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Cour d'appel fédérale

CANADA

Federal Court of Appeal

 

                                                                                                                                 Date : 20091026

Dossier : A-89-08

Référence : 2009 CAF 309

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

 

et

 

 

DONNA MOWAT

intimée

 

et

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intervenant

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 septembre 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON

 


Cour d'appel fédérale

CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20091026

Dossier : A-89-08

Référence : 2009 CAF 309

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

 

et

 

 

DONNA MOWAT

intimée

 

et

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intervenant

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]               La Cour n’a pas encore eu à examiner la question à trancher dans le présent appel. La question principale est de savoir si le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a le pouvoir d’adjuger des frais juridiques au plaignant qui obtient gain de cause, en vertu des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi).

[2]               Un juge de la Cour fédérale (le juge de première instance) a examiné la décision du tribunal suivant la norme de contrôle de la raisonnabilité et a conclu que la décision du Tribunal selon laquelle celui-ci avait le pouvoir d’adjuger des dépens était raisonnable.

 

[3]               L’appelant, le Procureur général du Canada (PG), fait valoir que le juge de première instance a commis une erreur en choisissant la norme de contrôle applicable. En outre, le juge a commis une erreur en concluant que le Tribunal a le pouvoir d’adjuger des dépens. Le PG soutient que le Tribunal ne dispose pas d’un tel pouvoir, peu importe la norme de contrôle appliquée. L’intervenant, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), affirme le contraire.

 

[4]               Pour trancher ces questions, il faut déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du Tribunal et examiner l’analyse du juge de première instance. Celui‑ci devait choisir la bonne norme de contrôle et l’appliquer correctement.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Je conclus également que le législateur n’a pas accordé au Tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens au plaignant qui obtient gain de cause. Par conséquent, j’accueillerais l’appel.

 

 

 

Le contexte

[6]               L’intimée, Donna Mowat, était caporal-chef dans les Forces canadienne (FC). En 1998, elle a déposé une plainte en matière de droits de la personne auprès de la Commission. Elle a prétendu que les FC avaient fait preuve de discrimination à son égard en raison de son sexe, et ce, contrairement aux dispositions de la Loi. Plus précisément, elle a allégué que les FC ne lui ont pas fourni un milieu de travail exempt de harcèlement, l’ont défavorisée en cours d’emploi et ont refusé de continuer à l’employer. Sa plainte de harcèlement comprenait une allégation de harcèlement sexuel.

 

[7]               L’intimée a réclamé une indemnité des FC de plus de 430 685 $. Le Tribunal a entendu l’affaire pendant six semaines, entre novembre 2003 et février 2004. L’intimée était représentée par un avocat. L’avocat de la Commission ne s’est pas présenté. Le Tribunal a rendu sa décision en août 2005 (la décision sur le fond). L’intimée a été déboutée en grande partie. Le Tribunal a conclu que seule la plainte de harcèlement était fondée. Il a accordé le montant de 4 000 $ plus intérêts jusqu’à concurrence de 5 000 $, à titre d’indemnité « pour avoir subi un préjudice moral ».

 

[8]               L’intimée a également réclamé une indemnité pour diverses dépenses ainsi que pour des frais juridiques au montant de 196 313 $. Le Tribunal a entendu les deux parties sur la question de savoir s’il avait compétence pour adjuger des dépens. Par une décision datée du 15 novembre 2006 (la décision sur les dépens), le Tribunal a adjugé à l’intimée un montant de 47 000 $ à titre de frais juridiques avec intérêts à partir de la date de la décision.

 

[9]               Le PG a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision sur les dépens devant la Cour fédérale. Les inscriptions consignées dans le dossier de la Cour fédérale révèlent que, bien qu’elle ait envoyé un avis de comparution, l’intimée n’a pas autrement répondu à la demande. Les motifs du juge de la Cour fédérale indiquent que l’avocat de l’intimée a fait savoir à la Cour qu’il avait perdu contact avec sa cliente et qu’il a été autorisé à se retirer de l’audience.

 

[10]           Le juge de la Cour fédérale a défini deux questions à trancher. Premièrement, il a formulé la question suivante : « Le Tribunal a-t-il compétence pour ordonner le versement de frais juridiques à titre d’indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la Loi? Deuxièmement, il a formulé la question suivante : « Le Tribunal a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale en ne donnant pas de motifs appropriés pour justifier ses décisions? » Le juge de première instance a répondu aux deux questions par l’affirmative. Bien qu’il ne l’ait pas définie expressément comme une question à trancher, il a effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle (ainsi qu’on l’appelait auparavant) pour déterminer la norme de contrôle applicable à la décision du tribunal.

 

[11]           Le PG a déposé un avis d’appel relativement aux conclusions de la Cour fédérale concernant la norme de contrôle ainsi que la question de « compétence ». La Commission a demandé et obtenu l’autorisation d’intervenir. L’intimée n’a pas contesté l’appel interjeté par le PG et ne s’est pas présentée à l’audience.

 

La décision du Tribunal

[12]           Le Tribunal a conclu que la réponse à la question concernant son pouvoir d’adjuger des frais juridiques se trouve aux alinéas 53(2)c) ou 53(2)d) de la Loi, qui prévoient que le tribunal peut ordonner l’indemnisation de « la victime de la discrimination quant aux frais encourus par la victime en raison de l’acte ».

 

[13]           Le Tribunal a analysé la jurisprudence contradictoire de la Cour fédérale ainsi que la décision Nkwazi c. Canada (Services correctionnels) (2001), T.C.D.P. no 29 (QL) (Nkwazi), concernant cette question. Il a conclu que selon le courant majoritaire en Cour fédérale, le Tribunal a le pouvoir d’adjuger des frais juridiques en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi. En se fondant sur cette jurisprudence ainsi que sur la décision Nkwazi, le Tribunal a conclu que, « si on conclut que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’adjuger des frais juridiques lorsqu’une plainte d’acte discriminatoire est jugée fondée, alors cette conclusion n’équivaut tout au plus qu’à une victoire coûteuse pour le plaignant ». Le Tribunal a conclu qu’un tel résultat ferait échec aux dispositions réparatrices et irait à l’encontre de l’objet de la Loi.  

 

[14]           Le Tribunal s’est ensuite posé la question suivante : « Qu’est-ce qui constitue en l’espèce une adjudication raisonnable de frais juridiques? »  En se fondant sur les sources mentionnées ainsi que sur les observations des parties, le Tribunal a adjugé le montant de 47 000 $ au titre de frais juridiques, en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la Loi. Il est souligné que les intérêts ne sont pas considérés comme une dépense en vertu du paragraphe 53(2), mais le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de les accorder en vertu du paragraphe 53(4). Les intérêts antérieurs à la décision ont été refusés, mais ils ont été accordés à partir de la date de la décision.

 

La décision de la Cour fédérale

[15]           Le juge de première instance a effectué ce que l’on appelle maintenant une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Il a pris en compte la présence ou l’absence d’une disposition privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi, l’expertise du tribunal, l’objet de la loi et la disposition en cause, ainsi que la nature de la question. Il a conclu que deux des trois facteurs (expertise du  tribunal et objet de la loi et de la disposition en cause) exigeaient que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard de la décision.

 

[16]           Le juge de première instance a considéré le quatrième facteur (la nature de la question) comme déterminant compte tenu de l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268; [2008] 2 R.C.F. 393 (Chopra). Il a estimé que notre Cour « a conclu que la norme applicable à l’examen de la façon dont le Tribunal avait interprété l’alinéa 53(2)c) de la Loi était la décision raisonnable […] ». Selon le juge de la Cour fédérale, vu que la question particulière de droit soulevée – la compétence pour adjuger des frais juridiques à titre d’indemnité pour les dépenses entraînées par la discrimination – touche au coeur même de questions de droits de la personne relevant de l’expertise du Tribunal, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la façon dont le Tribunal a interprété l’alinéa en cause pour déterminer s’il avait compétence pour adjuger des frais juridiques à titre d’indemnité. Enfin, il a fait observer que le Tribunal peut, suivant le paragraphe 50(2) de la Loi, trancher les questions de droit et de fait.   Par conséquent, le législateur a envisagé des situations où le Tribunal aurait à examiner des questions de droit pour trancher les affaires dont il est saisi.

 

[17]           Le juge de la Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle « applicable dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal en ce qui a trait à sa compétence d’adjuger des frais juridiques à titre d’indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)c) est la décision raisonnable simpliciter ». 

 

[18]           Le juge de première instance s’est demandé ensuite si la décision du Tribunal était raisonnable et il a conclu par l’affirmative. Ce faisant, il a résumé l’analyse chronologique de la jurisprudence contradictoire de la Cour fédérale, il a souligné que la Cour fédérale a, dans Brooks c. Canada (Procureur général), 2006 CF 500 (Brooks), approuvé le raisonnement suivi dans l’affaire Nkwazi et il a examiné l’approche proposée pour l’interprétation des lois en matière de droits de la personne dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 (CN).

 

[19]           En tenant compte de l’objet réparateur des lois sur les droits de la personne et de l’approche adoptée pour leur interprétation dans l’arrêt CN, précité, ainsi que de l’arrêt Chopra, le juge de la Cour fédérale a conclu que l’interprétation du Tribunal voulant qu’il ait « compétence pour adjuger des frais juridiques en vertu de l’alinéa 53(2)c) à titre de dépenses entraînées par les actes discriminatoires est raisonnable ».  

 

[20]           Enfin, le juge de première instance a conclu que le Tribunal a manqué aux principes d’équité procédurale parce qu’il n’a pas donné de motifs appropriés justifiant l’adjudication des dépens. Cette conclusion n’est pas contestée en l’espèce.

 

Le contexte législatif

[21]           La législation sur les droits de la personne est fondamentale et quasi constitutionnelle par sa nature. Comme il est prévu à l’article 2, la Loi vise à donner effet au droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement indépendamment de considérations fondées sur des actes discriminatoires.

 

[22]           Afin de donner effet au droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement, la Loi cherche à empêcher les actes discriminatoires. Elle ne vise pas à punir la faute mais bien à prévenir la discrimination : voir CN. La Loi interdit précisément certains motifs de distinction illicite et certains actes discriminatoires.

 

[23]           La Commission et le Tribunal sont constitués en vertu de la Loi. La Commission est chargée, entre autres, de sensibiliser et d’éduquer le public sur les droits de la personne, d’enquêter sur les plaintes et d’en assurer le traitement jusqu’à l’étape de l’adjudication, de se tenir en liaison étroite avec les organismes provinciaux de même nature, d’étudier les recommandations qu’elle reçoit de la part des groupes de défense de l’intérêt public. Lorsqu’elle comparaît devant le Tribunal, la Commission représente l’intérêt public (article 51 de la Loi).

[24]           Le Tribunal est un organisme juridictionnel. Ses responsabilités ont été énoncées comme suit dans l’arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884 (Bell Canada), au paragraphe 23 :

Il tient des audiences formelles sur les plaintes dont il est saisi par la Commission.  Il détient plusieurs des pouvoirs d’une cour de justice.  Il est habilité à statuer sur des faits, à interpréter et à appliquer le droit aux faits qui lui sont soumis et à accorder les redressements appropriés.  De plus, ses audiences sont structurées sensiblement de la même façon qu’un procès formel devant une cour de justice.  Les parties en présence devant le tribunal présentent une preuve, font entendre et contre‑interrogent des témoins, et présentent des observations sur l’application du droit aux faits.  Le Tribunal ne participe pas à l’élaboration des politiques et ne mène pas ses propres enquêtes indépendantes sur les plaintes : le législateur a délibérément attribué les fonctions d’enquête et d’élaboration de politiques à un organisme différent, soit la Commission.

 

[25]           En l’espèce, il est question du paragraphe 53(2) de la Loi qui confère au Tribunal de vastes pouvoirs réparateurs lorsque celui-ci conclut, à l’issue de l’instruction, que la plainte est fondée. Est précisément en cause l’alinéa 53(2)c), qui prévoit :

Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R., 1985, ch. H-6)

 

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

 

 

 

 

 

[…]

 

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

 

 

 

 

Canadian Human Rights Act,

R.S. 1985, C. H-6

 

53(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

 

(c) that the person compensate the victim for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice;

 

 

Le rôle d’une cour d’appel

[26]           Le rôle d’une cour d’appel ─ lorsque la Cour d’appel effectue le contrôle en appel d’une décision judiciaire, et non pas le contrôle judiciaire d’une décision administrative ─ est de déterminer en premier lieu si le juge de révision a appliqué la norme appropriée de contrôle : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 (Dr Q). Ensuite, la cour d’appel doit déterminer si la norme de contrôle a été correctement appliquée. Lorsqu’elle procède à cette analyse, la cour « se met à la place du tribunal de première instance » : Zenner c. Prince Edward Island College of Optometrists, [2005] 3 R.C.S. 645 (Zenner); Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610 (C.A.F.) (Prairie Acid Rain).

 

La norme de contrôle judiciaire

[27]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable au choix de la norme par le juge de première instance est celle de la décision correcte : Dr Q (par. 43). En l’espèce, le débat porte sur la norme de la décision raisonnable appliquée par le juge de la Cour fédérale à la décision du Tribunal.

 

[28]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), a établi un processus en deux étapes pour déterminer la norme de contrôle applicable. Premièrement, la cour de revision « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (par. 62).

 

[29]           Par le passé, la Cour suprême du Canada, appelée à examiner les décisions des tribunaux des droits de la personne, a quasi invariablement conclu que lorsque la question générale concerne l’interprétation des lois, il s’agit d’une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. L’expertise supérieure des tribunaux des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits et des décisions dans un contexte de droits de la personne et ne s’étend pas aux questions générales de droit : Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554 (Mossop); Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353 (Berg); Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557 (Pezim); Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571 (Gould); Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 S.C.R. 825 (Ross).

 

[30]           L’arrêt Dunsmuir, et plus récemment l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), ont souligné que « sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires. Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes […] » (Khosa (par. 25)). Cette thèse a été qualifiée de présomption selon laquelle le contrôle de l'interprétation de sa loi habilitante par un tribunal administratif se fait généralement suivant la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, au paragraphe 146; Alliance de la fonction publique du Canada c. Association des pilotes fédéraux du Canada et Procureur général du Canada, 2009 CAF 223 (Alliance), (par. 36). Vu les enseignements des arrêts Dunsmuir et Khosa, il serait prudent d’effectuer une analyse visant à établir la norme de contrôle applicable.

 

L’appelant

[31]           Le PG soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Sa thèse est que, bien que le juge de première instance ait cité et appliqué l’arrêt Brooks quant au fond de la décision, il a omis de le suivre quant à la norme de contrôle applicable. À la lumière des facteurs découlant de l’analyse relative à la norme de contrôle établie dans Dunsmuir, le PG soutient que la déférence à l’égard de l’expertise ne s’étend pas aux conclusions de droit sur lesquelles le Tribunal n’a pas d’expertise. La question de savoir [traduction] « si le législateur a accordé au tribunal administratif le pouvoir d’enjoindre au défendeur de payer les frais juridiques du plaignant » est une [traduction] « pure question de droit ou de compétence sur laquelle les tribunaux judiciaires possèdent une plus grande expertise ». En outre, l’appelant soutient que l’arrêt Chopra portait sur la question de savoir [traduction] « quelle mesure de réparation pouvait trouver le Tribunal », et non sur « le pouvoir d’adjuger des frais juridiques ». Le juge de première instance a commis une erreur en se fondant sur l’arrêt Chopra.

 

[32]           Le PG soutient aussi qu’il faut répondre correctement aux questions sur la compétence et il cite, à l’appui, l’extrait suivant du paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir :

La compétence s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence. [Souligné par le procureur général.]

 

Selon lui, la présente affaire s’accorde parfaitement avec les commentaires de la Cour suprême. En résumé, [traduction] « ou bien le législateur a accordé au Tribunal le pouvoir d’adjuger des frais juridiques ou bien il ne lui a pas accordé ce pouvoir ».

 

La Commission

[33]           La Commission soutient, à la lumière des arrêts Dunsmuir et Khosa, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable mais avec une certaine déférence. En effet, le Tribunal a acquis une expertise dans l’application de la loi dans un contexte législatif précis. De plus, le Tribunal interprétait sa propre loi habilitante, dont il a une connaissance approfondie. La Commission se fonde sur la décision Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367 (Vilven), où la Cour fédérale a conclu, après avoir effectué une analyse relative à la norme de contrôle, que la norme de contrôle applicable ─ au regard de la décision Tribunal concernant la question de savoir s’il doit y avoir une règle impérative pour qu’il existe un « âge normal de la retraite » pour les besoins de l’alinéa 15(1)c) de la Loi ─ est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse

[34]           Les questions soulevées devant le Tribunal et la Cour fédérale étaient de savoir si le Tribunal avait le pouvoir d’adjuger des dépens au plaignant et si ce pouvoir est prévu à l’alinéa 53(2)c) de la Loi qui autorise le Tribunal à indemniser le plaignant des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire.

 

[35]           Il n’est pas contesté que le Tribunal avait le pouvoir de trancher ces questions. Le point en litige est de savoir si la décision du Tribunal devait être correcte ou s’il suffisait qu’elle soit raisonnable. Autrement dit, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal et la Cour fédérale a-t-elle appliqué la bonne norme pour trancher la question en litige?

 

[36]           La détermination de la norme de contrôle applicable exige « l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle » : Dunsmuir (par. 62). L’analyse est contextuelle (par. 64).

 

[37]           Avant d’aborder les facteurs entrant dans l’analyse relative à la norme de contrôle, il convient de répéter que la norme de contrôle applicable est normalement celle de la décision raisonnable : Dunsmuir; Khosa. Il faut faire preuve de retenue envers les décisions du Tribunal en raison de son expérience et de son expertise, sous réserve de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir (par. 47). Toutefois, si l’analyse relative à la norme de contrôle mène à la conclusion que  la norme applicable est celle de la décision correcte, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue.

 

[38]           L’arrêt Dunsmuir a relevé trois situations dans lesquelles la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable. Une véritable question de compétence se pose « lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » et cela constitue la première situation (par. 59). La deuxième situation apparaît dans le cas d’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (par. 60). La troisième situation apparaît dans le cas d’une délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (par. 61).

 

[39]           J’examinerais maintenant les facteurs découlant de l’analyse de la norme de contrôle. La Loi ne prévoit pas de disposition privative ni de droit d’appel. Le juge de première instance a conclu qu’il faut faire preuve d’un faible degré de retenue. Bien que je ne sois pas en désaccord, j’ajouterais que l’absence d’une disposition privative n’est absolument pas un critère déterminant et peut être considérée comme étant neutre.

 

[40]           Le contexte législatif  a déjà été abordé dans les présents motifs. L’objet de la Loi est réparateur et vise à empêcher les actes discriminatoires. Il vise à servir l’intérêt public et à faire intervenir aussi l’intérêt personnel en cherchant à remédier aux violations spécifiques de la Loi. La disposition en cause porte sur le pouvoir qu’a le Tribunal d’indemniser une victime « des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte ».

 

[41]           Le Tribunal est un organisme juridictionnel; il fait l’instruction des plaintes que lui renvoie la Commission et accorde les réparations appropriées conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés au paragraphe 53(2) de la Loi. Le paragraphe 48.1(2) prévoit que « les membres doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisés et avoir un intérêt marqué pour ce domaine ». Le paragraphe 50(2) habilite le Tribunal à trancher « les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi ». Ce pouvoir a été décrit comme « un pouvoir général d’examiner des questions de droit, notamment des questions relatives à la Charte et à la Déclaration canadienne des droits » : Bell Canada (par. 47), citant l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; voir également Mossop (par. 44) et Ross, à la page 849. Ce facteur, en soi, favorise la retenue.

 

[42]           La nature de la question est étroite et particulière. « Les dépenses entraînées par l’acte » comprennent-elles le paiement des frais juridiques liés à l’audience tenue devant le Tribunal? L’interprétation de cette disposition est cruciale parce que le pouvoir du Tribunal d’adjuger des frais juridiques en dépend. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il s’agit à la fois d’une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et d’une question étrangère au domaine d’expertise du Tribunal.

 

[43]           Il n’est pas contesté que le Tribunal est un organisme spécialisé dans le domaine des droits de la personne. Toutefois, ce n’est pas son expertise générale ou particulière qui est en cause, mais plutôt son expertise à l’égard de la question précise dont il était saisi. Je ne crois pas que la nature de la question qui se pose en l’espèce relève du domaine des droits de la personne dans lequel est spécialisé le Tribunal.

 

[44]           Il ne s’agit pas d’un contexte spécifique. L’analyse ne comporte aucune composante factuelle. L’expertise dans le domaine des droits de la personne n’est pas requise et n’est pas utile pour l’interprétation de la question précise découlant de la disposition en cause. Le pouvoir du Tribunal d’accorder des dépens afférents à une procédure judiciaire au plaignant qui a gain de cause n’a rien à voir avec le domaine des droits de la personne. Le Tribunal doit plutôt trancher une pure question de droit, à savoir une question sur les limites de ses pouvoirs. Le Tribunal ne bénéficie d’aucun avantage lié à son statut institutionnel ou à son expérience par rapport à la Cour et il n’est pas mieux placé que la Cour à cet égard. 

 

[45]           La question n’a pas reçu une réponse cohérente du Tribunal et la jurisprudence de la Cour fédérale est partagée. Elle est soulevée pour la première fois devant notre Cour. Il est difficile, voire impossible, de conclure que la réponse (affirmative ou négative) pourrait appartenir aux issues possibles acceptables. On peut très pertinemment dire que lorsqu’il existe deux courants jurisprudentiels divergents dans l’interprétation de la même disposition législative – même si chacun pourrait en soi être considéré raisonnable – un tribunal ne saurait raisonnablement les confirmer tous les deux : Taub c. Investment Dealers Association of Canada, 2009 ONCA 628 (Taub), (par. 65). Je souscris aux commentaires formulés dans Abdoulrab c. Ontario (Commission des relations de travail), 2009 ONCA 491 (Abdoulrab) (par. 48), où le juge Juriansz a dit :

 

 [traduction] Sous l’angle du bon sens, il est difficile d’accepter que deux interprétations véritablement contradictoires d’une même disposition législative puissent être jugées toutes deux raisonnables. Si deux interprétations d’une même disposition législative sont véritablement contradictoires, il est difficile d’envisager qu’elles appartiennent toutes deux aux issues possibles acceptables. Plus important encore, il paraît contraire à la primauté du droit que deux interprétations contradictoires de la même disposition d’une loi d’intérêt public, par laquelle les citoyens gouvernent leur vie, puissent être jugées toutes deux raisonnables.

 

[46]           Selon les propos du juge Feldman dans Taub, [traduction] « il est conforme à la primauté du droit qu’une loi d’intérêt public qui s’applique également à tous les citoyens concernés jouisse d’une interprétation universellement acceptée » (par. 67).

 

[47]           De plus, à mon avis, les victimes présumées d’actes discriminatoires ont le droit de savoir, lorsqu’elles retiennent les services d’un avocat pour les représenter à l’audience devant le Tribunal, si, en ayant gain de cause, elles peuvent être indemnisées des frais juridiques afférents à la procédure. Les auteurs présumés d’actes discriminatoires ont également le droit de savoir s’ils devront subir des conséquences en matière de dépens dans le cas où la plainte est fondée. En outre, en raison du mandat du Tribunal en matière d’intérêt public et de la nature d’intérêt public de la loi, la question a une incidence sur l’ensemble de la société. C’est une question qui commande la certitude et la cohérence. Par conséquent, selon moi, il s’agit à la fois d’une question générale de droit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et d’une question étrangère au domaine d’expertise du Tribunal. Conformément aux enseignements de l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (par. 55).

 

[48]           Ce résultat n’est pas incompatible avec la jurisprudence récente. Dans l’arrêt Chopra, notre Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à la question dont elle était saisie était celle de la décision raisonnable. Toutefois, la Cour a examiné la question de savoir si le Tribunal pouvait faire intervenir les facteurs de prévisibilité raisonnable et d’atténuation des dommages pour réduire l’indemnité autrement payable à la victime au titre de « salaire dont elle a été privée » par suite de l’acte discriminatoire de l’employeur. Le pouvoir du Tribunal d’indemniser la victime de la perte de salaire entraînée par l’acte discriminatoire n’était pas en cause. Le juge Pelletier a expressément fait observer que la norme de contrôle varie selon la nature de la question juridique en cause. Il se peut que la norme applicable soit celle de la décision correcte, mais ce n’est pas toujours le cas (par. 17).

 

[49]           Dans Vilven, le Tribunal interprétait des termes directement liés aux dispositions discriminatoires de la Loi, domaine relevant de son expertise. Une situation similaire s’est présentée dans Commission canadienne des droits de la personne et al. c. Commission de la capitale nationale et al., 2009 CAF 273.

 

[50]           La Cour est liée par des décisions antérieures selon lesquelles différentes normes peuvent s’appliquer à différentes questions juridiques selon la nature de la question et l’expertise relative du tribunal à cet égard : Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100 (Mattel), (par. 27); Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650 (VIA Rail) (par. 278).

 

[51]           Eu égard à l’objet du Tribunal, à la nature de la question et à l’expertise du Tribunal, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Le juge de première instance a donc commis une erreur en concluant que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable.

 

Interprétation de la disposition législative

[52]           Par souci de commodité, la disposition pertinente est de nouveau citée.

Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R., 1985, ch. H-6)

 

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

 

 

 

[…]

 

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

 

 

[…]

Canadian Human Rights Act,

R.S. 1985, C. H-6

 

53(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

 

(c) that the person compensate the victim for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice;

 

[53]           Le PG et la Commission s’entendent sur plusieurs principes généraux. Premièrement, en tant qu’organisme créé par la loi, le Tribunal tire ses pouvoirs uniquement de la loi habilitante. Deuxièmement, la législation sur les droits de la personne doit être en général interprétée d’une manière libérale et fondée sur l’objet visé, en conformité avec l’objet de la Loi. Il faut éviter les interprétations restrictives ou fondées sur l’analyse grammaticale, contraires à l’objet de la Loi. Troisièmement, dans la mesure du possible, l’interprétation d’une disposition législative doit être considérée au regard des dispositions analogues des différentes lois canadiennes sur les droits de la personne. Les différences de terminologie devraient être jugées non significatives.

 

La décision de la Cour fédérale

[54]           Comme il a été mentionné précédemment, le juge de première instance a résumé l’analyse chronologique effectuée par le Tribunal de la jurisprudence contradictoire de la Cour fédérale, a souligné que la Cour fédérale a, dans l’affaire Brooks, approuvé le raisonnement suivi dans Nkwazi et a examiné l’approche proposée pour l’interprétation des lois en matière de droits de la personne dans CN. Le juge a considéré que l’approche préconisée pour ce qui est de l’interprétation de l’alinéa 53(2)c) menait à la conclusion qu’« une indemnisation pour des dépenses, soit des frais juridiques en l’espèce, est accordée parce que des actes discriminatoires ont été prouvés et non pas parce qu’une partie à un litige a obtenu gain de cause ».

 

L’appelant

[55]           Le PG soutient que le terme « frais juridiques » est un terme légal et technique dont l’acception est distincte de celle du terme « dépenses ». Les principes d’interprétation des lois établissent que l’emploi de termes clairs et non équivoques est nécessaire pour que l’on puisse conclure que le Tribunal a le pouvoir d’adjuger des frais juridiques. Les notions d’« exclusion implicite » et de « présomption de perfection » sont citées à l’appui de cette affirmation. Le principe ejusdem generis est invoqué pour confirmer que le terme « dépenses » ne vise pas les « frais ».

 

[56]           Le PG soutient qu’il ne faut pas confondre le pouvoir d’adjuger des dépens avec le pouvoir d’indemniser. La question des dépens, habituellement de nature discrétionnaire, ne fait pas référence à la faute commise, mais à la réussite ou à l’échec de la cause. De plus, en l’absence des termes les plus explicites, on ne peut présumer que le législateur a établi un régime unilatéral en vertu duquel les défendeurs ne peuvent jamais recouvrer leurs dépens, car tel est l’effet de la décision du Tribunal et de la Cour fédérale.  

 

La Commission

[57]           La Commission soutient que les frais juridiques ne sont pas exclus de la définition des « dépenses ». Vu que rien dans la Loi n’exclut les frais juridiques, une interprétation restrictive de la disposition en cause va à l’encontre de l’intention du législateur. À l’audition de l’appel, l’avocat a fait valoir que l’alinéa 53(2)c) de la Loi confère expressément au tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens, sous réserve seulement d’un lien de causalité entre l’acte discriminatoire et la perte subie. En revanche, je note qu’au paragraphe 33 du mémoire des faits et du droit de la Commission il est indiqué que [traduction] «  la LCDP ne contient pas de disposition expresse accordant au Tribunal le pouvoir d’ordonner le paiement de dépens ».

 

[58]           En réponse à l’argument du PG selon lequel il y a une distinction en common law entre dommages-intérêts et frais juridiques, la Commission prétend que cela n’est pas pertinent. Renvoyant à l’arrêt Chopra, la Commission soutient que ces [traduction] « principes ne s’appliquent pas pleinement à un régime législatif d’une indemnisation ». La Commission soutient qu’ [traduction]  « il ne serait pas juste que les frais encourus pour demander justice s’avèrent plus élevés que l’indemnité susceptible d’être obtenue ».

 

L’approche du Tribunal

[59]           Le Tribunal a adopté différentes approches au sujet de son pouvoir d’adjuger des frais juridiques :

·      l’avocat de la Commission a agi dans l’intérêt public et l’intérêt de la plaignante a été représenté de façon appropriée; par conséquent, les frais juridiques étaient inutiles et la demande de la plaignante de se faire rembourser a été rejetée pour ce motif (Potapczyk, TD8/84);

·      le pouvoir du Tribunal vise les dépenses liées directement au comportement discriminatoire et non pas celles qui découlent des instances introduites en vertu de la Loi (Morrell, TD5/85);

·      le Tribunal est habilité à rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 41(2)c) [maintenant l’alinéa 53(2)c)] dans les cas qui le permettent; toutefois, le Tribunal n’a pas adjugé les dépens contre la mise en cause, mais a plutôt invité la Commission à les payer (Cashin TD9/85);

a.    les dépens n’ont pas été adjugés au motif que le Tribunal n’était pas habilité à les octroyer (Corlis, TD6/87);

·      les dépens ont été accordés, sans motifs (Druken et al., TD7/87);

·      les dépens ont été accordés lorsque les mesures prises par la Commission ont nécessité de retenir les services d’un avocat distinct – la mise en cause n’a pas été tenue de payer les frais, mais la Commission a été priée d’indemniser le plaignant de ses frais judiciaires (Hinds, TD13/88 et Oliver, TD15/89);

·      le tribunal a accordé au plaignant les frais juridiques, sans motifs (Kurvits, TD7/91);

·      il y a lieu d’adjuger des dépens suivant l’article 53, à titre de dépenses (Grover, TD12/92);

·      lorsque le Tribunal a estimé que l’avocat du plaignant a joué un rôle très important, étant donné la complexité de l’espèce, les dépens ont été adjugés (Thwaites, TD9/93);

·      lorsqu’il n’y avait pas de conflit entre la plaignante et la Commission, les services d’un avocat indépendant étaient inutiles et les dépens n’ont pas été adjugés (Pond, TD9/94);

·      les frais juridiques peuvent constituer des dépenses (Swan TD5/94);

·      une indemnité a été accordée, sans motifs, pour les congés et le temps pris pour élaborer et préparer la plainte. Les dépens ont été également adjugés (Lambie, TD13/95);

·      le congé pour assister à l’audience et le salaire perdu en conséquence n’étaient pas liés aux actes discriminatoires, mais les frais juridiques ont été accordés puisqu’il était raisonnable que la plaignante retienne les services d’un avocat distinct (Koeppel, TD5/97);

·      vu que les mesures correctives dans le contexte des droits de la personne visent à « compenser pleinement » la victime, les dépens ont été adjugés pour les frais liés aux conseils juridiques (Green, TD6/98);

·      lorsque l’avocat de la plaignante l’a représentée de façon remarquable et a joué un rôle important, les dépens ont été adjugés (Bernard, TD2/99);

·      ayant conclu que l’offre de l’intimé protégeait l’intérêt public, la Commission s’est retirée de l’instance et les dépens ont été adjugés contre l’intimé sur la base avocat‑client, à titre de dépenses. L’alinéa 53(2)c) était suffisamment large pour englober la représentation par un avocat (Nkwazi, TD1/01);

·      le plaignant n’était pas représenté par avocat, mais des dépens ont été adjugés pour la préparation de la plainte et la consultation d’un avocat à ce sujet (Stevenson, TD16/01);

·      en soulignant que le rôle de l’avocat de la Commission était de représenter l’intérêt public, le Tribunal a adjugé des dépens contre l’intimée même s’il n’y avait pas de conflit entre l’avocat de la Commission et l’avocat du plaignant (Premakumar, T622/01);

·      le plaignant agissant pour son propre compte s’est vu adjuger des « frais remboursables » au montant de 11 248­,26 $ à titre de dépens pour l’aide obtenue pour « préparer sa plainte » (Milano, 2003 TCDP 30);

·      les frais liés aux consultations initiales visant à obtenir des conseils juridiques pour la préparation d’une plainte peuvent être assimilés à l’indemnité en raison du lien de causalité avec la discrimination, mais non les dépenses entraînées par l’audience. Toutefois, en se fondant sur le pouvoir de préserver ses mesures correctives, le Tribunal a conclu qu’il avait le pouvoir d’adjuger des dépens (Brown, 2004 TCDP 30);

b.    faisant référence à une situation en évolution et présumant que, bien que le législateur n’ait pas eu l’intention de conférer au Tribunal le pouvoir d’adjuger les dépens au moment où la loi a été rédigée, cela ne signifie pas qu’il avait l’intention de priver le Tribunal d’un tel pouvoir dans les circonstances de l’affaire (non comparution de l’avocat de la Commission). Des dépens au montant de 105 000 $ ont été adjugés contre l’intimé (Brooks, 2005 TCDP 14).

 

La jurisprudence de la Cour fédérale

[60]           Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Thwaites, [1994] 2 C.F. 38 (1re inst.), (Thwaites), le litige portait sur le montant de la compensation payable pour perte de revenus passée et perte de revenus future ainsi que sur l’adjudication de « dépens raisonnables », y compris « les honoraires d’actuaires ». La Cour fédérale a conclu que les frais d’avocat et les honoraires d’actuaires ont dans la langue courante le sens de dépenses entraînées. Le fait que l’on accorde au terme « frais » une signification juridique particulière ne permet pas de conclure que l’expression « dépenses entraînées » ne comprend pas ces frais à moins qu’ils ne soient expressément mentionnés dans la loi. Il faut donner au mot « dépenses » son sens habituel à moins que le contexte n’en dicte un autre. Vu que le contexte ne dictait pas un autre sens, la Cour a maintenu l’attribution des dépens.

 

[61]           Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lambie (1996), 124 F.T.R. 303 (1re inst.) (Lambie), un avocat de la Commission était présent. Le plaignant a demandé et obtenu d’être indemnisé des frais supplémentaires pour « les congés et le temps pris pour élaborer et préparer sa plainte ». La Cour a infirmé la décision dans sa totalité. En examinant la question des dépens, la Cour a conclu que « le mot “dépense” n’est pas assez large pour couvrir le temps consacré à la préparation, sauf dans des circonstances exceptionnelles » et que « le législateur aurait pu facilement accorder [au Tribunal] le pouvoir d’adjuger des frais mais il ne l’a pas fait ».

 

[62]           Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Green, [2000] 4 C.F. 629 (1re inst.) (Green), la Cour a confirmé la conclusion de discrimination fondée sur la déficience alléguée par une fonctionnaire, mais a infirmé l’adjudication des dépens. La Cour a déclaré que « si le législateur avait voulu que le tribunal ait le pouvoir d’octroyer des frais de justice, il l’aurait précisé. […] Aucune mention n’est faite de frais juridiques [dans la Loi], ce qui indique que le législateur n’avait pas l’intention d’accorder au tribunal le droit d’ordonner le paiement de tels frais ».

 

[63]           Dans l’affaire Stevenson c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité) (2003), 229 F.T.R. 297 (1re inst.) (Stevenson), le Service a contesté la décision du Tribunal d’accorder au plaignant la somme de 2 000 $ pour ses frais juridiques ainsi que l’ordre de lui envoyer une lettre d’excuses donné au directeur du Service. La Cour a analysé la jurisprudence contradictoire et a préféré l’approche adoptée dans Thwaites. Elle a conclu que le Tribunal avait compétence pour accorder des frais juridiques dans des cas très exceptionnels. Les frais juridiques engagés dans les préparatifs du dépôt de la plainte constituaient « des dépenses entraînées par l’acte » au sens de l’article 53 de la Loi.

 

[64]           Dans Brooks, l’intimé a contesté la décision du tribunal d’accorder des dépens de 105 000 $ à M. Brooks. La Cour a analysé et adopté le raisonnement suivi dans Stevenson. Dans Brooks, la Cour a rejeté la prétention selon laquelle la décision Stevenson visait uniquement les frais de consultation d’un avocat au sujet des préparatifs du dépôt de la plainte et non les frais de représentation en justice. La Cour a conclu que la décision Stevenson n’avait pas une portée aussi restreinte.

 

L’historique législatif

[65]           Depuis son entrée en vigueur, la Loi a subi diverses modifications. Le libellé de l’actuel alinéa 53(2)c) est demeuré inchangé. Toutefois, des changements ont été envisagés. Le projet de loi C-108 a franchi l’étape de la première lecture le 10 décembre 1992 (Projet de loi C-108, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et d’autres lois en conséquence, 3e session, 34e législature, 1992).  Le paragraphe 24(3) du projet de loi C-108 prévoyait ce qui suit :

(6) Le tribunal peut accorder, aux dépens de la Commission, les frais et dépens qu’il détermine suivant les barèmes fixés dans les règles visées à l’article 48.9 :

 

a) au plaignant qui a gain de cause, soit lorsque la Commission n’a pas comparu devant lui, soit lorsque le plaignant a un représentant distinct à cause de la divergence de ses intérêts et de ceux de la Commission, ou des circonstances de la plainte;

 

 

 

 

b) au défendeur qui a gain de cause, lorsqu’il estime que la plainte est sans objet, dénuée de tout intérêt, faite de mauvaise foi ou a causé une contrainte financière excessive à celui-ci.

(6) The Tribunal may order the Commission to pay costs in accordance with the rules made under section 48.9 to

 

 

(a) complainant, if the complaint is substantiated and

 

(i) the Commission did not appear before the Tribunal, or

(ii) separate representation for the complainant was warranted by the divergent interests of the complainant and the Commission or by any other circumstances of the complainant; or

 

(b) a respondent, if the complaint is not substantiated and is found to be trivial, frivolous, vexatious, in bad faith or without purpose or to have caused the respondent excessive financial hardship.

 

 

[66]           L’aspect pertinent de cette disposition était que les dépens pouvaient être adjugés à l’une ou l’autre des parties et qu’ils seraient payés par la Commission. De plus, le paragraphe 48.9(1) enjoignait au président du Tribunal canadien des droits de la personne d’établir, en consultation avec les membres et avec l’approbation du gouverneur en conseil, des règles de procédure régissant les enquêtes sur les plaintes ainsi que la pratique et la procédure à suivre devant le tribunal permettant que l’instruction des plaintes se déroule de manière informelle, expéditive et équitable, y compris des règles régissant, entre autres, l’adjudication des dépens et des intérêts (alinéa 48.9(1)h)).

 

[67]           Le projet de loi C-108 n’a jamais été officiellement adopté et, par conséquent, il n’est pas devenu loi. Depuis 1992, des modifications mineures ont été apportées à la Loi à peu près annuellement. D’importantes modifications ont été apportées en 1998. La Loi reste muette quant aux dépens.  

 

[68]           Le rapport spécial au Parlement de la Commission canadienne des droits de la personne, intitulé Liberté d’expression et droit à la protection contre la haine à l’ère de l’Internet, juin 2009 (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux 2009, no de catalogue HR4-5/2009; ISBN 978-0-662-06896-9) a abordé la question des dépens. L’extrait suivant se trouve aux pages 34 et 35 du rapport :

Allocation des dépens

 

Certains s’inquiètent du fait qu’un fardeau financier trop lourd est imposé aux mis en cause qui font l’objet d’une plainte. Même si la plainte est rejetée, les mis en cause doivent assumer les coûts de leur défense. La LCDP ne permet pas d’allouer des dépens.

 

Pendant une enquête de la Commission, ni le mis en cause ni le plaignant ne sont tenus d’avoir un avocat pour les représenter. Le processus est simple. La LCDP exige que la Commission nomme des enquêteurs pour faire enquête sur chaque plainte recevable qui lui est soumise. Le processus d’enquête nécessite la transmission de documents aux témoins et aux parties en cause ainsi que la tenue d’entrevues avec ces personnes. À la fin de l’enquête, la Commission communique les conclusions aux parties en cause. Ces dernières peuvent soumettre leurs observations par écrit à la Commission. Les commissaires reçoivent par la suite un dossier contenant le rapport d’enquête et les observations reçues des parties dont ils se serviront pour rendre leur décision. Ils fonderont leur décision uniquement sur les documents de preuve versés au dossier; ils ne tiendront pas d’audience, et la Commission ne peut pas rendre un verdict de responsabilité.

 

Au Tribunal, de nombreuses personnes ressentent le besoin de se faire représenter par un

avocat, mais elles n’y sont pas légalement obligées. Cependant, comme bon nombre de

tribunaux administratifs et de cours de justice, le Tribunal aide les parties non représentées à préparer leur cause correctement.

 

Présidé par l’honorable Gérard La Forest, juge de la Cour suprême à la retraite, le

Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a étudié la question de l’allocation de dépens. Dans le rapport qu’il a présenté en 2000 à la ministre de la Justice, il a recommandé l’allocation de dépens seulement dans les cas où une partie se rendrait coupable d’inconduite :

 

Nous nous sommes demandé si la Loi devrait autoriser expressément le Tribunal à ordonner le paiment [sic] des dépens. Il ne nous semble pas opportun en général de faire payer les dépens des recours judiciaires en matière des droits de la personne découlant de la Loi. Cependant, nous croyons que la partie qui retarde délibérément l’audition d’une cause ou se rend coupable d’inconduite en cours d’instance devrait en payer les dépens. [Non souligné dans l’original.]

 

La Commission souscrit à cette recommandation.  

 

RECOMMANDATION 3

 

La Commission recommande de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de permettre au Tribunal d’allouer des dépens dans des circonstances exceptionnelles s’il considère qu’une partie a abusé de ses procédures.

 

 

[69]           Le Comité de révision et la Commission ont souscrit à l’idée que les dépens devaient avoir une fonction réglementaire plutôt qu’une fonction compensatoire.

 

Lois canadiennes sur les droits de la personne

[70]           La question des dépens est traitée de manière très différente dans les lois sur les droits de la personne au Canada. En Colombie-Britanique, la loi prévoit l’adjudication des dépens contre la partie qui se rend coupable d’inconduite en cours d’instance (Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210, par. 37(4)). La loi de Manitoba prévoit que les parties paient leurs propres frais, sauf si une plainte ou une réponse est jugée futile ou vexatoire ou si l’arbitrage a été prolongé de manière futile ou vexatoire par la conduite d’une partie. Dans de tels cas, la partie responsable pourrait être tenue de payer une partie ou la totalité des frais d’une autre partie touchée par la plainte (Code des droits de la personne, L.M. 1987-88, ch. 45, art. 45).

 

[71]           Les lois des Territoires de Nord-Ouest et du Nunavut comportent des dispositions similaires à celles de la loi du Manitoba. La loi des Territoires du Nord-Ouest prévoit également l’adjudication des dépens lorsqu’il existe des motifs extraordinaires justifiant que soit rendue une telle ordonnance (Loi sur les droits de la personne, L.T.N.‑O. 2002, ch. 18, art. 63). La loi du Nunavut prévoit également l’adjudication des dépens dans le cas d’une plainte fondée sur des renseignements que la personne l’ayant déposée savait être faux. Dans de tels cas, le Tribunal peut ordonner le paiement des dommages-intérêts pour atteinte à la réputation du mis en cause en plus de tout ou partie des frais entraînés pour que celui-ci se défende contre la notification (Loi sur les droits de la personne, L.Nu. 2003, ch. 12, art 35).

 

[72]           La loi du Yukon reflète la disposition de la loi du Nunavut concernant une plainte fondée sur de faux renseignements. Toutefois, la loi prévoit également que la partie coupable de discrimination paie des dépens au plaignant ayant gain de cause. De plus, si une plainte est jugée frivole ou vexatoire, le tribunal peut ordonner à la Commission de payer les frais de l’intimé (Loi sur les droits de la personne, L.R.Y. 2002, ch. 116, art. 24 à 26).

 

[73]           Les lois de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Ontario ne prévoient pas l’adjudication des dépens. La loi de la Nouvelle‑Écosse permet d’accorder des dépens dans la mesure où les règlements le permettent, mais aucun règlement n’a été pris à cet égard. Dans le même ordre d’idées, au Nouveau‑Brunswick, la Loi autorise la prise de règlements concernant tout ce qui est nécessaire ou opportun pour réaliser efficacement son objet et ses fins. Aucun règlement n’a été pris à cet égard. (Human Rights Act, R.S.N.S. 1989, ch. 214, par. 34(8) et Loi sur les droits de la personne, L.R.N.‑B. 1973, ch. H-11, art. 16). C’est aussi le cas de la loi d’Ontario.

 

[74]           Par contre, les lois respectives de l’Alberta, du Québec, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve‑et‑Labrador habilitent les arbitres à accorder les dépens jugés nécessaires (Human Rights Act, R.S.A. 2000, A-22-5, par. 32(2); Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12, art. 126; Human Rights Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. H-12, par. 28.4(6); Human Rights Code, R.S.N.L. 1990, ch. H-14, par. 28(2)).

 

Analyse

[75]           La Cour suprême du Canada a défini à maintes reprises l’approche qu’il convient de suivre en matière d’interprétation législative et qui est si consacrée qu’il n’est pas nécessaire de citer la jurisprudence concernée. Le but est de déterminer l’intention du législateur et, à cette fin, il faut lire les termes de la loi dans leur contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi. Conformément avec ce principe fondamental, chercher à savoir ce qu’était l’intention du législateur constitue un exercice visant à déterminer ce que le législateur entendait accomplir. En l’espèce, la recherche vise à déterminer si le législateur voulait investir le Tribunal du pouvoir d’accorder des dépens au plaignant ayant gain de cause. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le législateur n’avait pas l’intention d’investir le Tribunal du pouvoir d’accorder des dépens.

 

[76]           Cet exercice exige l’examen des mots « dépenses » et « dépens ». La Loi ne définit pas le mot « dépenses » et est muette quant au mot « dépens ». La disposition en litige est compensatoire : CN (par. 39). À l’alinéa 53(2)c), le sens du mot « dépenses » est large et imprécis. Sa signification dépend du mot « indemniser », en ce sens qu’il ne peut y avoir indemnisation que des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. En ce qui concerne le mot « dépens », la situation est différente. Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que le mot « dépens » est un terme technique juridique.

 

[77]           Un terme technique juridique est un mot ou une expression qui, du fait de son emploi par les juristes, a acquis un sens juridique distinct. Il a un sens technique en raison de l’emploi conventionnel qu’en font les avocats et les juges : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, Ont.: LexisNexis Canada, 2008), aux pages 57 et 61. C’est-à-dire qu’il a une définition juridique.

 

[78]           Dans la décision Loi sur l’office national de l’énergie (Can.) (Re), [1986] 3 C.F. 275 (C.A.), autorisation d’interjeter appel refusée, (1986), 23 Admin, L.R. xxi (NEB Reference), la Cour d’appel fédérale a renvoyé à [traduction] l’« examen exact et pertinent du sens juridique normal du mot “dépens” », effectué par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans la décision Regional Municipality of Hamilton-Wentworth and Hamilton-Wentworth Save the Valley Committee, Inc. et al. (1985), 51 O.R. (2d) 23 (C. Div.) (Hamilton-Wentworth), où il a été déterminé que le mot « dépens » au sens juridique est bien défini. Dans Hamilton-Wentworth, la cour a dit qu’[traduction]  « il a été reconnu depuis fort longtemps que le pouvoir d’accorder des dépens doit être prévu dans la loi ». En décrivant la nature des dépens, la cour a affirmé ce qui suit :

[traduction] Voici les critères établis au cours des années pour définir le concept des dépens et frais :

(1)   Il s’agit d’une somme payable à la partie qui a eu gain de cause ou qui les mérite, par le perdant.

(2)   Par la force des choses, les dépens et frais doivent être adjugés à la fin des procédures, puisque l’issue ou le droit aux frais ne peuvent être déterminés auparavant.

(3)   Ils sont payables sous forme d’indemnisation des dépenses et des services raisonnables engagés dans le cadre d’une instance.

(4)   Ils ne servent pas à assurer la participation des intervenants aux procédures.

 

[79]           Le terme « dépens » dans le contexte des tribunaux administratifs a la même connotation générale que les frais juridiques : Bell Canada c. Association des Consommateurs du Canada, [1986] 1 R.C.S. 190; voir également Re Bell Canada et Décision Telecom. CRTC 79-5, [1982] 2 C.F. 681 (C.A.), autorisation d’interjeter appel refusée, [1982] S.C.C.A. No. 299.

 

[80]           Dans le contexte particulier des lois sur les droits de la personne, la question des dépens a été abordée dans Ontario (Régie des alcools) c. Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) (1988), 25 O.A.C. 161, 27 O.A.C. 246 (addendum) (C. Div.). La cour a conclu comme suit :

[traduction] Aucun tribunal, ni organisme constitué en vertu d’une loi n’a compétence inhérente pour accorder des dépens […] La Commission d’enquête a été créée par le Code des droits de la personne de l’Ontario [référence omise]. En tant qu’organisme constitué en vertu d’une loi, la Commission se voit conférer le pouvoir d’accorder des dépens seulement s’il y a dans le Code ou dans toute autre loi une disposition le prévoyant expressément […] Le pouvoir accordé à la Commission d’enquête en vertu du paragraphe 40(1) d’ordonner « le remboursement de toute somme, y compris d’accorder une compensation financière » n’est pas prévu par une disposition expresse relative aux dépens accordés au plaignant en vertu du Code. La règle d’interprétation libérale pour l’application du Code visant, dans la mesure du possible, à remédier aux conséquences de la discrimination et à protéger contre toute forme de discrimination ne s’applique pas aux questions de procédure ni à la question des dépens.

 

[81]           Dans le même ordre d’idées, dans Moncton c. Buggie and N.B. Human Rights Commission (1985), 21 D.L.R. (4th) 266; 65 N.B.R. (2d) 210 (C.A.) (Buggie), autorisation d’interjeter appel refusée, [1986] S.C.C.A. No. 21, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a conclu que, même si l’alinéa 21(1)c) de la loi du Nouveau‑Brunswick accordait à la Commission le pouvoir de [traduction] « rendre toute ordonnance jugée nécessaire pour donner effet à la recommandation de la Commission », l’exercice de ce pouvoir ne comprend pas le pouvoir d’accorder des dépens contre l’une des parties.

 

[82]           Dans l’affaire Halifax (Regional Municipality) c. Nova Scotia (Human Rights Commission), 2005 NSCA 70; 253 D.L.R. (4th) 506; 232 N.S.R. (2d) 16 (Halifax), le juge en chef MacDonald a examiné la disposition législative de la Nouvelle-Écosse qui autorise une commission d’enquête à ordonner à une partie ayant contrevenu à la Loi d’[traduction] « accomplir tout acte qui respecte intégralement la Loi et de réparer tout préjudice causé à une personne ou classe de personnes et de l’indemniser pour ce préjudice ». Dans ses motifs détaillés et approfondis, le juge en chef a examiné l’historique de la question des dépens et la jurisprudence pertinente. Il est arrivé aux conclusions suivantes :

·      l’ordre de verser une indemnité est distinct de l’adjudication des dépens. Le premier a trait au préjudice subi par la victime et la dernière au processus de l’instruction de l’affaire;

·      les frais juridiques découlant de l’instruction de la plainte et qui ne visent pas la poursuite de l’action peuvent donne lieu à indemnisation, mais ce n’est pas le cas des frais juridiques accessoires à la poursuite;

·      il y a une différence entre le fait d’interpréter une disposition législative de manière large et libérale en conformité avec l’objet de la loi et le fait de conférer à la Commission une compétence qui n’est pas prévue par la loi;

a.    la Commission n’a pas le pouvoir d’adjuger des dépens au plaignant.

 

[83]           La jurisprudence de la Cour fédérale a été écartée au motif que la disposition de la loi fédérale qui prévoit d’indemniser la victime « des dépenses entraînées par l’acte » pourrait comprendre les frais juridiques.

 

[84]           L’examen des lois canadiennes sur les droits de la personne qui prévoient des dispositions précises au sujet des dépens est instructif, compte tenu en particulier de la mise en garde de la Cour suprême au sujet de l’importance d’adopter une interprétation compatible avec d’autres lois canadiennes sur les droits de la personne. Les dispositions législatives permettent au Tribunal ou à la Commission, selon le cas, après avoir établi que la plainte est fondée, d’indemniser la victime comme suit :

·      en Colombie-Britannique, [traduction]  « indemniser la personne victime de discrimination, selon la décision du tribunal, de la totalité ou une partie de la perte de salaire ou de revenu et des dépenses entraînées en raison de la contravention », sous‑alinéa 37(2)d)(ii);

·      au Manitoba, « indemniser toute partie touchée par la contravention, pour les pertes financières subies, pour les dépenses engagées ou les avantages perdus suite à la contravention, ou pour la partie de ces pertes, dépenses ou avantages que l’arbitre estime juste et appropriée », alinéa 43(2)b);

·      dans les Territoires du Nord‑Ouest, « indemniser la partie qui a été traitée d’une façon contraire à la présente loi de la totalité ou d’une partie des pertes de revenus et des dépenses entraînées en raison de l’infraction à la présente loi », alinéa 62(3)(iv);

·      au Nunavut, « indemniser la partie qui a été traitée d’une façon contraire à la présente loi ou aux règlements de la totalité ou d’une partie de la perte de salaire ou de revenu, et des dépenses ou autres pertes entraînées en raison de la contravention à la présente loi ou aux règlements », alinéa 34(3)(iv);

·      au Yukon, « verser des dommages‑intérêts pour toute perte financière subie du fait de la discrimination », alinéa 24(1)c);

·      en Alberta, [traduction] « indemniser la personne qui a été traitée d’une façon contraire à la présente loi de la totalité ou d’une partie de la perte de salaire ou de revenu, et des dépenses entraînées en raison de la contravention à la présente loi », sous-alinéa 32(1)b)(iv);

·      au Québec, obtenir « la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte », article 49;

·      à l’Île-du-Prince-Edouard, [traduction] « indemniser le plaignant ou la personne qui a été traitée d’une façon contraire à la présente loi de la totalité ou d’une partie de la perte de salaire ou de revenu, et des dépenses entraînées en raison de la contravention à la présente loi », sous-alinéa 28.4(1)b)(iv);

a.    à Terre-Neuve-et-Labrador, « indemniser la personne victime de discrimination de la totalité ou d’une partie de la perte de salaire ou de revenu, et des dépenses entraînées en raison de la contravention à la présente loi », sous‑alinéa 28(1)b)(iv).

 

[85]           Le libellé des dispositions susmentionnées est remarquablement similaire. Dans la mesure où il y a des différences, celles-ci sont négligeables et ne revêtent aucune importance. Ce qu’il faut retenir c’est que les dispositions en questions ne sont pas fondamentalement différentes de l’alinéa 53(2)c) de la Loi; au contraire, elles sont essentiellement les mêmes. Or, la question des dépens est traitée expressément par les lois de chacune des provinces susmentionnées.

 

[86]           En outre, il n’y a aucune différence importante dans le libellé des dispositions compensatoires où le pouvoir d’adjuger des dépens n’est pas expressément conféré. Certaines dispositions peuvent avoir, à tout le moins,  une portée plus large que celle qui est examinée en l’espèce. Les lois prévoient que le Tribunal ou la Commission peuvent rendre une ordonnance comme suit :

·        en Ontario, « enjoignant à la partie qui a porté atteinte au droit de verser une indemnité à la partie lésée pour la perte consécutive à l’atteinte, y compris une indemnité pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi », alinéa. 45.2(1)(1);

·        en Saskatchewan, enjoignant [traduction] « à la personne qui a porté atteinte d’indemniser la personne lésée par la contravention de la totalité ou d’une partie de la perte de salaire ou de revenue, et des dépenses entraînées en raison de la contravention », alinéa 31.3c);

·        en Nouvelle‑Écosse, enjoignant [traduction] « d’accomplir tout acte conforme avec la présente loi et de réparer tout préjudice causé à une personne ou une catégorie de personnes, et de l’indemniser pour ce préjudice », paragraphe 34(8);

a.    au Nouveau‑Brunswick, enjoignant « d’indemniser toute partie qui en raison de la violation a encouru par la suite des dépenses, une perte pécuniaire, une perte de profit et ce au montant que la commission d’enquête estime juste et approprié », alinéa 20(6.2)e)

 

[87]           Accorder un traitement différent à la loi fédérale ─ sachant que les tribunaux de l’Ontario, du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse ont conclu que, en l’absence d’une autorisation explicite, il n’existe aucun pouvoir d’adjuger des dépens ─ va à l’encontre de la directive expresse d’interprétation donnée par la Cour suprême et conduit à un résultat anormal, voire absurde. 

 

[88]           Il existe d’autres indices réfutant la conclusion selon laquelle le législateur a voulu que le mot « dépenses » comprenne les « dépens ». Le projet de loi C-108 démontre que le législateur s’est intéressé expressément à la question des dépens. Plus particulièrement, le projet de loi aurait prévu le paiement des dépens par la Commission dans des circonstances précises, et aurait accordé au Tribunal le pouvoir d’établir des règles régissant, entre autres, les dépens.

 

[89]           Le PG exagère la signification du fait que le projet de loi C-108 n’a pas été adopté, en affirmant qu’il s’agit d’une preuve concluante établissant que le législateur n’avait pas l’intention, et n’a pas l’intention, de conférer au Tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens. Je n’irais pas aussi loin. Il n’y a rien dans le dossier qui explique pourquoi le projet de loi est mort au feuilleton et il n’appartient pas à la Cour d’avancer des hypothèses. La raison peut s’avérer plus anodine que celle qui est proposée. Toutefois, à mon avis, il s’agit d’une indication que les dispositions actuelles ne sont pas censées permettre l’adjudication des dépens. Le législateur a envisagé la possibilité de conférer un pouvoir en ce sens, mais il ne l’a pas fait pour le moment.

 

[90]           En fait, il semble que tout récemment, soit en juin 2009, la Commission partageait la même opinion puisqu’elle a recommandé que la Loi soit modifiée afin de permettre au Tribunal d’adjuger des dépens dans des circonstances précises et beaucoup plus limitées qu’il ne l’a déjà fait : au paragraphe 68 des présents motifs.

 

[91]           Je n’ai pas omis la question de la compétence implicite, même si je comprends difficilement l’idée que le pouvoir d’adjuger des dépens puisse découler d’une compétence implicite, lorsqu’il semble bien établi en droit que ce pouvoir doit être expressément prévu. Toutefois, si le pouvoir en question peut être accordé par déduction, son prérequis est absent.  

 

[92]           La notion de compétence implicite est résumée dans l’arrêt ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), [2006] 1 R.C.S. 140 (ATCO), au paragraphe 51 :

[...] [S]ont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires  à la réalisation de l’objectif du régime législatif [renvoi omis]. Par le passé, les cours de justice canadiennes ont appliqué la doctrine de manière à investir les organismes administratifs de la compétence nécessaire à l’exécution de leur mandat légal.

 

[93]           Il n’existe aucune preuve que l’exercice du pouvoir d’adjuger des dépens soit de fait nécessaire pour permettre au Tribunal d’atteindre l’objectif prévu expressément par le législateur. Dans Halifax, le juge en chef MacDonald a conclu que [traduction] « ce pouvoir [d’accorder des dépens] n’est pas nécessaire à la réalisation des objectifs déclarés de la loi ». Pour arriver à cette conclusion, il a renvoyé aux commentaires de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, (Canadian Liberty Net) (par. 16), voulant que l’exercice d’un pouvoir ne peut être inféré que dans le cas où « ce pouvoir était vraiment nécessaire à l’application du texte de loi concerné; la cohérence, ainsi que le caractère logique et souhaitable ne suffisent pas ».

 

[94]           Je souscris également à l’observation du juge Heald dans NEB Reference selon laquelle il existe un motif additionnel de ne pas invoquer la théorie de la déduction nécessaire. Au paragraphe 14, il a estimé que le Parlement du Canada et les législatures provinciales ont établi dans diverses lois leur capacité d’accorder explicitement aux tribunaux un pouvoir général d’adjuger des dépens. [traduction] « J’estime qu’il est possible d’en inférer qu’en absence d’une disposition législative expresse accordant le pouvoir d’adjuger des dépens, un tel pouvoir ne devrait pas être déduit ». Il convient de souligner qu’il existe une disposition expresse concernant les frais des témoins (par. 50(6)) et les intérêts accordés (par. 53(4)).

 

[95]           Je reviens au point de départ. La recherche vise à déterminer si le législateur voulait investir le Tribunal du pouvoir d’accorder des dépens au plaignant ayant gain de cause. Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que le législateur n’avait pas l’intention d’investir, et n’a pas investi, le Tribunal du pouvoir d’accorder des dépens. Conclure que le Tribunal peut accorder des dépens au titre des « dépenses entraînées par l’acte » aurait pour effet d’introduire indirectement dans la Loi un pouvoir qui ne correspondait pas à l’intention du législateur.

 

[96]           Enfin, si je fais erreur en choisissant la norme de contrôle applicable et que la norme appropriée est celle de la décision raisonnable, je conclurais, pour les motifs qui précèdent, qu’une interprétation de l’alinéa 53(2)c) de la Loi selon laquelle le Tribunal a le pouvoir d’adjuger des dépens est déraisonnable.

 

[97]           En fin de compte, « il incombe à la Cour de déterminer l’intention du législateur et d’y donner effet sans franchir la ligne qui sépare l’interprétation judiciaire de la formulation législative » : ATCO (par. 51).

 

[98]           Il ne fait aucun doute que la législation sur les droits de la personne occupe une place privilégiée dans le paysage juridique canadien. La prétention de la Commission, au paragraphe 16 de son mémoire des faits et du droit, selon laquelle accepter l’interprétation du PG [traduction] « aurait pour résultat que, dans la plupart des cas, un plaignant représenté par un avocat se verrait refuser l’accès à la justice, et rendrait le recours à la justice inabordable » est convaincante. Le même raisonnement a amené le Tribunal à conclure qu’une approche fondée sur l’objet visé pour l’interprétation de la législation sur les droits de la personne et d’importantes considérations de principe liées au processus décisionnel en matière des droits de la personne  favorisent l’inclusion des frais juridiques dans la catégorie des « dépenses entraînées par l’acte ».

 

[99]           Une telle approche pose un double problème. Premièrement, l’interprétation libérale et fondée sur l’objet visé doit reposer sur la loi. Elle ne signifie pas que le Tribunal ou une cour de justice peuvent à loisir ignorer le libellé de la Loi ou de le récrire : Gould (par. 50); Berg (par. 27). De plus, puisque le pouvoir d’accorder des dépens n’est pas un accessoire nécessaire à l’exercice de quelque fonction ou pouvoir du Tribunal, il ne convient pas de procéder à une analyse fouillée pour déterminer ce qui serait souhaitable en vue de réaliser les objectifs de la Loi : Canadian Liberty Net (par. 18). Deuxièmement, une politique ne peut pas servir à conférer un pouvoir qui n’est pas par ailleurs prévu par la loi : Bell Canada c. Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40 (par. 49 et 50).

 

[100]       La question des dépens en matière de droits de la personne est une question de politique générale. La question est de savoir quel organisme est le mieux placé pour faire les choix nécessaires. Il ressort clairement de l’examen des dispositions des lois canadiennes qui prévoient l’adjudication des dépens qu’il n’existe pas d’approche « universelle ».

 

[101]       Ce sont des questions qui exigent l’examen du législateur, par exemple, l’opportunité d’accorder au Tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens et, s’il y a lieu, les modalités d’une telle mesure ainsi que les limites nécessaires. Le rôle de l’avocat de la Commission peut constituer un facteur à prendre en considération, vu qu’il a beaucoup changé  dans le processus de décision au fil des ans. Pendant de nombreuses années, l’avocat de la Commission a comparu à la plupart des audiences devant le Tribunal, mais cette pratique semble avoir changé. L’ancienne procédure a pu influencer la décision du législateur concernant l’opportunité d’adjuger des dépens dans les instances en matière des droits de la personne. L’avocat de la Commission a indiqué qu’en 2003 celle-ci a réexaminé son interprétation de son rôle sous le régime de l’article 51 de la Loi. Enfin, s’il convient d’accorder au Tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens, il faut déterminer la nature du régime des dépens. Il existe plusieurs permutations possibles.  

 

[102]       La décision finale et les choix de principe inhérents qu’elle implique appartiennent au législateur, non au Tribunal ou à la cour.

 

Conclusion

[103]       J’accueillerais l’appel et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, je déclarerais que le Tribunal canadien des droits de la personne n’a pas compétence pour adjuger des dépens aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans les circonstances, je n’adjugerais aucuns dépens pour la présente instance.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

     Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                              A-89-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN, DATÉ DU 28 FÉVRIER 2008, DOSSIER NO T-2199-06)

 

INTITULÉ :                                                                             Procureur général du Canada c. Donna Mowat et CCDP

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                      Le 16 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                    La juge Layden-Stevenson

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :                                                             Le 26 octobre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Sean Gaudet

Derek C. Allen

 

POUR L’APPELANT

 

 

Phillippe Dufresne

POUR L’INTERVENANTE

Commission canadienne des droits de la personne

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Commission canadienne des droits de la personne

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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