par l’acquiescement du procureur général, l’arbitre a directement abordé la question de la conduite en dehors des heures de travail, telle que soulevée dans la jurisprudence arbitrale, sans prendre en compte le contexte des règles de conduite professionnelle du SCC et le Code de conduite en soi. 

 

[43]           Au paragraphe 109 de sa décision, l’arbitre a ainsi formulé ses conclusions :

[…] [ l’employeur] doit prouver l’existence d’un lien entre les événements qui se sont produits en dehors des heures de travail et le lieu de travail. Avec les faits qui m’ont été présentés, je ne crois pas que l’employeur ait prouvé l’existence d’un tel lien. Je le répète, faute de ce lien essentiel, la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail échappe au contrôle du SCC, et toute sanction disciplinaire imposée pour punir cette conduite en dehors de ses heures de travail ne saurait être maintenue.

 

[44]           Il ressort clairement de ce passage, et du reste de la décision de l’arbitre également, qu’il a considéré que la question dont il était saisi était de savoir si la déclaration de culpabilité de M. Tobin justifiait les mesures disciplinaires prises contre lui, et non celle de savoir si ces mesures disciplinaires prises en raison de la déclaration de culpabilité de M. Tobin étaient appropriées dans les circonstances. Le juge de première instance était en droit de soulever, comme il l’a fait, l’effet des règles du commissaire. S’il avait omis de le faire, la Cour aurait instruit l’affaire en se fondant sur une hypothèse non vérifiée, à savoir que les règles du commissaire ne sont pas pertinentes quant à l’appréciation des mesures prises par l’employeur en matière de conduite en dehors des heures de travail.

 

[45]            Ayant établi que le juge de première instance était en droit de soulever la question de la norme qu’il convenait d’appliquer pour apprécier la conduite de M. Tobin,  la question de savoir laquelle de ces normes appliquer subsiste. Une grande partie du débat devant le juge de première instance ainsi qu’en la présente instance a porté sur l’effet qu’il convenait de donner aux règles du commissaire et plus particulièrement sur la question de savoir si elles « liaient » l’arbitre. Dans le présent contexte, le sens du mot « lier » n’est pas vraiment évident. Le rôle de l’arbitre consiste à décider si les faits sur lesquels se fonde l’employeur pour imposer des mesures disciplinaires à un employé ont été étayés et, dans l’affirmative, d’évaluer si la sanction imposée par l’employeur est appropriée.

 

[46]           Le pouvoir d’adopter le Code de discipline comporte le droit d’apprécier la conduite des employés à la lumière de ses dispositions, sinon il ne serait d’aucune utilité. J’ai examiné les liens dans la chaîne des pouvoirs délégués depuis le Conseil du Trésor jusqu’au commissaire du SCC. Si cette chaîne comportait un lien manquant, rien en ce sens ne nous a été démontré. Le pouvoir du Conseil du Trésor d’établir des normes de discipline dans la fonction publique a été délégué au commissaire qui l’a exercé en adoptant le Code de  discipline

 

[47]           Si le commissaire est en droit d’adopter les normes  de conduite, il dispose alors vraisemblablement du droit d’apprécier la conduite des employés en fonction des règles établies dans le Code, sinon celles-ci ne seraient d’aucune utilité. On ne saurait court-circuiter ce raisonnement en tenant pour acquis qu’un autre ensemble de règles est justifié du fait que la conduite visée par la mesure disciplinaire s’est produite en dehors des heures de travail. 

 

[48]           La Règle 2 des règles de conduite professionnelles, lesquelles doivent se lire en parallèle avec le Code de discipline, s’applique précisément à la conduite en dehors des heures de travail. En l’espèce, l’infraction disciplinaire prévoit qu’une déclaration de culpabilité peut faire l’objet de mesures disciplinaires. La déclaration de culpabilité visée par l’infraction disciplinaire ne se limite pas à celle découlant d’une conduite affichée dans les locaux de l’employeur. L’avocat de M. Tobin a admis ce point. La question de l’applicabilité des règles du commissaire à la conduite en dehors des heures de travail ne se pose donc pas en l’espèce comme elle se posait dans la décision Millhaven Fibres.

 

[49]           Il existe sans doute de nombreuses raisons pour expliquer qu’une déclaration de culpabilité soulève des problèmes dans le milieu correctionnel qui diffèrent de ceux dans d’autres contextes. Les règles de conduite professionnelle prévoient précisément ce qui suit :

 

L'esprit professionnel au sein du Service correctionnel dépend beaucoup de la manière dont les employés parlent, en service se présentent et s'habillent. Il faut montrer l'exemple. En tant que modèles pour les délinquants, les employés se doivent d'adopter des normes élevées que les délinquants peuvent respecter et essayer d'imiter.

(Je souligne.)

 

[…]

 

Les employés qui commettent des actes criminels ou d'autres violations graves de la loi - en particulier dans le cas de récidives ou d'infractions suffisamment graves pour entraîner l'incarcération - ne présente pas le genre de comportement considéré comme acceptable dans le Service.

 

[50]           Ces problèmes ont été soulevés dans la lettre de licenciement de M. Tobin :

 

[traduction]

J’ai conclu dans ma décision que votre conduite était incompatible avec les fonctions dont vous devez vous acquitter comme psychologue, ainsi qu’avec la conduite attendue des employés du Service correctionnel du Canada. 

(Non souligné dans l’original.)

 

[51]           De la même façon, les règles de conduite professionnelle et le Code de conduite traitent de conduite nuisible à la réputation du SCC. Compte tenu de la mission du SCC, la question de savoir si une déclaration de culpabilité et les circonstances dans lesquelles la culpabilité a été reconnue lui sont nuisibles constitue un facteur à prendre en compte dans l’évaluation du caractère approprié de la sanction imposée à M. Tobin. 

 

[52]           Il s’agit de considérations importantes ayant une incidence directe sur les questions soumises à l’arbitre. Le prochain arbitre devra les prendre en compte et leur accorder la force probante qu’il estimera appropriée. Il serait déraisonnable de ne pas le faire, c’est-à-dire de ne pas appliquer les règles du commissaire. Cette application n’empêche pas un arbitre de conclure que la sanction imposée n’est pas appropriée compte tenu de toutes les circonstances, mais une telle  décision devrait être justifiée au regard des règles de conduite professionnelle et du Code de conduite.

 

[53]           En conséquence, la décision de l’arbitre de se fonder sur l’analyse des critères de la décision  Millhaven Fibres ne résiste pas à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[54]           La jurisprudence citée dans l’argumentation de M. Tobin n’a aucune incidence sur cette conclusion. Dans un contexte où il s’agit de déterminer si le Code de discipline a « force de loi », la présente espèce ne constitue pas une affaire portant sur le conflit entre une loi et un document officiel quelconque dans laquelle la question à trancher serait de savoir si le document officiel a force de loi, ce qui était le cas dans l’affaire Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253, citée par M. Tobin. La question en l’espèce est plus simple : il s’agit de savoir si l’adoption du Code de conduite constituait l’exercice d’un pouvoir dûment délégué. Je conclus en ce sens.

 

[55]           Dans le même ordre d’idées, il ne s’agit pas d’une affaire dont l’issue repose sur la question de savoir si le résultat ultime de l’exercice du pouvoir délégué a donné lieu à une politique administrative ou à une norme juridique. Telle était la question à trancher dans l’arrêt Martineau, précité, une affaire jugée sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à une époque où les décisions de simple nature « administrative » étaient soustraites à la compétence  de la Cour fédérale Cette distinction n’a plus aujourd’hui l’importance qu’elle avait jadis.

 

[56]           Enfin, je ne souscris pas à l’argument de M. Tobin selon lequel le Code de discipline constitue une atteinte non autorisée à la négociation collective dans la fonction publique.

L’alinéa 11(2)f) de la LGFP prévoit précisément le pouvoir du Conseil du Trésor de prescrire des règles de discipline. Ce pouvoir a été dûment délégué au commissaire. L’article portant sur les droits de gestion dans la convention collective protège expressément ces droits que l’employeur [traduction] « n’a pas expressément diminués, délégués ou modifiés » par la convention collective : dossier d’appel, page 223. L’article 37.01 de la convention collective, sur lequel M. Tobin fonde son argument, est une disposition qui à sa face même traite de la communication de l’information relative aux « règles de discipline du ministère » : dossier d’appel, page 300. Il n’entre pas dans le cadre des fonctions de notre Cour d’interpréter la convention collective, mais comme l’argument a été soulevé, j’ajouterai simplement que je ne relève rien dans cette disposition me menant à conclure que les règles de discipline du ministère doivent faire l’objet de négociations.

 

[57]           En conséquence, je conclus que le juge de première instance était en droit de soulever et d’examiner la question de la norme qu’il convenait d’appliquer à l’appréciation de la conduite de M. Tobin. L’on peut certes comprendre comment l’arbitre en est venu à trancher la question comme il l’a fait, mais sa démarche demeure néanmoins déraisonnable à la lumière du libellé explicite des règles du commissaire. Je suis donc d’avis de rejeter l’appel sur ce point.

 

3 – L’arbitre a-t-il commis une erreur dans sa façon d’appliquer les critères de la décision  Millhaven Fibres?

 

[58]           Le juge de première instance ne s’est pas limité à la question de la norme qu’il conviendrait d’appliquer, mais il a aussi examiné la façon dont l’arbitre a appliqué les critères de Millhaven Fibres. Dans le mémoire des faits et du droit déposé en son nom, M. Tobin a tenté de justifier la position de l’arbitre. En conséquence, cette question nous occupe également.

 

[59]            Une des questions soumises à l’arbitre portait sur l’atteinte à la réputation de l’employeur. L’arbitre a traité ainsi cette question :

 

[89]      Or, rien dans la preuve n’a démontré que le SCC ait souffert de la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail. Pour arriver à une telle conclusion, il me faudrait une preuve sur ce qui suit :

 

a)         la réputation du SCC avant les événements de juillet 2002;

           

b)         la réputation du SCC après les événements de juillet 2002;

 

c)         si la réputation du SCC a été sapée dans la période d’avant et d’après juillet 2002, une preuve que ce serait directement attribuable à la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail.

 

[60]           L’arbitre ne précise pas sous quelle forme une telle preuve devrait être présentée. La preuve directe d’atteinte à la réputation peut être requise en certaines circonstances, mais il était manifestement déraisonnable pour l’arbitre de fixer une norme qui, à toutes fins utiles, ne pouvait être respectée. L’on ne saurait apprécier ou mesurer la réputation d’une institution nationale de la même façon qu’on le ferait pour une personne au sein d’une collectivité. Comment l’arbitre concevait-il qu’une telle preuve lui serait présentée? Aurait-elle été présentée sous forme de sondages de l’opinion publique? Hormis la question des coûts et de l’emploi à bon escient des fonds publics, il m’apparaît que la conception de tels sondages poserait des difficultés considérables. Par exemple, comment l’employeur s’y prendrait-il pour savoir, avant les événements en question, qu’il doit commencer à recueillir des éléments de preuve d’atteinte à sa réputation? Il est tout simplement déraisonnable de croire que la réputation du SCC puisse être mesurée avec une précision mathématique et qu’un facteur particulier puisse expliquer avec certitude les changements à cette réputation.

 

[61]           Le passage de l’arrêt Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455 [Fraser], auquel le juge de première instance renvoie au paragraphe 50 de ses motifs, est particulièrement pertinent à cet égard. Dans l’arrêt Fraser, il s’agissait de déterminer si les critiques d’un fonctionnaire à l’égard des politiques du gouvernement avaient laissé libre cours à la perception qu’il était incapable de remplir ses fonctions de fonctionnaire. La notion d’incidence néfaste est assez élastique, tout comme celle de l’image ternie. C’est en ce sens que la Cour suprême s’est prononcée :

Si on examine l'incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d'avis qu'une preuve directe n'est pas nécessairement exigée. Les traditions et les normes contemporaines de la fonction publique peuvent constituer des éléments de preuve directe. Toutefois elles peuvent également être des éléments d'étude, d'argumentation écrite et orale, de connaissance générale de la part d'arbitres qui ont l'expérience du secteur public et enfin, de déductions raisonnables par ces derniers.

 

Fraser, précité, au paragraphe 48

 

[62]           Il en va de même pour la question de savoir si une conduite donnée porte atteinte à la réputation du SCC. Il s’agit d’une question dont le traitement commande une dose de bon sens et de discernement. L’arbitre a commis une erreur en la réduisant à une question de preuve empirique.

 

[63]           L’arbitre a commis une seconde erreur lorsqu’il a examiné la question de savoir si

l’infraction à laquelle M. Tobin avait reconnu sa culpabilité constituait un manquement grave au Code criminel. L’arbitre a seulement apprécié la gravité de l’infraction en se fondant sur la sévérité de la peine infligée. Dans le cas de M. Tobin, l’arbitre a conclu qu’une condamnation avec sursis assortie de 18 mois de probation ne le convainquait pas que M. Tobin avait commis un manquement grave au Code criminel

 

[64]           La gravité d’une infraction s’apprécie à la fois en fonction de critères subjectifs et objectifs : voir, par exemple, les paragraphes 24 et 25 de l’arrêt R. c. L.M, [2008] 2 R.C.S. 163. On qualifie habituellement de critères objectifs la peine maximale pouvant être infligée à l’accusé et le mode de poursuite, c’est-à-dire soit par acte d’accusation, soit par voie de poursuite sommaire. En l’espèce, l’infraction à l’égard de laquelle M. Tobin a reconnu sa culpabilité, soit celle de harcèlement criminel en se comportant d’une manière menaçante, constitue une infraction mixte, en ce sens que le ministère public peut décider de procéder par voie de mise en accusation ou par voie sommaire. Le mode de poursuite par voie de mise en accusation est réservé aux infractions les plus graves. Lorsque le ministère public procède par voie de mise en accusation, comme en l’espèce,  et que l’accusé est reconnu coupable, l’emprisonnement maximal est de dix ans, ce qui constitue une lourde peine. Les critères objectifs soulignent la gravité de l’infraction aux yeux du législateur qui ne dispose naturellement d’aucune information quant aux circonstances entourant la perpétration d’une infraction donnée.

 

[65]           Quant aux critères subjectifs, il s’agit des circonstances, soit atténuantes soit aggravantes, entourant la perpétration de l’infraction. C’est l’ensemble des circonstances qui doit être pris en compte, et non seulement celles qui sont pertinentes eu égard au chef d’accusation pour lequel l’accusé a reconnu sa culpabilité. En l’espèce, il se trouvait un certain nombre de circonstances pertinentes pour l’appréciation de la gravité subjective de l’infraction, lesquelles, semble-t-il, n’ont pas été prises en compte. Au paragraphe 80 de sa décision, l’arbitre énumère une longue liste de facteurs qui, selon M. Tobin, auraient dû être considérés dans son dossier comme des facteurs atténuants. L’arbitre n’a, en aucun temps, pris en compte un certain nombre de facteurs qui auraient pu être considérés comme aggravants. Voici certains de ces facteurs :

-la nature de la relation de travail entre M. Tobin et la victime aux dates pertinentes;

-le refus constant de M. Tobin de voir la victime mettre fin à la relation;

-la position de M. Tobin comme modèle de comportement pour tous les délinquants, y compris les délinquants sexuels et ceux aux prises avec des problèmes relationnels;

-la position de M. Tobin de qui, en sa qualité de psychologue consultant, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit conscient des conséquences dommageables de son comportement envers la victime;

-la gravité de la conduite de M. Tobin admise à l’audience de détermination de la peine.

 

[66]           En l’espèce, l’arbitre a adopté une approche simplement fondée sur la peine infligée par le juge du procès à la suite de la proposition conjointe présentée par la Couronne et la défense. L’arbitre ne semble pas avoir saisi le sens de la condamnation avec sursis, de la période de probation et de l’interdiction d’avoir en sa possession des armes à feu. L’effet de la condamnation avec sursis est démontré par le fait que si M. Tobin ne respectait pas les conditions de son ordonnance de probation, il pourrait se retrouver devant la cour qui aurait le loisir de lui infliger la peine, y compris une période d’emprisonnement maximale de 10 ans, qu’il jugerait appropriée dans les circonstances. Les tribunaux ont toujours jugé qu’une période de probation ne constituait pas une peine « légère ». Elle impose des restrictions à la liberté du délinquant ainsi que des conditions qui peuvent entraîner des conséquences pénales en cas de violation : voir Jayasekara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404, au paragraphe 54; R c. B. (M.), [1987] O.J. no 276 (C.A. Ont.). Enfin, l’interdiction d’avoir en sa possession des armes à feu est une condition qui, aux termes de l’article 109 du Code criminel, doit être imposée lorsqu’une personne est reconnue coupable d’un acte criminel passible d’une peine maximale d’emprisonnement égale ou supérieure à dix ans et perpétré avec usage, tentative ou menace de violence contre autrui. De telles circonstances étaient présentes en l’espèce et elles soulignent encore une fois la gravité de l’infraction à l’égard de laquelle M. Tobin a reconnu sa culpabilité.

 

[67]            En conséquence, la peine infligée par la juridiction criminelle ne peut être traitée comme un distillat des critères objectifs et des facteurs subjectifs entourant la perpétration de l’infraction. Selon le Code criminel, le juge qui détermine la peine est tenu de prendre en compte des facteurs qui, dans le contexte d’un milieu de travail, peuvent s’avérer pertinents ou non : voir l’article 718 du Code criminel. Il était déraisonnable pour l’arbitre de limiter son analyse sur cette question à la peine infligée.

 

[68]           Pour ces motifs, je conclus que même si on devait apprécier la décision de l’arbitre en acceptant l’hypothèse tenue pour acquise par les avocats qui l’ont plaidée, à savoir, que les facteurs

formulés dans la décision Milhaven Fibres s’appliquent, la décision de l’arbitre est déraisonnable quant à deux aspects importants et elle doit être annulée. Je renverrais donc l’affaire pour une nouvelle audience.

 

CONCLUSION

[69]           Je rejetterais l’appel avec dépens devant notre Cour en faveur du procureur général. Je ne modifierais pas l’ordonnance du juge de première instance quant aux dépens.

 

[70]           Je renverrais l’affaire pour une nouvelle audience devant un autre arbitre qui devra se conformer aux directives suivantes :

 

a)      L’affaire devra être instruite sur le fondement de l’application des règles du commissaire pour apprécier le comportement de M. Tobin ainsi que le caractère approprié de la sanction imposée par l’employeur.

b)      Il est loisible à l’arbitre de conclure que M. Tobin a terni l’image du Service correctionnel du Canada, en se fondant sur la conduite de ce dernier ainsi que sur les facteurs objectifs et subjectifs entourant sa déclaration de culpabilité au criminel, sans qu’il soit nécessaire d’étayer la perte de réputation par une preuve directe. 

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-368-08

 

INTITULÉ :                                                                           Frederick James Tobin c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 29 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 27 août 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

POUR L’APPELANT

 

John Jaworski

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANT

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.