Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20080520

Dossier : A‑27‑08

Référence : 2008 CAF 186

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES LIMITED,

TAP PHARMACEUTICALS INC.

et TAP PHARMACEUTICAL PRODUCTS INC.

 

appelantes

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 avril 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 mai 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 

 


 

Date : 20080520

Dossier : A‑27‑08

Référence : 2008 CAF 186

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES LIMITED,

TAP PHARMACEUTICALS INC.

et TAP PHARMACEUTICAL PRODUCTS INC.

 

appelantes

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Il s'agit d'un appel de la décision (2007 CF 1318) par laquelle le juge Hugues a rejeté la demande formée par les appelantes (ci‑après désignées collectivement Abbott) sous le régime de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Abbott cherche à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à qui que ce soit un avis de conformité (AC) à l'égard d'une version générique de ses capsules de Prevacid de 15 ou de 30 mg à libération prolongée sans prescrire à cette personne de traiter, sous le régime de l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement MB (AC)), le brevet canadien no 1327010 (le brevet 010) et le brevet canadien no 1338377 (le brevet 377).

Le régime applicable

[2]               La plupart des procédures engagées dans le cadre du Règlement MB (AC) mettent aux prises un « innovateur » (le fabricant d'une drogue réalisant une revendication de brevet) et un fabricant de drogues génériques qui souhaite commercialiser une version générique de la drogue innovante. La présente espèce est un litige entre un innovateur et le ministre.

 

[3]               Le Règlement MB (AC) a été promulgué pour décourager les abus possibles de l'exception relative à la fabrication anticipée que prévoit le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, relativement à certains brevets pharmaceutiques. Selon cette exception, le génériqueur ne contrefait pas le brevet que réalise une drogue innovante s'il utilise l'invention brevetée, avant l'expiration du brevet, à la seule fin d'obtenir l'approbation réglementaire d'une version générique de cette drogue.

 

[4]               Aucune drogue ne peut être commercialisée au Canada sans que le ministre ait délivré un AC à son égard sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Le Règlement MB (AC) s'inscrit dans le cadre de ce processus d'approbation des drogues. En général, le ministre délivre un AC lorsqu'il est convaincu que sont remplies les conditions applicables que prévoit le Règlement sur les aliments et drogues. Une fois qu'il est ainsi convaincu, il est tenu de délivrer l'AC, à moins que l'article 7 du Règlement MB (AC) ne le lui interdise; voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1994] 1 C.F. 742.

 

[5]               Le Règlement MB (AC) prescrit au ministre de tenir un « registre des brevets ». Lorsque le ministre délivre un AC à un innovateur au titre d'une drogue qui réalise une revendication de brevet, cet innovateur doit demander l'adjonction du brevet en question au registre des brevets à l'égard de cette drogue. Si le brevet est ajouté au registre à l'égard de la drogue en question et qu'un génériqueur dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) en vue d'obtenir un AC pour une version générique de cette drogue sur le fondement de certaines comparaisons établissant la bioéquivalence, l'article 7 du Règlement MB (AC) interdit au ministre de délivrer l'AC ainsi demandé avant la plus tardive de certaines dates. L'une de ces dates est celle à laquelle le génériqueur « se conforme à l'article 5 » du Règlement MB (AC). La demande d'AC formée par un génériqueur est dite « suspendue pour des motifs relatifs au brevet » lorsque le ministre, bien qu'ayant achevé l'examen réglementaire de la drogue générique proposée, ne peut délivrer un AC immédiatement au motif que ne sont pas remplies les conditions prévues à l'article 7 du Règlement MB (AC).

 

[6]               Le génériqueur se conforme à l'article 5 du Règlement MB (AC) en « traitant » les brevets ajoutés au registre des brevets à l'égard de la drogue innovante à laquelle la drogue générique est comparée. Le génériqueur peut traiter un brevet en acceptant de ne pas recevoir d'AC pour sa drogue générique avant l'expiration de ce brevet. Il peut aussi traiter un brevet ajouté au registre en formulant une ou plusieurs « allégations » qui, si elles se révèlent fondées, le dispenseront de tenir compte de ce brevet. On peut traiter un brevet par exemple en alléguant qu'il est expiré, qu'il n'est pas valide ou que la drogue générique ne contreferait aucune revendication y contenue de l'ingrédient médicinal, de la formulation, de la forme posologique ou de l'utilisation de la drogue innovante. Le génériqueur qui avance une allégation de cette nature doit signifier à l'innovateur un énoncé détaillé établissant en la manière prescrite le fondement de l'allégation.

[7]               La signification de l'énoncé détaillé permet à l'innovateur de demander à la Cour fédérale, en vertu de l'article 6 du Règlement MB (AC), une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à l'égard de la drogue générique avant l'expiration du brevet ajouté au registre. L'introduction de cette demande marque le début d'une période de suspension de 24 mois prévue par le Règlement MB (AC) – que la Cour fédérale peut abréger ou prolonger dans certains cas –, pendant laquelle le ministre ne pourra délivrer d'AC à l'égard de la drogue générique à moins que ne soit remplie l'une ou l'autre d'un certain nombre de conditions. L'une de ces conditions est que la demande en interdiction soit rejetée ou que le demandeur s'en désiste.

 

Les faits

[8]               Abbott est autorisée depuis 1995 à commercialiser le Prevacid en capsules au Canada en vertu d'AC délivrés par le ministre. Plusieurs brevets ont été ajoutés au registre à l'égard du Prevacid, dont les deux en litige dans la présente espèce, soit les brevets 010 et 377. Il n'est pas contesté dans la présente espèce que ces brevets contiennent des revendications de compositions à base de lansoprazole, l'ingrédient médicinal actif du Prevacid. Les parties à la présente espèce sont également d'accord pour reconnaître que la formulation de Prevacid qu'Abbott est autorisée à commercialiser au Canada réalise, et a toujours réalisé, au moins une revendication de chacun de ces brevets.

 

[9]               Le brevet 010 a été délivré le 15 février 1994 et le brevet 377, le 11 juin 1996. Il apparaît qu'on aurait pu demander, sous le régime du paragraphe 4(6) du Règlement MB (AC), l'adjonction des deux brevets au registre dans les 30 jours suivant leur délivrance, mais qu'on s'en est abstenu. Le dossier ne contient aucune explication de ce fait. Quoi qu'il en soit, Abbott a demandé l'adjonction au registre des deux brevets lorsqu'elle a déposé un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) au titre de nouveaux modes possibles d'administration du Prevacid. Le ministre a délivré un nouvel AC à l'égard de ces nouveaux modes d'administration le 2 août 2006 et, le lendemain, il a ajouté au registre les brevets 010 et 377 relativement au Prevacid. Je supposerai aux fins du présent appel, sans trancher la question, que le ministre a eu raison d'ajouter les deux brevets au registre à ce moment.

 

[10]           Avant l'adjonction au registre des brevets 010 et 377 au titre du Prevacid, Novopharm et un autre génériqueur avaient chacun déposé une PADN afin d'obtenir un AC à l'égard d'une version générique de cette drogue. La PADN de Novopharm avait été approuvée par le ministre et suspendue pour des motifs relatifs au brevet avant le 3 août 2006, date à laquelle le ministre a ajouté au registre les brevets 010 et 377 au titre du Prevacid. Par lettre en date du 28 février 2007, le ministre a avisé Novopharm qu'elle ne serait tenue de traiter aucun de ces deux brevets.

 

[11]           Abbott a introduit la présente demande devant la Cour fédérale le 7 février 2007, soit après le dépôt des deux PADN susdites, mais avant que le ministre ait avisé Novopharm qu'elle n'aurait pas à traiter les brevets 010 et 377.

 

Analyse

[12]           Qu'est‑ce qui a incité Abbott à introduire la présente demande? On trouve un premier élément de réponse à cette question dans l'arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, 2006 CSC 49, qui date du 3 novembre 2006.

 

[13]           AstraZeneca avait obtenu un AC à l'égard de la formulation d'origine d'une drogue dénommée Losec 20, commercialisée au Canada de 1989 à 1996. Le brevet sur l'ingrédient médicinal actif du Losec 20 avait expiré en 1999. Le génériqueur Apotex Inc. avait demandé un AC à l'égard d'une version générique de la formulation d'origine du Losec 20, pour l'utilisation approuvée à l'origine. Entre-temps, AstraZeneca avait demandé et obtenu un AC à l'égard d'une nouvelle formulation du Losec 20, destinée à une nouvelle utilisation mais contenant le même ingrédient médicinal. AstraZeneca avait ensuite fait ajouter au registre deux brevets additionnels (désignés brevet 037 et brevet 470) au titre du Losec 20.

 

[14]           Le juge Binnie, s'exprimant au nom de la Cour, a conclu qu'Apotex Inc. n'était pas tenue de traiter sous le régime de l'article 5 du Règlement MB (AC) les deux brevets nouvellement ajoutés au registre, au motif qu'elle comparait sa drogue générique à la formulation antérieure à 1996 du Losec 20 et en fonction de l'utilisation d'origine, et qu'elle ne s'était pas prévalue de l'exception relative à la fabrication anticipée pour ce qui concerne les inventions exposées dans ces deux brevets.

 

[15]           Dans son analyse du régime du Règlement MB (AC), le juge Binnie fait remarquer qu'il établit un certain lien entre la PDN ou le SPDN d'un innovateur, la délivrance d'un AC sur approbation de cette PDN ou de ce SPDN, et l'adjonction au registre d'un brevet sur délivrance de cet AC. Il formule ainsi les observations suivantes au paragraphe 21 :

[21] J'insiste sur les termes du par. 4(5) selon lesquels, dans le cas des brevets ajoutés ultérieurement, « la première personne [...] doit indiquer la demande d'avis de conformité à laquelle se rapporte la liste ou la modification, en précisant notamment la date de dépôt de la demande ». Par ailleurs, le par. 3(3) prévoit qu'« [a]ucun renseignement soumis aux termes de l'article 4 n'est consigné au registre avant la délivrance de l'avis de conformité à l'égard duquel il a été soumis. » Ces dispositions me paraissent fournir un élément clé pour la compréhension du régime. L'inscription de la « liste de brevets » ne détruit pas le lien entre le brevet et les demandes auxquelles il se rapporte, ni le lien avec l'AC visant les demandes. Des brevets précis sont associés à un ou plusieurs PDN, PADN ou SPDN, qui (s'ils sont approuvés) donnent lieu à des AC précis. Ceux‑ci approuvent à leur tour un produit en particulier qu'un fabricant de produits génériques peut vouloir copier. Il n'existe aucun lien entre les brevets 037 et 470 et les demandes qui donnent lieu au Losec 20 copié par Apotex. AstraZeneca a indiqué ces brevets obtenus ultérieurement à l'égard du SPDN du 22 janvier 1999 pour un nouvel usage thérapeutique du Losec 20 (traitement de H. Pylori) – usage pour lequel le produit d'Apotex n'a pas été approuvé – et à l'égard du SPDN présenté par AstraZeneca le 12 juillet 2000, qui est de nature administrative et qui n'a rien à voir avec la technique incorporée au Losec 20.

[Souligné dans l'original.]

 

[16]           Après la publication de l'arrêt AstraZeneca, le ministre, désireux d'en appliquer la leçon, a élaboré un cadre d'analyse pour établir à quel moment le lien requis existait, détermination qui permettrait elle-même d'établir s'il y avait des brevets inscrits au registre à l'égard d'une drogue innovante qu'un génériqueur ne serait pas tenu de traiter sous le régime de l'article 5 du Règlement MB (AC). Le juge Hugues a résumé ce cadre d'analyse au paragraphe 63 de la décision Ferring Inc. c. Ministre de la Santé, 2007 CF 300. Premièrement, le ministre déterminait la date à laquelle le génériqueur avait acheté la version de la drogue innovante utilisée pour les essais comparatifs prescrits aux fins de l'établissement de la bioéquivalence. Le génériqueur était nécessairement tenu de traiter tous les brevets ajoutés au registre avant cet achat. Deuxièmement, le ministre examinait chaque AC délivré à l'égard de la drogue innovante après la date de l'achat en vue de répondre à la question de savoir si le génériqueur avait utilisé, le cas échéant, quelque changement que ce soit apporté à la drogue innovante après cette date. Dans l'affirmative, le génériqueur était tenu de traiter les brevets ajoutés au registre après ladite date à l'égard du ou des changements en question.

 

[17]           Le ministre a examiné en fonction de ce cadre d'analyse un certain nombre d'affaires en cours où des brevets avaient été ajoutés au registre au titre d'une drogue déterminée après le dépôt d'une PADN à l'égard d'une version générique de cette drogue. Dans certains cas, le ministre a délivré des avis de conformité relativement à la drogue générique sans exiger du génériqueur qu'il traite les brevets ajoutés au registre après le dépôt de la PADN. Dans d'autres cas, le ministre a conclu que le génériqueur serait tenu de traiter ces brevets. Cinq demandes de contrôle judiciaire distinctes ont été formées contre les décisions du ministre. Le juge Hugues a instruit ces demandes et les a rejetées le 20 mars 2007 (Ferring, précitée). Cinq appels ont alors été interjetés. L'un de ces appels a été rejeté au motif de l'absence de portée pratique (Novopharm Ltd. c. Ministre de la Santé, 2007 CAF 275), et les autres ont été rejetés au fond (Ferring Inc. c. Ministre de la Santé, 2007 CAF 276, en date du 6 septembre 2007).

 

[18]           Par suite de certaines observations formulées par le juge Hugues dans Ferring, le ministre a légèrement modifié la première étape du processus d'analyse qu'il avait adopté après la publication de l'arrêt AstraZeneca. Cette modification est exposée dans l'affidavit d'un haut fonctionnaire de Santé Canada fait le 12 avril 2007 et produit en preuve dans la présente espèce. Ladite modification s'applique à la première étape. Au lieu de la date de l'acquisition de la drogue innovante aux fins d'essais, le ministre utilisait comme point de départ la date du dépôt de la PADN du génériqueur. Ainsi, ce dernier serait toujours tenu de traiter les brevets ajoutés au registre à l'égard de la drogue innovante avant la date du dépôt de sa PADN. Si l'examen des AC délivrés à l'égard de la drogue innovante après cette date révélait que le génériqueur avait utilisé des changements apportés à cette drogue à compter de la même date, celui‑ci serait tenu de traiter relativement à ces changements les brevets ajoutés au registre après ladite date.

 

[19]           La version la plus récente du cadre d'analyse du ministre est exposée aux pages 27 et 28 d'un document intitulé « Ligne directrice », dans sa version modifiée du 13 décembre 2007. Ce document donne du cadre d'analyse une description pour l'essentiel identique à celle que propose l'affidavit déposé dans la présente espèce. Cependant, la Ligne directrice précise que le cadre d'analyse n'est destiné à s'appliquer qu'à la version du Règlement MB (AC) examinée dans l'arrêt AstraZeneca, c'est‑à‑dire aux seuls cas où le génériqueur a déposé sa PADN sous le régime de ce règlement tel qu'il était libellé avant l'entrée en vigueur de certaines modifications le 5 octobre 2006.

 

[20]           Abbott soutient que l'interprétation que donne le ministre de l'arrêt AstraZeneca est erronée, ce qui vicie le cadre d'analyse qu'il a adopté sur le fondement de cette interprétation. Elle fait valoir que, comme le Prevacid réalise des revendications des brevets 010 aussi bien que 377, tout génériqueur qui projette de commercialiser une version générique de cette drogue doit nécessairement avoir fabriqué les inventions brevetées de manière anticipée dans le cadre de l'élaboration de cette version générique. Les faits de la présente espèce se distingueraient ainsi de ceux de l'affaire AstraZeneca. Abbot affirme que, si le ministre devait, conformément à son cadre d'analyse, délivrer un AC à l'égard d'une version générique du Prevacid sans prescrire au génériqueur de traiter les brevets 010 et 377, elle serait privée de manière injustifiée du bénéfice du Règlement MB (AC), même dans le cas où la PADN correspondant à cette version générique aurait été déposée avant l'adjonction au registre de ces brevets.

 

[21]           Le juge Hugues a rejeté la demande d'Abbott sans examiner ses critiques visant l'interprétation donnée d'AstraZeneca par le ministre et le cadre d'analyse de ce dernier.

 

[22]           Il n'est pas contesté que le juge Hugues avait le pouvoir discrétionnaire d'accueillir ou de rejeter la demande d'Abbott. On n'infirme pas en appel une décision discrétionnaire sauf si elle est entachée d'une erreur de droit ou si son auteur n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en bonne justice; voir le paragraphe 13 de l'arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163. Or, à mon avis, le juge Hugues n'a pas commis d'erreur de droit ni manqué à l'obligation d'exercer son pouvoir discrétionnaire en bonne justice.

[23]           Le juge Hugues a fait observer, ce à quoi je souscris, que la Cour fédérale ne peut accepter de rendre une ordonnance qui enjoindrait simplement au ministre de se conformer aux prescriptions du Règlement MB (AC). Dans la présente espèce, il n'a pas été soutenu que le ministre ait omis de remplir les prescriptions du Règlement MB (AC). Abbott s'inquiète plutôt de ce que le ministre pourrait prendre ultérieurement une décision qui enfreindrait ce règlement.

 

[24]           Le juge Hugues a formulé une autre observation à laquelle je souscris, à savoir que la Cour fédérale ne devrait pas volontiers interdire au ministre de prendre à l'avenir une décision déterminée sous le régime du Règlement MB (AC), à moins d'être certaine qu'il la prendrait autrement et qu'elle enfreindrait nécessairement ce règlement ou aurait nécessairement pour conséquence une telle infraction. Or cette certitude est absente en l'occurrence, parce qu'on ne sait pas quand le ministre aura à décider s'il y a lieu de délivrer un AC à l'égard d'une version générique du Prevacid ni ce que seront les faits pertinents à ce moment ni si le ministre appliquera encore alors le cadre d'analyse décrit plus haut. En outre, la jurisprudence relative au Règlement MB (AC) étant en constante évolution, on ne peut savoir non plus ce que sera le droit lorsque le ministre devra prendre cette décision.

 

[25]           À ce propos, il convient de noter que l'application du Règlement MB (AC) au Prevacid a déjà été considérablement débattue en justice. Le brevet canadien no 2269053 (le brevet 053) a été ajouté au registre à l'égard du Prevacid le 25 juillet 2006, et le ministre l'en a supprimé le 1er mars 2007. Abbott a réussi à faire rétablir l'adjonction de son brevet par la décision Abbott Laboratories Ltd. c. Canada, 2007 CF 797, laquelle fait l'objet d'un appel dont l'audience est prévue pour le 11 juin 2008 (A‑383‑07).

[26]           En outre, Abbott a introduit relativement au Prevacid au moins trois demandes en interdiction sous le régime de l'article 6 du Règlement MB (AB). Une de ces demandes (T‑2052‑06, Abbott Laboratories Ltd. c. Novopharm Limited) concerne le brevet 053 mentionné plus haut. Je suppose que cette demande suivra son cours si la décision de la Cour fédérale prescrivant l'adjonction au registre du brevet 053 est confirmée. Une autre demande en interdiction, relative au brevet canadien no 2286753, a été rejetée : Abbott Laboratories Ltd. c. Novopharm Limited, 2007 CF 622, conf. par 2007 CF 865. Une troisième demande, portant sur le brevet canadien no 2009741 (le brevet 741) a été accueillie : Abbott Laboratories Limited c. Novopharm Limited, 2006 CF 1411, conf. par 2007 CAF 251. Par conséquent, quelle que soit l'issue du litige relatif au brevet 053, le ministre ne pourra délivrer d'AC à l'égard de la version générique du Prevacid produite par Novopharm avant l'expiration du brevet 741 le 9 février 2010.

 

[27]           Je pense aussi comme le juge Hugues que le fait de rendre l'ordonnance demandée par Abbott ne serait pas juste pour Novopharm ni pour l'autre génériqueur qui a déposé une PADN à l'égard d'une version générique du Prevacid avant l'adjonction au registre des brevets 010 et 377, à moins qu'il ne leur soit donné la possibilité de se faire entendre.

[28]           Comme je le disais plus haut, le juge Hugues n'a pas examiné au fond les conclusions et moyens d'Abbot, et je ne le ferai pas non plus. Je noterai cependant qu'il reste à décider si le ministre serait fondé à appliquer son cadre d'analyse à toute affaire où se poserait la question de savoir si un génériqueur doit traiter un brevet ajouté au registre après la date du dépôt de sa PADN. Le juge en chef Richard, s'exprimant au nom de notre Cour dans les appels Ferring (arrêt précité), formule l'observation suivante au paragraphe 6 de son exposé des motifs :

[6] Nous sommes arrivés à la conclusion que l'approche analytique adoptée par le ministre dans ces quatre appels était adaptée aux circonstances factuelles des affaires dont il s'agit ici. La question de savoir si elle est adaptée à toutes les circonstances possibles [...] est une question sur laquelle nous n'exprimons pas d'opinion.

 

[29]           Il semblerait, à en juger d'après le passage suivant de l'avant-propos de la Ligne directrice, que le ministre soit conscient de la nécessité de décider au cas par cas.

Les lignes directrices sont des outils administratifs n'ayant pas force de loi, ce qui permet une certaine souplesse d'approche. Les principes et les pratiques énoncés dans le présent document pourraient être remplacés par d'autres approches, à condition que celles‑ci s'appuient sur une justification adéquate.

 

 

[30]           Je note également que, si le ministre délivre un AC à l'égard d'une version générique du Prevacid sans prescrire le traitement des brevets 010 et 377, au motif que la PADN correspondant à la drogue générique a été déposée avant l'adjonction de ces brevets au registre, le rejet de la demande d'Abbott prononcé dans la présente espèce n'empêchera pas cette entreprise de contester la décision du ministre de délivrer l'AC. Qui plus est, Abbott conserve tous les droits de poursuite en contrefaçon que lui garantit la Loi sur les brevets dans le cas où elle serait fondée à soutenir que quiconque commercialiserait une version générique du Prevacid enfreindrait l'un ou l'autre des brevets 010 et 377.

Conclusion

 

[31]           Je rejetterais le présent appel avec dépens.

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d'accord

          Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord

          Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑27‑08

 

INTITULÉ :                                                   ABBOTT LABORATORIES LIMITED ET AL.

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 17 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

C. Zayid

M. Leon

 

POUR LES APPELANTES

 

F.B. Woyaiwada

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

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