Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20091119

Dossier : A-464-08

Référence : 2009 CAF 340

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

appelante

et

ELLEN REMAI, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE

TESTAMENTAIRE DE LA SUCCESSION DE FRANK REMAI

intimée

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 8 octobre 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                                                        LA JUGE TRUDEL


Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20091119

Dossier : A-464-08

Référence : 2009 CAF 340

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

appelante

et

 

ELLEN REMAI, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE

TESTAMENTAIRE DE LA SUCCESSION DE FRANK REMAI

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de l’appel interjeté par Sa Majesté la Reine du chef du Canada à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt par laquelle le juge en chef adjoint Rossiter a fait droit à l’appel interjeté par Ellen Remai, en sa qualité d’exécutrice testamentaire de la succession de feu Frank Remai (Frank), à l’égard de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national relativement à l’impôt dû par Frank pour l’année d’imposition 2001. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre a refusé d’accorder le crédit pour dons de bienfaisance de 2 996 288¤$ réclamé par Frank à la suite du don de deux billets à ordre remis par Frank à la Frank and Ellen Remai Foundation (la Fondation), fondation privée ayant qualité d’organisme de bienfaisance enregistré. Frank était la tête pensante de la Fondation et c’est lui qui prenait toutes les décisions la concernant. Il est décédé en août 2001.

 

[2]               Les questions à trancher dans le présent appel sont celles de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que : (i) la disposition des billets par la Fondation à un tiers constituait une opération sans lien de dépendance et (ii) la disposition ne constituait pas un abus dans l’application des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), de sorte qu’elle ne tombait pas sous le coup de la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) prévue à l’article 245 de la LIR. Les dispositions applicables de la LIR sont reproduites en annexe des présents motifs. 

 

[3]               À mon avis, le juge n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant que l’opération avait été conclue sans lien de dépendance et qu’elle ne tombait pas sous le coup de la RGAÉ. Je suis par conséquent d’avis de rejeter l’appel. 

 

B.        CONTEXTE FACTUEL

[4]               La preuve soumise à la Cour de l’impôt était constituée d’un exposé conjoint des faits partiel et des témoignages de Ronald Grozell (comptable de Frank et directeur financier du groupe d’environ 32 sociétés de Frank) et de Darrell Remai (Darrell), neveu de Frank.

[5]               F. R. Management Ltd. (FRM) était la société de gestion du groupe de sociétés et appartenait en totalité à Frank. Les secteurs d’activité du groupe comprenaient la mise en valeur immobilière, commerciale et résidentielle, l’exploitation d’hôtels et le pétrole et le gaz. FRM recevait les revenus des membres du groupe de sociétés et les transmettait à Frank.

 

[6]               En 1998 et en 1999, FRM a remis à Frank deux billets à ordre portant intérêt en paiement des frais de gestion que Frank avait gagnés au cours des années en question. Le billet de 1998 était de 4 000 000 $ et celui de 1999, de 6 500 000 $. Frank a fait don des billets à la Fondation le jour même où il les a reçus. Ce don était assorti de la condition que la Fondation conserve les billets pendant au moins dix ans et un jour. La Fondation a remis à Frank des reçus pour dons de bienfaisance correspondant à la valeur nominale des billets. FRM a payé à la Fondation des intérêts sur les billets au taux prescrit. Frank a déclaré le montant des billets dans ses déclarations de revenus pour les années en question.

 

[7]               Chaque année depuis 1992, Frank avait remis à la Fondation les billets à ordre qu’il avait reçus de FRM, mais à la condition que la Fondation les conserve pendant dix ans. La Fondation a toujours été en mesure de répondre au contingent de versements sans jamais entamer son capital en se servant des intérêts calculés au taux de 6 pour 100 accumulés sur les billets de FRM. En 2004, la Fondation avait accumulé plus de 27 000 000 $ en capital, lequel était en grande partie constitué de billets de FRM. 

 

[8]               Avant 1998, Frank avait reçu des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance dont le montant correspondait à la valeur nominale des billets. Le ministre a toutefois refusé d’accorder les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance réclamés par Frank pour les années d’imposition 1998 et 1999 au motif que les billets en question étaient des « titres non admissibles » étant donné qu’ils avaient été émis par une personne (FRM) avec laquelle le contribuable, Frank, avait un lien de dépendance. M. Grozell ne savait pas que les alinéas 118.1(13)a) et 118.1(18)a) de la LIR, qui avaient été adoptés à la suite du budget de 1997, avaient resserré les règles entourant l’octroi de dons de bienfaisance en rendant non admissibles à un crédit d’impôt pour don de bienfaisance le don de « titres non admissibles ».

 

[9]               Après s’être rendu compte que les dons effectués en 1998 et en 1999 n’étaient pas admissibles à un crédit d’impôt, M. Grozell a découvert qu’aux termes de l’alinéa 118.1(13)c) de la LIR, un titre non admissible cessait d’être non admissible si l’organisme de bienfaisance à qui le titre avait été donné en disposait en faveur d’un tiers avec lequel le donateur n’avait pas de lien de dépendance. Pour pouvoir se prévaloir de cette disposition, M. Grozell a proposé que la Fondation vende les billets à un tiers qui n’avait aucun lien de dépendance avec le donateur initial, Frank.

 

[10]           On a notamment envisagé la possibilité suivante : pour pouvoir retirer les billets de FRM, la Fondation emprunterait 15,5 millions de dollars de la banque avec laquelle Frank faisait affaire. La banque a toutefois répondu qu’elle obligerait la Fondation à souscrire un dépôt à terme dans un compte de placement garanti (CPG) avec l’argent reçu de FRM. Cette solution était peu alléchante pour FRM parce que la banque facturerait l’écart des intérêts du prêt et du CPG, ce qui coûterait 40 000 $ à la Fondation.

 

[11]           On a envisagé une autre possibilité, à savoir en l’occurrence qu’une société, Big Sky (Grozell) Drilling Inc. (Big Sky), qui appartenait à M. Grozell et à son épouse, achète les billets en question. Cette idée n’était pas réalisable parce que Big Sky n’était pas considérée comme ayant les ressources financières nécessaires pour entreprendre une opération de cette ampleur.

 

[12]           M. Grozell et Frank ont alors rencontré de façon informelle Darrell, à qui ils ont demandé s’il serait disposé à rendre service à Frank. La proposition était la suivante : Sweet Developments Ltd. (Sweet), société dont 90 pour 100 des actions appartenaient à Darrell (le reste appartenant à M. Grozell par l’entremise de Big Sky), et qui était contrôlée par Darrell, achèterait les billets à la Fondation en échange d’un billet identique de Sweet. On devait inclure dans l’opération deux autres billets émis par FRM et détenus par la Fondation, pour un total de 5 000 000 $. Darrell a demandé qu’on lui donne du temps pour réfléchir à cette proposition et pour l’examiner avec ses conseillers.

 

[13]           Par l’entremise de Sweet, Darrell avait agi comme gérant de projet, fournisseur de main‑d’œuvre et entrepreneur général pour certains des projets de mise en valeur immobilière de Frank. Dans le cadre d’un partenariat conclu avec l’une des sociétés de Frank, Sweet détenait également une participation de 25 pour 100 dans les résidences pour personnes âgées qu’ils avaient aménagées et qu’ils exploitaient.

[14]           Grâce à ses relations d’affaires avec Frank, Darrell savait que FRM avait une valeur qui excédait de beaucoup celle de Sweet, et qu’elle disposait par ailleurs d’importantes liquidités, de sorte qu’elle serait en mesure d’honorer les billets advenant le cas où Sweet les achèterait à la Fondation. En fait, le groupe de sociétés de Frank avait réalisé des recettes brutes de plus de 125 millions de dollars en 2001. En date du 1er janvier 2001, Sweet possédait 1 236 691 $ en actifs, et un revenu net dépassant tout juste un million de dollars.

 

[15]           Frank a consulté un avocat, qui lui a affirmé que l’opération projetée était légale et qu’elle ne faisait courir aucun risque important à Sweet parce que FRM avait la solidité financière nécessaire pour honorer les billets. Il a également parlé à un expert-comptable qui ne semble pas avoir compris en quoi consistait l’opération et qui n’a pas donné de conseil utile.

 

[16]           En conséquence, le 4 juillet 2001, Sweet a acheté les billets de 1998 et de 1999 (ainsi que deux autres billets de FRM) à leur valeur nominale de 15 millions de dollars, en échange de son propre billet à ordre au montant de 15 971 369,48 $, lequel comprenait les intérêts accumulés sur les billets. Frank a réclamé un crédit d’impôt pour don de bienfaisance de 2 996 288 $ en 2001, au motif que les billets de 1998 et de 1999 qu’il avait auparavant donnés à la Fondation avaient cessé d’être des titres non admissibles par suite de leur vente sans lien de dépendance à Sweet.

 

[17]           Le ministre a de nouveau refusé d’accorder le crédit d’impôt demandé parce que Frank et Sweet avaient selon lui un lien de dépendance lors de la vente des billets, de sorte que les billets demeuraient des titres non admissibles. Ellen Remai a interjeté appel de cette nouvelle cotisation en sa qualité d’exécutrice testamentaire de la succession de Frank.

 

[18]           Après que l’appel eut été interjeté, Sa Majesté a modifié de consentement ses actes de procédure pour ajouter un nouveau moyen suivant lequel, même si la vente des billets avait été conclue sans lien de dépendance, elle constituait un abus dans l’application des dispositions applicables de la LIR, de sorte qu’elle tombait sous le coup de la RGAÉ prévue à l’article 245.

 

C.        DÉCISION DE LA COUR DE L’IMPÔT

[19]           Pour faire droit à l’appel, le juge de la Cour de l’impôt a fait reposer sa décision sur trois conclusions. Premièrement, il a rappelé qu’aux termes du paragraphe 251(1), Frank et Sweet étaient réputés n’avoir aucun lien de dépendance lorsque la Fondation avait vendu les billets à Sweet. Deuxièmement, et à titre subsidiaire, il a estimé que Frank et Sweet n’avaient en fait entre eux aucun lien de dépendance en ce qui concerne cette opération. Troisièmement, bien que la vente des billets par la Fondation à Sweet ait procuré un avantage fiscal à Frank et qu’elle visait principalement l’évitement de l’impôt, cette opération ne constituait pas un abus dans l’application des dispositions de la Loi au sens du paragraphe 245(4) de la Loi. La décision est publiée sous l’intitulé Ellen Remai c. La Reine, à 2008 CCI 344.

 

[20]           À mon avis, le juge n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. Je suis par conséquent d’avis de rejeter l’appel de Sa Majesté. Toutefois, à mon humble avis et conformément à ce que l’avocat de l’intimée a admis, le juge a mal interprété l’alinéa 251(1)c) de la LIR. Bien que cette erreur n’ait pas joué un rôle déterminant dans sa décision, la Cour clarifiera la question pour tenter d’éviter toute confusion à l’avenir.

 

D.        QUESTIONS ET ANALYSE

QUESTION 1 : L’alinéa 251(1)c) de la LIR s’applique-t-il à une relation qui n’est assujettie ni à l’alinéa a) ni à l’alinéa b)?

 

[21]           Voici le texte du paragraphe 251(1) :

251.(1) Pour l’application de la présente loi :

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

b) un contribuable et une fiducie personnelle (sauf une fiducie visée à l’un des alinéas a) à e.1) de la définition de « fiducie » au paragraphe 108(1)) sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance dans le cas où le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un tel lien, aurait un droit de bénéficiaire dans la fiducie si le paragraphe 248(25) s’appliquait compte non tenu de ses subdivisions b)(iii)(A)(II) à (IV);

 

c) en cas d’inapplication de l’alinéa b), la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

251.(1) For the purposes of this Act, 
 

 

(a) related persons shall be deemed not to deal with each other at arm's length; 
 

(b) a taxpayer and a personal trust (other than a trust described in any of paragraphs (a) to (e.1) of the definition "trust" in subsection 108(1)) are deemed not to deal with each other at arm's length if the taxpayer, or any person not dealing at arm's length with the taxpayer, would be beneficially interested in the trust if subsection 248(25) were read without reference to subclauses  248(25)(b)(iii)(A)(II) to (IV); and 
 

 

(c) where paragraph (b) does not apply, it is a question of fact whether persons not related to each other are at a particular time dealing with each other at arm's length.

 

 

[22]           Ayant conclu que ni l’alinéa a) ni l’alinéa b) ne s’appliquait aux faits qui étaient portés à sa connaissance, le juge a conclu que l’alinéa c) ne pouvait pas non plus s’appliquer. Bien qu’il ne soit pas facile de suivre le fil de son raisonnement sur ce point (voir les paragraphes 25 et 26), il semble qu’il ait considéré que l’alinéa c) s’appliquait seulement lorsque l’alinéa b) ne s’appliquait pas, parce que cet alinéa commence par les mots suivants : « en cas d’inapplication de l’alinéa b) [...] »

 

[23]           Le juge a cité le projet de loi C‑10, qui proposait la modification de l’alinéa 251(1)c), par la suppression des mots introductifs « en cas d’inapplication de l’alinéa b) [...] » et leur remplacement par les mots suivants : « dans les autres cas [...] » Ainsi que le juge l’a fait observer, cette modification visait à préciser que l’alinéa c) s’applique à toute situation où les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas. En d’autres termes, le projet de loi C‑10 indiquerait clairement que l’alinéa c) est une disposition applicable par défaut. Le juge s’est dit d’avis qu’il n’appartenait pas à la Cour de donner effet aux modifications proposées à la LIR avant leur adoption.

 

[24]           Je souscris à cette dernière observation. L’existence d’une proposition visant à modifier la loi pour en clarifier le sens s’avère en règle générale peu utile pour le tribunal chargé d’interpréter le texte législatif existant. Le paragraphe 251(1) doit être interprété en fonction de son libellé, de son contexte et de son objet, bien que, s’agissant de l’interprétation des lois fiscales, on accorde souvent plus de poids au texte que dans le cas des autres lois (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, au paragraphe 21). Selon cette approche, il est loisible au tribunal de conclure que la disposition législative en litige a déjà le sens que la modification cherche à éclaircir.

 

[25]           Ainsi que l’avocat de l’intimée l’a admis, l’interprétation que le juge donne du paragraphe 251(1) pose un problème : en effet, si l’alinéa c) ne s’applique pas lorsque les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas, il est difficile de songer à des situations dans lesquelles il s’appliquerait. Le législateur n’est pas censé vouloir que les dispositions législatives n’aient aucune application pratique. De plus, il est difficile de comprendre quel objectif législatif on atteindrait en préconisant une interprétation de l’alinéa c) qui ferait en sorte que toutes les personnes qui ne sont pas réputées par les alinéas a) et b) avoir entre elles un lien de dépendance seraient réputées avoir un lien de dépendance.

 

[26]           L’interprétation proposée par le juge empêche en fait le tribunal de déterminer si les personnes qui ne sont pas visées par les alinéas a) et b) n’ont en fait pas de lien de dépendance. Il convient toutefois de signaler qu’ailleurs dans la LIR, le législateur a prévu un examen des faits visant à déterminer si des personnes ont ou non un lien de dépendance (voir, par exemple, Canada c. McLarty, 2008 CSC 26, [2008] 2 R.C.S. 79 (McLarty), qui portait sur une disposition de la LIR ayant trait à des opérations faites avec un lien de dépendance, l’alinéa 69(1)a). Sous la plume du juge Rothstein, la majorité de la Cour dit ce qui suit (au paragraphe 45) : « En l’espèce, les parties n’étaient pas liées entre elles.  La question de savoir s’il existait entre elles un lien de dépendance est donc une question de fait ». Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le législateur fédéral ne voudrait pas qu’un examen semblable ait lieu dans les situations visées par le paragraphe 251(1).

 

[27]           L’historique législatif du paragraphe 251(1) est également instructif pour discerner le sens de l’alinéa 251(1)c) actuel. Avant 2001, année où l’alinéa 251(1)b) actuel a été ajouté, la disposition qui est devenue depuis l’alinéa c) (et qui était alors l’alinéa b)) s’appliquait lorsque l’alinéa a) ne s’appliquait pas. Ainsi, chaque fois que des personnes n’étaient pas des « personnes liées » au sens de l’alinéa 251(2)a), qui sont réputées en vertu de l’alinéa 251(1)a) avoir entre elles un lien de dépendance, l’alinéa b) prévoyait que la question de l’existence d’un lien de dépendance entre elles à un moment donné était une question de fait. Rien ne permet de supposer qu’en insérant l’alinéa b) actuel, le législateur entendait empêcher la tenue d’un examen factuel sur l’existence d’un lien de dépendance entre des personnes dont la relation ne relevait ni de l’alinéa a) ni de l’alinéa b).

 

[28]           Qui plus est, le libellé de l’alinéa c) ne permet pas de retenir l’interprétation proposée par le juge, parce que cet alinéa n’indique pas qu’il s’applique lorsque l’alinéa b) seul ne s’applique pas. Il énonce simplement que si l’alinéa b) ne s’applique pas ─ comme c’était le cas en l’espèce ─, l’alinéa c) s’applique. Il découle implicitement de l’économie du paragraphe 251(1) que l’alinéa c) s’applique lorsque ni l’alinéa a) ni l’alinéa b) ne s’appliquent. Cette situation tient au fait qu’il n’est nécessaire de tenir compte que de l’alinéa b) si l’alinéa a) ne s’applique pas, et qu’il n’est nécessaire de tenir compte que de l’alinéa c) si l’alinéa b) ne s’applique pas.

 

[29]           Certes, le législateur aurait pu éviter le problème qui se pose en l’espèce en déclarant que l’alinéa c) s’applique lorsque ni l’alinéa a) ni l’alinéa b) ne s’appliquent, mais la rédaction de la disposition actuelle, qui est loin d’être parfaite, ne justifie pas d’opter pour une interprétation qui rendrait ce paragraphe tout à fait illogique et qui ne tiendrait pas compte de son historique, de son objet et de son économie.

 

[30]           Néanmoins, ainsi que je l’ai déjà fait observer, comme le juge a poursuivi en procédant à un examen factuel pour déterminer si la vente des billets avait été effectuée sans lien de dépendance, l’erreur qu’il a commise en interprétant le paragraphe 251(1) n’a pas joué un rôle décisif sur sa décision.

 

 

QUESTION 2 :   Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la vente des notes par la Fondation à Sweet était une opération sans lien de dépendance?

 

[31]           Le juge a appliqué le cadre analytique qui avait été adopté dans la décision Peter Cundill & Associates Ltd. c. La Reine, [1991] 1 C.T.C. 197 (C.F. 1re inst.), conf. par [1991] 2 C.T.C. 221 (C.A.F.) (Peter Cundill) et qui avait été appliqué dans l’arrêt McLarty, aux paragraphes 64 et suivants, pour déterminer si Sweet et Frank avaient ou non un lien de dépendance lorsque la Fondation a vendu les billets à Sweet en échange d’un billet de Sweet ayant la même valeur et portant intérêt au même taux.

 

[32]           Suivant la décision Peter Cundill, pour déterminer si une transaction a été réalisée entre des personnes « sans lien de dépendance », le tribunal doit se demander : (i) si un seul cerveau dirigeait les négociations pour les deux parties à l’opération; (ii) si les parties à l’opération agissaient de concert, sans intérêts distincts; (iii) si l’une des deux parties exerçait un contrôle effectif sur l’autre. Comme tout autre critère légal comportant plusieurs volets, il n’est pas nécessaire de satisfaire à chacun des volets dans tous les cas. Certains revêtent une importance particulière dans certains cas, alors que d’autres ont moins d’importance. De plus, les facteurs énumérés ne sont pas nécessairement exhaustifs.

[33]           Sa Majesté admet que le critère exposé dans la décision Peter Cundill est le critère juridique à appliquer, mais elle ajoute que le juge a commis une erreur de droit en ne se demandant pas si « les termes des opérations [...] traduisaient [...] des relations commerciales ordinaires entre [des parties] agissant dans leurs propres intérêts » (la juge Sharlow, dans l’arrêt Petro-Canada c. La Reine, 2004 CAF 158, 2004 DTC 6329, au paragraphe 55).

 

[34]           À mon avis, il ne s’agit pas là d’une erreur de droit, parce que la question de savoir si  les termes d’une opération traduisent « des relations commerciales ordinaires entre des parties agissant dans leurs propres intérêts » ne constitue pas un facteur distinct du critère juridique dont on doit tenir compte pour déterminer si une opération a été conclue sans lien de dépendance. Cette expression se veut plutôt une définition utile d’une opération sans lien de dépendance que les divers éléments du cadre d’analyse de la décision Peter Cundill visent à cerner. Elle peut également aider le juge à s’interroger sur le bien-fondé de la conclusion à laquelle aboutit l’application de chacun des facteurs énoncés dans la décision Peter Cundill.

 

[35]           À défaut d’une question de droit que l’on peut aisément dissocier ─ question dont je ne suis pas convaincu de l’existence en l’espèce ─, l’application de la loi aux faits est une question mixte de fait et de droit. La Cour ne peut donc modifier la conclusion du juge suivant laquelle il s’agissait d’une opération sans lien de dépendance que si elle est convaincue que le juge a commis une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, McLarty, aux paragraphes 70 à 73).

 

[36]           Les mots « manifestement erroné » et « déraisonnable » rendent aussi l’idée véhiculée par l’expression « erreur manifeste et dominante » lorsqu’il s’agit de questions purement factuelles ou des questions mixtes de fait et de droit (Donald J. M. Brown, Civil Appeals (Toronto, Canvasback Publishing Inc., 2009) au par. 14 : 4220). Peu importe la formulation, la norme à appliquer n’autorise pas la juridiction d’appel à procéder à une réévaluation des faits ou de la preuve portés à la connaissance du tribunal de première instance. La juridiction d’appel n’est pas justifiée d’intervenir au motif qu’elle serait arrivée à une conclusion différente si elle avait été l’arbitre des faits. Le fait que le juge de première instance ne mentionne pas chacun des faits pertinents ne constitue ni une erreur manifeste et dominante, ni une erreur de droit.

 

[37]           Appliquant le premier des facteurs énoncés dans la décision Peter Cundill, le juge a estimé qu’on ne pouvait conclure qu’« un seul cerveau » dirigeait les négociations pour les deux parties à l’opération, parce que Frank n’exerçait pas de contrôle direct ou indirect sur Sweet et que Sweet avait librement décidé de conclure l’opération après avoir tenu compte de ses propres intérêts. En revanche, il est évident que l’idée d’échanger des billets venait exclusivement de Frank et de M. Grozell, que l’opération visait à procurer un avantage à Frank et à la Fondation et que les modalités de l’échange n’ont pas fait l’objet de négociations. Bien que Sweet ait consulté des professionnels au sujet de la légalité de l’opération et des risques financiers auxquels il s’exposait, il est évident que c’est Frank qui dictait les conditions du marché. D’ailleurs, Darrell a expliqué que, même s’il supposait que l’objet de l’opération était commercial, il ne savait pas de quoi il en retournait et il n’avait pas posé de questions (dossier d’appel, aux pages 246 et 247).

 

[38]           Pour arriver à sa conclusion qu’il n’y avait pas un seul cerveau en cause et pour examiner le deuxième facteur, soit la question de savoir si les parties avaient des intérêts distincts, le juge a estimé que l’intérêt de Frank résidait dans le fait que l’opération allait lui permettre de résoudre son problème fiscal et que l’intérêt de la Fondation résidait dans le fait qu’elle ne perdrait pas les intérêts qu’il faudrait payer à la banque pour acheter les billets. Je suis du même avis.

 

[39]           L’opération n’a procuré aucun avantage monétaire à Sweet, parce que les billets en question étaient d’un montant identique et qu’ils portaient intérêt au même taux et que Sweet n’avait pas réclamé de frais pour conclure l’opération. Le juge a toutefois relevé trois intérêts distincts que Sweet avait dans cette opération.

 

[40]           Premièrement, il a conclu que Darrell espérait consolider les relations d’affaires entre Sweet et Frank en rendant à ce dernier le service demandé. Il semble que ce facteur n’ait pas joué un rôle déterminant. Le seul élément de preuve tendant à démontrer que l’intérêt de Sweet dans cette opération était de renforcer ses relations d’affaires avec Frank est venu de M. Grozell, qui a déclaré, en réponse aux questions que le juge lui a posées après qu’il eut été interrogé et contre‑interrogé par les avocats, que l’opération procurerait un avantage à Sweet en lui offrant l’occasion de [traduction] « consolider ses relations d’affaires » (dossier d’appel, à la page 181).

 

[41]           Cependant, lors de son témoignage, Darrell s’est fait demander à deux reprises de préciser ce que Sweet espérait retirer de l’opération. À aucune de ces occasions, il n’a évoqué la possibilité de consolider les relations d’affaires entre Sweet et Frank, bien qu’il ait effectivement affirmé qu’il avait entendu son oncle dire à d’autres personnes : [traduction] « Tu me fais une faveur, je te fais une faveur » (dossier d’appel, à la page 234). De plus, Frank n’a pas offert d’intensifier leurs relations d’affaires, et l’opération ne contenait aucune modalité en ce sens. Rien ne permet d’ailleurs de penser qu’on n’ait jamais discuté de la possibilité d’autres échanges commerciaux à la suite de l’achat des billets par Sweet.

 

[42]           Deuxièmement, Darrell a expliqué qu’il croyait que la banque de Sweet serait impressionnée par le montant des billets et qu’elle serait par conséquent davantage disposée à augmenter son crédit. On ne peut toutefois affirmer qu’une banque serait impressionnée par l’encaissement et le décaissement de plus de 15 millions de dollars dans le compte de Sweet. Ce facteur ne pesait de toute façon pas dans un sens ou dans l’autre.

 

[43]           Troisièmement, et plus important, comme Sweet était éventuellement responsable de son billet, il fallait assurer Darrell que FRM serait en mesure d’honorer les billets qu’elle avait remis à Frank et que Sweet avait achetés à la Fondation. Darrell a expliqué qu’il connaissait suffisamment bien les activités commerciales de Frank pour avoir confiance que cela ne poserait pas problème et il avait consulté un professionnel à cet égard. Il ne s’ensuit cependant pas qu’il aurait accepté de conclure l’opération indépendamment des montants en jeu : le risque auquel Sweet s’exposait dépendait de la mesure dans laquelle FRM ne pourrait pas honorer ses billets.  

 

[44]           À mon avis, il s’agit là d’un indice particulièrement important que Sweet avait un intérêt distinct dans l’opération eu égard aux dispositions de la LIR qui sont pertinentes en l’espèce. La principale préoccupation exprimée au sujet de la disposition relative aux « titres non admissibles » portait sur la difficulté du ministre d’évaluer une action d’une société privée ou une obligation émise par une personne autre qu’une institution financière à un donateur ayant un lien de dépendance (William I. Innes & Patrick J. Boyle, “Shaky Foundations? A Defence of Special Rules for Private Foundations” (2005), 53 Can. Tax J. 739). 

 

[45]           Indépendamment de sa valeur nominale, un billet n’a de valeur que dans la mesure où celui qui l’émet a la capacité de l’honorer. Si le donateur du billet (en l’occurrence, l’organisme de bienfaisance) en dispose en faveur d’un tiers dans le cadre d’une opération sans lien de dépendance, le problème est en grande partie résolu. On peut alors présumer que le tiers s’est enquis de la situation financière de l’émetteur pour s’assurer que ce dernier peut honorer le billet à hauteur de sa valeur nominale. En conséquence, si le tiers achète le billet à sa valeur nominale, le ministre peut présumer que c’est ce qu’il vaut et il peut accorder au donateur un crédit fiscal d’un même montant. 

 

[46]           Appliquant le troisième critère posé dans la décision Peter Cundill, le juge a conclu que Frank n’exerçait pas de contrôle effectif sur Sweet, même si leurs antécédents d’affaires et la taille beaucoup plus grande des sociétés de Frank permettaient de penser que Frank exerçait une certaine influence sur Sweet. Le juge a, selon moi, bien décrit leur relation. Frank exerçait sans doute une certaine influence sur Darrell du fait de leurs liens familiaux et commerciaux, mais il est également clair que leurs échanges commerciaux s’étaient avérés mutuellement avantageux. Sweet ne dépendait pas non plus exclusivement de Frank sur le plan commercial.

 

[47]           Il est vrai que, après avoir examiné à tour de rôle les facteurs énoncés dans la décision Peter Cundill, le juge n’a pas ensuite pris du recul pour se demander si, lorsqu’on la situait dans l’ensemble de son contexte factuel, l’opération constituait une opération commerciale ordinaire entre des parties qui agissaient dans leur propre intérêt. Ainsi que je l’ai déjà dit, il n’était pas légalement tenu de se poser cette question, bien que la réponse à cette question puisse s’avérer utile pour le juge chargé d’examiner la conclusion à laquelle le juge est parvenu, sur le fondement des facteurs énoncés dans la décision Peter Cundill, sur la question de savoir si l’opération avait été conclue ou non avec un lien de dépendance.

 

[48]           Je me contenterais de dire que les « opérations commerciales ordinaires » se présentent sous diverses formes et modalités et que le fait que l’opération peut sembler avoir été conclue en grande partie pour rendre service ne signifie pas nécessairement qu’elle ne peut pas avoir été effectuée sans lien de dépendance. Tout dépend des faits particuliers de l’espèce. Vu l’ensemble des faits dont il disposait, j’estime que le juge n’a pas commis d’erreur manifeste ou dominante ou tiré de conclusion manifestement erronée ou déraisonnable en qualifiant l’achat par Sweet à la Fondation des billets de FRM d’opération sans lien de dépendance. Le juge n’a pas non plus commis d’erreur de droit en n’abordant pas explicitement dans ses motifs chacun des aspects des relations entre Frank et Darrell ou de l’opération elle-même.

 

[49]           Ayant conclu que le juge n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant que l’opération tombait sous le coup de la disposition « de rachat » de la LIR, l’alinéa 118.1(13)c), je dois maintenant examiner sa conclusion que, comme la disposition par la Fondation des billets à Sweet ne constituait pas un abus dans l’application des dispositions applicables de l’article 118.1, la RGAÉ ne pouvait priver la succession de Frank du crédit d’impôt pour dons de bienfaisance auquel elle avait autrement droit en vertu de l’alinéa 118.1(13)c).

 

QUESTION 3 :     La vente des billets par la Fondation à Sweet constituait-elle un abus dans l’application du paragraphe 118.1(13) au sens de l’article 245? 

 

 

[50]           Pour les besoins du présent appel, les parties sont convenues de ce qui suit. 

 

[51]           Premièrement, la vente des billets de FRM à Sweet par la Fondation a procuré un avantage fiscal à Frank et constituait une « opération d’évitement » parce qu’elle visait principalement à éviter l’impôt. La seule question relative à l’application de la RGAÉ qu’il nous reste à trancher est donc celle de savoir si l’opération constituait un abus dans l’application des dispositions de la LIR portant sur les « titres non admissible ».

[52]           Deuxièmement, pour pouvoir répondre à cette question, il faut déterminer l’objet et l’esprit des dispositions législatives en cause et se demander si le fait d’accorder l’avantage fiscal réclamé par le contribuable les contrecarrait.

 

[53]           Troisièmement, l’identification des objectifs visés par une disposition législative constitue une question de droit qui implique l’interprétation de la Loi et la réponse que le juge donne à cette question est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte.

 

[54]           Quatrièmement, la question de savoir si l’opération examinée constitue un abus dans l’application des dispositions applicables est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle en vue de vérifier si une erreur manifeste et dominante a été commise. Ces deux dernières propositions trouvent appui dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, aux paragraphes 44, 65 et 66.

 

[55]           Le juge a conclu que l’alinéa 118.1(13)c) avait pour objet de permettre au contribuable de « racheter » un don de bienfaisance prévu qui n’a pas pris effet parce qu’il était un « titre non admissible », en amenant le donateur à disposer du billet en faveur d’un tiers avec lequel il n’a pas de lien de dépendance. Le juge a statué que, comme la vente des billets de FRM à Sweet était conforme à cet objet, elle ne constituait pas un abus dans l’application des dispositions législatives applicables. Il a jugé non fondé, au vu de la preuve, l’argument du ministre suivant lequel les dispositions visaient à empêcher l’intéressé d’obtenir un crédit d’impôt pour don de bienfaisance tout en conservant le contrôle des fonds ayant servi au don en question.

 

[56]           Je souscris à la conclusion du juge, mais je l’expliquerais un peu différemment. Ainsi que je l’ai déjà dit, une des raisons pour lesquelles le paragraphe 118.1(18) indique que certains dons ne sont pas admissibles à un crédit d’impôt pour don de bienfaisance réside dans la difficulté pratique que représente l’évaluation de leur juste valeur marchande. L’alinéa 118.1(13)c) permet au contribuable de réclamer le crédit si, dans le délai prescrit, l’organisme de bienfaisance dispose du « titre non admissible » à un tiers dans le cadre d’une opération sans lien de dépendance. Le prix payé par le tiers pour acquérir le titre peut être considéré comme sa juste valeur marchande. Ainsi, la vente sans lien de dépendance des billets de FRM à Sweet par la Fondation en échange d’un billet de Sweet pour le même montant offre au ministre un solide fondement lui permettant de traiter la valeur nominale des billets de FRM comme étant leur juste valeur marchande et pour accorder le crédit d’impôt pour don de bienfaisance réclamé jusqu’à concurrence de ce montant.

 

[57]           Sa Majesté soutient que les modifications apportées en 1997 à la LIR visaient à empêcher les donateurs de réclamer un crédit d’impôt pour don de bienfaisance pour la valeur en capital du don lorsqu’ils conservent le contrôle des fonds devant servir à remplir l’obligation. L’avocate affirme que la vente des notes n’a en réalité rien changé : la Fondation ne détenait que des billets à ordre, et FRM a conservé l’usage du montant en capital de ces billets. En conséquence, l’opération constituerait un abus dans l’application de l’alinéa 118.1(13)c).

 

[58]           Je ne suis pas de cet avis. Rien dans le texte de la disposition n’appuie une telle interprétation. En revanche, l’exposé budgétaire de 1997 prévoyait que la nouvelle mesure porterait aussi sur les auto-prêts, mécanisme qui a été utilisé par certains contribuables pour bénéficier de crédits d’impôt pour dons de bienfaisance sans devoir renoncer à l’utilisation des fonds (David M. Sherman éd., Income Tax Act Technical Notes 10e éd. (Toronto, Carswell, 1998), à la page 885). D’ailleurs les paragraphes 118.1(16) et (17) traitent explicitement du problème de la conservation de l’utilisation du capital dans le cas des opérations d’auto-prêt. Un auteur a d’ailleurs précisé que la conservation de l’utilisation des fonds après qu’un crédit d’impôt pour don de bienfaisance est réclamé constitue effectivement un problème dans le cas des auto-prêts (M. Elena Hoffstein, “Private Foundations and Charitable Foundations”, Compte rendu de la cinquante-neuvième conférence, Conférence fiscale de 2007 (Toronto, Fondation canadienne d’études fiscales, 2008), 32 : 1-35).

 

[59]           L’opération en cause en l’espèce n’était pas un auto-prêt. Compte tenu des arguments formulés par Sa Majesté, je ne suis pas convaincu qu’un des principaux objectifs visés par les dispositions plus générales des paragraphes 118.1(13) et (18) était de traiter de la question de la conservation, par les contribuables, de l’utilisation des fonds pour lesquels ils ont obtenu un crédit d’impôt pour don de bienfaisance. 

 

[60]           En tout état de cause, la vente sans lien de dépendance du billet à Sweet a fait en sorte que Frank n’avait plus le contrôle du moment où FRM pourrait être appelé à honorer ses billets. De plus, le fait que la vente des billets à la banque semble, sauf pour le prix en cause, avoir été la première solution envisagée pour résoudre le problème fiscal de Frank donne à penser que la conservation du contrôle des fonds n’était pas le facteur qui a motivé cette vente. 

 

[61]           Le juge n’a donc pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant que la vente des billets ne constituait pas un abus dans l’application du paragraphe 18.1(13). En conséquence, l’article 245 ne faisait pas perdre au contribuable le crédit d’impôt pour don de bienfaisance auquel l’alinéa 118.1(13)c) lui donnait droit.

 

 

 

E.        DISPOSITIF

[62]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

 

« John M. Evans »

                        j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


Annexe

 

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)

 

118.1(13) Lorsqu’un particulier fait don de son titre non admissible à un moment donné (y compris un don qui, si ce n’était le présent paragraphe et le paragraphe (4), serait réputé par le paragraphe (5) être fait au moment donné) et que le don n’est pas un don exclu, les règles suivantes s’appliquent dans le cadre du présent article, à l’exception du présent paragraphe :

 

a) sauf pour l’application du paragraphe (6) aux fins du calcul du produit de disposition du titre pour le particulier, le don est réputé ne pas avoir été fait;

 

 

b) si le titre cesse d’être un titre non admissible du particulier à un moment ultérieur au cours des 60 mois suivant le moment donné et si le donataire ne dispose pas du titre au moment ultérieur ou antérieurement, le particulier est réputé avoir fait un don de bien au donataire au moment ultérieur, et la juste valeur marchande de ce don est réputée égale à la juste valeur marchande du titre au moment ultérieur ou, s’il est inférieur, au montant du don fait au moment donné qui, n’eût été le présent paragraphe, aurait été inclus dans le total des dons de bienfaisance ou le total des dons à l’État du particulier pour une année d’imposition;

 

c) si le donataire dispose du titre dans les 60 mois suivant le moment donné et si l’alinéa b) ne s’applique pas au titre, le particulier est réputé avoir fait un don de bien au donataire au moment de la disposition, et la juste valeur marchande de ce don est réputée égale à la juste valeur marchande de toute contrepartie (sauf un titre non admissible du particulier ou un bien qui serait un titre non admissible du particulier si celui-ci était vivant à ce moment) reçue par le donataire pour la disposition ou, s’il est inférieur, au montant du don fait au moment donné qui, n’eût été le présent paragraphe, aurait été inclus dans le total des dons de bienfaisance ou le total des dons à l’État du particulier pour une année d’imposition;

 

d) le don fait au moment donné peut être indiqué, aux termes des paragraphes (6) ou 110.1(3), dans la déclaration de revenu du particulier pour l’année qui comprend le moment ultérieur visé à l’alinéa b) ou le moment de la disposition visé à l’alinéa c). (Non souligné dans l’original.)

118.1.(13) For the purpose of this section (other than this subsection), where at any particular time an individual makes a gift (including a gift that, but for this subsection and subsection 118.1(4), would be deemed by subsection 118.1(5) to be made at the particular time) of a non-qualifying security of the individual and the gift is not an excepted gift, 
 

 

(a) except for the purpose of applying subsection 118.1(6) to determine the individual's proceeds of disposition of the security, the gift is deemed not to have  been made; 

(b) if the security ceases to be a non-qualifying security of the individual at a subsequent time that is within 60 months after the particular time and the donee has not disposed of the security at or before the subsequent time, the individual is deemed to have made a gift to the donee of property at the subsequent time and the fair market value of that gift is deemed to be the lesser of the fair market value of the security at the subsequent time and the amount of the gift made at the  particular time that would, but for this subsection, have been included in the individual's total charitable gifts or total Crown gifts for a taxation year; 
 

 

(c) if the security is disposed of by the donee within 60 months after the particular time and paragraph (b) does not apply to the security, the individual is deemed to have made a gift to the donee of property at the time of the disposition and the fair market value of that gift is deemed to be the lesser of the fair market  value of any consideration (other than a non-qualifying security of the individual or a property that would be a non-qualifying security of the individual if the individual were alive at that time) received by the donee for the disposition and the amount of the gift made at the  particular time that would, but for this subsection, have been included in the individual's total charitable gifts or total Crown gifts for a taxation year; and 
 

(d) a designation under subsection 118.1(6) or 110.1(3) in respect of the gift made at the particular time may be made in the individual's return of income for the year that includes the subsequent time referred to in paragraph 118.1(13)(b) or the time of the disposition referred to in paragraph 118.1(13)(c) (emphasis added).

 

 

 

118.1(18) Pour l’application du présent article, est un titre non admissible d’un particulier à un moment donné :

 

a) une créance (à l’exception de l’obligation d’une institution financière de rembourser un montant déposé auprès d’elle et d’une créance cotée à une bourse de valeurs désignée) dont est débiteur le particulier, sa succession ou une personne ou société de personnes avec laquelle le particulier ou sa succession a un lien de dépendance immédiatement après ce moment;

b) une action (à l’exception d’une action cotée à une bourse de valeurs désignée) du capital-actions d’une société avec laquelle le particulier, sa succession ou, si le particulier est une fiducie, toute personne qui lui est affiliée a un lien de dépendance immédiatement après ce moment;

 

b.1) un droit de bénéficiaire du particulier ou de sa succession dans une fiducie qui, selon le cas :

 

(i)      est affiliée au particulier ou la succession immédiatement après ce moment,

(ii)    détient, immédiatement après ce moment, un titre non admissible du particulier ou de la succession ou détenait, à ce moment ou antérieurement, une action visée à l’alinéa b) qui est détenue par le donataire après ce moment;

 

c) tout autre titre (à l’exception d’un titre coté à une bourse de valeurs désignée) émis par le particulier, par sa succession ou par toute personne ou société de personnes avec laquelle le particulier ou sa succession a un lien de dépendance (ou, dans le cas où la personne est une fiducie, avec laquelle le particulier ou sa succession est affiliée) immédiatement après ce moment. (Non souligné dans l’original.)

 

118.1.(18) For the purposes of this section, "non-qualifying security" of an individual at any time means 
 

(a) an obligation (other than an obligation of a financial institution to repay an amount deposited with the institution or an obligation listed on a designated stock  exchange) of the individual or the individual's estate or of any person or partnership with which the individual or  the estate does not deal at arm's length immediately after that time
 

(b) a share (other than a share listed on a  designated stock exchange) of the capital stock of a corporation with which the individual or the estate or, where the individual is a trust, a person affiliated with the trust, does not deal at arm's length immediately after that time; 
 

 

(b.1) a beneficial interest of the individual or the estate in a trust that 

 

 

(i)      immediately after that time is    affiliated with the individual or the estate, or 

(ii)    holds, immediately after that time, a non-qualifying security of the individual or estate, or held, at or before that time, a share described in paragraph (b) that is, after that time, held by the donee; or 

 

 

(c) any other security (other than a security listed on a designated stock exchange) issued by the individual or the estate or by any person or partnership with which the individual or the estate does not deal at arm's length (or, in the case where the person is a trust, with which the individual or estate is affiliated) immediately after that time.

 

 

 

 

245.(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

245.(2) Where a transaction is an avoidance transaction, the tax consequences to a person shall be determined as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that, but for this section, would result, directly or indirectly, from that transaction or from a series of  transactions that includes that transaction.

 

 

245.(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

 

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(i)      la présente loi,

(ii)    le Règlement de l’impôt sur le revenu,

(iii)   les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

(iv)  un traité fiscal,

(v)    tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

 

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

 

245.(4) Subsection (2) applies to a transaction only if it may reasonably be considered that the transaction 
 

(a) would, if this Act were read without reference to this section, result directly or indirectly in a misuse of the provisions of any one or more of 

 

(i)      this Act, 

(ii)    the Income Tax Regulations,

 

(iii)   the Income Tax Application Rules, 

 

(iv)  a tax treaty, or

(v)    any other enactment that is relevant in computing tax or any other amount payable by or refundable to a person under this Act or in determining any amount that 
is relevant for the purposes of that computation; or 

 

 

(b) would result directly or indirectly in an abuse having regard to those provisions, other than this section, read as a whole.

 

251.(1) Pour l’application de la présente loi :

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

b) un contribuable et une fiducie personnelle (sauf une fiducie visée à l’un des alinéas a) à e.1) de la définition de « fiducie » au paragraphe 108(1)) sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance dans le cas où le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un tel lien, aurait un droit de bénéficiaire dans la fiducie si le paragraphe 248(25) s’appliquait compte non tenu de ses subdivisions b)(iii)(A)(II) à (IV);

 

c) en cas d’inapplication de l’alinéa b), la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait. (Non souligné dans l’original.)

 

251.(1) For the purposes of this Act, 
 

 

(a) related persons shall be deemed not to deal with each other at arm's length; 
 

(b) a taxpayer and a personal trust (other than a trust described in any of paragraphs (a) to (e.1) of the definition "trust" in subsection 108(1)) are deemed not to deal with each other at arm's length if the taxpayer, or any person not dealing at arm's length with the taxpayer, would be beneficially interested in the trust if subsection 248(25) were read without reference to subclauses  248(25)(b)(iii)(A)(II) to (IV); and 
 

 

(c) where paragraph (b) does not apply, it is a question of fact whether persons not related to each other are at a particular time dealing with each other at arm's length (emphasis added).


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                   A-464-08

 

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 19 AOÛT 2008 PAR LE JUGE E.P. ROSSITER DANS LE DOSSIER 2007-1132(IT)G)

 

 

INTITULÉ :                                                                  Sa Majesté La Reine du Chef du Canada c. Ellen Remai, en sa quality d’exécuttrice testamentaire de la succession de Frank Remai

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                            Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                          le 8 octobre 2009

 

MOITFS DU JUGEMENT :                                       LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                       LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                 le 19 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Bonnie F. Moon

Cynthia Isenor

POUR L’APPELANTE

 

 

Curtis R. Stewart

Laurie A. Goldbach

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Bennett Jones s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.