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Date : 20190327


Dossier : A-410-17

Référence : 2019 CAF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

ALEXEY LAVRINENKO

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 octobre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20190327


Dossier : A-410-17

Référence : 2019 CAF 51

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

ALEXEY LAVRINENKO

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’un jugement rendu par le juge Paris (2017 CCI 230), par lequel il rejetait l’appel de M. Lavrinenko à la Cour canadienne de l’impôt. Ce dernier interjetait appel de la décision prise par le ministre du Revenu national (le ministre), selon laquelle il n’était pas un parent ayant la garde partagée pour la période pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer son admissibilité à la prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) et au crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH), pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) [la Loi]. Il avait été décidé que M. Lavrinenko et son ex-épouse ne résidaient pas avec leur fils sur une base d’égalité ou de quasi-égalité durant cette période.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

I.  Énoncé des faits

[3]  M. Lavrinenko et son ex-épouse sont divorcés. Ils se partageaient la garde de leur fils. Une ordonnance de la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (ordonnance de la Cour de la famille) datée du 29 juin 2011 fixait les arrangements relatifs à la garde de leur fils et précisait les périodes de l’année pendant lesquelles l’enfant résiderait avec l’un ou l’autre de ses parents.

[4]  Aux termes de la Loi, sous réserve de certaines conditions qui ne sont pas en litige dans le présent appel, les particuliers qui sont des parents ayant la garde partagée d’un enfant ont chacun droit à la moitié de la PFCE et du crédit pour la TPS/TVH. La période pertinente quand il s’agit de décider si M. Lavrinenko et son ex-épouse étaient des parents ayant la garde partagée va de décembre 2012 à juin 2016. Le ministre a conclu que, durant cette période, ils n’étaient pas des parents ayant la garde partagée et donc que M. Lavrinenko n’avait pas droit à la moitié de la PFCE ou du crédit pour la TPS/TVH.

II.  Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[5]  Le juge Paris a examiné la preuve dont il disposait et a conclu que M. Lavrinenko résidait avec son fils un peu moins de 40 % du temps pendant la période en question. Il estimait également qu’une répartition de la garde selon un rapport de 60 %/40 % ne permettrait pas à M. Lavrinenko d’être visé par la définition de parent ayant la garde partagée. Il a rejeté l’appel.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[6]  La principale question en litige dans le présent appel concerne l’interprétation de l’alinéa b) de la définition de parent ayant la garde partagée à l’article 122.6 de la Loi. Cette définition sert à déterminer l’admissibilité à la PFCE et au crédit pour la TPS/TVH. L’alinéa b) de la définition prévue à l’article 122.6 de la Loi prévoit que l’enfant doit résider avec chacun de ses parents sur une base d’égalité ou de quasi-égalité. L’interprétation de cette disposition soulève une question d’interprétation législative et commande par conséquent un contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[7]  M. Lavrinenko conteste également la constatation selon laquelle il résidait avec son fils moins de 40 % du temps. La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen).

IV.  Analyse

[8]  M. Lavrinenko soutient que son ex-épouse et lui ont respecté l’ordonnance de la Cour de la famille durant la période visée par le présent appel. Il rejette l’interprétation qu’a faite le juge Paris de cette ordonnance et, selon lui, si on interprète cette dernière correctement, le temps pendant lequel il a résidé avec son fils s’établissait à presque 41 %. Pour les besoins du présent appel, il n’est pas nécessaire de trancher cette question. Même si j’ajoutais foi aux prétentions de M. Lavrinenko selon lesquelles l’enfant a résidé avec lui 41 % du temps, il ne répondrait quand même pas, à mon avis, à la définition de parent ayant la garde partagée.

A.  Dispositions pertinentes de la Loi

[9]  Aux termes de la Loi, la PFCE (qui après la période visée par l’appel a été rebaptisée l’Allocation canadienne pour enfants) est traitée comme un paiement en trop au titre des sommes dont la personne admissible est redevable sous le régime de la Loi. La prestation lui est versée en guise de remboursement du paiement en trop. Selon le paragraphe 122.61(1) de la Loi, le montant du paiement en trop est calculé chaque mois.

[10]  Des modifications ont été apportées aux dispositions relatives à la PFCE dans la mesure législative L.C. 2010, c. 25 et sont entrées en vigueur en juillet 2011. Dans les présents motifs, elles sont appelées les modifications de 2010.

[11]  Avant les modifications de 2010, un particulier admissible est la personne qui résidait avec une personne à charge admissible et qui est « la personne — père ou mère de la personne à charge — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de cette dernière » (définition d’un « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi tel qu’il était libellé avant les modifications de 2010). Ainsi, un seul parent pouvait recevoir la PFCE pour un mois déterminé, même si les parents se partageaient, à parts égales, la garde de la personne à charge admissible et la responsabilité pour le soin et l’éducation de cette dernière (Campbell c. La Reine, 2010 CCI 67).

[12]  De même, le crédit pour la TPS/TVH est traité comme une somme réputée versée au titre de l’impôt sous le régime de la Loi (paragraphe 122.5(3)), même si ce n’est que pour les mois déterminés au paragraphe 122.5(4) de la Loi. Avant les modifications de 2010, un enfant était la personne à charge admissible d’un seul parent pour un mois déterminé (paragraphe 122.5(6) de la Loi, tel qu’il était libellé avant les modifications de 2010).

[13]  L’Agence du revenu du Canada (ARC), avant les modifications de 2010, avait adopté une politique pour les arrangements de garde conjointe. Cette politique est énoncée dans White c. La Reine, 2010 CCI 394 :

18  L’appelant a aussi présenté en preuve un document de l’ARC intitulé « Admissibilité partagée » (12-11-2008) (Voir pièce A-1). On y retrouve les observations suivantes :

1.  Qu’est-ce que l’admissibilité partagée?

L’admissibilité partagée arrive lorsqu’un enfant habite avec deux personnes différentes pour des périodes plus ou moins égales (que ce soit 4 jours avec l’une et 3 jours avec l’autre, une semaine chez l’une et une semaine chez l’autre ou toute autre rotation semblable) et chaque personne est principalement responsable des soins et de l’éducation de l’enfant durant le temps où l’enfant habite avec elle. La loi relative à la prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) accorde l’admissibilité à un « particulier admissible » seulement au cours d’un mois. Pour aborder cette difficulté, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a élaboré une politique d’admissibilité partagée qui reconnaît qu’il peut y avoir deux particuliers admissibles pour le même enfant. Par conséquent, il a été décidé de permettre l’admissibilité pour l’enfant (ou les enfants) à chaque personne par rotation de six mois, tant pour la PFCE que pour la partie enfant du crédit pour la taxe sur les produits et services / taxe de vente harmonisée (TPS/TVH).

[14]  Les modifications de 2010 ont permis de reconnaître de manière formelle certains arrangements de garde conjointe ou partagée dans les dispositions de la Loi portant sur la PCFE. La définition de « particulier admissible » à l’article 122.6 a été modifiée afin de préciser que le parent d’une personne à charge admissible est un particulier admissible si cette personne :

(i)  assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge et [. . .] n’est pas un parent ayant la garde partagée à l’égard de celle-ci,

(ii)  est un parent ayant la garde partagée à l’égard de la personne à charge,

[15]  La définition de parent ayant la garde partagée a également été ajoutée à l’article 122.6 de la Loi, qui est ainsi libellé pour la période en cause dans le présent appel :

parent ayant la garde partagée S’entend, à l’égard d’une personne à charge admissible à un moment donné, dans le cas où la présomption énoncée à l’alinéa f) de la définition de particulier admissible ne s’applique pas à celle-ci, du particulier qui est l’un des deux parents de la personne à charge qui, à la fois :

shared-custody parent in respect of a qualified dependent at a particular time means, where the presumption referred to in paragraph (f) of the definition eligible individual does not apply in respect of the qualified dependant, an individual who is one of the two parents of the qualified dependant who

a) ne sont pas, à ce moment, des époux ou conjoints de fait visés l’un par rapport à l’autre;

(a) are not at that time cohabitating spouses or common-law partners of each other,

b) résident avec la personne à charge sur une base d’égalité ou de quasi-égalité;

(b) reside with the qualified dependant on an equal or near equal basis, and

c) lorsqu’ils résident avec la personne à charge, assument principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de celle-ci, ainsi qu’il est déterminé d’après des critères prévus par règlement.

(c) primarily fulfil the responsibility for the care and upbringing of the qualified dependant when residing with the qualified dependant, as determined in consideration of prescribed factors,

[16]  La seule partie de la définition de « parent ayant la garde partagée » qui est en litige dans la présente affaire concerne l’alinéa b) et plus précisément l’expression « sur une base d’égalité ou de quasi-égalité ». Cette partie de la définition sert à déterminer l’admissibilité à la PFCE et au crédit pour la TPS/TVH. Par souci de commodité, l’analyse concerne seulement l’admissibilité à la PFCE. Mentionnons que, dans la version anglaise de cette définition, le mot « dependent » a été remplacé par le mot « dependant » dans la phrase liminaire en 2015.

B.  Décisions antérieures de la Cour de l’impôt

[17]  Plusieurs décisions de la Cour de l’impôt ont interprété l’expression « une base d’égalité ou de quasi-égalité » pour l’application de la définition de « parent ayant la garde partagée ». La plupart de ces décisions ont été rendues sous le régime de la procédure informelle. Si l’article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T-2, prévoit que ces décisions n’ont pas valeur de jurisprudence, elles peuvent quand même être prises en considération (Mourtzis c. Canada, [1993] A.C.I.no 902, au paragraphe 19).

[18]  À l’alinéa b) de la définition de « parent ayant la garde partagée », le législateur précise uniquement que les parents doivent résider avec la personne à charge sur une base d’égalité ou de quasi-égalité. Aucune fourchette de pourcentages n’est précisée, ni le fondement sur lequel doit reposer la conclusion qu’une personne réside avec la personne à charge sur une base d’égalité ou de quasi-égalité. La Cour canadienne de l’impôt a statué dans plusieurs affaires en tenant compte du temps pendant lequel chaque parent résidait avec l’enfant, ce qui constitue un moyen logique de déterminer si les parents résidaient avec l’enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité. Aucune autre manière de trancher cette question n’a été indiquée ni évoquée. De plus, comme le législateur a choisi le terme « égalité », il faut croire qu’il entendait que des facteurs mesurables et comparables servent à déterminer si un parent réside avec l’enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité. Par conséquent, il y a lieu de continuer à utiliser le temps comme facteur lorsqu’il s’agit de trancher cette question.

[19]  Dans les décisions rendues sur le fondement du temps pendant lequel chaque parent résidait avec l’enfant, les conclusions des juges ont été les suivantes :

(a)  l’expression « quasi-égalité » n’englobe pas « une variation très marquée par rapport à une période de résidence égale » (Van Boekel c. La Reine, 2013 CCI 132, au paragraphe 21);

(b)  la Cour ne croit pas « que le législateur veuille que la ligne de démarcation soit tracée strictement à 50/50, ou d’une façon s’en rapprochant énormément » (Brady c. La Reine, 2012 CCI 240, au paragraphe 27, où on a conclu qu’une répartition selon un rapport de 45 %/55 % du temps pendant lequel l’enfant a résidé avec chaque parent faisait de chacun de ces derniers un parent ayant la garde partagée);

(c)  un rapport compris « entre une répartition de 59,38 %/40,62 % et une répartition de 57,14 %/42,86 % [. . .] ne diffère pas sensiblement de la répartition de 57 %/43 % dans les affaires Fortin [Fortin c. La Reine, 2014 CCI 209] et Levin [Levin c. La Reine, 2015 CCI 117] et [. . .] est relativement proche de la répartition de 55 %/45 % dans l’affaire Brady », ce qui permet de conclure que chaque parent est un parent ayant la garde partagée (Morrissey c. La Reine, 2016 CCI 178, au paragraphe 67). Cette décision a fait l’objet d’un appel devant notre Cour et l’appel a été accueilli (2019 CAF 56).

[20]  La Cour canadienne de l’impôt n’a jamais statué qu’une personne ayant résidé avec son enfant moins de 40 % du temps était un parent ayant la garde partagée.

C.  Interprétation de l’expression « sur une base d’égalité ou de quasi-égalité »

[21]  Dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada parle de la démarche qui convient pour l’interprétation de dispositions comme celle en litige dans le présent appel :

10  Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[22]  Par conséquent, l’expression « sur une base d’égalité ou de quasi-égalité » doit être interprétée à la lumière d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique. La signification du terme « égalité » est évidente; la question en l’espèce consiste donc à déterminer à quel point la « quasi-égalité » est proche de l’égalité.

D.  Interprétation textuelle

[23]  À mon avis, sur le plan textuel, le terme « quasi » signifie « presque » (Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e édition) et, par conséquent, « quasi-égalité » signifie « presque égalité ». Ces mots ne dénoteraient pas un large écart par rapport à l’égalité.

E.  Contexte et intention

[24]  M. Lavrinenko fait référence aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175 (les Lignes directrices), lesquelles reconnaissent les arrangements en matière de garde partagée. Il affirme, en effet, que les Lignes directrices font partie du contexte pertinent et, à son avis, comme il satisfait au critère relatif à la « garde partagée » pour les besoins de ces dernières, il devrait également être un « parent ayant la garde partagée » pour les besoins de la PFCE. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le sens du terme « parent ayant la garde partagée » et, plus précisément, de l’expression « sur une base d’égalité ou de quasi-égalité » dans la Loi doit être défini sans égard aux Lignes directrices.

[25]  Le paragraphe 9 des Lignes directrices porte sur les arrangements en matière de garde partagée :

Garde partagée

9.  Si un époux exerce son droit d’accès auprès d’un enfant, ou en a la garde physique, pendant au moins 40 % du temps au cours d’une année, le montant de l’ordonnance alimentaire est déterminé compte tenu :

a)  des montants figurant dans les tables applicables à l’égard de chaque époux;

b)  des coûts plus élevés associés à la garde partagée;

c)  des ressources, des besoins et, d’une façon générale, de la situation de chaque époux et de tout enfant pour lequel une pension alimentaire est demandée.

[26]  Si la PFCE et les Lignes directrices concernent toutes deux le versement de fonds destinés à subvenir aux besoins de l’enfant, elles ont des objets différents et visent des versements différents. Les Lignes directrices prévoient les sommes versées à un parent par l’autre, alors que la PFCE est versée par le Trésor fédéral aux parents admissibles. Différentes conditions s’appliquent selon qu’il s’agit de décider si un arrangement constitue une garde partagée pour (1) déterminer le montant de la pension alimentaire qui doit être versée par un parent à l’autre ou (2) décider si la PFCE versée par le Trésor fédéral peut être divisée en deux parts égales.

[27]  Les Lignes directrices prévoient une proportion de temps (pas moins de 40 % du temps), calculée en fonction de l’exercice du droit d’accès à l’enfant ou de la garde physique de ce dernier. En revanche, aux termes de la PFCE, les parents doivent résider avec l’enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité. Le pourcentage est différent, tout comme les valeurs servant au calcul (l’exercice du droit d’accès à l’enfant ou la garde physique de l’enfant dans un cas et l’obligation de résider avec l’enfant dans l’autre). Si l’exercice d’un droit d’accès peut très bien se traduire par une situation où le parent réside avec l’enfant, ce n’est pas toujours le cas.

[28]  Les Lignes directrices ont été adoptées avant l’ajout, dans les dispositions sur la PFCE, de la définition du terme « parent ayant la garde partagée ». L’en-tête de l’article 9 des Lignes directrices fait référence à une « garde partagée », mais ce terme ne figure pas dans le libellé de l’article même. Comme le législateur définit un terme différent dans la Loi (« parent ayant la garde partagée ») et ne reprend pas le libellé de l’article 9 des Lignes directrices dans cette définition, il faut présumer qu’il n’entend pas que le terme défini à l’article 122.6 de la Loi soit interprété à l’avenant. Par conséquent, le terme « parent ayant la garde partagée » et, en particulier, l’expression « une base d’égalité ou de quasi-égalité » qui figurent dans la Loi doivent être définis sans égard aux Lignes directrices.

[29]  Comme il est indiqué plus haut, la définition du terme « parent ayant la garde partagée » a été ajoutée par les modifications de 2010. Le Budget fédéral de 2010 mentionne ce changement, et les Renseignements supplémentaires du Budget de 2010 précisent :

Renseignements supplémentaires du Budget 2010 : Droit aux prestations — Garde partagée

Conformément aux règles en vigueur, un seul particulier admissible peut recevoir chaque mois la Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) et la Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE) visant une personne à charge admissible. De même, la composante relative aux enfants du crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (crédit pour la TPS/TVH) à l’égard d’une personne à charge admissible n’est versée chaque trimestre qu’à un seul particulier admissible.

Afin d’améliorer la répartition des prestations pour enfants entre les parents qui ont la garde partagée d’un enfant, le budget de 2010 propose d’autoriser deux particuliers admissibles à recevoir la PFCE et la PUGE pour un mois donné ainsi que d’autoriser deux particuliers admissibles à recevoir le crédit pour TPS/TVH pour un trimestre donné à l’égard d’un enfant dans la mesure où ces deux particuliers auraient droit de recevoir ces montants aux termes de la politique actuelle de l’Agence du revenu du Canada sur le partage de l’admissibilité. Cette politique s’applique lorsque la garde d’un enfant est partagée plus ou moins également entre deux personnes qui habitent séparément. Les paiements au titre de la PFCE et de la PUGE qui seront versés à chaque particulier admissible correspondront à la moitié des prestations annuelles qu’un particulier admissible aurait reçues s’il avait été le seul particulier admissible; ils prendront la forme de mensualités étalées le long de l’année. Pareillement, les paiements au titre de la composante relative aux enfants du crédit pour la TPS/TVH, qui seront versés à chaque particulier admissible correspondront à la moitié des paiements qu’un particulier admissible aurait reçus s’il avait été le seul particulier admissible; ils prendront la forme de montants trimestriels étalés le long de l’année.

Des modifications correspondantes seront apportées à la Loi sur la prestation universelle pour la garde d’enfants.

Cette mesure s’appliquera aux prestations payables à compter de juillet 2011.

(Non souligné dans l’original.)

[30]  Selon ce document, les modifications traduisaient la politique existante de l’ARC. Comme il est dit plus haut, cette politique prévoit ce qui suit :

L’admissibilité partagée arrive lorsqu’un enfant habite avec deux personnes différentes pour des périodes plus ou moins égales (que ce soit 4 jours avec l’une et 3 jours avec l’autre, une semaine chez l’une et une semaine chez l’autre ou toute autre rotation semblable) et chaque personne est principalement responsable des soins et de l’éducation de l’enfant durant le temps où l’enfant habite avec elle.

[31]  Le seul exemple que donne la politique est celui d’un enfant qui habite avec un parent pendant quatre jours et avec l’autre pendant les trois autres jours de la même semaine, en semaine alternée. Cette rotation entre la première semaine et la deuxième semaine signifierait que pour un cycle complet de deux semaines, l’enfant habiterait chez chaque parent durant sept jours, ce qui constituerait une base d’égalité. La politique n’admet aucun écart significatif par rapport à cette base d’égalité. Comme les Renseignements supplémentaires du Budget indiquent que les modifications aux dispositions sur la PFCE avaient pour objet de traduire la « politique actuelle de l’Agence du revenu du Canada sur le partage de l’admissibilité », il semble que le mot « quasi-égalité » n’est censé signifier qu’un écart mineur par rapport à une garde partagée sur une base d’égalité.

[32]  Dans l’affaire Brady, le juge Campbell fait référence au Guide révisé des prestations [canadiennes] pour enfants, T4114(F) (le Guide), lequel a été révisé par l’ARC après les modifications apportées aux dispositions sur la PFCE en 2010. Dans ce Guide, l’ARC indique ce qui suit :

Un enfant peut habiter avec deux personnes différentes dans des résidences séparées pour des périodes plus ou moins égales, par exemple :

  l’enfant habite avec un parent quatre jours par semaine et avec l’autre parent trois jours par semaine;

  l’enfant habite avec un parent une semaine et avec l’autre parent la semaine suivante;

  tout autre cycle régulier de rotation de garde.

[33]  Le Guide est publié par l’ARC; il ne lie pas la Cour. Toutefois, il est utile de comparer le premier exemple de ce Guide à celui fourni par l’ARC dans sa « politique sur le partage de l’admissibilité » qui existait avant les modifications de 2010. Les voici :

Exemple donné dans la « politique sur le partage de l’admissibilité »

Exemple donné dans le Guide

[l’enfant habite] 4 jours avec [l’un des parents] et 3 jours avec l’autre [parent], une semaine chez l’un[. . .] et une semaine chez l’autre

l’enfant habite avec un parent quatre jours par semaine et avec l’autre parent trois jours par semaine

[34]  Le seul exemple que donne la « politique sur le partage de l’admissibilité » a pour résultat que l’enfant habite sur une base d’égalité avec chaque parent, puisque l’enfant habite avec chaque parent durant sept jours sur un cycle complet de deux semaines. Toutefois, l’exemple tiré du Guide omet la seconde partie de l’exemple tiré de la « politique sur le partage de l’admissibilité » (selon lequel l’arrangement de garde partagée s’exécute « une semaine chez l’un[. . .] et une semaine chez l’autre »). Parce qu’il omet l’élément d’alternance qui caractérise cet arrangement, l’exemple tiré du Guide laisse croire que l’enfant habitera quatre jours par semaine avec un parent, durant toute l’année. Dans un tel scénario, la proportion de temps pendant laquelle le parent doit résider avec son enfant pour l’application de la PFCE s’établirait à environ 43 %. Rien n’explique pourquoi l’exemple donné dans le Guide est différent de celui donné dans la « politique sur le partage de l’admissibilité ». Puisque, selon les Renseignements supplémentaires du Budget, les modifications apportées aux dispositions sur la PFCE en 2010 avaient pour objet de traduire la politique existante, l’exemple donné dans le Guide aurait dû être le même que celui de la politique sur le partage l’admissibilité.

[35]  Je suis également d’accord avec le juge Campbell dans la décision Brady pour dire que le troisième exemple indiqué dans le Guide (tout autre cycle régulier de rotation de garde) est trop vague.

[36]  La PFCE a pour objet le versement d’une allocation aux parents admissibles. La PFCE est soit versée entièrement à l’un des parents, soit partagée en parts égales entre eux. Elle n’est pas partagée en fonction de la proportion de temps pendant lequel chaque parent réside avec l’enfant. Comme les fonds versés à chaque parent ayant la garde partagée équivalent à la moitié de la PFCE, on peut également conclure que tout écart par rapport à l’égalité doit être mineur pour équivaloir à la « quasi-égalité ». Cette conclusion est également conforme à l’objet énoncé dans les Renseignements supplémentaires du Budget 2010, selon lequel les modifications permettent de mettre en œuvre la « politique sur le partage de l’admissibilité » de l’ARC. Cette politique, à en juger par l’exemple fourni, n’indique pas qu’un écart significatif par rapport à une garde partagée sur une base d’égalité emporte le partage de la PFCE.

F.  Conclusion sur l’interprétation du terme « quasi-égalité »

[37]  À mon avis, selon une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, le législateur entend que le terme « quasi-égalité » signifie ce qui est essentiellement ou presque égal. Il faudrait conclure que les parents résident avec leur enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité si la Cour canadienne de l’impôt est convaincue, en comparant le temps pendant lequel l’enfant réside avec l’un et l’autre parent, que cette proportion s’établit à 50 % ou presque.

[38]  Pour décider si un enfant réside avec un parent sur une base de quasi-égalité, il importe de ne pas perdre de vue le sujet de la mesure. À mon avis, le législateur n’entend pas que les parties tiennent des registres détaillant chaque heure que l’enfant a passée avec chaque parent. Dans plusieurs des décisions rendues par la Cour canadienne de l’impôt, ce rapport est calculé au centième de point de pourcentage près. Par exemple, dans l’affaire Morrissey, le juge a conclu que cette proportion était « comprise entre une répartition de 59,38 %/40,62 % et une répartition de 57,14 %/42,86 % ». M. Lavrinenko, dans ses observations, fait valoir une proportion de temps pendant lequel il a résidé avec son fils s’établissant à 40,87 %.

[39]  Je ne crois pas que le législateur entende, lorsqu’il s’agit de savoir si les parents résident avec l’enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité, que ceux-ci ou la Cour canadienne de l’impôt comptabilisent le temps au centième de point de pourcentage près. Une telle approche risque également de mener à une situation où un parent tarde intentionnellement à ramener l’enfant à l’autre parent dans le but de réduire le temps que passe l’enfant avec l’autre parent pour obtenir un rapport précisément calculé de sorte à empêcher l’autre parent d’être considéré comme un parent ayant la garde partagée. Le législateur ne pouvait avoir eu pareille intention.

[40]  Il n’est pas toujours possible de quantifier avec exactitude le temps que passe un enfant avec chacun de ses parents et, donc, d’arriver à un rapport précis du temps que l’enfant passe avec chacun d’eux au centième de point de pourcentage près. L’exactitude du résultat de tout calcul mathématique est entièrement subordonnée à celui des valeurs utilisées. Les parents qui partagent la garde d’un enfant devraient penser davantage à l’intérêt supérieur de l’enfant qu’à consigner chaque heure que l’enfant passe avec chacun d’eux. Cette condition pour obtenir la PFCE ne devrait pas ajouter du stress en exigeant des parents qu’ils tiennent des registres détaillés de chaque minute que l’enfant passe avec chaque parent. De plus, certaines questions pourraient contribuer à un calcul imprécis : le temps qu’un enfant passe à l’école ou dans un camp d’été devrait-il être attribué à l’un ou à l’autre des parents, ou aux deux, auquel cas dans quelle proportion?

[41]  Le législateur a choisi de ne pas préciser quelle fourchette équivaudrait à une « quasi-égalité ». Toutefois, à mon avis, toute proportion de temps qui ne pourrait être arrondie à 50 % ne saurait équivaloir à une quasi-égalité. Pour déterminer comment arrondir le quotient obtenu, il importe de tenir compte de l’exactitude des valeurs utilisées dans le calcul servant à établir la proportion de temps pendant lequel l’enfant réside avec chaque parent.

[42]  Comme il est signalé plus haut, il n’est pas toujours possible de quantifier avec exactitude le temps que passe un enfant avec chacun de ses parents et, donc, d’arriver à une proportion précise. Ainsi, tout pourcentage devrait être arrondi non pas au point de pourcentage le plus près, mais au nombre entier le plus près qui est un multiple de 10 et d’un autre chiffre entier. Par exemple, 48 % devrait être arrondi à 50 % et 44 % devrait être arrondi à 40 %. Cette formule permet une certaine souplesse en cas d’imprécision des données et traduit l’intention du législateur voulant que l’enfant réside sur une base d’égalité ou de quasi-égalité avec chaque parent.

[43]  Ainsi, même si j’ajoutais foi aux affirmations de M. Lavrinenko selon lesquelles il a résidé avec son enfant 41 % du temps (pourcentage qui serait arrondi à 40 %), il ne satisfait pas au critère de la base d’égalité ou de quasi-égalité. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si M. Lavrinenko a résidé avec son fils moins de 40 % du temps ou environ 41 % du temps.

[44]  Par conséquent, je rejetterais l’appel. Bien que la Couronne ait demandé l’adjudication des dépens, à mon avis, il n’y a pas lieu de rendre d’ordonnance en ce sens dans la présente affaire.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

DATÉ DU 20 NOVEMBRE 2017, RÉFÉRENCE NO 2017 CCI 230

DOSSIER 2016-4766(IT)I

DOSSIER :

A-410-17

 

INTITULÉ :

ALEXEY LAVRINENKO c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mars 2019

COMPARUTIONS :

Alexey Lavrinenko

POUR SON PROPRE COMPTE

Dominique Gallant

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

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