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Date : 20190327


Dossier : A-333-17

Référence : 2019 CAF 57

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

PLAINS MIDSTREAM CANADA ULC

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 septembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20190327


Dossier : A-333-17

Référence : 2019 CAF 57

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

PLAINS MIDSTREAM CANADA ULC

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision du juge Hogan (le juge) de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) (2017 CCI 207) dans les dossiers 2012-4907(IT)G et 2013-1522(IT)G, datée du 6 octobre 2017, dans laquelle le juge a rejeté l’appel de l’appelante concernant les nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) relativement à son revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996. Plus précisément, le ministre a refusé à l’appelante une déduction d’intérêts de 4 788 456 $ pour chaque année d’imposition en cause. (Avant le procès, comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, l’appelante a réduit la déduction demandée.) La principale question en litige dans le présent appel porte sur l’interprétation du paragraphe 16(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), en application duquel (et de l’alinéa 20(1)c) de la Loi) l’appelante fait valoir qu’elle a droit à une déduction des intérêts pour les années en question. En raison de son importance pour le débat, il convient de reproduire la disposition avant d’aller plus loin :

16.(1) Les règles suivantes s’appliquent dans le cas où, selon un contrat ou un autre arrangement, il est raisonnable de considérer un montant en partie comme des intérêts ou comme un autre montant ayant un caractère de revenu et en partie comme un montant ayant un caractère de capital :

16.(1) Where, under a contract or other arrangement, an amount can reasonably be regarded as being in part interest or other amount of an income nature and in part an amount of a capital nature, the following rules apply:

a) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme des intérêts est, quels que soient la date, la forme ou les effets juridiques du contrat ou de l’arrangement, considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable;

(a) the part of the amount that can reasonably be regarded as interest shall, irrespective of when the contract or arrangement was made or the form or legal effect thereof, be deemed to be interest on a debt obligation held by the person to whom the amount is paid or payable; and

[2]  Pour les motifs suivants, je rejetterais l’appel.

II.  Les faits

[3]  Bien que les parties aient déposé devant la CCI un exposé conjoint partiel des faits, il est néanmoins utile de fournir un résumé des faits pertinents qui ont donné naissance à la question dont la Cour est maintenant saisie. Le résumé fournit le contexte nécessaire à la compréhension de la question d’interprétation que nous devons trancher.

[4]  L’appelante, Plains Midstream Canada ULC, a succédé par fusion à BP Canada Energy Company (BPCEC), qui elle-même succède à Amoco Canada Petroleum Company Ltd. (Amoco). L’appelante a acquis BPCEC en 2012.

[5]  Le 16 février 1981, Dome Petroleum Limited (Dome Petroleum), une société pétrolière et gazière, ainsi que Dome Canada Limited (Dome Canada), sur laquelle Dome Petroleum exerçait un contrôle effectif, ont conclu un contrat (le contrat officiel) avec l’Arctic Petroleum Corporation of Japan (APCJ), une société japonaise appartenant, pour ainsi dire, à l’État japonais.

[6]  Aux termes du contrat officiel, APCJ a, entre autres, consenti un prêt de 400 millions de dollars (le prêt de prospection) à Dome Petroleum et à Dome Canada, qu’elles devaient utiliser pour financer un projet de prospection pétrolière et gazière dans la mer de Beaufort. Le prêt de 400 millions de dollars devait être remboursé à APCJ le 31 décembre 2030, sous réserve de deux conditions de remboursement anticipé, soit le début de la production commerciale dans la mer de Beaufort (ce qui ne s’est jamais produit) ou un manquement tel que ce terme est défini dans le contrat officiel. En cas de manquement, APCJ pouvait exiger le remboursement immédiat des 400 millions de dollars.

[7]  Entre autres choses, le contrat officiel imposait également à Dome Petroleum et à Dome Canada d’importantes obligations continues en ce qui concerne les activités de forage, de mise en valeur et de production pétrolière dans la mer de Beaufort.

[8]  Aux termes du contrat officiel, Dome Petroleum et Dome Canada étaient conjointement et solidairement responsables de toutes les obligations envers APCJ, y compris celle de rembourser les 400 millions de dollars. Toutefois, le contrat officiel prévoyait qu’APCJ pouvait d’abord s’adresser à Dome Petroleum pour l’exécution des obligations qui y sont prévues, y compris le remboursement des 400 millions de dollars.

[9]  Après avoir conclu le contrat officiel avec APCJ, Dome Petroleum et Dome Canada ont conclu, le 2 mars 1981, un accord distinct (le contrat de coentreprise) qui prévoyait la répartition suivante pour le remboursement du prêt de prospection : 225 millions de dollars par Dome Canada et 175 millions de dollars par Dome Petroleum. APCJ n’était pas partie au contrat de coentreprise.

[10]  Au cours de l’année 1987, il est devenu évident qu’en raison de graves problèmes financiers, Dome Petroleum et ses filiales auraient besoin d’un allégement de leur dette. Ainsi, en avril 1987, Amoco Corporation, la société mère américaine d’Amoco, a fait savoir qu’elle avait l’intention que sa filiale canadienne acquière Dome Petroleum.

[11]  Le 12 mai 1987, Amoco et Dome Petroleum ont conclu une entente visant l’achat de Dome Petroleum au moyen d’un arrangement conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44. Compliqué, l’arrangement subordonnait son entrée en vigueur à certains actes faits par Amoco, notamment au consentement des principaux créanciers de Dome Petroleum, dont APCJ et Dome Canada.

[12]  Dome Canada a été renommée Encor Energy Corporation (Encor), et Dome Petroleum a décidé de vendre ses actions d’Encor afin de payer ses créanciers. Amoco, l’acheteur potentiel de Dome Petroleum, a approuvé la vente des actions d’Encor. La vente a eu lieu le 8 décembre 1987 et a totalisé environ 398 millions de dollars.

[13]  Pour Amoco, le contrat officiel constituait un obstacle important à son acquisition de Dome Petroleum. En effet, après la vente des actions d’Encor, Encor deviendrait une entité indépendante de Dome Petroleum. Toutefois, Encor et Dome Petroleum demeuraient conjointement et solidairement obligées envers APCJ aux termes du contrat officiel.

[14]  Ainsi, si Dome Petroleum ou Encor devenaient insolvables ou commettaient un manquement au contrat officiel, le prêt de prospection de 400 millions de dollars serait remboursable en totalité. Dans de telles circonstances, APCJ aurait le droit de se tourner vers Dome Petroleum et vers Encor pour obtenir un remboursement, et aurait le droit de s’adresser d’abord à Dome Petroleum. Le risque, dans toutes les circonstances, était inacceptable pour Amoco et, par conséquent, elle n’était pas prête à acquérir Dome Petroleum à moins d’une solution au risque de défaut croisé. Pour compliquer les choses, Encor, à titre de créancier de Dome Petroleum, devait consentir à l’arrangement.

[15]  D’autres difficultés découlaient du contrat officiel. Premièrement, Dome Petroleum était déjà en situation de manquement aux termes du contrat officiel et, par conséquent, Amoco a demandé à APCJ de la libérer de son manquement antérieur. Deuxièmement, Amoco a exigé d’APCJ d’autres assouplissements du contrat officiel. Troisièmement, Amoco exigeait le consentement d’APCJ aux termes de l’arrangement. Par conséquent, Amoco avait besoin de la collaboration et de l’appui d’Encor pour convaincre APCJ d’accepter les assouplissements proposés. Sans l’accord d’APCJ et les assouplissements demandés, Amoco n’était pas prête à acquérir Dome Petroleum.

[16]  Afin d’éliminer ‑ ou de réduire au minimum ‑ le risque de défaut croisé découlant du contrat officiel et des autres facilités de crédit de Dome Petroleum, Amoco et Encor ont conclu une entente de règlement le 28 novembre 1987 et une entente de subrogation et d’exonération entrée en vigueur le 1er septembre 1988, immédiatement après l’entrée en vigueur de l’arrangement. Aux termes de ces ententes, Amoco s’est engagée à prendre en charge les obligations conjointes et solidaires d’Encor aux termes du contrat officiel, y compris l’obligation d’Encor ‑ aux termes du contrat de coentreprise ‑ de rembourser 225 millions de dollars à APCJ. En contrepartie de son acceptation des obligations conjointes et solidaires d’Encor aux termes du contrat officiel, Amoco a reçu notamment d’Encor 17,5 millions de dollars. De plus, Encor a accordé à Amoco la pleine subrogation de ses droits aux termes du contrat officiel.

[17]  Encor a également accepté, comme condition de l’entente de règlement, de voter en faveur de l’arrangement. Encor a en outre convenu de collaborer avec Amoco à la renégociation des modalités du contrat officiel avec APCJ.

[18]  Le 29 août 1988, Dome Petroleum, Encor et Amoco ont conclu une entente d’accommodement avec APCJ qui exonérait les parties de tout manquement au contrat officiel. De plus, certaines modalités du contrat d’APCJ ont été modifiées. Par conséquent, Amoco a obtenu les accommodements dont elle avait besoin pour acquérir Dome Petroleum, y compris le consentement d’APCJ à l’arrangement.

[19]  Par conséquent, lors de la signature de l’entente d’accommodement, Amoco est devenue partie au contrat officiel et conjointement et solidairement responsable avec Dome Petroleum et Encor de l’exécution de toutes les obligations, y compris le remboursement, d’ici 2030, des 400 millions de dollars à APCJ.

[20]  Le 1er septembre 1988, trois jours après la signature de l’entente d’accommodement, l’arrangement a été approuvé. Conformément à ce dernier, Amoco a acquis Dome Petroleum pour 5,1 milliards de dollars.

[21]  Le 28 février 1992, Amoco, Dome Petroleum et APCJ ont conclu une entente de libération selon lequel APCJ a libéré Encor des obligations qui lui incombaient aux termes du contrat officiel. Par conséquent, Amoco et Encor ont résilié l’entente de subrogation et d’exonération.

[22]  Par conséquent, Amoco n’était plus tenue de rembourser à APCJ les 225 millions de dollars qui, aux termes du contrat de coentreprise, étaient à la charge d’Encor. Les obligations d’Amoco aux termes du contrat officiel, y compris le remboursement des 400 millions de dollars à APCJ, découlaient alors du fait qu’Amoco était une partie de plein droit au contrat officiel, conjointement et solidairement responsable.

[23]  Je dois souligner ici que, dans ses motifs, le juge renvoie à l’entente de règlement, à l’entente de subrogation et d’exonération d’Encor, à l’entente d’accommodement et à l’entente de libération comme étant les transactions ou les ententes principales.

[24]  Avant d’examiner la décision de la CCI, j’aimerais dire quelques mots au sujet des arguments de l’appelante à l’appui des déductions qu’elle demande, ce qui aidera à comprendre la décision de la CCI.

[25]  Les déductions demandées par l’appelante découlent de la différence (207,5 millions de dollars) entre la partie de 225 millions de dollars du prêt de prospection remboursable à APCJ qu’Amoco a prise en charge aux termes de l’entente de règlement et de l’entente de subrogation et d’exonération et les 17,5 millions de dollars versés par Encor à Amoco. L’appelante affirme, en se fondant sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi, que la différence de 207,5 millions de dollars constitue des fonds « [...] qu’il est raisonnable de considérer comme des intérêts [...] quels que soient la date, la forme ou les effets juridiques du contrat ou de l’arrangement [...] ». Avant le procès, l’appelante a soutenu qu’elle avait droit à une déduction annuelle d’intérêts de 4 788 456 $, soit le quotient mathématique de 207,5 millions de dollars divisés par 43 ans, ce qui correspond à la période de 1987 à 2030 pendant laquelle le prêt était en souffrance. Ainsi, l’appelante a affecté 4 788 456 $ à chacune de ses années d’imposition.

[26]  Toutefois, peu avant le début du procès, l’appelante a revu sa position. Elle a réduit la déduction annuelle à 1 043 700 $ en appliquant, sur une base annuelle, un taux d’intérêt implicite de 5,964 % aux 17,5 millions de dollars versés par Encor à Amoco aux termes de l’entente de règlement et de l’entente de subrogation et d’exonération. Aucun élément de preuve n’a été produit pour expliquer le choix de ce taux d’intérêt ni pour démontrer les taux d’intérêt en vigueur à l’époque en cause.

[27]  Il importe de souligner que, tant devant la CCI que devant la Cour, l’appelante a admis que la déduction annuelle de 1 043 700 $ demandée pour chaque année d’imposition ne constituait pas des intérêts payables à APCJ ou à Encor. À son avis, ce fait n’était d’aucune pertinence pour la décision qui devait être rendue au titre du paragraphe 16(1) de la Loi. Autrement dit, selon l’appelante, le fait qu’elle n’a pas versé et ne versera jamais d’intérêts à APCJ ou à Encor n’est pas un facteur dont la Cour devrait tenir compte pour statuer sur les déductions qu’elle a demandées aux termes du paragraphe 16(1). Selon l’appelante, ce qui importe, c’est que la déduction demandée constitue sur le plan financier, en substance, des intérêts. Elle a soutenu, entre autres, que la situation s’apparentait à une transaction d’anéantissement.

[28]  Plus précisément, l’appelante affirme que l’écart de 207,5 millions de dollars représente la valeur temporelle des fonds et que le paragraphe 16(1) de la Loi lui permet de requalifier les transactions principales d’une manière qui tient compte de leur substance financière.

[29]  J’en viens à la décision de la CCI.

III.  La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[30]  Après avoir exposé les faits pertinents, le contexte, les thèses des parties et ses principales conclusions factuelles, le juge a formulé les principales questions dont il était saisi de la manière suivante (aux paragraphes 47 et 48 de ses motifs) :

[47] Le montant réclamé par l’appelante relativement aux transactions principales peut-il être assimilé aux intérêts aux termes du paragraphe 16(1) de la LIR? Dans l’affirmative, ce montant est-il alors déductible aux termes de l’alinéa 20(1)c) de la LIR?

[48] La question est de savoir s’il est possible que l’alinéa 16(1)a) de la LIR joue de manière asymétrique et permette au montant d’être qualifié comme des intérêts pour le débiteur et comme du capital pour le créancier.

[31]  Afin de comprendre le raisonnement du juge ayant étayé sa conclusion à cet égard, il importe d’exposer ses constatations concernant l’argument de l’appelante selon lequel l’écart de 207,5 millions de dollars constitue un intérêt aux termes de l’alinéa 16(1)a) parce qu’il représente la valeur temporelle de l’argent et que l’alinéa 16(1)a) permet de qualifier les transactions principales en fonction de leur substance sur le plan financier.

[32]  Premièrement, le juge a conclu que l’entente de règlement, l’entente de subrogation et d’exonération d’Encor et l’entente de libération étaient inscrites au poste capital. Le juge a ainsi précisé que les parties, suivant leur exposé conjoint des faits, étaient d’accord pour dire qu’en concluant les ententes, Amoco avait pour objet de réaliser l’arrangement.

[33]  Ainsi, de l’avis du juge, il ne faisait aucun doute qu’en acquérant toutes les actions émises et en circulation de Dome Petroleum, Amoco acquérait des immobilisations. Par conséquent, les dépenses engagées par Amoco relativement aux ententes ne constituaient pas des dépenses courantes et « [c]’est particulièrement vrai de l’engagement de l’appelante envers Encor quant au remboursement de la part de 225 millions de dollars du prêt accordé par APCJ. » (motifs, paragraphe 31).

[34]  Deuxièmement, le juge a déclaré que l’appelante n’avait pas été entièrement franche en réponse aux questions préalables sur le traitement des transactions principales dans ses dossiers financiers. Il a ensuite abordé les arguments de l’appelante selon lesquels l’incidence financière des transactions principales était semblable à celle d’une transaction d’anéantissement.

[35]  Par conséquent, le juge a revu brièvement les concepts d’anéantissement juridique et d’anéantissement « pour la forme ». Il a ensuite opiné en ces termes « [...] la conséquence, l’incidence ou la substance économique des transactions étaient bien différentes de celles d’un anéantissement juridique ou ‘pour la forme’ » (motifs, paragraphe 36).

[36]  Le juge a conclu que l’appelante n’avait pas démontré la manière dont les transactions principales avaient été inscrites à ses états financiers ou que le traitement comptable des transactions principales était conforme aux principes comptables généralement reconnus (PCGR). Le juge a également souligné qu’aucune preuve d’expert n’avait été présentée par l’appelante pour établir qu’elle avait effectivement traité, dans ses comptes, les transactions principales de la manière dont elle prétendait les avoir traitées.

[37]  Par conséquent, le juge a tiré une conclusion défavorable à l’appelante concernant son traitement comptable de « [...] sa prise en charge des responsabilités et des obligations d’Encor en vertu du contrat officiel » (motifs, paragraphe 37).

[38]  Troisièmement, tout en reconnaissant que les 17,5 millions de dollars reçus d’Encor avaient sans aucun doute joué dans la conclusion de l’entente de subrogation et d’exonération, le juge a conclu qu’Encor avait fourni une contrepartie supplémentaire à Amoco : Encor avait donné son consentement à l’arrangement et accepté de collaborer aux négociations avec APCJ qui ont abouti à une entente d’accommodement acceptable (motifs, paragraphe 38).

[39]  En tirant cette conclusion, le juge a fait remarquer que l’appelante n’avait « présenté aucune explication quant à l’incidence de cette approbation sur le traitement comptable présumé des transactions principales » (motifs, paragraphe 38).

[40]  Le juge a ensuite conclu que l’appelante avait reçu, indirectement, une contrepartie supplémentaire de la part d’Encor. Étant donné que les acheteurs éventuels des actions d’Encor étaient, selon toute vraisemblance, conscients de l’incidence positive de l’entente de règlement et de l’entente de subrogation et d’exonération, Amoco a obtenu un meilleur prix pour les actions d’Encor et devait donc prendre en charge moins de dettes pour financer son acquisition de Dome Petroleum. Ainsi, le juge a ainsi conclu au paragraphe 41 de ses motifs :

[41] [...] L’appelante assimile la substance économique des transactions principales à une transaction d’anéantissement, mais cela ne répond pas à tous les éléments mentionnés plus haut. L’incidence, les répercussions et la substance économiques des transactions principales ne ressemblent en rien aux caractéristiques, aux répercussions et aux conséquences d’une transaction d’anéantissement.

[41]  Enfin, le juge a noté que l’entente de règlement et l’entente de subrogation et d’exonération d’Encor avaient mené à l’entente d’accommodement avec APCJ qui libérait Encor et Dome Petroleum de tous les manquements antérieurs aux termes du contrat officiel et à l’adoption de modalités plus favorables, lesquelles, en fin de compte, « ont protégé la valeur de l’investissement d’Amoco dans Dome Petroleum et ont pavé la voie à l’exécution de l’entente de [libération], qui éliminait tous les risques de défaut croisé » (motifs, paragraphe 42). Au paragraphe 43 de ses motifs, le juge écrit :

[43] Je comprends des preuves que l’élimination du risque de défaut croisé était de la plus haute importance, car elle permettait de financer les activités de l’appelante et de Dome Petroleum à moindre coût. Nul doute que cela constituait la valeur ou la contrepartie réelle pour l’appelante.

[42]  Enfin, le juge a conclu que le remboursement de la part d’Encor des 400 millions de dollars à APCJ n’était pas la seule obligation qu’Amoco a accepté d’assumer lorsqu’elle a conclu l’entente de règlement et l’entente de subrogation et d’exonération avec Encor. Selon lui, Amoco avait accepté de s’acquitter de toutes les responsabilités et obligations d’Encor prévues au contrat officiel. De plus, Amoco avait « reçu d’Encor beaucoup plus d’avantages que le seul montant de 17,5 millions de dollars en échange de sa prise en charge de toutes les responsabilités et les obligations d’Encor stipulées par le contrat officiel » (motifs, paragraphe 45). Le juge a tiré les conclusions suivantes au paragraphe 46 de ses motifs :

[46] Il ressort clairement des preuves qu’APCJ avait avancé la somme de 400 millions de dollars et que ses débiteurs solidaires devaient rembourser cette somme en 2030. Le montant total de 400 millions de dollars relève du capital, ou du principal, dû à APCJ, conformément à la définition du principal de l’action aux termes de la LIR. L’appelante ne conteste pas cette conclusion de fait. Comme indiqué précédemment, l’appelante soutient que le paragraphe 16(1) de la LIR permet qu’un montant soit assimilé à des intérêts pour le débiteur et au capital pour le créancier.

[43]  Passons à l’interprétation que fait le juge du paragraphe 16(1) de la Loi. Premièrement, il a renvoyé à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Trustco Canada] pour savoir comment interpréter cet article. Dans l’arrêt Trustco Canada, aux paragraphes 10 à 13, la Cour suprême a clairement indiqué que, même si la Loi, comme toutes les autres lois, devait être interprétée d’une manière textuelle, contextuelle et téléologique, il faut souvent accorder plus d’importance au texte de la Loi en raison de la particularité de ses nombreuses dispositions et du besoin de cohérence, de prévisibilité et d’équité pour les contribuables.

[44]  En gardant ces principes à l’esprit, le juge s’est penché sur le texte du paragraphe 16(1) et a conclu qu’il mettait en lumière « [...] l’intention du législateur selon laquelle les deux parties [à un contrat ou à tout autre arrangement] font l’objet d’un traitement symétrique. En d’autres termes, les intérêts doivent être considérés comme tels par les deux parties » (motifs, paragraphe 58). Le juge a également estimé que les mots « raisonnable de considérer » qui figurent au paragraphe 16(1) signifiaient simplement que l’assimilation de fonds à des intérêts doit être raisonnable eu égard à toutes les circonstances pertinentes qui entourent la transaction en cause.

[45]  Le juge s’est ensuite penché sur l’analyse contextuelle de la disposition. À son avis, qu’il devait examiner l’historique et l’objet de la disposition et son interaction avec les autres dispositions de la Loi. Premièrement, il a examiné le contexte du paragraphe 16(1). Il a fait remarquer que lorsqu’une somme donnée était considérée comme un intérêt aux termes de l’alinéa 16(1)a), elle était imposable pour le créancier aux termes de l’alinéa 12(1)c) et déductible pour le débiteur aux termes de l’alinéa 20(1)c). À son avis, cet état de fait appuyait son point de vue selon lequel l’intention du législateur quant au traitement symétrique d’une somme donnée en tant qu’intérêt. Pour étayer ce point de vue, le juge s’est référé à d’autres dispositions de la Loi, notamment le paragraphe 214(2) et le paragraphe 12(9), qui soulignent également l’intention du législateur quant au traitement symétrique. Ces observations l’ont amené à conclure ainsi au paragraphe 68 :

[68] Finalement, tel que noté précédemment, il est impensable que le législateur ait eu l’intention de suivre le traitement asymétrique avancé par l’appelante, car cela ouvrirait la porte à des transactions où l’une des parties reçoit un avantage fiscal et l’autre reçoit un paiement non imposable, résultant en une dépense fiscale unilatérale. On se serait attendu à un texte explicite en ce sens, comme c’est le cas du paragraphe 12(9) et de l’article 16.1 de la LIR.

[46]  Le juge s’est ensuite penché sur le contexte historique du paragraphe 16(1). À son avis, le contexte historique appuyait pleinement le principe du traitement symétrique. Je reproduis ci‑dessous le paragraphe 83 de ses motifs :

[83] Il semble illogique considérant la nature symétrique inhérente aux intérêts et l’objet visé de la disposition de soutenir que le paragraphe 16(1) permettra la reconnaissance des intérêts par une partie, mais pas par l’autre. En l’absence d’indications explicites du législateur quant à son intention de traiter les intérêts de façon symétrique, l’interprétation du paragraphe 16(1) avancée par l’appelante est contraire à l’observation du juge Rothstein : « il faut privilégier une interprétation qui favorise la symétrie et l’équité assurée par un régime d’imposition harmonieux à une interprétation qui ne prône aucune de ces valeurs ». Vu l’examen de l’historique plus haut du paragraphe 16(1) et de l’alinéa 20(1)k), il ne semble y avoir aucune indication que le législateur y voyait une déviation du principe de symétrie, comme le soutient l’appelante.

[47]  Le juge s’est ensuite penché sur l’objet du paragraphe 16(1) et a conclu que ce paragraphe constituait une disposition anti-évitement dont l’objet était de saisir les intérêts dans les situations où une transaction ne qualifiait ni ne désignait une somme donnée à titre d’intérêt à payer par une personne à une autre, mais où cette somme donnée pouvait être considérée comme telle, vu l’ensemble des circonstances.

[48]  Le juge s’est ensuite penché sur la jurisprudence qui lui a été soumise par les parties. Plus précisément, il a examiné attentivement les décisions de la CCI et de la Cour dans les affaires Lehigh Cement Limited c. La Reine, 2009 CCI 237, inf. par 2010 CAF 124, [2011] 4 R.C.F. 66 [Lehigh Cement]. À son avis, l’appelante ne comprenait pas bien la décision Lehigh Cement. En d’autres termes, Lehigh Cement n’appuyait pas l’argument de l’appelante selon lequel elle avait droit à une déduction en application du paragraphe 16(1) de la Loi. Le juge a conclu cette partie de ses motifs en disant qu’il avait examiné les autres affaires qui lui avaient été soumises par les parties et que ces affaires n’étaient pas pertinentes.

[49]  Enfin, le juge s’est penché sur les arguments de l’appelante selon lesquels l’incidence ou les conséquences des transactions principales étaient semblables à celles d’une transaction d’anéantissement. Au paragraphe 100 de ses motifs, le juge expose sa compréhension de la thèse de l’appelante :

[100] Tel que noté précédemment, l’appelante soutient que l’impact ou les conséquences, pour elle, sont semblables à [celles] d’une transaction dite d’anéantissement. En résumé, elle aurait reçu 17,5 millions de dollars en contrepartie du remboursement en 2030 d’un montant beaucoup plus élevé. La différence entre les deux montants constitue la valeur temporelle de l’argent relativement à l’utilisation par l’appelante du montant de 17,5 millions de dollars reçu d’Encor. Je ne puis retenir l’interprétation de l’appelante quant à l’incidence ou aux conséquences économiques des transactions principales. Il ressort des faits en l’espèce que l’incidence, l’impact et la substance économiques des transactions principales ne ressemblent en rien aux caractéristiques, à l’impact et aux conséquences d’une transaction d’anéantissement.

[50]  Par conséquent, le juge n’a pas ajouté foi à l’argument de l’appelante selon lequel les conséquences et la substance financières des transactions principales ne pouvaient être assimilées aux caractéristiques et aux conséquences d’une transaction d’anéantissement. Pour étayer cette conclusion, le juge a examiné les transactions principales, le contrat officiel et l’arrangement et a conclu qu’aucune partie des 400 millions de dollars payables en 2030 à APCJ ne pouvait être assimilée « à une contrepartie pour l’utilisation de l’argent » (motifs, paragraphe 105), ajoutant que les 400 millions constituaient le remboursement du capital à APCJ.

[51]  Le juge a ajouté, au paragraphe 106, que, suivant sa conception des transactions principales, l’appelante avait reçu d’Encor « bien plus que 17,5 millions de dollars [...] et s’est engagée à beaucoup plus qu’au seul remboursement de 225 millions de dollars en 2030 ».

[52]  Au paragraphe 107, le juge expose sa compréhension de l’argument de l’appelante concernant la transaction d’anéantissement :

[107] En résumé, la démarche de l’appelante consiste à accorder une importance démesurée à son interprétation de la substance économique présumée de l’entente de règlement. L’interprétation large de la portée du paragraphe 16(1) de la LIR avancée par l’appelante ne correspond pas à l’interprétation textuelle et contextuelle et [à] l’objet visé par celui-ci.

[53]  Le juge conclut ses motifs en faisant remarquer que la preuve comptable produite au procès par l’appelante était « insuffisante et peu fiable » (paragraphe 108) :

[108] En conclusion, je remarque que l’appelante défend une position qui semble correspondre à la manière dont elle soutient que les transactions principales doivent être qualifiées aux termes des principes comptables généralement reconnus. Comme noté précédemment, la preuve comptable produite à l’audience était insuffisante et peu fiable. De toute manière, il est bien reconnu que les objets des PCGR diffèrent de l’intention du législateur lorsque furent promulguées les dispositions de la LIR. Les principes comptables sont conçus pour que les entreprises déclarent leurs revenus de manière cohérente et fiable afin que les investisseurs puissent prendre des décisions bien informées lorsqu’ils choisissent d’effectuer des placements dans des sociétés d’un même secteur économique. Par contre, la LIR comprend un ensemble de règles qui sert à définir les modalités de répartition du fardeau fiscal entre les contribuables. Ces règles changent continuellement afin qu’il soit tenu compte, entre autres, des points de vue de l’heure du législateur quant aux concepts d’équité[. . .] et de progressivité et au besoin de stimuler certains secteurs économiques et activités sociales bien vues.

[54]  Par conséquent, le juge a rejeté avec dépens l’appel à l’égard des nouvelles cotisations établies par le ministre.

IV.  Analyse

A.  La norme de contrôle et les questions dont nous sommes saisis

[55]  Je commence, comme il se doit, par quelques mots sur la norme de contrôle applicable aux questions dont nous sommes saisis.

[56]  Il est acquis en matière jurisprudentielle que les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte et les questions de fait, à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Quant aux questions mixtes de fait et de droit, elles sont également assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante à moins de l’existence d’une question de droit isolable, auquel cas, la norme de la décision correcte s’applique à la question de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8, 10 et 37) [Housen].

[57]  Il n’y a pas de désaccord entre les parties sur le fait que les normes établies dans l’arrêt Housen s’appliquent à la présente instance. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la norme à appliquer à chaque question.

[58]  Selon l’appelante, toutes les questions dont nous sommes saisis dans le cadre du présent appel sont des questions de droit susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. À son avis, puisque l’appel repose entièrement sur l’interprétation erronée du paragraphe 16(1) par le juge, la norme de l’erreur manifeste et dominante ne s’applique pas.

·  L’intimée adopte un point de vue différent sur la question. Elle soutient que l’interprétation du paragraphe 16(1), et plus particulièrement des mots « raisonnable de considérer », exige un examen objectif des faits et circonstances pertinents. Ainsi, selon l’intimée, le juge était tenu d’examiner les transactions principales afin de déterminer si l’écart de 207,5 millions de dollars était une somme qu’il était « raisonnable de considérer comme des intérêts » et donc « considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable [...] ». Par conséquent, l’intimée soutient que l’évaluation par le juge des transactions principales et ses conclusions à cet égard doivent être examinées en fonction de la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[59]  Selon l’intimée, l’appelante méconnaît l’interprétation par le juge du paragraphe 16(1). Au paragraphe 29 de son mémoire des faits et du droit, l’appelante reprend la conclusion du juge en ces termes : [traduction] « même s’il est raisonnable de considérer qu’un contribuable a fait un paiement qui constitue en partie des intérêts et en partie du capital, le paragraphe 16(1) ne peut s’appliquer que s’il est également raisonnable de considérer que le paiement est en partie des intérêts et en partie du capital entre les mains du bénéficiaire ». De l’avis de l’intimée, le juge n’a pas tiré pareille conclusion. Il a plutôt conclu qu’il n’était pas raisonnable de considérer une somme donnée comme des intérêts à moins qu’elle n’en soit pour les deux parties à une transaction. En d’autres termes, il ne s’agit d’intérêts au titre du paragraphe 16(1) que s’ils en sont pour Amoco d’une part et pour APCJ ou Encor d’autre part.

[60]  Je suis d’accord avec l’intimée. Bien que, selon l’appelante, son appel ne soulève que des questions de droit, en réalité il soulève à la fois des questions de droit et des questions mixtes de fait et de droit. Il ne fait aucun doute que l’interprétation du paragraphe 16(1) est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Or, la question de savoir si les 207,5 millions de dollars représentent ou non des intérêts est, au mieux pour l’appelante, une question mixte de fait et de droit qui exige une bonne compréhension de la disposition, une compréhension juridique des intérêts et l’application de ces notions aux faits pertinents. Autrement dit, pour déterminer si les 207,5 millions de dollars constituent des intérêts au titre du paragraphe 16(1), il faut procéder à une analyse des transactions principales et de la preuve dans son ensemble. En l’absence d’une telle analyse, il n’est pas possible de statuer sur le paragraphe 16(1).

[61]  Pour compléter ma réflexion sur ce qui précède, j’aimerais me reporter à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23 [Ledcor]. Au paragraphe 21, cette cour répète le principe qu’elle a énoncé dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 [Sattva], selon lequel l’interprétation des contrats soulève des questions mixtes de fait et de droit. Dans l’arrêt Sattva, elle statue que les principes de l’interprétation contractuelle doivent être appliqués « aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel » (Sattva, paragraphe 50).

[62]  Ainsi, à mon avis, la question dont nous sommes saisis en l’espèce est de savoir si le juge a conclu à tort qu’aucune partie de l’écart de 207,5 millions de dollars ne pouvait être considérée comme des intérêts aux termes du paragraphe 16(1). Cette question soulève à la fois des questions de droit et des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, nous devons d’abord déterminer, selon la norme de la décision correcte, si le juge a bien interprété le paragraphe 16(1) et, ensuite, si, à la lumière de la norme de l’erreur manifeste et dominante, son application de la disposition aux faits pertinents justifie une intervention de notre part.

B.  Les motifs d’appel

[63]  Avant d’exposer les raisons pour lesquelles je conclus que l’appelante ne peut obtenir gain de cause en appel, je précise les motifs qu’elle soulève à l’encontre de la décision du juge.

[64]  L’appelante affirme que le juge a opté pour le mauvais critère aux fins de l’application du paragraphe 16(1). Elle soutient qu’en raison du paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, les mots « un contrat ou un autre arrangement » qui figurent au paragraphe 16(1), doivent être interprétés, dans les circonstances de l’espèce, comme étant des « contrats ou d’autres arrangements ».

[65]  Ainsi, de l’avis de l’appelante, les ententes principales constituent de tels « contrats ou autres arrangements » et, en application de ces arrangements, Amoco a reçu 17,5 millions de dollars d’Encor en 1988 et était tenue de rembourser 225 millions de dollars à APCJ en 2030.

[66]  Ensuite, quant au libellé « il est raisonnable de considérer un montant en partie comme des intérêts », l’appelante affirme que, dès lors qu’une somme donnée est considérée comme des intérêts, l’alinéa 16(1)a) s’applique. L’appelante soutient également que, peu importe le moment où les contrats ont été conclus et quels que soient leur forme ou leurs effets juridiques, la somme en question est réputée être « des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable [...] ». L’appelante conclut que [traduction] « [l]e paragraphe 16(1) impose des conséquences fiscales fondées sur la substance financière ou commerciale d’une dette, lorsque la somme en question ne constitue pas des intérêts selon la définition juridique traditionnelle de ce terme » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, paragraphe 45).

[67]  Ainsi, selon l’appelante, les 17,5 millions de dollars qu’Amoco a reçus d’Encor constituent du capital, et l’écart de 207,5 millions de dollars, des intérêts. Selon l’explication de l’appelante, il en est ainsi parce que [traduction] « Amoco a pris en charge une dette non productive d’intérêts se composant d’une somme en capital de 225 millions de dollars et n’a reçu que 17,5 millions de dollars en échange. La différence correspond à la valeur temporelle de l’argent et l’avantage qu’Amoco a tiré de l’utilisation de 17,5 millions de dollars pendant 42 ans » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, paragraphe 53).

[68]  Par souci d’exhaustivité, je reproduis également les paragraphes 54 et 55 du mémoire des faits et du droit de l’appelante qui sont ainsi rédigés :

[traduction]

54. Plus précisément, selon les calculs, Amoco avait besoin de 17,5 millions de dollars pour rembourser la dette d’Encor. Autrement dit, 17,5 millions de dollars investis en 1988 avec un taux de rendement stable (en l’espèce 5,964 %) auraient donné 225 millions de dollars en 2030.

55. Si Amoco avait reçu 17,5 millions de dollars d’Encor en 1988 et avait promis de verser 225 millions de dollars à Encor en 2030 pour qu’Encor puisse rembourser APCJ, l’écart de 207,5 millions de dollars constituerait évidemment des intérêts pour Amoco (aux termes du paragraphe 16(1) ou selon des principes généraux).

[69]  L’appelante soutient que le fait qu’Amoco ait accepté de verser les 225 millions de dollars à APCJ, et non à Encor, n’a aucune incidence sur sa [traduction] « situation financière ». De son point de vue, il ne fait aucun doute qu’en concluant leurs ententes, Amoco et Encor ont tenu compte de la valeur temporelle des 17,5 millions de dollars. Ainsi, l’appelante affirme qu’il est tout à fait raisonnable de conclure que les 207,5 millions de dollars représentent des intérêts du point de vue d’Amoco.

[70]  Le raisonnement ci-dessus amène l’appelante à soutenir que le juge a fait fi des circonstances mentionnées lorsqu’il a tranché la question aux termes du paragraphe 16(1), ajoutant que le juge a conclu à tort que les 207,5 millions de dollars ne pouvaient être considérés comme des intérêts pour Amoco que s’ils pouvaient également être considérés comme des intérêts payables à APCJ et/ou à Encor. En d’autres termes, l’appelante affirme que le juge a exigé la symétrie lorsque celle-ci n’était pas requise aux fins de l’application de la disposition, ajoutant que la décision du juge n’était pas fondée. L’appelante fait plutôt valoir une jurisprudence claire voulant que la dette fiscale d’un contribuable ne dépende pas de la dette fiscale d’un autre contribuable, à moins que l’on puisse trouver une règle précise à cet effet. Au soutien de son argument, l’appelante renvoie à des décisions où ce principe a été confirmé, notamment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312 [Antosko], au paragraphe 41, et par notre Cour dans RCI Environnement Inc. c. Canada, 2008 CAF 419, [2008] A.C.F. no 1762 [RCI], où le juge Noël (maintenant juge en chef) dit au paragraphe 51 de ses motifs :

[51] Selon moi, l’opinion exprimée par le juge de la CCI est convaincante. Au-delà du libellé législatif, qui est clair et limpide quant au point précis qui nous occupe, aucune logique ne peut justifier que le traitement fiscal d’un contribuable soit déterminé en fonction des circonstances relatives à un autre contribuable. À mon sens, la question est suffisamment claire pour nous permettre de dire que l’opinion majoritaire exprimée par notre Cour dans l’affaire Goodwin Johnson, supra, selon laquelle la qualité du montant doit être analysée en fonction du payeur, ne fait plus jurisprudence (voir Miller v. Canada (A.G.), 2002 FCA 370, aux paras. 8 à 10).

[71]  Mettant en contraste les circonstances de cette affaire avec celles de l’espèce – où l’importance de la substance et de l’incidence financières des transactions principales est invoquée à l’appui de la prétention selon laquelle les 207,5 millions de dollars constituent des intérêts aux termes du paragraphe 16(1), l’appelante affirme que l’approche fondée sur la symétrie qu’a adoptée le juge ne pourrait être correcte que si les contrats ou arrangements en question étaient limités à deux parties. Dans un tel cas, les droits et obligations découlant des contrats ou arrangements conclus entre elles seraient [traduction« le miroir les uns des autres » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, paragraphe 63), ce qui n’est manifestement pas le cas dans le présent appel.

[72]  Ainsi, l’appelante affirme que, dans les circonstances asymétriques de la présente affaire, la symétrie n’est pas nécessaire à l’application du paragraphe 16(1), ajoutant ceci : [traduction] « [...] conformément aux arrêts RCI et Antosko, le paragraphe 16(1) s’applique à chaque partie en fonction de l’effet financier pour elle des modalités des ententes juridiques auxquelles elle est partie, et non en fonction des circonstances d’une autre partie à l’arrangement » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, paragraphe 67).

[73]  L’appelante poursuit en présentant la jurisprudence qui, selon elle, appuie sa position selon laquelle la symétrie n’est pas une exigence du paragraphe 16(1) : Lehigh Cement, Rodmon Construction Inc. c. R., 75 DTC 5038 (CFPI), par. 9; Gestion Guy Ménard Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), [1993] A.C.I. no 425 (CCI), par. 24, et Edward J. O’Neil v. The Minister of National Revenue, 91 DTC 692 (CCI), par. 25. Plus loin, l’appelante soutient que le juge a mal interprété la disposition déterminative du paragraphe 16(1). Elle affirme que le juge a tiré des hypothèses erronées en concluant qu’il ne pouvait y avoir de déduction d’intérêts aux termes du paragraphe 16(1) à moins qu’il y ait inclusion d’intérêts équivalents.

[74]  Plus précisément, l’appelante conteste trois propositions faites par le juge qui se trouvent aux paragraphes 58, 65 et 82 de ses motifs :

[58] Plus important encore, pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les points de vue du créancier et du débiteur doivent être examinés, contrairement à la position soutenue par l’appelante. Le paragraphe 16(1) de la LIR dispose que la somme « est considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable »; cette formule met en lumière l’intention du législateur selon laquelle les deux parties font l’objet d’un traitement symétrique. En d’autres termes, les intérêts doivent être considérés comme tels par les deux parties.

[...]

[65] Cette disposition porte sur les titres de créances émis à prix réduit et les coupons d’intérêts et les titres de créance achetés à prix réduit. Par exemple, cela peut se produire lorsque les bons d’intérêts sont retirés et vendus séparément du titre par un intermédiaire financier. Si, tel que le soutient l’appelante, le paragraphe 16(1) de la LIR était censé être appliqué différemment selon si l’on se situe du côté du créancier ou du débiteur, le paragraphe 12(9) de la LIR aurait été, en grande partie, inutile. Je remarque également que les issues ne sont peut-être pas les mêmes à l’application des deux dispositions. Selon le paragraphe 16(1) de la LIR un montant raisonnable est assimilé à des intérêts. Le paragraphe 12(9) de la LIR impose l’inclusion des intérêts déterminés par un règlement.

[...]

[82] L’alinéa 20(1)k) fut abrogé car la symétrie dans la qualification du paiement eu égard aux deux parties a été préservée par la nouvelle règle. Si le paiement est effectué dans les cas prévus par l’alinéa 20(1)c), le débiteur peut le déduire de son revenu. Le créancier doit, sauf exonération fiscale, inclure les intérêts réputés dans ses revenus.

[Souligné dans l’original.]

[75]  L’appelante soutient que ces propositions du juge sont inexactes et que son point de vue à elle est étayé par l’historique législatif des dispositions. Plus précisément, l’appelante affirme, entre autres, que les Notes explicatives de l’avant-projet de législation et de règlement concernant la réforme fiscale (avril 1988) du ministère des Finances et un document de Jacques Sasseville intitulé « Implementation of the General Anti-Avoidance Rule » dans Income Tax Enforcement, Compliance and Administration, 1988 Corporate Management Tax Conference (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1988, 4:1-16), font la lumière sur l’objet véritable des mots « considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable ».

[76]  Une analyse technique de la disposition en cause et de l’ancien alinéa 20(1)k) abrogé en 1988 amène l’appelante à dire qu’avant les modifications de 1988, l’alinéa 20(1)k) subordonnait à l’inclusion d’un revenu une déduction au titre du paragraphe 16(1), mais que l’abrogation de cette disposition et une révision du paragraphe 16(1) ont écarté cette exigence.

[77]  Ainsi, l’appelante affirme, en se fondant sur les règles d’interprétation législative selon lesquelles lorsqu’un libellé clair est remplacé par un libellé qui ne dicte pas aussi manifestement le même résultat, que [traduction] « le nouveau libellé constitue un changement » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, paragraphe 101, à la lumière, entre autres, de l’ouvrage de Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e édition, p. 664 à 666, et des arrêts de la Cour suprême R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525, au paragraphe 23, et Marche c. Cie d’Assurance Halifax, 2005 CSC 6, [2005] 1 R.C.S. 47, aux paragraphes 23 à 26). L’appelante affirme que c’est clairement une erreur d’interpréter le paragraphe 16(1), dans sa version actuelle, comme s’il prévoit une exigence semblable aux dispositions abrogées et modifiées.

[78]  L’appelante conclut son argumentation au fond par des propositions qui, à son avis, démontrent clairement qu’elle a droit aux déductions demandées en application du paragraphe 16(1) : elle a utilisé les 17,5 millions de dollars comme fonds d’administration (c’est-à-dire pour gagner un revenu); les 17,5 millions de dollars ont été reçus en contrepartie de la prise en charge d’un titre de créance commercial; une somme donnée, soit 17,5 millions de dollars, a été choisie pour permettre à Amoco d’« anéantir » l’obligation de rembourser 225 millions de dollars à APCJ; enfin, il y a lieu d’accepter, sauf preuve contraire, qu’Amoco a acquis les 17,5 millions de dollars en vue de produire un revenu pour ses activités.

[79]  Les arguments de l’appelante ne me convainquent pas. À mon humble avis, ils vont à l’encontre de la réalité commerciale et juridique. Plus précisément, je suis d’avis que le juge n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que l’écart de 207,5 millions de dollars ne constitue pas des intérêts et ne saurait donc être déduit en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi.

[80]  Dans l’arrêt Trustco Canada, la Cour suprême statue, au paragraphe 10, que, lorsque les termes d’une loi sont précis et sans équivoque, les tribunaux doivent accorder au sens ordinaire des termes utilisés par le législateur « un rôle primordial dans le processus d’interprétation ». Le paragraphe 10 intégral de l’arrêt Trustco Canada est ainsi rédigé :

[10] Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[81]  Ainsi, lorsque les termes d’une loi sont clairs et sans équivoque, comme c’est le cas ici, nous devons accorder au sens ordinaire des termes utilisés par le législateur un rôle primordial dans l’interprétation de la disposition en cause. Par souci de commodité, je reprends le paragraphe 16(1) :

16. (1) Les règles suivantes s’appliquent dans le cas où, selon un contrat ou un autre arrangement, il est raisonnable de considérer un montant en partie comme des intérêts ou comme un autre montant ayant un caractère de revenu et en partie comme un montant ayant un caractère de capital :

16. (1) Where, under a contract or other arrangement, an amount can reasonably be regarded as being in part interest or other amount of an income nature and in part an amount of a capital nature, the following rules apply:

a) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme des intérêts est, quels que soient la date, la forme ou les effets juridiques du contrat ou de l’arrangement, considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable;

a) the part of the amount that can reasonably be regarded as interest shall, irrespective of when the contract or arrangement was made or the form or legal effect thereof, be deemed to be interest on a debt obligation held by the person to whom the amount is paid or payable; and

[82]  Par conséquent, je commence par une interprétation textuelle de la disposition. Une telle interprétation m’amène à conclure que le juge n’a pas commis d’erreur en déterminant que la symétrie était une exigence du paragraphe 16(1). À mon avis, le libellé de la disposition ne peut être interprété autrement.

[83]  Le paragraphe 16(1) prévoit que lorsqu’aux termes d’un contrat ou d’un autre arrangement, une somme donnée peut raisonnablement être considérée en partie comme des intérêts et en partie comme du capital, la partie qu’il est raisonnable de considérer comme des intérêts est « considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable ». N’en déplaise aux tenants de l’opinion contraire, la disposition ne peut que signifier que les fonds qui peuvent raisonnablement être considérés comme des intérêts doivent nécessairement être considérés comme tels par le bénéficiaire, c’est-à-dire la personne « à qui le montant est payé ou payable ». Il est implicite, sinon exprès, dans les termes de la disposition, que les fonds qu’il est raisonnable de considérer comme des intérêts correspondent à une somme qui est payée ou payable à une personne. Autrement dit, en l’espèce, l’écart de 207,5 millions de dollars doit, du point de vue d’APCJ ou d’Encor, être considéré comme des intérêts. En l’absence d’une telle conclusion, les 207,5 millions de dollars ne peuvent constituer des intérêts en application du paragraphe 16(1).

[84]  En d’autres termes, l’alinéa 16(1)a) vise les situations où il n’existe aucune disposition explicite concernant les intérêts dans un contrat ou un autre arrangement, mais où, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, une somme payée ou payable à une personne « peut raisonnablement être considéré[e] comme des intérêts ». Dans un tel cas, la somme donnée est « considérée comme des intérêts sur un titre de créance détenu par la personne à qui le montant est payé ou payable ». Par conséquent, la somme considérée comme des intérêts sur le titre de créance sera considérée comme telle tant pour le payeur que pour le bénéficiaire et sera assujettie aux conséquences fiscales qui découlent de la Loi. Par conséquent, le paragraphe 16(1) ne peut s’appliquer que s’il est raisonnable de considérer la somme en cause comme des intérêts pour le bénéficiaire.

[85]  Toute autre conclusion de notre part nous obligerait à écarter les derniers mots du paragraphe 16(1) au lieu de le lire tel qu’il est actuellement rédigé. Accepter l’argument de l’appelante nous obligerait à faire fi du texte clair de la disposition. Je le répète, l’appelante ne prétend pas qu’Amoco avait l’obligation de payer des intérêts à quiconque, que ce soit à APCJ ou à Encor. Elle affirme simplement que les 207,5 millions de dollars constituent des intérêts sur le plan financier.

[86]  Les mots clés du paragraphe 16(1) sont les suivants « il est raisonnable de considérer un montant en partie comme des intérêts [...] ». L’expression « il est raisonnable de considérer » signifie simplement que le juge devait déterminer l’existence d’intérêts en examinant attentivement les circonstances pertinentes et, plus précisément, les transactions principales. Il n’est pas contesté que le juge a procédé à cette analyse.

[87]  Le mot « intérêts », qui figure dans la disposition, n’est pas défini par la Loi. Toutefois, dans le renvoi Reference as to the Validity of Section 6 of the Farm Security Act, 1944 of Saskatchewan, [1947] R.C.S. 394 [Saskatchewan], la Cour suprême le définit, au paragraphe 47, en ces termes :

[traduction]

[47] [...] la contrepartie ou le dédommagement de l’utilisation ou de la détention par une personne d’une certaine somme d’argent qui appartient, au sens courant de ce mot, à une autre ou qui lui est due.

[88]  Cette définition a été reprise plus récemment par la Cour suprême dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 [Shell], au paragraphe 30. Il est également intéressant de noter que le Petit Robert définit l’intérêt ainsi : « Somme qui rémunère un créancier pour l’usage de son argent par un débiteur pendant une période déterminée. » (Le Petit Robert, 2018, sous la direction d’Alain Rey et de Josette Rey Debove, éd. Le Robert, p. 1354).

[89]  Ainsi, l’intérêt est une somme payée par une personne à une autre comme coût de l’utilisation de l’argent de cette autre personne. La symétrie constitue donc l’essence même de l’intérêt et il ne peut y avoir d’intérêt si aucune somme n’est payée ou payable par une personne à une autre. C’est donc parce que l’intérêt est, de par sa nature, symétrique que le juge a eu raison d’interpréter le paragraphe 16(1) comme il l’a fait. En d’autres termes, une somme donnée n’est pas un intérêt si elle n’a pas les attributs d’un intérêt à la fois pour le bénéficiaire et pour le payeur. C’est une voie à double sens. Comment pourrait-il en être autrement?

[90]  J’en conclus donc qu’on ne peut sérieusement soutenir, à la lumière d’une interprétation textuelle, que le juge a commis une erreur en interprétant le paragraphe 16(1). Tant par écrit que verbalement, l’appelante a laissé entendre que, pour l’application du paragraphe 16(1), il ne fallait pas concevoir l’intérêt dans son sens habituel. Je ne peux accepter cette prétention, car elle n’est pas étayée par le libellé du paragraphe 16(1). Au contraire, les termes de la disposition m’amènent à conclure, comme le juge l’a fait, que l’intérêt doit être compris dans son sens habituel, tel qu’il est défini dans Le Petit Robert et expliqué par la Cour suprême dans les arrêts Saskatchewan et Shell.

[91]  Même si une interprétation textuelle ne mène qu’à une seule conclusion possible, la Cour suprême dans l’arrêt Trustco Canada affirme que nous devrions néanmoins tenir compte à la fois du contexte et de l’objet de la disposition. Cet exercice est nécessaire en raison de ce que mon collègue le juge Stratas dit au paragraphe 24 de ses motifs dans l’arrêt Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 :

[24] Même si, comme en l’espèce, le libellé de la disposition légale semble précis et non équivoque, nous devons tout de même examiner l’objet et le contexte de la loi : ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 140, par. 48. C’est pour s’assurer qu’on ne se trompe pas dans notre compréhension du sens du texte. Parfois, des mots qui, à première vue, semblent clairs peuvent admettre l’ambiguïté après un examen plus large : Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 141, par. 10; Trustco Canada, précité, par. 47.

[92]  Dans la présente affaire, comme je l’indique plus haut, le juge a examiné de près l’objet et le contexte du paragraphe 16(1) (voir les paragraphes 61 à 84 des motifs du juge) et a conclu que tant le contexte que l’objet permettaient de conclure que la symétrie était une exigence nécessaire de la disposition. Je suis entièrement d’accord avec le juge sur cette partie de son analyse et je la fais mienne.

[93]  Dans sa critique de l’interprétation du paragraphe 16(1) par le juge, l’appelante soutient que le juge a commis une erreur parce qu’il a conclu, en raison de son application de la notion de symétrie à la disposition, qu’un contribuable n’avait droit à une déduction en application de la disposition que si un autre contribuable avait droit à une inclusion de revenu. À mon avis, le juge n’a pas tiré de telle conclusion. Il a plutôt conclu qu’il ne peut y avoir d’intérêt si la somme en cause n’est pas un intérêt pour les deux parties à un contrat ou à un autre arrangement. Les conséquences fiscales d’une telle conclusion, dans un cas donné, ne sont pas pertinentes. La question de savoir si une déduction fiscale accordée à un contribuable entraînera une inclusion fiscale pour un autre contribuable n’est pas ce que le juge avait en tête lorsqu’il a conclu que la symétrie était une exigence aux fins de l’application du paragraphe 16(1).

[94]  Par conséquent, je conclus que le juge n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du paragraphe 16(1). La question est donc de savoir s’il a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la disposition aux circonstances pertinentes afin de déterminer si les 207,5 millions de dollars pouvaient, en totalité ou en partie, être raisonnablement considérés comme des intérêts. À mon avis, le juge n’a pas commis d’erreur.

[95]  Premièrement, d’après sa conception du paragraphe 16(1) et de la signification du mot « intérêt », le juge n’a eu aucune difficulté à conclure que la somme de 207,5 millions de dollars ne pouvait raisonnablement être considérée comme des intérêts pour l’application de la disposition. Autrement dit, comme les 207,5 millions de dollars n’étaient pas, à son avis, des intérêts pour Amoco d’une part et APCJ ou Encor d’autre part, il ne s’agissait pas d’intérêts aux termes du paragraphe 16(1). Suivant mon interprétation du paragraphe 16(1), cette décision est inattaquable.

[96]  Deuxièmement, malgré son interprétation du paragraphe 16(1), le juge a examiné attentivement les transactions principales afin de déterminer si l’écart de 207,5 millions de dollars constituait des intérêts en raison de sa nature ou de ses effets financiers, c’est-à-dire que la somme en question représentait une indemnisation pour l’utilisation de 17,5 millions pendant 43 ans. Le juge a conclu que ce n’était pas le cas. Plus précisément, d’après la preuve dont il disposait, l’incidence, les conséquences et la substance financières des transactions principales ne ressemblaient en rien aux caractéristiques ou aux conséquences d’une transaction d’anéantissement. Il a en outre conclu qu’Amoco avait reçu d’Encor une indemnisation supérieure à 17,5 millions de dollars (motifs, paragraphes 36 à 43).

[97]  Le juge estimait également que la preuve présentée par l’appelante à l’appui de sa thèse n’était pas satisfaisante. Le juge a critiqué la preuve de l’appelante concernant son traitement comptable des 17,5 millions de dollars, soulignant qu’elle n’avait cité aucun témoin, surtout des témoins experts, pour expliquer la façon dont les transactions principales avaient été inscrites à ses états financiers.

[98]  L’intimée affirme que l’appelante n’a pas contesté ces conclusions. Je n’ai pas à trancher cette question, car je suis entièrement convaincu que l’appelante n’a pas démontré qu’en tirant ces conclusions, le juge a commis une erreur manifeste et dominante.

[99]  Avant de conclure, je dois dire qu’à l’instar du juge, je n’ai trouvé pertinente aucune des décisions sur lesquelles l’appelante s’appuie pour étayer sa thèse. Elles se distinguent toutes de la présente instance par leurs faits. De plus, en raison de la conclusion à laquelle je suis arrivé au sujet du paragraphe 16(1), je n’ai pas besoin d’aborder les arguments soulevés par les parties concernant l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Enfin, je tiens à ajouter que je suis tout à fait d’accord avec le juge pour dire que la preuve présentée par l’appelante à l’appui de sa thèse est nettement insuffisante pour atteindre l’objet visé.

V.  Conclusion

[100]  Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-333-17

INTITULÉ :

PLAINS MIDSTREAM CANADA ULC c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 septembre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mars 2019

 

COMPARUTIONS :

Al Meghji

Gerald Grenon

 

Pour l’appelante

 

Carla Lamash

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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