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Date : 20190325


Dossier : A-408-16

Référence : 2019 CAF 53

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

demanderesse

et

DAVID PIOT POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE REPRÉSENTANT DEMANDEUR

intimé

et

PREMIÈRE NATION SAKIMAY

intervenante

Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 29 novembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 mars 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20190325


Dossier : A-408-16

Référence : 2019 CAF 53

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

demanderesse

et

DAVID PIOT POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE REPRÉSENTANT DEMANDEUR

intimé

et

PREMIÈRE NATION SAKIMAY

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I.  INTRODUCTION

[1]  Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, agissant pour son propre compte et à titre de représentant demandeur, interjette appel de la décision de la Cour fédérale répertoriée sous l’intitulé 2016 CF 1077 (les motifs). Ladite décision de la Cour fédérale porte sur un différend opposant des locataires de terrains (locataires) situés sur le territoire de la Première Nation Sakimay (Sakimay) à Sa Majesté la Reine (l’État) et à Sakimay. La principale question en litige portait sur le montant juste du loyer demandé aux locataires de propriétés récréatives au titre d’une clause de révision aux 5 ans prévue dans leur bail de 20 ans. La Cour fédérale a tranché plusieurs questions, mais l’objet central du présent appel a trait à la méthode ou à la formule appropriée de calcul de la juste valeur marchande d’un terrain aux termes du bail de 1991 pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014.

[2]  La Cour fédérale a entendu des évaluateurs experts sur la question de la méthode d’évaluation appropriée : M. Thair, qui témoignait pour le compte des locataires, et M. Bell, qui témoignait pour le compte de l’État. L’État allègue que les motifs de la Cour fédérale sont truffés d’erreurs découlant de son observation portant qu’elle « n’est pas en mesure » de se prononcer sur un facteur d’évaluation précis et qu’elle doit choisir « l’opinion qu’elle privilégiera entre les deux » qui s’opposent (motifs, au paragraphe 93). Invoquant la norme de contrôle, les locataires soutiennent que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur manifeste et dominante.

[3]  Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la Cour fédérale a bel et bien commis une erreur manifeste et dominante dans sa discussion de certains éléments de preuve, et notamment la preuve d’expert. Conséquemment, j’annulerais sa décision et lui renverrais l’affaire afin qu’elle établisse les loyers conformément au jugement que je prononcerais.

II.  LES FAITS

[4]  Deux versions du bail sont l’objet du différend opposant les locataires de terrains en cause et Sakimay : le bail de 1991, visé dans le présent appel, et le bail de 1980, visé dans l’appel connexe de la décision Joanne Schnurr pour son propre compte et à titre de représentante demanderesse c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la Première Nation Sakimay. Les motifs de la Cour fédérale dans cette affaire sont répertoriés sous l’intitulé Schnurr c. Canada, 2016 CF 1079. Les motifs de notre Cour dans cet appel connexe sont déposés concurremment à ceux du présent appel sous l’intitulé 2019 CAF 54.

[5]  Les faits essentiels sont exposés dans les motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 5 à 9 :

[5] Les propriétés louées par les locataires consistent en des lots individuels situés sur les rives du lac Crooked, ou à proximité de celles-ci, dans la vallée de la Qu’Appelle, dans le sud-est de la Saskatchewan. Les lots visés par le bail en cause sont situés du côté nord-ouest du lac, dans la réserve indienne de Shesheep no 74A, et du côté sud-ouest du lac, dans la réserve indienne de Sakimay no 74. Les terres situées du côté nord du lac Crooked sont pour la plupart des propriétés privées, contrairement aux lots se trouvant du côté sud du lac. La rive sud du lac Crooked est pratiquement inhabitée, à l’exception du lotissement de Grenfell Beach.

[6] Sur la rive nord du lac Crooked, les lots sont pour la plupart loués, et il y a très peu de lots détenus en fief simple privé qui ne sont pas aménagés. La défenderesse, en sa qualité de locateur (par l’entremise de Sakimay), possède 265 lots à louer sur la rive nord, dont 194 lots sont loués depuis 1951. De ce nombre, 165 lots sont visés par le bail de 1991. Ces lots sont situés dans la réserve indienne de Shesheep no 74A et sont parfois appelés « Indian Point ». Depuis environ 37 ans, les propriétaires de chalet sont représentés par une association sans personnalité morale connue sous la dénomination de « Shesheep Cottage Owners Association » [SCOA].

[7] Sur la rive sud du lac, 285 lots ont été subdivisés et sont offerts en location, dont 129 sont loués par la défenderesse à des locataires depuis 65 ans. De ces 129 lots, 124 sont soumis au bail de 1991. Ces lots situés dans la réserve indienne de Sakimay no 74A sont désignés par les propriétaires de chalet comme « Grenfell Beach ». Les locataires de lots situés sur la rive sud sont représentés depuis environ 29 ans par une association sans personnalité morale connue sous la dénomination de « Grenfell Beach Association » ou « Grenfell Beach Cottage Owners Association » [GBCA]. Un seul de ces locataires a choisi de se retirer du présent recours collectif.

[8] C’est en 1951 que Sakimay a commencé à céder des parties des terres des réserves indiennes de Sakimay no 74 et de Shesheep no 74A à Sa Majesté la Reine du chef du Canada [Canada] pour être louées. Les cessions et désignations actuellement en vigueur expireront en 2024.

[9] Bien que les baux aient été administrés par la défenderesse, elle a toutefois délégué certaines responsabilités administratives à Sakimay en 1995. Sakimay s’est acquittée de ces aspects de l’administration des baux par l’entremise de la Sakimay Land Authority.

À toutes fins utiles, et du point de vue du demandeur, Sakimay est le « locateur » et fait l’objet de très peu de supervision, le cas échéant, de la part du Canada.

[6]  Le tableau suivant présente la répartition des locataires entre les deux réserves indiennes de Sakimay et les deux versions de baux en litige :

[VIDE]

Bail de

1980

Bail de

1991

Total

Shesheep

Indian Point

29

165

194

Sakimay

Grenfell Beach

5

124

129

Total

34

289

323

[7]  Il ressort du tableau que les 2 appels visent 323 baux en tout, soit 289 baux de 1991 (présent appel) et 34 baux de 1980 (appel Schnurr).

[8]  Les baux ont une durée de 20 ans, mais le loyer est fixé pour une période de 5 ans. La clause 2.01 du bail de 1991 porte sur l’établissement du loyer tous les cinq ans :

[traduction]

2.01 […] Le loyer annuel fera l’objet d’une révision tous les cinq (5) ans. Pour chacune des périodes de cinq (5) ans successives prévues aux présentes, le loyer sera établi par les parties en consultation avec le conseil de bande de la Première Nation Sakimay au moins trente (30) jours avant le 1er janvier de la période de cinq (5) ans concernée et restera en vigueur pendant toute la durée de celle-ci. Le locataire sera avisé par écrit, par courrier recommandé, du montant du loyer fixé. Le loyer sera établi selon la juste valeur marchande du terrain. Si les parties aux présentes ne parviennent pas à s’entendre sur le montant du loyer pour une année donnée, le ministre fixera le montant du loyer à payer pour ladite année, sous réserve d’une décision définitive rendue par la Cour fédérale, selon les voies de droit régulières. À la suite de la décision rendue par la Cour fédérale, toute modification au loyer prendra la forme d’un paiement supplémentaire ou d’un remboursement.

[9]  Aux fins du présent appel, le passage essentiel de cette clause est « [l]e loyer sera établi selon la juste valeur marchande du terrain ». Selon cette clause, la fixation du loyer pour une période de cinq ans repose sur l’évaluation des terrains loués.

[10]  En 2009, Sakimay a demandé au cabinet B.R. Gaffney & Associates de procéder à l’évaluation en vue de la période de renouvellement 2010 à 2014. À partir de son évaluation, le cabinet a recommandé des hausses des taux de location de l’ordre de 625 % pour les lots riverains et de 545 % pour les lots non riverains (voir le tableau au paragraphe 28 des motifs). Suivant cette recommandation, Sakimay a retenu l’augmentation appréciable des taux recommandés par voie de résolution du conseil de bande et en a notifié les locataires.

[11]  Comme il fallait s’y attendre, l’annonce d’augmentations de cette ampleur a suscité des réactions chez les locataires. Ils ont déposé leur déclaration le 12 décembre 2009 Les parties ont retenu les services notamment de M. Thair et de M. Bell, aux fins de la procédure contentieuse. Aucun représentant de B.R. Gaffney & Associates n’a été appelé à témoigner au sujet du rapport d’évaluation lors du procès.

III.  DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL

[12]  L’affaire a été déférée à la Cour fédérale par voie de recours collectif au titre duquel diverses questions communes ont été certifiées. La Cour fédérale discute quelques-unes de ces questions aux paragraphes 33 à 90 de ses motifs. Les conclusions sur ces questions ne sont pas visées par le présent appel. Les seules questions en litige en l’espèce concernent la méthode appropriée de détermination du loyer durant la période visée et son application aux faits en l’espèce.

[13]  La Cour fédérale soutient au paragraphe 102 de ses motifs que les parties s’entendent de manière générale sur les grandes lignes de la méthode utilisée, mais pas sur son application.

[14]  Elle fait observer tout d’abord que le choix de la méthode appropriée dépend essentiellement du rapport d’évaluation retenu. La Cour ajoute que l’État a tenté l’a invitée à « se pencher sur les détails contenus dans chaque rapport et […] adopter le point de vue de son expert ou de substituer sa propre opinion » (motifs, au paragraphe 92). Elle a toutefois refusé d’emprunter cette voie, concluant qu’elle n’avait pas l’expertise voulue pour intervenir sur ce plan. Comme il a été vu précédemment, la Cour a jugé qu’elle pourrait tirer une conclusion de fait après avoir choisi l’opinion d’expert privilégiée (motifs, aux paragraphes 92, 93 et 101).

[15]  La Cour a privilégié le témoignage de M. Thair plutôt que celui de M. Bell « en raison de la conviction, de la persuasion, de la constance, du raisonnement et de la connaissance des propriétés visées dont [M. Thair] a fait preuve » (motifs, au paragraphe 98). Pour justifier sa préférence pour le témoignage de M. Thair, la Cour cite d’autres facteurs comme les problèmes éprouvés par M. Bell en contre-interrogatoire; la plus grande connaissance dont M. Thair a fait montre à l’égard du marché immobilier de la Saskatchewan, ainsi que ses nombreuses visites des terrains visés et de terrains « comparables » (motifs, aux paragraphes 98 à 100 et 114).

[16]  La Cour a exposé l’exposé de M. Thair, qu’elle a avalisé, concernant la méthode appropriée de détermination du montant du loyer (au paragraphe 102) :

  Estimer la valeur des lots visés (sur une base hypothétique d’un terrain détenu en fief simple) en les comparant avec des données sur les ventes de terrains détenus en fief simple hors réserve;

  Appliquer des ajustements afin de tenir compte des facteurs applicables à une réserve indienne qui influent sur la valeur des lots visés par rapport aux lots détenus en fief simple hors réserve;

  Déterminer un taux de rendement [...] et l’appliquer à la valeur des lots situés dans la réserve afin d’établir le montant des loyers annuels.

[17]  La Cour relève qu’il n’était pas controversé entre les parties que la méthode proposée par M. Thair respecte celle qu’a consacrée la Cour suprême du Canada par l’arrêt Bande indienne de Musqueam c. Glass, 2000 CSC 52, [2000] 2 RCS 633 (Musqueam), qui a été suivie à l’occasion d’un certain nombre d’affaires depuis.

[18]  À l’instar du bail en cause dans l’affaire Musqueam, le bail de 1991 prévoit que le loyer doit être établi selon la juste valeur marchande du terrain (clause 2.01). La Cour fédérale a observé que dans l’arrêt Musqueam, la Cour suprême a conclu que le « terrain » visé par le bail n’était pas un terrain hors réserve, mais plutôt une « hypothétique propriété en fief simple » dans la réserve. Cependant, comme aucun terrain n’est détenu en fief simple dans la réserve, il n’existe pas de données issues directement du marché quant au prix qu’un acheteur accepterait de payer à un vendeur consentant pour un lot de terre nu sur le territoire de Sakimay.

[19]  La Cour poursuit sa discussion en faisant siennes les lignes directrices puisées dans l’arrêt Musqueam que les locataires citent dans leur mémoire de droit (motifs, au paragraphe 112).

[20]  Elle souscrit à la méthode générale avancée par les parties pour l’établissement du loyer et examine trois éléments importants : la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple; le facteur applicable à une réserve indienne et le taux de rendement. La Cour ne tient aucun compte des précisions que M. Thair produit dans son analyse concernant ces éléments. Pour justifier sa préférence pour les conclusions de M. Thair, elle se borne à invoquer ses qualités et sa crédibilité, ou les failles dans le témoignage de M. Bell.

[21]  D’abord, pour ce qui concerne la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple, la Cour fait remarquer que MM. Thair et Bell sont arrivés à des estimations très proches de 1 800 $ et 1 890 $ par pied de façade pour les lots riverains, ce qui constitue un écart de 5 % seulement. Puis la Cour examine les failles dans la preuve de M. Bell à cet égard, et met en lumière notamment la divergence entre le raisonnement qu’il a suivi dans son rapport et les réponses données en contre-interrogatoire. Finalement, la Cour a retenu l’estimation proposée par M. Thair de la valeur des lots hypothétiques détenus en fief simple en cause.

[22]  Elle se penche ensuite sur les ajustements requis pour tenir compte du facteur applicable à une réserve indienne. M. Thair a utilisé deux méthodes pour calculer ce facteur. Suivant la méthode A, les taux de location de quatre propriétés récréatives dans la réserve, y compris à Indian Point et à Grenfell Beach, ont été comparés à ceux de deux propriétés hors réserve. Cette comparaison a révélé un écart de 21 % entre les taux de location des propriétés récréatives dans la réserve et hors réserve.

[23]  M. Thair a ensuite suivi la méthode B pour dériver le taux de rendement des terrains hors réserve, et il a obtenu un taux de 1,6 %. Le même calcul effectué pour divers terrains situés dans la réserve a abouti à un taux de rendement de 0,9 %. L’écart entre ces 2 taux (1,6 - 0,9 = 0,7) équivaut à 43 % du taux de rendement des terrains hors réserve (0,7/1,6 x 100), soit le facteur applicable à une réserve indienne généré par la méthode B.

[24]  M. Thair a établi le facteur applicable à une réserve indienne à 32 % en calculant la moyenne des valeurs obtenues avec les méthodes A et B.

[25]  Au procès, l’État a critiqué le choix des propriétés sur lesquelles se fonde l’analyse de M. Thair, l’absence d’analyse de la tendance temporelle, de même que son utilisation de taux de rendement applicables à un parc provincial, reprochant à ceux-ci d’avoir été indûment réduits en raison de considérations politiques. Rejettant ces critiques, la Cour a conlu que M. Thair était conscient des forces et des lacunes de ses points de données, mais qu’il avait usé de son jugement professionnel pour trouver un équilibre. La Cour a conclu que M. Thair « avait des raisons convaincantes et logiques de s’appuyer sur les données » (motifs, au paragraphe 135).

[26]  La Cour fédérale a aussi critiqué l’analyse de M. Bell, qui aboutit à un facteur applicable à une réserve indienne de 6,25 %. Elle relève notamment que M. Bell a admis que sa méthode ne tenait pas compte des données du marché. Il a plutôt pris en considération des facteurs comme les préoccupations hypothécaires, les remous politiques ou les taxes foncières et les frais de viabilisation, qui fondaient une opinion précédente qui avait été retenue dans l’affaire Morin c. Canada, 2002 CFPI 1312, 226 FTR 188 (Morin CF). Il a appliqué un taux de réduction à chacun de ces facteurs, puis il a additionné les réductions pour obtenir le facteur applicable à une réserve indienne. La Cour a conclu que la méthode de M. Bell insufflait dans l’analyse un degré de subjectivité injustifié. Elle est parvenue à la conclusion que le rapport de M. Thair présentait une évaluation plus convaincante et plus cohérente sur les plans factuel et juridique (motifs, aux paragraphes 138 à 140).

[27]  Le dernier élément examiné par la Cour fédérale est le taux de rendement, c’est-à-dire le taux applicable à la juste valeur marchande d’un terrain hypothétique détenu en fief simple pour établir le montant approprié du loyer. Plus le taux de rendement appliqué est élevé, plus le loyer est élevé. M. Bell a opté pour un taux historique de 4,5 %, tandis que M. Thair a appliqué un taux de 1,6 %.

[28]  La Cour fédérale n’a pas retenu le taux de 4,5 % au motif qu’il n’était pas fondé sur des données du marché et qu’il avait selon toute vraisemblance été établi à une époque où les taux d’intérêt étaient nettement plus élevés. Elle a privilégié la méthode de fixation du taux en fonction du marché suggérée par M. Thair ainsi qu’un autre expert, M. Dybvig. Selon cette méthode, le taux de location est divisé par la valeur du bien. M. Thair a appliqué cette méthode en y intégrant le taux de rendement des terrains situés dans un parc provincial et en calculant le taux de rendement d’une propriété de villégiature privée située au lac Marean, en Saskatchewan.

[29]  Il a opiné que le taux de rendement de 1,92 % des propriétés situées dans un parc provincial pouvait être considéré comme un taux du marché puisqu’elles comptent pour la moitié du marché des propriétés de villégiature et qu’elles sont en concurrence directe avec les propriétés de Sakimay. M. Thair a rejeté l’argument portant que le taux applicable à un parc provincial était dicté par des considérations politiques, soutenant que c’était en fait le taux du marché, peu importe la manière dont il est établi (motifs, aux paragraphes 153 et 154). En ce qui a trait au lac Marean, le calcul de M. Thair donne un taux de rendement de 1,2 %. Il a fait une moyenne de ces deux taux pour obtenir le taux de rendement applicable. La Cour a souligné que M. Thair était au fait des différences entre le lac Crooked et le lac Marean, et elle a conclu qu’il « avait des motifs convaincants et logiques à l’appui de ses conclusions, selon des faits qu’il comprenait » (motifs, au paragraphe 156).

[30]  Pour ces raisons, la Cour fédérale a décidé que la méthode ou la formule appropriée pour établir le montant du loyer pendant la période visée était celle qu’avait proposée M. Thair.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[31]  Dans son mémoire des faits et du droit, l’État soulève sept questions. Un examen attentif a permis de les regrouper sous trois catégories.

[32]  La première catégorie de questions se rapporte à la thèse portant que la Cour fédérale aurait commis une erreur quand, à l’égard des opinions fournies par les évaluateurs experts, elle a décidé que sa mission était de choisir l’une au détriment de l’autre et non d’examiner les deux opinions de tirer ses propres conclusions de fait. La deuxième catégorie de questions soulevées par l’État concerne le calcul du facteur applicable à une réserve indienne. Finalement, l’État soulève des questions touchant au calcul du taux de rendement.

V.  NORME DE CONTRÔLE

[33]  La décision portée en appel a été rendue par la Cour fédérale à l’issue d’un procès. Dans ce cas, les normes de contrôle applicables sont celles consacrées par l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 (Housen), à savoir la norme de la décision correcte pour les questions de droit pures et isolables, et la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait ou les questions mélangées de fait et de droit.

[34]  L’État soutient que les faits visés par le présent appel appelent l’application du principe consacré par l’arrêt Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 RCS 23, selon lequel la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation des contrats d’adhésion. Il s’agit d’un reviremment de la Cour suprême par rapport à l’arrêt Sattva Capital Corporation c. Creston Moly Corporation, 2014 CSC 53, aux paragraphes 49 à 55, [2014] 2 RCS 633, dans lequel elle affirme que l’interprétation des contrats est une question mélangée de fait et de droit appelant la déférence, sauf si une question de droit est isolable.

[35]  La question concerne essentiellement l’interprétation de la clause de révision du loyer contenue dans chacun des baux. En l’espèce, la réponse se trouve en grande partie dans la jurisprudence Musqueam, laquelle porte sur un bail dont le libellé est essentiellement le même que celui qui est en cause en l’espèce. La question a plus de poids dans l’affaire Schnurr portée en appel et sera alors examinée plus en détail.

VI.  ANALYSE DES MOTIFS D’APPEL

A.  Traitement des opinions d’expert

[36]  L’État soutient que les erreurs suivantes ont été commises :

  Le juge de première instance a incorrectement conclu qu’il devait retenir l’opinion d’un expert au détriment de l’autre plutôt que de former sa propre opinion quant à la méthode de calcul appropriée.

[37]  Les motifs qu’invoque la Cour fédérale pour privilégier et retenir les conclusions de M. Thair semblent reposer sur des facteurs qui divergent de ceux qu’elle a elle-même appliqués aux fins de l’appréciation de son raisonnement et du bien-fondé de ses conclusions. Les facteurs invoqués par la Cour sont exposés au paragraphe 15 ci-dessus. Ce constat impose une réflexion sur le rôle du tribunal de première instance à l’égard de la preuve d’expert.

[38]  Dans l’arrêt R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51, au paragraphe 56, [2000] 2 RCS 600, la Cour suprême du Canada résume ainsi l’objet de la preuve d’expert :

La preuve d’expert vise donc à aider le juge des faits en lui fournissant des connaissances particulières qu’une personne ordinaire n’aurait pas. Elle n’a pas pour objet de substituer l’expert au juge des faits. C’est un acte de jugement éclairé, et non un acte de confiance, qui est requis du juge des faits.

[39]  Plus récemment, dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, au paragraphe 18, [2015] 2 RCS 182 (White Burgess), la Cour suprême met en lumière le risque inhérent au recours à la preuve d’expert et l’objectif qu’il faut garder à l’esprit :

Il s’agit de préserver le procès devant juge et jury, et non pas d’y substituer le procès instruit par des experts. Il y a un risque que le jury [traduction] « soit incapable de faire un examen critique et efficace de la preuve » (renvoi omis). Le juge des faits doit faire appel à son « jugement éclairé » plutôt que simplement trancher la question sur le fondement d’un « acte de confiance » à l’égard de l’opinion de l’expert (renvoi omis). Le danger de « s’en remettre à l’opinion de l’expert » est également exacerbé par le fait que la preuve d’expert est imperméable au contre-interrogatoire efficace par des avocats qui ne sont pas des experts dans ce domaine (renvoi omis).

[40]  Dans un procès devant juge seul, le juge de première instance fait également office de juge des faits et il doit « faire un examen critique et efficace de la preuve ».

[41]  Déjà en 1994, la Cour suprême faisait une mise en garde particulièrement pertinente en l’espèce :

Il y a également la crainte inhérente à l’application de ce critère que les experts ne puissent usurper les fonctions du juge des faits. Une conception trop libérale pourrait réduire le procès à un simple concours d’experts, dont le juge des faits se ferait l’arbitre en décidant quel expert accepter.

R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9, à la page 24, 114 D.L.R. (4th) 419 (Mohan).

[42]  Ce passage de l’arrêt Mohan est pertinent vu les observations de la Cour fédérale aux paragraphes 92 et 93 de ses motifs :

Il s’agit donc essentiellement de choisir lequel des rapports des deux évaluateurs experts notre Cour retiendra. La défenderesse a consacré une bonne partie de son argumentation à tenter de convaincre notre Cour de se pencher sur les détails contenus dans chaque rapport et, à l’occasion et lorsqu’elle le jugeait nécessaire, d’adopter le point de vue de son expert ou de substituer sa propre opinion pour conclure différemment sur des questions précises.

Il ne s’agit pas d’un cas où notre Cour devrait, ou pourrait, s’ingérer à ce point. La Cour n’est pas en mesure, en partie parce qu’elle ne possède pas l’expertise nécessaire, de se prononcer sur un facteur d’évaluation précis, comme, par exemple, quel devrait être le facteur à appliquer aux réserves indiennes.

Les questions de cette nature doivent faire l’objet de rapports d’expert et donnent lieu à une conclusion de fait une fois que la Cour a choisi l’opinion qu’elle privilégiera entre les deux.

[43]  S’appuyant sur ce passage et d’autres affirmations de la Cour fédérale dans ses motifs, l’État soutient qu’elle a eu tort de s’en remettre aux experts et de s’arroger un rôle d’« arbitre en décidant quel expert accepter ». C’est précisément l’erreur à laquelle la Cour suprême fait allusion dans l’arrêt Mohan.

[44]  M. Piot avance quant à lui qu’il n’est pas inhabituel dans les affaires d’évaluation que la Cour fonde ses conclusions sur la méthode d’un expert au détriment de celle d’un autre expert. Il invoque la jurisprudence  à l’appui de cette thèse : Southpark Estates Inc. c. Canada [sub. nom. Villa Beliveau c. Canada], 2006 CAF 153, 348 NR 122; Canada c. Crosson, 2000 CanLII 16565 (CAF), 265 NR 112, et Morin c. Canada, 2005 CAF 52, 332 NR 109 (Morin CAF). Dans chacune de ces affaires, le juge de première instance a procédé à l’examen exhaustif des éléments fondant le choix de la méthode suivie par l’évaluateur (Villa Beliveau Inc. c. R., 2004 CCI 701, aux paragraphes 2 à 5, 7 à 28 et 43 à 55, [2004] A.C.I. no 558; Canada c. Crosson, 169 FTR 218, [1999] A.C.F. no 889, aux paragraphes 72 à 99, et Morin CF, aux paragraphes 74 à 94).

[45]  Malgré les exemples cités par M. Piot, je ne suis pas convaincu que l’examen d’une preuve relative à une évaluation soit du genre tout ou rien. Notre Cour a écarté cette thèse voilà longtemps. En 1979, dans l’arrêt Connor c. R., [1979] 79 D.T.C. 5256 (CAF) (Connor), elle se prononçait comme suit au paragraphe 4 de ses motifs :

[traduction]

Il n’est nul besoin d’expliquer que le juge de première instance est le juge des faits et qu’il lui est par conséquent loisible d’accepter ou de rejeter, dans son intégralité ou non, toute preuve qui lui est soumise. En l’espèce, il a retenu certains éléments de preuve, mais il a rejeté toutes les méthodes, ou du moins une bonne partie de celles-ci, suivies par les experts pour faire leurs évaluations. Il était fondé à le faire […] (Non en italique dans l’original.)

[46]  La Cour fédérale a commis une erreur de droit dans la manière dont elle expose son rôle à l’égard de la preuve d’expert. Le juge de première instance appelé à soupeser une preuve d’opinion demeure le juge des faits, et il est censé tirer ses propres conclusions après avoir fait sa propre appréciation des éléments de preuve. Il ne peut pas simplement déférer à l’opinion des experts sous prétexte qu’il n’a pas l’expertise voulue pour trancher une question de fait.

[47]  Le juge de première instance doit vérifier par lui-même si la méthode d’analyse retenue par l’expert est appropriée et si les conclusions auxquelles cette méthode aboutit sont saines. Le juge de première instance doit être en mesure [TRADUCTION] « d’accepter ou de rejeter, dans son intégralité ou non, tout élément de preuve qui lui a été présenté » (Connor, précité). C’est exactement ce type d’analyse que préconise la Cour fédérale dans la décision Aird c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd., 2004 CF 551, 251 FTR 161.

[48]  De toute évidence, certaines affaires se prêteront mieux que d’autres à ce type d’analyse. Plus le domaine est complexe, plus il est difficile de décomposer les éléments d’une preuve d’expert. Toutefois, peu importe le degré de complexité, le juge de première instance doit s’assurer que les opinions exprimées par les experts constituent un fondement fiable à ses conclusions : R. c. Gibson, 2008 CSC 16, au paragraphe 58, [2008] 1 RCS 397. Certes, la préparation des évaluations produites en l’espèce nécessitait des compétences et du jugement, mais la Cour était tout à fait en mesure de comprendre les notions de base.

[49]  Le paragraphe 142 des motifs illustre bien l’erreur commise par la Cour fédérale dans son approche du facteur applicable à une réserve indienne. La Cour a renoncé à tirer sa propre conclusion de fait, préférant adhérer à l’opinion de l’un des experts en la matière :

Si un facteur applicable à une réserve indienne de 32 % peut sembler au premier abord élevé et qu’un autre nombre avoisinant 25 % peut sembler plus raisonnable, il n’appartient pas à un juge n’ayant aucune expertise en la matière qui s’appuie sur la preuve d’un expert de fixer son propre facteur. Le juge ne possède pas les données, les outils, la formation ou l’expérience nécessaires pour obtenir un facteur de substitution.

[50]  Il revenait à la Cour fédérale de tirer des conclusions réfléchies relativement au facteur applicable à une réserve indienne. Dans ce passage, elle explique les raisons pour lesquelles elle a renoncé à le faire. Les conséquences de ce choix ressortent de la manière dont la Cour utilise le facteur applicable à une réserve indienne et le taux de rendement.

B.  Le calcul du facteur applicable à une réserve indienne

[51]  L’État fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en tenant pour acquis que le facteur applicable à une réserve indienne donne systématiquement lieu à une réduction de la valeur estimée des terres de réserve, contrairement à d’autres facteurs qui ont pour effet de l’augmenter ou de la réduire. L’État soutient par conséquent que la Cour fédérale a incorrectement écarté la preuve de M. Bell relativement au facteur applicable à une réserve indienne. M. Bell a proposé un ajustement à la baisse de ce facteur pour tenir compte de l’absence de taxes sur les terrains loués. Un ajustement à la baisse du facteur applicable à une réserve indienne aurait résulté en un ajustement à la hausse de la valeur de ces terrains. Cet ajustement a été retenu à l’occasion de l’affaire Morin CF (conf. par Morin CAF) et l’arrêt Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) c. St. Martin, 2001 CAF 205, 273 NR 134 (St. Martin).

[52]  Dans ces deux affaires, le facteur applicable à une réserve indienne est considéré comme ayant un effet à la baisse (réduction ou escompte) (voir Morin CF, aux paragraphes 29 à 32 et 47 à 50; St. Martin, aux paragraphes 24 à 29). Dans cette mesure, cette jurisprudence remet en question la prémisse fondamentale de l’État selon laquelle le facteur applicable à une réserve indienne n’est pas toujours un ajustement à la baisse.

[53]  Dans l’arrêt Musqueam Indian Band c. Glass, [1997] ACF no 1339 (QL), 137 FTR 1 (Musqueam CF), la Cour suprême a maintenu la réduction de 50 % appliquée aux terres situées dans une réserve qui avait été retenue par le juge de première instance (l’ampleur de la réduction n’était pas contestée devant la Cour suprême), mais elle a précisé qu’il ne fallait pas en déduire qu’elle jouerait systématiquement pour toutes les terres de réserve. La Cour suprême a conclu que l’ampleur de la réduction à appliquer, voire l’opportunité d’une réduction, constitue une question de fait (Musqueam, au paragraphe 52).

[54]  L’idée que la valeur d’une terre de réserve n’est pas forcément moindre que celle des terres hors réserve semble encore plus claire dans la décision Musqueam CF. La Cour fédérale entame ainsi son analyse de la valeur des lots du parc Musqueam (au paragraphe 42) :

[…] je ne puis, sans analyser les données relatives au marché, conclure que la valeur des propriétés en fief simple situées en dehors de la réserve ne peut servir à déterminer la valeur courante du terrain du parc Musqueam. Si les données relatives au marché indiquent que le terrain en cause a une valeur courante réelle comparable à la valeur d’une propriété en fief simple, il serait erroné de ne pas tenir compte de celle-ci. D’autre part, si les données relatives au marché indiquent que la valeur courante réelle du terrain situé sur la réserve indienne de Musqueam ne peut se comparer à celle des propriétés en fief simple situées en dehors de la réserve, il serait artificiel et incompatible avec le libellé des baux de dire que la valeur du terrain du parc Musqueam équivaut à celle de ces propriétés en fief simple.

[55]  À mon avis, il est impossible de présumer qu’une terre située dans une réserve a moins de valeur qu’une terre hors réserve. S’il est vrai que l’ajustement applicable à la valeur des terres de réserve est strictement tributaire de la valeur marchande, alors il est impossible de savoir s’il s’opérera à la hausse ou à la baisse, ou même si un ajustement sera requis tant que cette valeur n’aura pas été établie. C’est pour cette raison que la Cour suprême fait observer que l’ampleur de la réduction à appliquer, voire l’opportunité de celle-ci, constitue une question de fait. La Cour fédérale a suivi un raisonnement analogue à l’occasion de l’affaire Musqueam CF, où elle concluait qu’elle ne pouvait pas évaluer les terres du parc Musqueam avant d’avoir comparé leur valeur marchande à celle des terres hors réserve.

[56]  Il en découle que la valeur d’une terre située dans une réserve doit être établie au regard des données du marché, et que c’est commettre une erreur que d’appliquer un ajustement à cette valeur sans tenir compte de ces données. Dans la décision Musqueam, la Cour fédérale examine en détail les facteurs susceptibles d’influer sur la valeur d’un terrain situé dans une réserve, mais seules les données du marché sont prises en compte aux fins de l’établissement de cette valeur. Les facteurs sont signalés à titre explicatif aux paragraphes 44, 51, 52, 54 et 55 de la décision Musqueam CF. Ils n’ont pas été utilisés pour prédire la valeur des terrains. Dans cette décision, la réduction de 50 % a été calculée comme suit : la différence entre les prix de vente de terrains comparables loués à long terme dans la réserve et les prix de vente des terrains détenus en fief simple hors réserve (305 000 $) a été soustraite de la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple retenue par la Cour (607 000 $), ce qui donne une réduction de plus ou moins 50 %. Aucune réduction n’a été appliquée aux facteurs individuels susceptibles d’avoir contribué à abaisser la valeur des terrains situés dans la réserve.

[57]  Il ne faut pas accorder trop d’importance à l’observation de la Cour suprême au paragraphe 53 des motifs de l’arrêt Musqueam concernant le fait que le juge de première instance a retenu la thèse des évaluateurs professionnels portant que « l’incertitude faisait baisser la valeur marchande des terrains de Musqueam ». Les évaluateurs et la Cour suprême étaient bien au fait que la valeur marchande des terrains de la réserve était moindre que celle accordée aux terrains des environs. Toutefois, il était impossible de vérifier si la différence était attribuable à une quelconque source d’incertitude, même si cette explication paraît raisonnable a priori. En revanche, l’existence d’une différence réelle dans la valeur marchande était facile à vérifier, et c’est ce qui a servi de fondement à la conclusion de la Cour suprême.

[58]  Je conviens que les évaluateurs ajustent souvent les données du marché afin de tenir compte des différences entre des propriétés comparables quand ils doivent estimer la valeur d’une propriété donnée. Toutefois, à la différence de ces ajustements, ceux qui sont proposés en l’espèce pour qu’il soit tenu compte du facteur applicable à une réserve indienne ont un caractère subjectif qui pose problème en soi. Le facteur applicable à une réserve est contestable au motif qu’il est discriminatoire, comme ce fut le cas à l’occasion de l’affaire Musqueam CF et comme c’est le cas en l’espèce. Voilà pourquoi il faut prendre soin d’éliminer le plus possible les éléments de subjectivité dans le calcul du facteur applicable à une réserve indienne. La meilleure façon d’y arriver est de fonder ce calcul sur les données du marché.

[59]  Je retiens donc la thèse de l’État portant que le facteur applicable à une réserve indienne n’entraîne pas automatiquement un ajustement à la baisse de la valeur d’un terrain situé dans une réserve. Par contre, je ne puis retenir sa thèse portant que le facteur applicable à une réserve indienne doit être calculé en fonction d’éléments subjectifs et non en fonction des données du marché (qui nous indiquent comment un terrain situé dans une réserve se compare à un autre situé à l’extérieur de la réserve). Pour cette raison, ce moyen d’appel ne peut être retenu.

[60]  L’État soulève deux autres points qui concernent le facteur applicable aux réserves indiennes :

  Le juge de première instance a commis une erreur en acceptant que les nouveaux baux en vigueur en 2008 et 2009 dans la réserve indienne de Sakimay constituaient une base de comparaison appropriée, malgré la preuve que Sakimay avait volontairement reconduit les taux de location de 2004 dans les nouveaux baux.

  Le juge de première instance a commis une erreur en confondant et en amalgamant deux ajustements différents en fonction de la tendance temporelle et, ce faisant, en souscrivant à la méthode de M. Thair.

[61]  Ces moyens d’appel se rapportent au choix de propriétés comparables aux fins de l’analyse du facteur applicable à une réserve indienne. S’ils doivent comparer des transactions effectuées à des périodes différentes, les évaluateurs procèdent à une analyse de la tendance temporelle pour tenir compte de l’évolution du marché dans l’intervalle. En l’espèce, l’État allègue que M. Thair a omis de faire une analyse de la tendance temporelle des loyers utilisés dans son calcul du facteur applicable à une réserve indienne. Plus précisément, l’État soutient qu’il a commis une erreur en utilisant les loyers stipulés aux baux de 2008 et de 2009 pour Indian Point et Grenfell Beach puisque ces loyers ont été volontairement fixés aux niveaux de 2004. Vu l’absence d’analyse de la tendance temporelle pour ramener ces loyers aux niveaux de 2009, les loyers des terrains de la réserve sont sous-estimés.

[62]  Pour les raisons qui suivent, je conclus que M. Thair n’a pas fait d’analyse de la tendance temporelle des loyers des terrains de la réserve et qu’il a donc utilisé les montants des loyers pratiqués en 2008 et 2009 à Indian Point et à Grenfell Beach sans les ajuster, ce qui s’est soldé par la sous-estimation systématique de la valeur des terrains de la réserve et, par ricochet, une surestimation du facteur applicable à une réserve indienne.

[63]  M. Thair expose son analyse des loyers des terrains de la réserve à la page 144 de son rapport (dossier d’appel, à la page 900; version corrigée, à la page 1173). Il y compare les loyers de cinq lieux de villégiature dans la réserve : Grenfell Beach; Indian Point; Kinookimaw; Chamakese et White Bear. De l’avis de l’État, la méthode suivie par M. Thair pour calculer le facteur applicable à une réserve indienne comportait une erreur fondamentale puisqu’elle reposait sur l’hypothèse voulant que les loyers demandés à Indian Point et à Grenfell Beach en 2008 et 2009 reflétaient les taux courants, et qu’ils constituaient donc les meilleurs que Sakimay pouvait obtenir durant ces années. Carol Sangwais, gestionnaire de l’environnement, des terres et des ressources de Sakimay, a témoigné que les loyers stipulés aux baux des terrains de Sakimay en 2008 et 2009 correspondaient à ceux de 2004 par souci d’harmonisation du calendrier de renouvellement de tous les baux (dossier d’appel, aux pages 3201 et 3202). Cette affirmation n’a pas été contestée.

[64]  On peut penser que M. Thair avait anticipé l’objection que susciterait son défaut d’ajuster les loyers des terrains d’Indian Point et de Grenfell Beach en fonction de la tendance temporelle quand il écrit à la page 96 de son rapport (dossier d’appel, à la page 852) :

[traduction]

Rien dans les baux en cause n’oblige le bailleur à louer des lots vacants au taux négocié au début du cycle de location. Les parties sont libres de négocier le montant du loyer. Au moment de leur signature, les baux reflètent le taux du marché, c’est-à-dire celui que seraient prêts à payer un vendeur disposé à vendre et un acheteur disposé à acheter qui agissent avec prudence, dans leur propre intérêt et selon des motivations ordinaires.

[65]  Dans sa réponse à l’État, M. Piot a fait valoir que même si l’utilisation des loyers des terrains d’Indian Point et de Grenfell Beach en 2008 et 2009 était inappropriée (ce qui n’a pas été concédé), M. Thair a appliqué un taux de location par pied de façade des terrains de la réserve supérieur aux taux pratiqués à Indian Point et à Grenfell Beach et que, si d’aventure il a commis une erreur, elle n’était ni manifeste ni dominante.

[66]  La Cour fédérale se prononce sur ces questions quand elle conclut que M. Thair était tout à fait conscient des forces et des lacunes de ses points de données, qu’il avait usé de son jugement professionnel pour équilibrer « ces forces », et qu’il avait « des raisons convaincantes et logiques de s’appuyer sur les données » (motifs, au paragraphe 135).

[67]  Cette thèse de l’État ne peut être retenue que si la preuve établit le marché a subi des fluctuations de 2004 à 2009. Cette démonstration appelle l’examen de la méthode suivie par M. Thair et des éléments de preuve attestant les fluctuations du marché de 2004 à 2009.

[68]  M. Thair présente une analyse de la tendance temporelle au début de son rapport, dans la partie où il examine la juste valeur marchande des terrains vacants hors réserve vendus au lac Crooked et à proximité de divers lacs de la vallée de la Qu’Appelle. Il y indique que son analyse de la tendance temporelle [TRADUCTION] « vaut pour tous les aspects de son rapport, soit aux baux, aux ventes en fief simple, aux taux de capitalisation et de rendement » (rapport de M. Thair, à la page 57 – dossier d’appel, à la page 813). À l’issue de cette analyse, il conclut qu’aucun ajustement en fonction de la tendance temporelle n’est requis. Plus loin dans son rapport, M. Thair confirme qu’il n’y avait pas lieu d’ajuster les loyers en fonction de la tendance temporelle (rapport de M. Thair, à la page 146 – dossier d’appel, à la page 902).

[69]  M. Thair a dit que son analyse de la tendance temporelle valait pour les montants de loyer. Toutefois, il n’a tenu compte que des données sur les ventes de terrains détenus en fief simple à l’extérieur de la réserve de 2008 à 2010 (rapport de M. Thair, aux pages 57 à 62 – dossier d’appel, aux pages 813 à 818). Aux fins de l’espèce, M. Thair a consulté les ventes de terrains du service interagences pour la période du 1er juin 2008 au 1er juin 2010. Il s’est également servi d’une étude qu’il avait réalisée [TRADUCTION] « précédemment » (il pouvait s’agir soit d’une étude réalisée dans le cadre d’une affectation précédente, soit d’une étude différente réalisée dans le cadre de l’affectation courante). L’étude en question se limitait aux ventes de terrains détenus en fief simple en 2009 et 2010.

[70]   Il semble que le juge de première instance ait retenu sans réserve l’analyse de la tendance temporelle proposée par M. Thair (motifs, aux paragraphes 122 à 124).

[71]  Si le calcul du facteur applicable à une réserve indienne se fonde sur la comparaison des loyers des terrains dans la réserve et hors réserve, la base de comparaison doit être la même des deux côtés de la comparaison. Il ressort du rapport de M. Thair que la tendance temporelle a été mal évaluée pour tous les terrains comparables retenus sauf un, comme en témoigne l’examen présenté ci-dessous des loyers des terrains de la réserve.

[72]  Les loyers devaient être fixés au 1er décembre 2009 (bail de 1991, article 2.01). Comme il a été signalé auparavant, les loyers stipulés aux baux de 2008 et de 2009 pour Indian Point et Grenfell Beach correspondaient à ceux de 2004. Les loyers de Kinookimaw avaient été fixés en 2006 (rapport de M. Thair, aux pages 124 et 125 – dossier d’appel, aux pages 880 et 881; version corrigée, à la page 1170). Quant aux loyers de White Bear, il semblerait qu’ils n’avaient pas été ajustés depuis 25 ans (rapport de M. Thair, aux pages 141 et 142 – dossier d’appel, aux pages 897 et 898). À Chamakese, la hausse annuelle des loyers était passée de 896 $ au 1er avril 2004 à 1 058 $ au 1er avril 2009, soit une augmentation de 18 % en dépit de laquelle, selon le bailleur, les loyers étaient restés en deçà de la juste valeur marchande (rapport de M. Thair, aux pages 128 et 129 – dossier d’appel, aux pages 884 et 885).

[73]  Les loyers des propriétés de Chamakese avaient été établis dans les huit mois suivant le 1er décembre 2009. Les autres taux avaient été fixés avant cette date, mais aucun n’a été ajusté en fonction du taux du 1er décembre 2009. M. Thair n’a pas fait d’analyse de la tendance temporelle pour la période de 2004 à 2009, qui est pourtant déterminante pour comprendre l’effet qu’a eu le maintien des loyers de 2004 dans les baux des années 2008 et 2009.

[74]  Dans son rapport, M. Thair fait état d’importantes fluctuations des loyers de 2004 à 2009. Dans une lettre datée du 3 août 2010, le ministère du Tourisme, des Parcs, de la Culture et du Sport de la Saskatchewan (le Ministère) annonçait à la Provincial Park Cottage Owners Association une hausse des loyers des propriétés situées dans un parc provincial à la suite de la réévaluation de 2008. Voici un extrait de cette lettre :

[traduction]

Depuis 2002, soit l’année de base de l’évaluation la plus récente, l’évaluation globale des terrains des parcs provinciaux a presque triplé, une tendance cohérente avec ce qui a été observé dans les autres marchés de la propriété récréative à l’échelle de la province.

[...]

Il importe de souligner qu’en raison des variations inégales de la valeur marchande des propriétés d’un parc à l’autre en 2006, les loyers augmenteront à certains endroits et diminueront à d’autres.

(Voir le dossier d’appel, aux pages 949 et 950.)

[75]  La période de 2002 à 2006 chevauche en partie la période 2004 à 2009 qui est en cause ici.

[76]  La hausse de 18 % évoquée précédemment pour les loyers de Chamakese s’est aussi produite durant la période 2004 à 2009. De plus, M. Thair rapporte les observations d’un bailleur du lac Marean selon qui les loyers des propriétés de villégiature y auraient triplé entre la fin de 2009 et le début de 2013 (rapport de M. Thair, à la page 94 – dossier d’appel, à la page 850). Même si cette observation ne concerne pas la période visée, elle donne quand même une idée des fluctuations des loyers au fil du temps.

[77]  L’utilisation par M. Thair de montants de loyer non ajustés pour les propriétés situées dans la réserve a eu une incidence significative sur ses calculs du facteur applicable à une réserve indienne.

[78]  Il présente la méthode suivie pour calculer ce facteur (méthode A) aux pages 153 et 154 de son rapport (dossier d’appel, aux pages 909 et 910; version corrigée, à la page 1175). Il exclut les loyers de Chamakese de son évaluation d’un loyer représentatif d’une propriété située dans la réserve et fonde en grande partie sa conclusion sur les loyers d’Indian Point et de Grenfell Beach. Selon lui, [TRADUCTION] « les baux visés [ceux d’Indian Point et de Grenfell Beach] constituent une base de comparaison plus appropriée que ceux de White Bear » et de Kinookimaw, parce que le plafond fixé est plus élevé. Il en découle que les loyers fixés par Sakimay ont eu un effet déterminant dans le calcul du facteur applicable à une réserve indienne au 1er décembre 2009. Cela dit, M. Thair n’a pas établi le montant des loyers des propriétés de la réserve en fonction de ceux d’Indian Point et de Grenfell Beach puisqu’il a retenu des valeurs supérieures. L’essentiel est que si ces chiffres avaient été ajustés à la hausse, il aurait obtenu des montants encore plus élevés.

[79]  M. Thair a utilisé les loyers du parc provincial de Moose Mountain et du lac Marean pour les propriétés hors réserve (rapport de M. Thair, aux pages 94 et 95 – dossier d’appel, aux pages 850 et 851). Les montants utilisés étaient ceux de 2006 pour Moose Mountain (10,74 $ le pied de façade pour un lot riverain) et ceux de 2009 pour le lac Marean (17,90 $ le pied de façade pour un lot riverain). Pour son calcul final, M. Thair a retenu un loyer de 16 $ par pied de façade pour un lot riverain, ce qui était beaucoup plus près des montants de 2009 que de ceux de 2006.

[80]  Vu les hausses importantes des montants des loyers des propriétés récréatives au cours de la période 2004 à 2009, je conclus que le défaut d’ajuster les loyers d’Indian Point et de Grenfell Beach pour les années 2008 et 2009 dans le calcul du facteur applicable à une réserve entache considérablement la fiabilité du résultat obtenu. Dans la méthode A utilisée par M. Thair, l’importante sous-estimation des loyers des propriétés de la réserve s’est traduite par une importante surestimation du facteur applicable à une réserve indienne. Je conclus par conséquent que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en n’écartant pas la méthode de calcul A.

[81]  L’État soutient que doit également être écartée la méthode B de calcul du facteur applicable à une réserve indienne au motif qu’elle prend en compte les montants des loyers d’Indian Point et de Grenfell Beach. La méthode B, que M. Thair a appelé la [TRADUCTION] « méthode de calcul du facteur applicable à une réserve indienne intégré », vise à établir un taux de rendement en divisant le montant du loyer des propriétés de la réserve par la valeur ou le prix d’achat d’une propriété comparable hors réserve. Il s’agit d’une adaptation de la formule de calcul du taux de rendement : le revenu produit par une propriété est divisé par la valeur ou le prix d’achat de celle-ci. Le résultat obtenu constitue le taux de rendement. De manière générale, plus le loyer est bas par rapport au prix d’achat, plus le taux de rendement sera faible. Le taux de rendement ainsi calculé est ensuite comparé à celui des propriétés locatives hors réserve pour établir le facteur applicable à une réserve indienne.

[82]  Après avoir analysé les taux de rendement intégrés des propriétés situées dans quatre lieux dans la réserve, M. Thair a produit un tableau sommaire des résultats, qu’il présente à la page 170 de son report (dossier d’appel, à la page 926; version corrigée, à la page 1178). Le tableau donne les taux de rendement calculés de 7 propriétés comparables (0,5 % à 2,4 %). Après avoir éliminé les deux valeurs les plus élevées et la valeur la plus faible, M. Thair a pris en compte les quatre valeurs suivantes :

No séquentiel

Lieu

2b

1,3 % pour la paire de propriétés riveraines à Kinookimaw et Regina Beach

3

1,2 % pour la paire de propriétés non riveraines à White Bear et à Moose Mountain

4a

0,8 % pour la paire de propriétés non riveraines à Grenfell-Indian Pt et au lac Crooked

4b

0,9 % pour la paire de propriétés riveraines à Grenfell-Indian Point et au lac Crooked

[83]  À l’issue de l’analyse, M. Thair a opté pour un taux de 0,9 % en se fondant sur les valeurs liées aux numéros séquentiels 2b, 3, 4a et 4b. Tel qu’il a été vu précédemment, le taux de 0,9 % correspond au taux de rendement intégré calculé pour la paire de propriétés riveraines à Grenfell-Indian Point et au lac Crooked. L’on est pas sûr de comprendre pourquoi M. Thair affirme avoir tenu compte des valeurs liées aux quatre numéros séquentiels reproduites ci-dessus puisque leur moyenne est de 1,05 %. Une chose est claire toutefois : les loyers des propriétés d’Indian Point et de Grenfell Beach ont joué un rôle important dans sa conclusion. Or, la prise en compte dans le calcul de montants de loyer sous-estimés résulte en une sous-estimation du taux de rendement et, en corollaire, la surestimation du facteur applicable à une réserve indienne.

[84]  La méthode B se révèle donc tout aussi peu fiable pour calculer le facteur applicable à une réserve indienne étant donné qu’elle est fondée sur les loyers d’Indian Point et de Grenfell Beach qui, selon la prépondérance des probabilités, découlent d’une sous-estimation du taux de rendement des propriétés de la réserve. La Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en n’écartant pas la méthode de calcul B.

[85]  Les moyens d’appel se rapportant aux calculs faisant intervenir des montants de loyer d’Indian Point et de Grenfell Beach non ajustés en fonction de la tendance temporelle sont donc accueillis.

[86]  J’examinerai maintenant les trois dernières questions relatives au taux de rendement.

C.  Le taux de rendement

[87]  L’État soutient que trois erreurs ont été commises en l’espèce :

  Le juge de première instance a incorrectement interprété les clauses de révision du loyer qui figurent au bail de 1991 signé par les membres du recours collectif visés d’une manière qui suppose que Sakimay aurait obtenu un taux de rendement supérieur en vendant les terrains et en réinvestissant le produit au taux d’intérêt en vigueur.

  Le juge de première instance a incorrectement retenu la thèse voulant que le taux de rendement appliqué aux loyers des propriétés des parcs provinciaux de la Saskatchewan puisse servir de base de comparaison alors que ce taux de rendement avait été volontairement réduit par le gouvernement pour des considérations politiques.

  Le juge de première instance a incorrectement interprété les clauses de révision du loyer qui figurent au bail de 1991 signé par les membres du recours collectif visés d’une manière qui suppose que le taux de rendement, tout particulièrement, puisse être déterminé uniquement en fonction d’un usage comme propriété de villégiature à bail.

[88]  Je discuterai séparément chacune de ces thèses.

[89]  Le bail prévoit que le loyer est [TRADUCTION] « établi selon la juste valeur marchande du terrain ». Il ne donne aucune autre directive relativement à la détermination du loyer.

[90]  Je conclus que, selon l’interprétation la plus loyale du bail, la détermination du loyer doit se faire plus ou moins au regard de la juste valeur marchande du terrain. Je m’appuie à cet égard sur la justification des clauses de révision du loyer consacrée par la Cour suprême dans l’arrêt Musqueam. Cette justification, il convient de le rappeler, est que ces clauses « tiennent compte du fait que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d’intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l’objet d’un bail à long terme » (Musqueam, au paragraphe 40).

[91]  Rien dans cette observation n’appele la détermination du taux de rendement approprié au regard des taux de rendement de terrains comparables. De même, la référence aux taux d’intérêt en vigueur en vigueur n’appele pas la détermination du taux de rendement en fonction des taux d’intérêt en vigueur.

[92]  La référence de la Cour suprême aux taux d'intérêt en vigueur ne peut être interprétée comme un enseignement portant qu’un taux de de rendement inférieur aux taux du marché est exclu. Si je comprends bien la pensée de la Cour suprême, elle voit dans les taux d’intérêt en vigueur un bon indicateur d’un taux de rendement juste et non une mesure absolue d’équité. Les fluctuations des taux du marché monétaire et de la valeur des terrains ne se produisent pas toujours dans le même sens ou au même rythme. Nous savons par exemple que la hausse sans précédent du prix des maisons dans certains marchés métropolitains a coïncidé avec le recul également sans précédent des taux d’intérêt.

[93]  Le bail impose notamment à la Cour fédérale de fixer le loyer en fonction de la juste valeur marchande du terrain, en tenant compte du taux de rendement de ce terrain et des taux d’intérêt en vigueur. Cependant, elle n’est pas liée par l’un ou l’autre de ces facteurs au détriment des autres.

[94]  Je dois par conséquent rejeter l’argument de l’État selon lequel notre Cour doit intervenir parce que la Cour fédérale a retenu à tort un taux de rendement vraisemblablement inférieur aux taux d’intérêt en vigueur. Je ne relève aucune erreur de droit dans la décision rendue par la Cour fédérale sur cette question, et je n’y relève pas non plus une quelconque erreur manifeste et dominante.

[95]  Je me pencherai maintenant sur la décision de la Cour fédérale de retenir le taux de rendement appliqué aux propriétés locatives des parcs provinciaux de la Saskatchewan à titre de base de comparaison appropriée. Comme il a déjà été signalé, l’État soutient que ce taux ne pouvait servir de base de comparaison parce que le gouvernement l’avait réduit volontairement et artificiellement pour des considérations politiques.

[96]  Le taux de rendement pris en compte pour la détermination des loyers dans les parcs provinciaux est précisé dans la lettre du Ministère signalée plus haut. Il est signalé dans le paragraphe introductif que le Ministère avait consulté la Saskatchewan Provincial Parks Cabin Owners Association et que le gouvernement avait ensuite établi et approuvé un ajustement des frais de bail. Après une observation sur la hausse considérable de l’évaluation des propriétés, cette lettre poursuit :

[traduction]

Vu que les évaluations foncières totales pour l’année de base 2006 ont triplé ou presque par rapport à celles de 2002, le coefficient utilisé dans le calcul des frais de bail a été réduit de 5,26 % à 1,92 %.

[...]

Voici les fondements du nouveau calcul du loyer des terrains :

La valeur estimée totale du terrain, exception faite des bâtiments, est multipliée par le « coefficient » de 2010, soit 1,92 %.

Le loyer minimal d’un terrain s’établit à 500 $.

Si le loyer d’un terrain diminue, la baisse sera applicable dès 2010.

Si le loyer d’un terrain augmente, la hausse elle sera échelonnée sur 4 ans, jusqu’à concurrence de 300 $ par année.

Le cas échéant, la hausse maximale du loyer d’un terrain s’établira à 1 200 $ sur 4 ans.

[97]  Comme argument principal, l’État soutient que le taux du marché ne se reflétait pas dans le taux de rendement applicable aux parcs provinciaux puisque le gouvernement provincial l’avait volontairement réduit pour compenser la hausse rapide de la valeur estimée des propriétés récréatives. Selon l’État, même M. Dybvig, témoin cité par M. Piot, avait admis que le taux applicable aux parcs provinciaux n’était pas indicatif des taux du marché (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 58).

[98]  Pour réfuter l’argument de l’État concernant le taux de rendement applicable aux parcs provinciaux, M. Piot s’est contenté d’affirmer qu’il avait été utilisé pour fixer le taux de location de la moitié environ des lots de chalets de la Saskatchewan et que rien ne permettait de croire qu’il s’agissait d’une subvention.

[99]  La Cour fédérale a retenu la preuve présentée par M. Thair et M. Dybvig, en précisant qu’ils ont utilisé comme il se doit « la méthode reposant sur le marché afin d’obtenir un taux de rendement qui consiste à diviser le montant du loyer par la valeur du bien » (motifs, au paragraphe 149). La Cour a aussi adhéré au raisonnement suivi par M. Thair pour conclure à la pertinence du taux applicable aux parcs provinciaux. Il s’agissait d’un taux dérivé du marché, peu importe la manière dont il avait été établi, et il n’existait aucune preuve qu’il était le fruit d’une quelconque largesse.

[100]  Même si l’on retenait la méthode de calcul du taux de rendement reposant sur le marché de M. Thair, force est de constater qu’il a utilisé des loyers applicables aux parcs provinciaux qui n’avaient pas été calculés par la division du taux de location par la valeur des lots. Ce taux avait été choisi pour fixer les loyers applicables aux parcs provinciaux et les mettre à l’abri d’une hausse trop importante sous l’effet de l’augmentation rapide de la valeur des propriétés récréatives en Saskatchewan.

[101]  Par ailleurs, est une leurre la question de savoir si des considérations politiques ou une forme de largesse du gouvernement sont à l’origine des loyers dans les parcs provinciaux. La lettre du Ministère explique pourquoi le coefficient appliqué est passé de 5,26 à 1,92 %. L’objectif était très clair : contenir la hausse des loyers dans les parcs provinciaux. Les motivations du Ministère n’intéressent pas le présent litige. L’important est de comprendre comment le gouvernement provincial est parvenu à un taux de 1,92 %.

[102]  Il ressort de l’observation de cette lettre par laquelle le Ministère explique que [TRADUCTION] « la hausse des revenus du gouvernement sera attribuable seulement à l’inflation » (dossier d’appel, à la page 949) que le taux de rendement a pu être fixé en fonction du taux d’inflation (ou d’une variante de celui-ci). Ce taux ne refléterait pas les taux de rendement du marché monétaire.

[103]  Le tableau de M. Bell (à la page 1845 du dossier d’appel) résume divers taux courants des marchés financiers qui ont été produits en preuve par M. Lansink, un autre évaluateur engagé dans le cadre de la présente procédure. Le tableau présente les données suivantes :

Taux de CPG sur 5 ans

1,94 %

Taux hypothécaire conventionnel sur 5 ans

5,58 %

Taux des dividendes en actions sur 5 ans

3,0 à 3,6 %

Rendement de l’action des banques canadiennes

4,0 à 4,5 %

Parcs provinciaux de la Saskatchewan

1,92 %

[104]  Ces taux ne sont pas tous pertinents en l’espèce. Quand il est considéré comme un vendeur potentiel d’un terrain qui pourrait investir le produit aux taux en vigueur du marché, il est tenu pour acquis que le bailleur est un investisseur et non un emprunteur. En ce sens, le taux hypothécaire sur cinq ans n’est pas vraiment pertinent. Le tableau présente également un taux de certificat de placement garanti (CPG) sur cinq ans et deux taux de dividendes. Ces deux taux sont supérieurs au taux de CPG, mais il ne s’agit pas de taux d’intérêt en vigueur.

[105]  Vu que les loyers sont fixés pour une période de cinq ans, il n’est pas déraisonnable d’opter pour des taux de CPG immobilisés sur cinq ans pour établir le taux de rendement d’un bail de cinq ans. Même si le taux applicable aux parcs provinciaux est inférieur aux taux du marché de 0,02 %, cela n’est pas suffisant pour le considérer comme un taux hors marché.

[106]  Pour Sakimay, la vraie difficulté avec les taux applicables aux parcs provinciaux réside dans le fait qu’il est inférieur aux taux réalisés auparavant, qui se situaient entre 4 et 5 %. Les taux reposant sur le marché varient au fil du temps, mais pas toujours dans le même sens que la valeur des terrains, et cela pose problème. Le mois de décembre 2009 suivait de près l’effondrement des marchés financiers qui avait été provoqué par la débâcle des prêts hypothécaires à risque en 2008. Les taux d’intérêt étaient à leur plus bas. Sakimay risquait de se retrouver devant une situation complètement opposée à celle qui avait prévalu après l’explosion des taux d’intérêt à la fin des années 1970. La seule façon de parer au risque était de garantir un taux de rendement fixe pour éviter un ralentissement, quitte à étouffer du même coup toute perspective d’essor.

[107]  Pour cette raison, il semble tout à fait justifié de retenir le taux de rendement fixé par le gouvernement provincial puisqu’il s’agit concrètement d’un taux du marché monétaire, pas seulement d’un taux qui se trouvait sur le marché, comme le soutient M. Thair. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en retenant le taux de rendement applicable aux parcs provinciaux.

[108]  Il ne faut pas en déduire pour autant que la conclusion définitive de M. Thair concernant le taux de rendement échappe à tout examen. Cela signifie simplement que la prise en compte du taux de rendement applicable aux parcs provinciaux dans le calcul ne constitue pas une erreur manifeste et dominante. Je pousserai plus loin mon analyse de cette question dans ma discussion qui sera accordée à l’État et à Sakimay, les appelants ayant obtenu gain de cause.

[109]  La dernière question litigieuse concernant le taux de rendement se rapporte à la décision de la Cour fédérale de tenir compte de l’usage comme propriétés de villégiature à bail. L’État conteste cette décision. Son argument se fonde sur une observation de l’arrêt Musqueam, dans lequel la Cour suprême affirme qu’aux fins de l’application d’une clause de révision du loyer comme celle qui est en cause ici, il faut déterminer la valeur du terrain en tant que propriété franche (Musqueam, aux paragraphes 35 et 36). L’État soutient que M. Thair a évalué les terrains comme étant en tenure à bail parce que sa base de comparaison comportait seulement des propriétés à bail aux fins de l’établissement du taux de rendement hors réserve (il a pris en compte le taux de rendement applicable aux parcs provinciaux et aux propriétés du lac Marean).

[110]  La contestation de l’État repose sur une conception erronée de la différence entre le bien à évaluer et l’usage qui en est fait. Aux pages 39 et 40 de son rapport (dossier d’appel, aux pages 795 et 796), M. Thair explique les notions d’usage le plus probable ou d’usage le plus fructueux et le plus rationnel. Dans sa discussion des baux de 1991, M. Thair reconnaît que l’usage des terrains visés n’est assujetti à aucune restriction. Néanmoins il conclut :

[traduction]

Étant donné que les parcelles se trouvent près d’un lac et que la demande pour des lotissements de chalets et des infrastructures connexes est bien établie dans le sud de la Saskatchewan, il est clair que l’usage le plus probable – et de loin le plus fructueux – est l’aménagement de la plupart des lots en vue de la construction d’habitations unifamiliales.

[111]   Ayant fait ce constat, M. Thair n’avait pas le choix de jeter son dévolu sur des propriétés récréatives se prêtant à la construction d’habitations unifamiliales comme base de comparaison appropriée. Cette approche était conforme aux normes de l’Institut canadien des évaluateurs et assurait l’évaluation du terrain en fonction de son usage le plus profitable. Il ne s’agissait pas de déterminer le type des propriétés évaluées, mais quel usage serait le plus fructueux. Je rejette donc l’observation de l’appelant à cet égard. Il n’y a aucune erreur de droit, ni aucune erreur manifeste et dominante.

D.  Résumé

[112]  La Cour fédérale a commis une erreur de droit dans la manière dont elle a traité la preuve d’expert qui lui a été présentée. Cette erreur se manifeste de différentes façons, et notamment dans le fait que la Cour a retenu une preuve d’expert portant sur le calcul du facteur applicable à une réserve indienne. Par conséquent, j’accueillerais l’appel.

VII.  MESURE

[113]  L’État demande à notre Cour soit de rendre la décision qu’à son avis la Cour fédérale aurait dû rendre, soit de lui renvoyer l’affaire afin qu’elle rende une nouvelle décision fondée sur les principes appropriés.

[114]  Notre Cour a déjà exprimé son point de vue sur les affaires qu’il convient de renvoyer à la Cour fédérale pour nouvelle décision :

La Cour fédérale est plus expérimentée et mieux en mesure de constater les faits que notre Cour. Lui permettre de réexaminer l’affaire est logique lorsque les faits sont complexes et abondants; la Cour fédérale a vu les témoins et s’est fait une idée de leur crédibilité, et l’issue de la cause est incertaine et repose essentiellement sur des questions de faits (renvoi omis).

Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, au paragraphe 157, 483 NR 275.

[115]  Bien que je souscrive à cette philosophie, je ne pense pas qu’elle soit pertinente en l’espèce. Essentiellement, les moyens d’appel appellent un examen consistant à tirer des conclusions à partir de faits qui sont constants. Il ne s’agit pas ici d’apprécier à nouveau la crédibilité des témoins ou de reconnaître la position particulièrement avantageuse de la Cour fédérale. Le dossier documentaire dont nous sommes saisis peut être compris et apprécié sans l’aide de témoins. Comme le fait remarquer une éminente doctrine, Civil Appeals,

[traduction]

[…] lorsque la preuve est essentiellement documentaire, la juridiction d’appel peut tirer toutes les conclusions pratiques et définitives qui s’imposent. De même, si les questions en cause requièrent simplement de faire des inférences à partir de la preuve, ce qui relève normalement de la compétence d’une juridiction d’appel, celle-ci peut faire les constatations et les conclusions qui auraient dû être faites initialement (renvoi omis; non en italique dans l’original).

(Donald J.M. Brown, Civil Appeals, feuilles mobiles, Toronto, Canvasback Publishing, 2018-4, p. 6-2230; voir aussi Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 RCS 634, au paragraphe 33, 1995 CanLII 55 (CSC)).

[116]  Il n’y a nulle controverse entre les parties au présent appel sur la méthode à suivre. La Cour fédérale a exposé cette méthode au paragraphe 102 de ses motifs :

  Estimer la valeur des lots visés – sur une base hypothétique d’un terrain détenu en fief simple) en les comparant avec des données sur les ventes de terrains détenus en fief simple hors réserve;

  Appliquer des ajustements afin de tenir compte des facteurs applicables à une réserve indienne qui influent sur la valeur des lots visés par rapport aux lots détenus en fief simple hors réserve;

  Déterminer un taux de rendement [...] et l’appliquer à la valeur des lots situés dans la réserve afin d’établir le montant des loyers annuels.

[117]  Pour ce qui concerne la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple, la Cour fédérale a retenu le constat qu’elle s’établissait à 1 800 $ par pied de façade pour les propriétés riveraines, et à 700 $ par pied de façade pour les propriétés non riveraines. Il s’agit de valeurs approximatives, qui peuvent faire l’objet d’ajustements en fonction du facteur applicable à une réserve indienne et d’autres facteurs (la difficulté d’accès, par exemple). Ces valeurs ne sont pas controversées dans le présent appel.

[118]  La question suivante est celle du facteur applicable aux réserves indiennes. Selon le principe consacré et suivi par la jurisprudence Musqueam CF et par la jurisprudence Musqueam, toute réduction appliquée à la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple au motif qu’il se trouve dans une réserve indienne doit être fonction des données du marché. Ce principe a pour corollaire qu’il ne serait pas justifié d’opérer un ajustement en fonction du facteur applicable à une réserve indienne s’il n’existe pas de données du marché attestant un écart de valeur entre les terrains situés dans une réserve et hors réserve.

[119]  Il a été signalé plus haut que les méthodes A et B pour calculer le facteur applicable à une réserve indienne tiennent compte des loyers pratiqués à Indian Point et à Grenfell Beach. Comme j’ai déjà conclu que ces loyers étaient sous-estimés, il s’ensuit que les calculs du facteur applicable à une réserve indienne qui en découlent ne sont pas fiables. Je ne suis pas mieux en mesure que la Cour fédérale d’effectuer l’analyse de la tendance temporelle qui aurait dû être faite. Serait-il possible de tirer une conclusion fiable quant au facteur applicable aux réserves indiennes en tenant compte des autres valeurs établies par M. Thair dans son analyse?

[120]  La réponse simple à cette question est négative. Comme il a été discuté au paragraphe 78 ci-dessus, la méthode de calcul A de M. Thair tient compte à la fois des loyers d’Indian Point et de Grenfell Beach et de ceux de Kinookimaw et de White Bear. Le loyer des terrains riverains du lac Kinookimaw a été établi à partir d’un seul bail, alors que celui des terrains non riverains a été dérivé d’un rapport entre les taux des terrains riverains et non riverains. Le montant des loyers de White Bear a été calculé à partir de loyers qui sont apparemment en vigueur depuis 25 ans. Il est difficile de déterminer la force probante de ces montants de loyer. Dans sa propre analyse, M. Thair leur a accordé peu de poids (rapport de M. Thair, à la page 155 – dossier d’appel, à la page 921; version corrigée, à la page 1175). Je ne vois nulle raison de différer d’opinion.

[121]  Il s’impose de rappeler que l’analyse selon la méthode B consistait à calculer le taux de rendement de terrains loués dans la réserve par la division du montant du loyer par le prix d’achat d’un terrain comparable détenu en fief simple à l’extérieur de la réserve. Pour faire ce calcul, M. Thair a utilisé les mêmes loyers que ceux utilisés dans la méthode A, soit ceux d’Indian Point et de Grenfell Beach (rapport de M. Thair, à la page 169 – dossier d’appel, à la page 925; version corrigée, à la page 1177), de White Bear (rapport de M. Thair, à la page 167 – dossier d’appel, à la page 923), et de Kinookimaw (rapport de M. Thair, à la page 165 – dossier d’appel, à la page 921; version corrigée, à la page 1176). Comme ces loyers posent des difficultés analogues à celles qui ont été constatées pour la méthode A, ils ne constituent pas une base fiable de calcul du facteur applicable aux réserves indiennes.

[122]  La dernière question en litige se rapporte au calcul du taux de rendement. Dans son analyse, M. Thair a utilisé un taux de rendement de 1,6 %, qui constitue la moyenne entre le taux de rendement de 1,92 % applicable aux parcs provinciaux et le taux de rendement établi à 1,2 % en fonction du prix d’inscription des lots à vendre au lac Marean (rapport de M. Thair, aux pages 161 et 162 – dossier d’appel, aux pages 917 et 918). Le taux de rendement des terrains du lac Marean est toutefois conjectural puisqu’il a été établi à partir du prix d’inscription des lots et non de leur prix de vente. Le taux applicable aux parcs provinciaux, comme il a été discuté précédemment, concorde avec les taux d’intérêt en vigueur dans le marché. Je ne puis écarter ce taux en raison du caractère conjectural d’un point de donnée (le prix demandé pour un lot non riverain au lac Marean). Le taux de rendement à prendre en compte pour le calcul du montant du loyer s’établit à 1,92 %, soit le taux de rendement applicable aux parcs provinciaux. Tel qu’il a été discuté précédemment, même si ce taux est inférieur au taux de rendement historique à Sakimay, il est néanmoins juste au vu de toutes les circonstances.

[123]  D’autres ajustements doivent être apportés pour tenir compte de différents facteurs (difficulté d’accès d’un lot, par exemple). Aux pages 150 et 151 de son rapport (dossier d’appel, aux pages 906 et 907), M. Thair présente un calcul dans lequel il tient compte de la difficulté d’accès de certains lots. Je serais d’avis de retenir la formule de calcul qu’il propose pour opérer cet ajustement. Là encore, rien dans le dossier ne donne à penser que cet ajustement ne doit pas être fait.

[124]  Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens et je renverrais l’affaire à la Cour fédérale en lui ordonnant de calculer les loyers prévus aux baux de 1991 selon la méthode suivante :

  • a) la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple est établie à 1 800 $ par pied de façade pour les lots riverains;

  • b) la valeur d’un terrain hypothétique détenu en fief simple est établie à 700 $ par pied de façade pour les lots non riverains;

  • c) nul ajustement en fonction du facteur applicable à une réserve n’est requis pour établir les valeurs de terrains hypothétiques détenus en fief simple;

  • d) le montant du loyer se calcule selon un taux de rendement de 1,92 % par année;

  • e) le rapport entre les terrains riverains et non riverains s’établit à 2,7 pour 1,0 si un calcul est nécessaire;

  • f) tout autre ajustement se calcule selon la méthode proposée par M. Thair dans son rapport, sauf si ce calcul s’avère incompatible avec les valeurs définies ci-dessus.

« J.D. Denis Pelletier »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

j.c.a.


LE JUGE STRATAS (Motifs dissidents)

[125]  Je souscris au raisonnement de mon collègue sauf pour ce qui concerne la mesure qu’il a prononcée. À cet égard, mon collègue a passé en revue un dossier contenant une abondance de faits divers et complexes, il en a tiré des conclusions de fait et il a ordonné à la Cour fédérale d’adhérer à ses conclusions.

[126]  La juridiction d’appel a toute discrétion à cet égard. Notre Cour consacre certains facteurs à prendre en considération dans son arrêt Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, 483 NR 275, au paragraphe 157. Au vu de ces facteurs, il s’agit en l’espèce d’une affaire qui doit être renvoyée à la Cour fédérale, qui possède l’expertise essentielle en ce qui a trait à l’appréciation des faits. Il est périlleux de se lancer dans l’examen d’un dossier aussi volumineux et d’en tirer des conclusions précises, notamment parce qu’il existe un risque très réel de passer outre à un petit détail subtil, mais qui peut se révéler très important quant à la solution de l’affaire.

[127]  En l’espèce, ce risque est accru par le fait que les parties n’ont pas eu la possibilité de présenter des observations concernant les éléments précis sur lesquels se prononce mon collègue dans sa discussion sur la mesure. Voilà une raison indépendante de ne pas imposer de solution.

[128]  Pour ces motifs, je serais d’avis de renvoyer l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle rende une nouvelle décision conformément aux principes énoncés dans les motifs de mon collègue.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 23 SEPTEMBRE 2016 PAR LE JUGE PHELAN DE LA COUR FÉDÉRALE ET RÉPERTORIÉ SOUS L’INTITULÉ 2016 CF 1077

DOSSIER :

A-408-16

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c. DAVID PIOT POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE REPRÉSENTANT DEMANDEUR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 novembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 mars 2019

COMPARUTIONS :

David Smith

David Culleton

 

Pour l’appelante

 

Kevin J. Bell

 

Pour l’intimé

 

Robert Janes

Estella White

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour l’appelante

 

Bell, Kreklewich & Chambers

Melville (Saskatchewan)

 

Pour l’intimé

 

JFK Law Corporation

Victoria (Colombie-Britannique)

POUR L’INTERVENANTE

 

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