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Date : 20190322


Dossier : A‑11‑18

Référence : 2019 CAF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM:

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

NOVA TUBE INC./ACIER NOVA INC.

demanderesses

et

CONARES METAL SUPPLY LTD., MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE des ÉMIRATS ARABES UNIS et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 novembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 mars 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20190322


Dossier : A‑11‑18

Référence : 2019 CAF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM:

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

 

NOVA TUBE INC./ACIER NOVA INC.

demanderesses

et

CONARES METAL SUPPLY LTD., MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE des ÉMIRATS ARABES UNIS et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I.  L’aperçu

[1]  En décembre 2012, le Tribunal canadien du commerce extérieur a conclu que le dumping de tubes soudés en acier au carbone provenant ou exportés de certains pays d’Asie et du Moyen-Orient menaçait d’occasionner un dommage à la branche de production nationale. Par conséquent, des droits antidumping ont été imposés.

[2]  En vertu de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. 1985, ch. S‑15 (LMSI), une telle conclusion est réputée annulée après cinq ans, à moins que le Tribunal n’ait entrepris un réexamen relatif à l’expiration de la conclusion. En l’espèce, le Tribunal était convaincu qu’un tel réexamen était justifié, sauf en ce qui concerne les marchandises de la défenderesse Conares Metal Supply Ltd., une exportatrice des Émirats arabes unis. Le Tribunal a donc rendu une ordonnance indiquant qu’il avait décidé de ne pas procéder au réexamen en ce qui concerne les marchandises exportées de Conares.

[3]  Les demanderesses, qui font partie de la branche de production nationale, demandent le contrôle judiciaire de cette ordonnance. Elles soutiennent que, contrairement aux dispositions de la LMSI qui autorisent le Tribunal à procéder à d’autres types de réexamens, les dispositions afférentes aux réexamens relatifs à l’expiration ne permettent pas au Tribunal d’examiner seulement une partie ou un aspect d’une conclusion. Elles reconnaissent que le Tribunal peut exclure les marchandises d’un exportateur particulier d’une conclusion à l’issue d’un réexamen relatif à l’expiration, mais soutiennent que le réexamen lui-même doit porter sur l’ensemble de la conclusion. Conares n’est pas d’accord. Elle soutient que, selon une interprétation raisonnable, la loi autorise le Tribunal à exclure certaines marchandises d’un réexamen relatif à l’expiration. Elle soutient également que l’ordonnance du Tribunal n’est pas susceptible de contrôle judiciaire par notre Cour et que, même si elle l’était et que la Cour déterminait que le Tribunal n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance, aucune réparation pratique ne pourrait être accordée par la Cour, puisque la conclusion du Tribunal à l’égard de Conares est expirée par effet de la loi et ne peut être rétablie.

[4]  Entre-temps, tandis que la présente demande de contrôle judiciaire était en instance, le réexamen relatif à l’expiration a eu lieu, sauf en ce qui concerne les exportations de Conares. Le Tribunal a conclu que l’annulation de sa conclusion occasionnerait vraisemblablement un dommage important à la branche de production nationale. Il a donc décidé de proroger sa conclusion – encore une fois, sauf en ce qui concerne les exportations de Conares.

[5]  La présente demande soulève donc deux questions principales, l’une portant sur le fond et l’autre sur la réparation. La première question consiste à décider si le Tribunal a commis une erreur en estimant que les dispositions sur le réexamen relatif à l’expiration de la LMSI lui permettent de ne pas entreprendre un réexamen relatif à l’expiration en ce qui concerne les exportations de Conares. Si la réponse à la première question est affirmative, la deuxième question a trait à la réparation que la Cour peut et devrait accorder. Les demanderesses soulèvent également la question préliminaire de savoir si l’ordonnance du Tribunal est susceptible de contrôle judiciaire par notre Cour.

[6]  Avant d’aller plus loin, je dois mentionner que le procureur général a comparu à l’encontre de la demande de contrôle judiciaire, mais n’a pas fait valoir d’avis sur ces questions. Il a plutôt déposé un mémoire des faits et du droit énonçant simplement certaines considérations pertinentes à son avis et a opiné ainsi [traduction] : « il n’est pas tout à fait certain que le mécanisme d’expiration choisi était indiqué au vu des circonstances. » Il a également refusé l’invitation de la Cour à présenter une plaidoirie, mais a dit préférer l’interprétation de la loi préconisée par les demanderesses et a indiqué que la question relative à la réparation soulevait des difficultés. La Cour aurait été reconnaissante au procureur général de lui fournir davantage d’aide. Le ministère des Finances, qui est responsable de l’élaboration de la politique et de la législation de la LMSI, aurait dû avoir un point de vue sur l’interprétation de la loi.

[7]  Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que l’ordonnance du Tribunal est susceptible de contrôle judiciaire. En ce qui concerne la première question principale, j’estime que l’interprétation de la LMSI faite par le Tribunal était déraisonnable. Étant donné les circonstances inhabituelles de la demande, je refuserais toutefois d’accorder une réparation.

II.  Le contexte factuel

A.  La décision relative au dumping et la conclusion établissant un dommage

[8]  En novembre 2012, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada a rendu une décision finale concernant le dumping de certains tubes soudés en acier au carbone. Le président a notamment constaté que des marchandises originaires et exportées de deux pays, soit le Taipei chinois et les EAU, avaient fait l’objet d’un dumping. Il a jugé que certains exportateurs de ces pays, dont deux exportateurs du Taipei chinois et Conares, qui exportait à partir des EAU, avaient des marges de dumping « minimales » – un terme défini au paragraphe 2(1) de la LMSI pour indiquer une marge de dumping inférieure à 2 p. 100 du prix à l’exportation des marchandises. Plus particulièrement, il a déterminé que Conares avait une marge de dumping de zéro pour cent. Toutefois, il n’a pas été mis fin à l’enquête sur Conares et les deux exportateurs du Taipei chinois étant donné qu’à l’époque, le paragraphe 41(1) de la LMSI exigeait que les décisions de l’ASFC visent le pays dans son ensemble, et vu que les marges de dumping du Taipei chinois et des EAU n’étaient pas minimales globalement.

[9]  En décembre 2012, le Tribunal a formulé des conclusions (dans le cadre de l’enquête no NQ‑2012‑003) sur les marchandises auxquelles la décision finale de l’ASFC s’appliquait. Le Tribunal a conclu que le dumping de certains tubes soudés en acier au carbone originaires ou exportés des pays désignés par l’ASFC, dont le Taipei chinois et les EAU, menaçait d’occasionner un dommage à la branche de production nationale.

[10]  En raison de sa marge de dumping nulle, Conares a fait une demande d’exclusion de producteur afin de se soustraire aux conclusions du Tribunal. Toutefois, le Tribunal était d’avis qu’une telle exclusion équivaudrait à accorder à Conares « l’autorisation de faire du dumping » et qu’elle n’était donc pas justifiée « sauf en présence de circonstances très précises » (au par. 181). Le Tribunal a également fait observer que pour ne pas être assujettie aux droits antidumping, Conares devait maintenir sa marge de dumping actuelle de 0 p. 100 et de se soumettre à des vérifications périodiques.

B.  L’instance faisant intervenir l’OMC

[11]  En juin 2014, en vertu de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (l’Accord antidumping), le Taipei chinois a demandé la tenue de consultations avec le Canada sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce au sujet des droits antidumping auxquels il avait été assujetti en 2012. Après l’échec des consultations, l’Organe de règlement des différends de l’OMC a mis sur pied un groupe spécial, qui a publié un rapport en décembre 2016. Entre autres choses, le groupe spécial a conclu que le Canada n’avait pas respecté l’Accord antidumping en ne mettant pas fin immédiatement à l’enquête sur les exportateurs du Taipei chinois qui avaient des marges de dumping de minimis et en leur imposant des droits antidumping définitifs. Selon lui, le paragraphe 41(1) de la LMSI est incompatible avec les obligations du Canada en vertu de l’Accord antidumping, car il exige que les décisions en matière de dumping visent un pays dans son ensemble plutôt qu’un exportateur en particulier.

[12]  Le rapport du groupe spécial a été adopté par l’Organe de règlement des différends de l’OMC en janvier 2017. Le Canada a ensuite conclu une entente avec le Taipei chinois aux termes de laquelle le Canada était tenu de mettre en œuvre les recommandations du groupe spécial au plus tard le 25 mars 2018. Par conséquent, des modifications ont été proposées au début de 2017 dans le cadre du projet de loi C‑44, un projet de loi d’exécution du budget; elle a par la suite été adoptée (L.C. 2017, ch. 20) et a reçu la sanction royale en juin 2017. Elle a notamment modifié la LMSI pour prévoir la fin des enquêtes contre certains exportateurs ayant des marges de dumping minimales. Toutefois, ces modifications n’ont pas eu d’effet rétroactif.

C.  Le réexamen demandé par le ministre et le réexamen relatif à l’expiration

[13]  En juillet 2017, à la suite du rapport du groupe spécial de l’OMC, le ministre des Finances a demandé, en vertu du paragraphe 76.1(1) de la LMSI, que l’ASFC et le Tribunal réexaminent respectivement leur décision et leur conclusion concernant certains tubes soudés en acier au carbone originaires ou exportés du Taipei chinois. Le 28 juillet 2017, le réexamen demandé par le ministre n’étant pas encore terminé, le Tribunal a donné avis, en vertu du paragraphe 76.03(3) de la LMSI, que la conclusion de 2012 venait à expiration le 10 décembre 2017. Il a par la même occasion demandé aux intéressés de présenter des observations sur la question de savoir si un réexamen relatif à l’expiration était justifié.

[14]  En septembre 2017, à l’issue du réexamen demandé par le ministre de sa décision définitive sur le dumping, l’ASFC a décidé de maintenir la décision définitive concernant certains tubes soudés en acier au carbone originaires ou exportés du Taipei chinois, tout en mettant fin à l’enquête sur le dumping visant les deux exportateurs du Taipei chinois. Conares a prié l’ASFC de tenir compte, dans le cadre du réexamen demandé par le ministre, de sa décision de 2012 concernant les tubes d’acier au carbone originaires ou exportés des EAU, afin qu’il soit également mis fin à l’enquête en ce qui la concerne. Selon l’ASFC, la portée de la demande du ministre, qui visait seulement le Taipei chinois, l’en empêchait.

[15]  Le 8 décembre 2017, le Tribunal a rendu deux décisions. En premier lieu, dans ses conclusions et motifs au sujet du réexamen demandé par le ministre (dans l’enquête n° NQ‑2012‑003R), il a confirmé sa conclusion relative à l’existence d’un dommage concernant les marchandises provenant du Taipei chinois, à l’exclusion des marchandises des deux exportateurs du Taipei chinois dont les marges de dumping sont inférieures à 2 p. 100. Dans cette instance, Conares avait demandé que ses marchandises soient soustraites à l’application de la conclusion de 2012. Toutefois, à l’instar de l’ASFC, le Tribunal a refusé cette demande au motif qu’il était limité par la portée de la demande du ministre. En second lieu (dans la procédure d’expiration n° LE‑2017‑003), il a rendu une ordonnance, accompagnée d’un exposé des motifs, selon laquelle il a conclu qu’un réexamen relatif à l’expiration était justifié, sauf en ce qui concerne les marchandises exportées par Conares et a décidé de ne pas procéder à un réexamen relatif à l’expiration en ce qui concerne les marchandises exportées par Conares. Cette ordonnance fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, intentée en janvier 2018.

[16]  En mai 2018, pendant que la demande était en instance, l’ASFC a rendu sa décision sur le réexamen relatif à l’expiration. Elle a conclu que l’expiration de la conclusion du Tribunal relative à l’existence d’un dommage entraînerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping de certains tubes soudés en acier au carbone. Cette décision excluait expressément les marchandises exportées par Conares.

[17]  En octobre 2018, peu avant que la présente demande ne soit entendue, le Tribunal a rendu son ordonnance et ses motifs dans le cadre du réexamen relatif à l’expiration (n° RR‑2017‑005). Le Tribunal a conclu que la réintroduction de marchandises faisant l’objet d’un dumping sur le marché pourrait entraîner l’effondrement de la branche de production nationale. Il a donc décidé de proroger sa conclusion relative à l’existence d’un dommage. Conformément à son ordonnance selon laquelle il n’entreprendrait pas un réexamen relatif à l’expiration des marchandises de Conares, ces dernières ont été soustraites de la conclusion prorogée.

III.  La question préliminaire – Notre Cour peut-elle contrôler l’ordonnance du Tribunal?

[18]  Conares soutient que l’ordonnance du Tribunal selon laquelle il ne procédera pas à un réexamen relatif à l’expiration concernant les exportations de Conares n’est pas susceptible de contrôle par notre Cour. Elle s’appuie sur le paragraphe 96.1(1) de la LMSI, qui énumère les ordonnances et les conclusions du Tribunal qui peuvent faire l’objet d’une demande de révision judiciaire par la Cour, ainsi que sur les paragraphes 76.03(4) et (5), dont voici le libellé :

(4) Le Tribunal ne procède au réexamen relatif à l’expiration sur demande que si la personne ou le gouvernement le convainc du bien-fondé de celui-ci.

(4) The Tribunal shall not initiate an expiry review at the request of any person or government unless the person or government satisfies the Tribunal that a review is warranted.

(5) S’il rejette la demande d’examen relatif à l’expiration, le Tribunal rend en ce sens une ordonnance motivée, en transmet copie à la personne ou au gouvernement et fait publier un avis dans la Gazette du Canada.

(5) If the Tribunal decides not to initiate an expiry review at the request of a person or government, the Tribunal shall make an order to that effect and give reasons for it, and the Tribunal shall forward a copy of the order and the reasons to that person or government and cause notice of the order to be published in the Canada Gazette.

[19]  Conares reconnaît qu’aux termes de l’alinéa 96.1(1)d), la Cour peut réviser notamment l’ordonnance rendue au titre du paragraphe 76.03(5). Elle soutient toutefois que la décision sur l’opportunité d’un réexamen relatif à l’expiration relève, non pas de cette disposition, mais du paragraphe 76.03(4); qu’une ordonnance rendue au titre du paragraphe 76.03(5) ne fait que donner effet sur le plan de la procédure à une décision rendue au titre du paragraphe 76.03(4) et que, bien qu’une telle omission puisse constituer un défaut dans la loi, la liste énoncée au paragraphe 96.1(1) n’inclut pas les décisions rendues au titre du paragraphe 76.03(4).

[20]  À mon avis, l’ordonnance du Tribunal a été rendue au titre du paragraphe 76.03(5). C’est manifestement ce que le Tribunal estimait, car son ordonnance est ainsi libellée :

Le 29 juillet 2017, le Tribunal canadien du commerce extérieur a publié un avis d’expiration des conclusions demandant des exposés sur la question de savoir s’il doit procéder à un réexamen relatif à l’expiration des conclusions susmentionnées. Le Tribunal canadien du commerce extérieur est convaincu du bien-fondé de procéder à un réexamen relatif à l’expiration, à l’exception de marchandises exportées des Émirats arabes unis par Conares Metal Supply Ltd. Par conséquent, aux termes du paragraphe 76.03(5) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas procéder à un réexamen relatif à l’expiration à l’égard de telles exportations de Conares Metal Supply Ltd. [Non souligné dans l’original.]

Le Tribunal a également conclu ses motifs (au paragraphe 19) par une déclaration renvoyant au paragraphe 76.03(5).

[21]  L’ordonnance du Tribunal a donné effet à sa décision « de ne pas procéder à un réexamen relatif à l’expiration » en ce qui concerne les marchandises exportées par Conares. Elle tombe donc sous le coup du paragraphe 76.03(5) et est susceptible de contrôle par notre Cour.

IV.  La question de fond – le Tribunal a-t-il conclu à tort que les dispositions sur le réexamen relatif à l’expiration de la LMSI l’autorisent à ne pas procéder à un tel réexamen en ce qui concerne les marchandises exportées par Conares?

A.  La norme de contrôle

[22]  Les deux parties soutiennent que la norme applicable à cette question est celle de la décision raisonnable. C’est également mon avis. Rien en l’espèce ne réfute la présomption selon laquelle l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive commande la déférence dans le cadre du contrôle judiciaire (arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 aux paragraphes 27 et 28, [2018] 2 R.C.S. 230). Notre Cour estime que le Tribunal est un tribunal administratif hautement spécialisé dont les décisions commandent la déférence (arrêt Essar Steel Algoma Inc. c. Jindal Steel and Power Limited, 2017 CAF 166 au par. 15, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée 2018 CanLII 35649).

[23]  En vérifiant le caractère raisonnable de l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive, la Cour utilise les « outils d’interprétation législative » pour déterminer s’ils étayent raisonnablement la conclusion du tribunal (arrêt Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4 au par. 108, [2018] 1 R.C.S. 83). Ces outils, dans l’approche moderne d’interprétation législative, s’entendent du texte, du contexte et de l’objet de la disposition (arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 au par. 21, 1998 CanLII 837; arrêt Williams Lake Indian Band au par. 108).

[24]  Selon la Cour suprême, « [l]orsque les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable et que le décideur administratif en retient une autre, celle-ci est nécessairement déraisonnable » (arrêt McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au par. 38, [2013] 3 R.C.S. 895; voir également l’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58 aux par. 26 et 76, [2015] 3 R.C.S. 704.)

[25]  Toutefois, le processus d’interprétation des lois ne débouche pas toujours sur une seule réponse raisonnable. Lorsqu’une disposition législative mène à plus d’une interprétation raisonnable et que le tribunal en a adopté une, « mieux vaut généralement laisser au décideur administratif le soin de clarifier le texte ambigu de sa loi constitutive ». Le fardeau incombe aux parties qui contestent l’interprétation du tribunal « de prouver non seulement que [leur] interprétation divergente est raisonnable, mais aussi que celle [du tribunal] est déraisonnable. » (arrêt McLean aux par. 32, 33, 40 et 41 [en italique dans l’original]).

B.  Les motifs du Tribunal

[26]  Dans ses motifs, le Tribunal a énoncé les facteurs qui l’ont amené à décider que les marchandises exportées par Conares devaient être exclues ainsi que ceux qui, selon lui, l’habilitaient à exclure ces marchandises.

[27]  Selon la première catégorie, les exportations de Conares n’avaient pas fait l’objet d’un dumping au moment de la décision définitive de dumping de l’ASFC. Toutefois, comme il est mentionné plus haut, la LMSI exigeait à l’époque que les décisions de dumping s’appliquent à l’échelle du pays. Les marchandises provenant des EAU ont donc été visées intégralement par une conclusion de dumping. De plus, le Tribunal a jugé que le fait d’inclure les marchandises de Conares était incompatible avec la conclusion de l’Organe de règlement des différends de l’OMC, également traitée plus haut, selon laquelle le fait d’assujettir à des droits antidumping les marchandises d’un exportateur dont la marge de dumping est nulle ou de minimis constitue un manquement aux obligations du Canada en vertu de l’Accord antidumping. Les marchandises de Conares, a-t-il déclaré (au par. 15), auraient dû être exclues d’emblée de la portée des conclusions et « il ne peut y avoir d’indication raisonnable que l’expiration des conclusions se solderait probablement par la poursuite ou la reprise des pratiques de dumping des marchandises de Conares puisque cette pratique n’a jamais existé en premier lieu ».

[28]  Avant d’aborder les facteurs de la deuxième catégorie, le Tribunal a noté que les modifications apportées à la LMSI pour mettre en œuvre les recommandations de l’Organe de règlement des litiges n’étaient pas rétroactives. Toutefois, il a laissé entendre qu’il aurait été loisible à Conares de solliciter l’exclusion au moyen d’un réexamen demandé par le ministre.

[29]  Le Tribunal a reconnu que le libellé de l’article 76.03 de la LMSI ne lui permet pas expressément de procéder à un réexamen partiel relatif à l’expiration, mais il a toutefois déclaré (au par. 13) que ce même libellé « sous-entend a contrario qu’il lui est expressément interdit de procéder à un réexamen infondé ». En s’appuyant sur deux décisions de notre Cour et deux décisions du comité binational (dont il est question ci-après), le Tribunal a conclu (au par. 13) qu’il « dispose d’un large pouvoir discrétionnaire d’exclure certaines marchandises de la portée de ses conclusions et de ses ordonnances dans des circonstances extraordinaires » et que « le contexte particulier de la demande d’exclusion de Conares est en lui-même extraordinaire ». Il a ensuite mentionné le principe d’interprétation selon lequel les lois sont présumées conformes au droit international et a déclaré (au par. 13) que « si la LMSI […] confère [au Tribunal] un pouvoir discrétionnaire, il est tenu de l’exercer de manière juste et conforme aux obligations commerciales internationales du Canada ».

C.  L’analyse

[30]  Passons aux facteurs – les outils d’interprétation – qui, à mon avis, jouent dans l’interprétation du libellé faisant l’objet du litige.

(1)  Le libellé de l’article 76.03

[31]  Le libellé de l’article 76.03 appuie la thèse des demanderesses. Comme le Tribunal le reconnaît dans ses motifs, il ne prévoit pas à première vue la possibilité de procéder à un réexamen relatif à l’expiration d’une partie d’une conclusion; il dispose que le réexamen porte sur « l’ordonnance ou des conclusions ».

[32]  Bien que le paragraphe 76.03(4) prévoie que le Tribunal ne procède au réexamen relatif à l’expiration que s’il est convaincu du bien-fondé de celui-ci, j’estime que ce que la disposition « sous-entend a contrario » n’appuie tout au plus que de façon limitée la conclusion du Tribunal. Même s’il est implicite que le Tribunal ne peut procéder à un réexamen qui n’est pas justifié, la portée du réexamen permis n’est pas précisée, outre la mention « de l’ordonnance ou des conclusions ».

(2)  Le contexte législatif

[33]  Le libellé des autres dispositions de la LMSI prévoyant des réexamens fournit un contexte important; il appuie également l’interprétation des demanderesses.

[34]  La LMSI habilite le Tribunal à procéder à quatre types de réexamen des ordonnances et des conclusions : les réexamens relatifs à l’expiration en vertu de l’article 76.03 (pour déterminer si une conclusion établissant un dommage devrait être maintenue); les réexamens intermédiaires en vertu de l’article 76.01 (habituellement en raison de changements de circonstances); les réexamens sur renvoi en vertu de l’article 76.02 (après qu’une décision ait été rendue à l’issue d’un contrôle judiciaire ou par un groupe spécial) et les réexamens demandés par le ministre en vertu de l’article 76.1 (après une recommandation ou une décision de l’Organe de règlement des différends de l’OMC). (L’ASFC est également habilitée ou tenue de procéder à des réexamens dans certaines circonstances; je m’en tiendrai toutefois à ceux qui sont menés par le Tribunal.)

[35]  En énumérant les réexamens pouvant être effectués par le Tribunal, la LMSI en précise l’objet ‑ notamment si le réexamen doit porter sur l’ensemble ou sur une partie de l’ordonnance ou des conclusions ‑ ainsi que les mesures que le Tribunal peut prendre à la fin du réexamen.

[36]  Le réexamen relatif à l’expiration peut être entrepris « de l’ordonnance ou des conclusions » (paragraphe 76.03(3)). À la conclusion d’un tel réexamen, le Tribunal doit rendre une ordonnance annulant l’ordonnance ou les conclusions ou « proroger l’ordonnance ou les conclusions avec ou sans modifications à l’égard des marchandises pour lesquelles l’expiration de l’ordonnance ou des conclusions causera vraisemblablement un dommage ou un retard » (paragraphe 76.03(12)).

[37]  De même, la LMSI prévoit un réexamen sur renvoi « d’une ordonnance ou de conclusions » (paragraphes 76.02(1) et (3)). À l’issue du réexamen, le Tribunal confirme l’ordonnance ou les conclusions ou les annule « en les remplaçant par la nouvelle ordonnance ou les nouvelles conclusions qu’il estime indiquées à l’égard des marchandises en cause » (paragraphe 76.02(4)).

[38]  En revanche, on peut procéder à un réexamen intermédiaire « soit d’une ordonnance ou de conclusions soit d’un de leurs aspects » (paragraphe 76.01(1), non souligné dans l’original). À l’issue du réexamen intermédiaire d’une ordonnance ou de conclusions, le Tribunal doit rendre une ordonnance annulant l’ordonnance ou les conclusions ou les proroger en les assortissant ou non de modifications, selon les circonstances. Si le réexamen se limite à un aspect, le Tribunal « rend une ordonnance […] annulant ou maintenant l’ordonnance ou les conclusions avec ou sans modifications, selon le cas » (paragraphe 76.01(5)).

[39]  De même, le ministre des Finances peut demander que soit réexaminées « en totalité ou en partie, une ordonnance ou des conclusions » (alinéa 76.1(1)b), non souligné dans l’original). à l’issue du réexamen, le Tribunal ou bien confirme l’ordonnance ou les conclusions sans modification, ou bien confirme l’ordonnance ou les conclusions et les assortit des modifications qu’il estime indiquées ou bien annule l’ordonnance ou les conclusions et les remplace par celles qu’il estime indiquées (paragraphe 76.1(2)).

[40]  Ces divergences attirent la formule « mots différents = sens différents » de la présomption d’uniformité d’expression : « [l]orsqu’une loi emploie des mots différents pour traiter du même sujet, ce choix du législateur doit être considéré comme délibéré et être tenu pour une indication de changement de sens ou de différence de sens » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham, Ontario: LexisNexis, 2014) au par. 8.36, citant l’arrêt Jabel Image Concepts Inc. c. Canada, au par. 12, 2000 CanLII 15319 (C.A.F.)). En l’espèce, le fait que le législateur a précisé que certains réexamens peuvent porter sur une « partie » ou un des « aspects » d’une ordonnance ou de conclusions, alors que d’autres ne portent que sur une « ordonnance ou des conclusions », appuie la thèse selon laquelle le Tribunal ne pouvait raisonnablement estimer que la LMSI lui permettait d’exclure les marchandises de Conares du réexamen relatif à l’expiration.

[41]  Les demanderesses s’appuient également sur un autre élément du contexte légal. Elles soutiennent que l’interprétation par le Tribunal de ses pouvoirs ne respecte pas l’économie de la Loi et la séparation des responsabilités entre l’ASFC et le Tribunal. Ainsi, l’exclusion de marchandises d’un réexamen relatif à l’expiration prive l’ASFC de sa responsabilité et de son droit de décider si l’expiration de l’ordonnance ou des conclusions entraînera vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping ou du subventionnement des marchandises.

[42]  De façon générale, la LMSI prévoit l’assujettissement à des droits des marchandises faisant l’objet d’un dumping et subventionnées importées au Canada à l’égard desquelles le Tribunal a rendu une ordonnance ou conclu que le dumping ou le subventionnement a causé ou menace de causer un dommage important à une branche de production nationale. La LMSI répartit la responsabilité entre l’ASFC (le président plutôt que l’ASFC) et le Tribunal. Règle générale, l’ASFC détermine si des marchandises ont été ou sont susceptibles de faire l’objet d’un dumping ou d’être subventionnées, et le Tribunal décide si cela a causé un dommage ou menace de causer un dommage.

[43]  Toutefois, à mon avis ces observations des demanderesses sur le contexte légal ne sont pas convaincantes. À l’époque de l’ordonnance du Tribunal en l’espèce, l’article 73.2 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/91‑499, autorisait le Tribunal à demander aux parties de lui fournir des renseignements sur les facteurs pertinents susceptibles d’éclairer sa décision de procéder ou non à un réexamen relatif à l’expiration, notamment la probabilité de poursuite ou de reprise du dumping ou du subventionnement. Le Tribunal avait établi une jurisprudence énonçant le fardeau juridique et de preuve qui incombait aux parties désireuses de le persuader du bien-fondé du réexamen relatif à l’expiration. Pour s’acquitter de ce fardeau, une partie requérante devait démontrer « de façon raisonnable » que l’expiration des conclusions entraînerait vraisemblablement, notamment, la poursuite ou la reprise du dumping (voir notamment Blocs-ressorts pour matelas, Expiration no LE‑2013‑002, 2014 CanLII 22323, au par. 9 (TCCE)). La séparation des responsabilités entre l’ASFC et le Tribunal n’est pas absolue.

(3)  L’historique législatif

[44]  L’historique législatif appuie également une interprétation de l’article 76.03 qui exclurait le réexamen relatif à l’expiration d’une partie des conclusions.

[45]  Avant les modifications de 1999 (L.C. 1999, ch. 12, art. 36), la LMSI ne distinguait pas expressément les réexamens intermédiaires des réexamens relatifs à l’expiration. L’article 76, comme il était libellé au moment de son adoption, (L.C. 1984, ch. 25, art. 1) autorisait simplement le Tribunal, à tout moment après avoir rendu une ordonnance ou formulé des conclusions relatives à l’imposition de droits, à réexaminer « une ordonnance ou des conclusions » de son propre chef ou à la demande du sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise (dont les fonctions ont par la suite été assumées par l’ASFC) ou de toute autre personne ou gouvernement. Il n’était pas expressément habilité à procéder au réexamen d’une partie ou d’un aspect seulement d’une ordonnance ou de conclusions.

[46]  Avant d’entreprendre un réexamen à la demande d’une personne ou d’un gouvernement, le Tribunal devait être convaincu du bien-fondé du réexamen. À l’issue du réexamen, il devait soit annuler l’ordonnance ou les conclusions, soit les confirmer et les assortir ou non de modifications. Outre le droit de demander un réexamen, le sous-ministre ne s’est vu attribuer aucun autre rôle dans le processus de réexamen.

[47]  En 1996, les sous-comités du Comité permanent des finances et du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes ont entrepris un examen conjoint de la LMSI. Anthony T. Eyton, alors président du Tribunal, a témoigné devant les sous-comités. Il a dit déplorer que la LMSI ne permette pas au Tribunal de procéder au réexamen d’une partie seulement de conclusions; il a demandé des précisions quant à son pouvoir. Ses notes d’allocution comportaient le passage suivant ([traduction] « Notes d’allocution d’Anthony T. Eyton, président, Tribunal canadien du commerce extérieur au Sous-comité mixte sur l’examen de la Loi sur les mesures spéciales d’importation », 27 novembre 1996) [non publiées] à la page 6) :

[traduction]

Notre expérience des demandes de réexamen intermédiaire nous porte à croire qu’il serait également utile d’apporter des précisions quant à notre pouvoir de procéder à des réexamens intermédiaires relativement à un aspect précis ou à une partie précise de conclusions. Par exemple, lorsque des conclusions établissant le dommage portent sur plusieurs marchandises en cause et que la production au Canada de marchandises semblables cesse, la loi nous empêche de procéder au réexamen de la partie des conclusions concernant un seul produit. Le libellé de la LMSI laisse entendre que l’ensemble des conclusions, et pas seulement une partie, serait remis en question. En toute honnêteté, il ne serait pas logique de rouvrir toute l’affaire dans ces circonstances. [Non souligné dans l’original]

[48]  Le témoignage de M. Eyton devant les sous-comités comportait également des déclarations allant dans le même sens. Il a indiqué aux sous-comités qu’il serait « utile que l’on nous donne [au Tribunal] le pouvoir de faire enquête, de manière partielle, sur le processus d’examen provisoire. » (Chambre des communes, sous-comité de l’examen de la Loi sur les mesures spéciales d'importation du Comité permanent des finances et sous-comité sur les différends commerciaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, témoignage des sous-comités (27 novembre 1996) à 1730 (en ligne https://www.noscommunes.ca/Content/Archives/Committee/352/sima/evidence/08_96-11-27/sima08_blk-f.html).

[49]  Dans leur rapport, les sous-comités indiquent avoir pris connaissance d’« un certain nombre de questions liées à la conduite des réexamens », dont « la nécessité de distinguer expressément dans la LMSI entre un réexamen provisoire et un réexamen à l’expiration » et « l’autorisation de procéder à un réexamen sur tel ou tel aspect d’une conclusion ou d’une ordonnance ». Les sous-comités ont recommandé que les dispositions de la LMSI relatives aux réexamens intermédiaires et aux réexamens relatifs à l’expiration soient modifiées à la lumière de ces commentaires (Chambre des communes, sous-comité de l’examen de la Loi sur les mesures spéciales d’importation du Comité permanent des finances et sous-comité sur les différends commerciaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, « Rapport sur la Loi sur les mesures spéciales d’importation » (décembre 1996), aux pages 31 et 32).

[50]  Les modifications apportées en 1999 prévoyaient des réexamens intermédiaires (à l’article 76.01), des réexamens sur renvoi (à l’article 76.02) et des réexamens relatifs à l’expiration (à l’article 76.03). La nouvelle disposition relative aux réexamens intermédiaires précisait, comme de nos jours, que l’on peut procéder à un réexamen intermédiaire « soit d’une ordonnance ou de conclusions rendues [. . .] soit d’un de leurs aspects ». En revanche, les deux autres dispositions prévoyaient toutes les deux le réexamen « d’une ordonnance ou de conclusions », et leur libellé est demeuré inchangé.

[51]  Dans un article commentant les modifications, P.M. Saroli et G. Terepolsky, « Changes to Canada’s Anti-Dumping and Countervailing Duty Laws for the New Millennium » (2000), 79 Can. Bar Rev. 3, p. 352 à 360, font observer :

[traduction]

Bon nombre des demandes de réexamen reçues par le TCCE portent sur un aspect distinct d’une ordonnance ou de conclusions (p. ex., des demandes d’exclusion relatives à un produit ou à un pays). Toutefois, la version antérieure de la LMSI n’autorisait pas explicitement le TCCE à limiter la portée d’un réexamen intermédiaire à un aspect précis d’une ordonnance ou de conclusions. Par conséquent, pour être en mesure d’exclure des marchandises, le TCCE s’est vu contraint de réexaminer l’ordonnance ou les conclusions dans leur ensemble pour décider s’il devait ou non les confirmer et les assortir ou non de modifications. Le nouvel alinéa 76.01(1)b) lui confère ce pouvoir et lui évite de rouvrir l’ensemble de l’ordonnance ou des conclusions dans de tels cas. [Non souligné dans l’original]

[52]  La LMSI n’habilite toujours pas expressément le Tribunal à limiter la portée d’un réexamen relatif à l’expiration. L’historique législatif révèle que cette omission était délibérée.

(4)  La justification fondée sur des « circonstances extraordinaires » du Tribunal

[53]  Parmi les raisons qui l’autorisent selon lui à exclure certaines marchandises d’un réexamen relatif à l’expiration, le Tribunal indique dans ses motifs (au par. 13) qu’il « dispose d’un large pouvoir discrétionnaire d’exclure certaines marchandises de la portée de ses conclusions et de ses ordonnances dans des circonstances extraordinaires ». À l’appui de cette proposition, il cite deux décisions de notre Cour – l’arrêt Hetex Garn A.G. c. Le Tribunal antidumping (1977), [1978] 2 C. F. 507, 1977 CarswellNat 177 (WL Can) (C.A.), et l’arrêt Sacilor Aciéries c. Le Tribunal antidumping (1985), 60 N.R. 371, 9 C.E.R. 210 (C.A.F.) – ainsi que deux décisions du groupe spécial binational : la décision Certains moteurs à induction intégrale sous-évalués, d'un Horse-Power (1 HP) à deux cents Horse-Power (200 HP) inclusivement, avec exceptions, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique (11 septembre 1991), CDA‑90‑1904‑01 (disponible en ligne au http://publications.gc.ca/site/fra/9.822453/publication.html) et la décision Certain Cold-Rolled Steel Sheet Originating in or Exported from the United States of America (Injury) [anglais seulement] (13 juillet 1994), CDA93‑1904‑09 (disponible en ligne au http://publications.gc.ca/site/fra/9.823375/publication.html). À mon avis, ces décisions n’appuient pas le pouvoir étendu que le Tribunal fait valoir.

[54]  Tant l’arrêt Hetex Garn que l’arrêt Sacilor tranchent des demandes de contrôle judiciaire de décisions rendues en vertu de la Loi antidumping, L.R.C. 1970, ch. A‑15, qui a précédé la LMSI. Ni l’un ni l’autre ne porte sur un réexamen relatif à l’expiration ou tout autre type de réexamen. Les deux concernent la compétence du Tribunal antidumping de formuler une conclusion établissant un dommage ou un retard à la suite d’une décision provisoire de dumping. Le paragraphe 16(3) autorisait le Tribunal antidumping à « rendre l’ordonnance ou prendre les conclusions que la nature de la question peut exiger » et à « déclarer à quelles marchandises ou à quelle sorte de marchandises [. . .] les conclusions s’appliquent » La Cour dans les deux arrêts a statué, en interprétant cette disposition, qu’elle habilitait le Tribunal antidumping à « rendre son ordonnance relativement à la totalité ou à l’une ou l’autre des ‘marchandises auxquelles s’applique la détermination préliminaire » (arrêt Hetex Garn, p. 508; arrêt Sacilor au paragraphe 11). Les motifs ne font pas mention de « circonstances extraordinaires ».

[55]  Dans la décision Moteurs à induction, le groupe spécial binational (à la page 71), à la lumière de l’arrêt Sacilor et de l’arrêt de la Cour suprême intitulé Hitachi Ltd. et autres c. Tribunal antidumping et autres, [1979] 1 R.C.S. 93, 1978 CanLII 153, a affirmé que « la décision de ne pas exclure telle ou telle entreprise [de la conclusion relative à l’existence d’un dommage] est une décision factuelle qui relève du pouvoir d’appréciation du TCCE ». Dans les motifs de l’arrêt Hitachi, qui tiennent en un seul paragraphe, la Cour suprême indique que « le par. 16(3) de la Loi antidumping accorde au Tribunal antidumping le pouvoir de prendre les conclusions contestées […] ».

[56]  Dans la décision Cold-Rolled Steel, le groupe spécial binational a reconnu (aux p. 54 et 55) que les arrêts Hetex Garn et Sacilor étaient fondés sur le paragraphe 16(3) de la Loi antidumping; il a également indiqué que le paragraphe 43(1) de la LMSI prévoyait un pouvoir discrétionnaire permettant ou non d’exclure certains producteurs de conclusions établissant un dommage. Le paragraphe 43(1) autorise le Tribunal, à la suite d’une décision définitive de dumping, à rendre « les ordonnances ou les conclusions indiquées dans chaque cas en y précisant les marchandises concernées ». Les différences entre ce libellé et celui du paragraphe 76.03(3) sont évidentes.

(5)  L’interprétation conforme aux obligations en matière de commerce international

[57]  Les obligations internationales du Canada, notamment celles relatives au commerce international, sont pertinentes dans l’interprétation contextuelle des lois canadiennes (arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), au par. 47). Il est bien établi que, dans la mesure du possible, les lois nationales devraient être interprétées à la lumière des obligations internationales du Canada et des principes sous-jacents du droit international. C’est particulièrement le cas lorsque la loi, comme la LMSI, a été adoptée « en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales » (arrêt B010 au par. 47, citant l’arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, p. 1371, 1990 CanLII 49).

[58]  Toutefois, comme notre Cour l’a récemment réitéré dans l’arrêt Tapambwa v. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, il existe « un important contrepoids à ces principes, soit le principe de la souveraineté du Parlement. Il faut donner effet aux dispositions législatives non ambiguës, même si elles viennent à l’encontre des obligations internationales du Canada ou du droit international » (au par. 44, citant notamment l’arrêt Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56 au par. 35, [2010] 3 R.C.S. 281).

[59]  En l’espèce, le Tribunal a invoqué le principe de la conformité aux obligations internationales du Canada en concluant (au par. 13) qu’à l’article 76.03, « le législateur l’habilite à conclure au caractère infondé d’un réexamen relatif à l’expiration dès lors que des marchandises sont exclues de la portée d’une conclusion de dommage en raison d’un contexte extraordinaire. ». Plus haut dans ses motifs (au par. 10), il a renvoyé à la conclusion de l’Organe de règlement des différends de l’OMC dans l’instance intentée par le Taipei chinois selon laquelle le fait d’assujettir les marchandises d’un exportateur ayant une marge de dumping nulle ou de minimis à des droits antidumping constitue un manquement aux obligations du Canada prévues à l’Accord antidumping. Il a également ajouté (au paragraphe 11) qu’il « ressort clairement du raisonnement suivi par le Groupe spécial de l’OMC […] que les exportations de Conares n’auraient pas dû être visées par les conclusions puisqu’il avait été établi qu’elles n’étaient pas sous-évaluées ». L’article 11.1 de l’Accord antidumping stipule que « [l]es droits antidumping ne resteront en vigueur que le temps et dans la mesure nécessaires pour contrebalancer le dumping qui cause un dommage ».

[60]  Mais le législateur a expressément décidé de ne pas accorder au Tribunal le pouvoir que celui-ci a fait valoir en s’appuyant sur ce principe d’interprétation. En raison particulièrement de la clarté du libellé de l’article 76.03 à la lumière d’autres dispositions relatives au réexamen, de l’historique législatif, de l’absence dans la loi et dans la jurisprudence de toute mention de circonstances extraordinaires et du choix du législateur de ne pas faire appliquer rétroactivement les modifications apportées à la LMSI pour mettre en œuvre expressément les obligations du Canada envers l’OMC, je ne vois aucune ambiguïté qui justifierait d’examiner les obligations internationales du Canada pour interpréter l’article 76.03.

D.  Les conclusions sur la question de fond

[61]  Je suis conscient de la nécessité d’éviter « un examen selon la norme de la décision correcte, mais déguisé » sous forme de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, aux par. 63 à 65, [2018] 2 R.C.F. 573). Toutefois, compte tenu de tous les facteurs que j’ai énoncés, j’estime que le législateur a fait un choix clair en adoptant l’article 76.03. La clarté de ce choix laisse place à une seule interprétation raisonnable de la disposition – l’interprétation qui habilite le Tribunal à procéder au réexamen relatif à l’expiration « d’une ordonnance ou des conclusions » intégralement. Il s’ensuit que l’interprétation du Tribunal était déraisonnable et que ce dernier a commis une erreur susceptible de contrôle en excluant les marchandises de Conares du réexamen relatif à l’expiration.

V.  La question de la réparation – Quelle réparation la Cour peut-elle et devrait-elle accorder?

[62]  Les réparations que la Cour peut accorder à l’issue du contrôle judiciaire d’une ordonnance du Tribunal rendue en vertu du paragraphe 96.1(1) sont énumérées au paragraphe 96.1(6) de la LMSI. Ces recours sont plus limités que ceux que l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, permet à la Cour d’accorder. Par exemple, il n’est pas possible dans ce cas d’obtenir un jugement déclaratoire.

[63]  Le paragraphe 96.1(6) est ainsi libellé :

(6) La cour peut soit rejeter la demande, soit annuler la décision, l’ordonnance ou les conclusions avec ou sans renvoi de l’affaire au président ou au Tribunal, selon le cas, pour qu’il y donne suite selon les instructions qu’elle juge indiquées.

(6) On an application under this section, the Federal Court of Appeal may dismiss the application, set aside the final determination, decision, order or finding, or set aside the final determination, decision, order or finding and refer the matter back to the President or the Tribunal, as the case may be, for determination in accordance with such directions as it considers appropriate.

[64]  Les réparations accordées à l’issue d’un contrôle judiciaire sont discrétionnaires. Ce principe s’applique également à cette disposition, comme le confirme l’inclusion dans celle-ci du mot « peut » avant l’énumération des réparations possibles (voir l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, aux par. 37 et 38, [2015] 2 R.C.S. 713, et l’arrêt Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, au par. 42). Un facteur important que la Cour doit prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière concerne la portée pratique de toute réparation (arrêt Robbins c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24, au par. 17). Les considérations relatives à la prépondérance des inconvénients sont également pertinentes (arrêt Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, au par. 52, [2010] 1 R.C.S. 6.).

[65]  Le pouvoir de ne pas accorder de réparation lorsqu’il est établi qu’un tribunal administratif a agi en contravention de la loi doit être exercé avec la plus grande diligence (arrêt Mines Alerte Canada au par. 52; arrêt Hillier au par. 42). Or, à mon avis, l’espèce commande l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire. Je refuserais donc d’accorder une réparation. La seule option que le paragraphe 96.1(6) laisse à la Cour dans ces circonstances est le rejet de la demande.

[66]  J’arrive à la conclusion qu’il n’y a pas lieu d’accorder de réparation pour plusieurs raisons. En premier lieu, les demanderesses n’ont pas demandé la suspension du réexamen relatif à l’expiration en vertu de l’article 18.2 ou de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales en attendant que la Cour statue sur la présente demande (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal du Commerce extérieur), 2006 CAF 395, aux par. 7 à 12). En deuxième lieu, les demanderesses ont reconnu que, même si les marchandises de Conares avaient été incluses dans le réexamen relatif à l’expiration, elles auraient probablement été exclues à l’issue du réexamen; elles n’ont pas contesté le droit du Tribunal d’exclure les marchandises à cette étape. En troisième lieu, le réexamen relatif à l’expiration est maintenant terminé et les marchandises de Conares ont effectivement fait l’objet d’une exclusion. L’octroi d’une réparation n’aurait donc vraisemblablement aucune portée pratique. En quatrième lieu, le fait de reprendre le réexamen relatif à l’expiration en incluant les marchandises de Conares (en supposant que cela soit permis sous le régime de la LMSI) imposerait des coûts non seulement au Tribunal, mais également aux tiers à la présente instance (voir l’arrêt Mines Alerte, au par. 52). En cinquième lieu, même en l’absence d’une réparation en bonne et due forme, le Tribunal et le procureur général bénéficieront des motifs de la Cour sur l’interprétation de l’article 76.03 et sur la portée autorisée d’un réexamen relatif à l’expiration.

[67]  Enfin, en ce qui concerne la réparation, je tiens à répéter les observations de Conares selon lesquelles même si la Cour a conclu au caractère déraisonnable de l’ordonnance du Tribunal, elle ne pourrait accorder de réparation efficace ‑ si elle était disposée à en accorder une ‑ puisque, par suite de l’ordonnance du Tribunal, ses conclusions en ce qui concerne les marchandises de Conares sont expirées par effet de la loi et ne peuvent être rétablies.

[68]  À la lumière de ma conclusion en ce qui a trait à la réparation, il n’est pas nécessaire de traiter ces observations. Toutefois, il semble que le droit veuille qu’une fois qu’une ordonnance a été annulée, c’est comme si elle n’avait jamais été rendue (Grenon c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 167, aux par. 20 à 26). Je laisserais donc à la juridiction saisie de la question le soin de trancher, le cas échéant, la façon dont ce principe s’appliquerait, le cas échéant, dans un contexte semblable si l’ordonnance du Tribunal avait été annulée.

VI.  Le dispositif proposé

[69]  Je rejetterais la demande. Compte tenu de toutes les circonstances, je laisserais les parties assumer leurs propres dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

A‑11‑18

 

INTITULÉ :

NOVA TUBE INC./ACIER NOVA INC. c. CONARES METAL SUPPLY LTD., MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE des ÉMIRATS ARABES UNIS et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NovembRE 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

DATE :

LE 22 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Benjamin Mills

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Cyndee Todgham Cherniak

 

POUR LA DÉFENDERESSE

CONARES METAL SUPPLY LTD.

 

Alexander Gay

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conlin Bedard LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Lexsage Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

CONARES METAL SUPPLY LTD.

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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