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                                                                                                                                 Date : 20091222

Dossier : A-593-07

Référence : 2009 CAF 377

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LINDA JEAN, CHEF DE LA NATION MICMAC DE GESPEG, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE SA BANDE, ET LE CONSEIL DE LA NATION MICMAC DE GESPEG

appelants

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

et

 

WOMEN’S LEGAL EDUCATION and ACTION FUND

intervenante

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 19 octobre 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20091222

Dossier : A-593-07

Référence : 2009 CAF 377

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LINDA JEAN, CHEF DE LA NATION MICMAC DE GESPEG, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE SA BANDE, ET LE CONSEIL DE LA NATION MICMAC DE GESPEG

appelants

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

et

 

WOMEN’S LEGAL EDUCATION and ACTION FUND

intervenante

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Préambule

 

[1]               Il s’agit de l’appel d’une ordonnance du juge Martineau (le juge) en date du 9 octobre 2007 (2007 CF 1036) par laquelle il a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada (le ministre) de refuser les services d’aide financière prévus au Programme d’enseignement primaire et secondaire (Programme) aux élèves membres de la Nation Micmac de Gespeg (la Bande) (voir lettre de refus du ministre du 11 février 2005, dossier d’appel, volume 2, onglet 43, à la page 366).

 

[2]               Sous ce Programme, le ministre peut contribuer au financement des services d’éducation offerts dans les écoles de bandes et dans des écoles fédérales pour les élèves dont le nom apparaît sur une liste nominative, c’est-à-dire ceux et celles résidant habituellement sur une réserve. Le mot « réserve » inclut toutes les terres mises de côté par le gouvernement fédéral et destinées à être utilisées et occupées par une bande indienne, ainsi que toutes les autres terres de la Couronne que le Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (le ministère) désigne comme étant des terres issues d’un règlement conclu avec la bande indienne au sein de laquelle réside l’élève.

 

[3]               En l’instance, la Bande, qui compte la plupart de ses membres dans la région de Gaspé et ses environs ainsi qu’à Montréal, est sans réserve. Ainsi, les élèves de la Bande qui font partie du groupe d’âge qui les rend admissibles au Programme en sont écartés parce qu’ils ne rencontrent pas le critère de la résidence.

 

[4]               Les appelants sont le Conseil de la Nation Micmac de Gespeg et Linda Jean, en son nom personnel et comme Chef de la Nation Micmac de Gespeg, fonction qu’elle occupait au moment du litige devant la Cour fédérale. Ils réclament l’annulation de la décision du ministre et une déclaration à l’effet que le critère de résidence sur réserve est inopérant à l’égard des bandes sans assise territoriale parce qu’il brime leurs droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la Charte).

 

[5]               L’article 15 de la Charte se lit comme suit :

 

Charte canadienne des droits et libertés (L.R., 1982, ch. C-00)

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Canadian Charter of Rights and Freedoms (R.S., 1982, c. C-00)

 

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

 

 

(2) Subsection (1) does not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration of conditions of disadvantaged individuals or groups including those that are disadvantaged because of race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

[6]               Il importe de mentionner, avant d’exposer l’analyse du juge et les prétentions des parties, que l’ordonnance frappée d’appel a été rendue avant la tombée du jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483 [Kapp].

 

[7]               Bien que l’approche du juge ne soit pas à écarter pour autant, les parties et l’intervenante ont tenu à camper leurs arguments, devant notre Cour, à la lumière de cette affaire.

[8]               Kapp nous a rappelé que l’objectif primordial que représente la lutte contre la discrimination sous-tend à la fois le paragraphe 15(1) et le paragraphe 15(2) de la Charte (Kapp, supra, au paragraphe 25). Faisant un pas de plus cependant, Kapp nous a enseigné que le paragraphe 15(2) peut être davantage qu’un outil d’interprétation ou une exemption relativement à l’application de l’article 15 (Lovelace c. Ontario, 2000 CSC 37, [2000] 1 R.C.S. 950, au paragraphe 97) [Lovelace]. Suivant Kapp, une troisième possibilité est qu’il peut jouer un rôle indépendant en ce qu’il précise « simplement et clairement que le paragraphe 15(1) ne peut pas recevoir une interprétation qui permet de déclarer discriminatoire et contraire à l’article 15 un programme améliorateur destiné à supprimer un désavantage » (Kapp, au paragraphe 38). Ainsi, si le gouvernement peut démontrer (1) que le Programme a un objet améliorateur et (2) que le Programme vise un groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue, il peut se révéler tout à fait inutile d’effectuer une analyse relative au paragraphe 15(1) (ibid., aux paragraphes 41 et 37).

 

[9]               Devant nous, les parties ont longuement débattu la question de savoir si les enseignements de Kapp, une affaire de discrimination à rebours, pouvaient recevoir application dans un cas de discrimination à cause de la portée trop limitative d’un programme. À cet égard, deux observations s’imposent : (1) si une lecture restreinte de Kapp avait été souhaitée, la Cour suprême du Canada en aurait fait état; et (2) Kapp s’inscrit dans la lignée des affaires Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 [Andrews] et Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497 [Law], ni l’une ni l’autre ne portant sur un cas de discrimination à rebours. Je ne crois donc pas que les enseignements de Kapp doivent être écartés d’emblée pour les fins du présent appel. Cependant, je note que dans cette affaire la troisième possibilité fut énoncée après que la Cour eut conclu que « les appelants [avaient] établi qu’ils [avaient] été traités différemment en raison d’un motif énuméré, la race » (Kapp, supra, au paragraphe 29). Puisque je n’entends pas tirer de conclusion relative au motif analogue, mon analyse empruntera le chemin tracé par le juge.

 

Ordonnance de la Cour fédérale

 

[10]           Après avoir exposé les faits, lesquels ne sont pas remis en question, le juge a tout d’abord conclu que les appelants avaient « indubitablement intérêt pour agir et contester la légalité du refus ministériel » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 5).

 

[11]           Puis, le juge s’est attardé aux arguments relatifs à la discrimination.

 

[12]           Bien qu’il ait conclu que le Programme « établit une distinction formelle entre résidents et non-résidents d’une réserve » (ibid.), il n’a pas jugé nécessaire de déterminer si cette différence de traitement était fondée sur un motif analogue (le lieu de résidence ou l’absence d’assise territoriale), compte tenu de sa conclusion que « même si ces motifs sont présents, il n’y a pas de discrimination dans les circonstances » (ibid.).

 

[13]           Le juge a tenu à préciser qu’il avait analysé la preuve dans l’optique d’une demande visant la légalité du refus du ministre d’accorder l’aide financière disponible en vertu du Programme, et non d’une demande découlant de l’omission de la Couronne de créer une réserve au bénéfice de la Bande.

 

[14]           En conséquence, il a examiné l’argument relatif à la discrimination par rapport aux élèves membres de la Bande pour lesquels le financement avait été réclamé en notant l’importance de savoir si l’absence de fonds favorisait « l’opinion que des élèves ne résidant pas sur des réserves ou des terres de la Couronne sont moins capables en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne » (ibid., au paragraphe 13).

 

[15]           Ceci dit, il a conclu qu’il n’y avait « … aucune correspondance entre le motif de distinction utilisé dans le Programme (ici la résidence sur une réserve) d’une part, et les besoins, les capacités et la situation véritables des élèves membres d’une bande indienne qui ne résident pas sur une réserve ou des terres de la Couronne, d’autre part » (ibid.).

 

[16]           Ayant aussi accepté la preuve que le taux de scolarisation secondaire est plus bas que la moyenne nationale dans le cas des membres des Premières nations qui résident habituellement sur des réserves, le juge a déterminé que l’objectif principal du Programme est de réduire l’écart de scolarisation qui affecte les élèves qui résident sur des réserves en leur permettant de bénéficier de programmes et services comparables à ceux qui sont à la portée des autres élèves de la même province ou du même territoire de résidence (ibid., au paragraphe 14).

 

[17]           Bref, le juge a trouvé la distinction fondée sur la résidence raisonnable : il a vu une corrélation entre le Programme et le désavantage distinct du groupe cible. Il a accepté l’effet réparateur du Programme. Conséquemment, il a rejeté la demande de contrôle judiciaire, d’où le présent pourvoi.

 

Les prétentions des parties

 

[18]           Devant les deux cours, les appelants ont soutenu qu’ils rencontraient les conditions d’application de l’article 15 de la Charte : le Programme établit une distinction formelle en raison du lieu de résidence sur une réserve, laquelle distinction entraîne discrimination à leur endroit fondée sur un motif analogue.

 

[19]           Je note immédiatement que les appelants ont adopté diverses positions quant au choix du motif analogue, faisant en sorte, indépendamment de Kapp, que les prétentions des appelants, devant nous, ne sont pas tout à fait celles qui étaient devant le juge.

 

[20]           Devant la Cour fédérale, les appelants ont soulevé une combinaison de motifs : l’autochtonité-lieu de résidence (mémoire des faits et du droit des demandeurs, dossier d’appel, volume 7, page 1689, au paragraphe 89) et la qualité d’être ou de faire partie d’une bande sans terre (ibid., page 1692, au paragraphe 105).

 

 

[21]           Dans leur avis de question constitutionnelle du 15 février 2007, ils ont formulé autrement leur motif analogue référant à « l’autochtonité-lieu de résidence des bandes sans terre » (dossier d’appel, volume 1, page 37 à l’alinéa 11b).

 

[22]           Enfin, dans leur mémoire devant cette Cour, ils ont à nouveau modifié leur position en plaidant que la discrimination alléguée se fonde sur la « qualité d’être une bande sans terre » (mémoire des faits et du droit des appelants, aux paragraphes 6 et 65) [mémoire des appelants], un motif analogue non encore reconnu sous le paragraphe 15(1) de la Charte).

 

[23]            Les appelants reprochent au juge « …son omission d’établir d’abord les motifs analogues donnant lieu à la différence de traitement [l’empêchant ainsi] d’établir correctement la nature de cette différence de traitement en comparaison avec un autre groupe pertinent » (mémoire des appelants, au paragraphe 71.)

 

 

[24]           Par la même occasion, ils lui reprochent de ne pas s’être prononcé sur le ou les groupes de comparaison pertinents. J’y reviendrai plus tard.

 

[25]           Enfin, les appelants contestent les conclusions du juge découlant de son analyse contextuelle de la discrimination. Ils soutiennent que le Programme omet de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle se trouvent déjà les membres d’une bande sans assise territoriale (mémoire des appelants, au paragraphe 66). De plus, il ne s’agit pas d’un programme ciblé améliorateur au sens du paragraphe 15(2) de la Charte et au mieux, s’il l’était, son caractère serait trop limitatif puisqu’il ignore complètement un groupe particulier renforçant le stéréotype selon lequel les membres d’une bande sans assise territoriale « méritent moins d’avoir accès aux programmes fédéraux et sont moins dignes d’être valorisés en tant qu’Indiens » (ibid., au paragraphe 116). En guise de remède, ils demandent de substituer, pour les bandes sans assise territoriale, le critère de résidence dans le territoire habituel de la bande à celui retenu en vertu du Programme, soit le critère de résidence habituelle sur une réserve.

 

[26]           Quant aux intimés, ils défendent l’ordonnance frappée d’appel et présentent leurs arguments en cascade, prévoyant pour chacun une proposition de rechange en cas d’échec. Ainsi, ils plaident tout d’abord que les appelants n’ont pas l’intérêt requis pour avancer leur argument constitutionnel. Puis, suivant la méthode analytique utilisée dans Kapp, ils passent immédiatement au paragraphe 15(2) et soutiennent que le Programme n’établit pas de distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Même si c’était le cas, ils ajoutent que le Programme est améliorateur au sens du paragraphe 15(2).

 

[27]           De toute manière, s’ils ont tort à cet égard, les intimés déclarent que le Programme n’est pas discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. Et s’ils s’étaient trompés et que le Programme le soit, cette violation serait justifiée en regard de l’article premier de la Charte.

 

[28]           Le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (le Fonds) comparaît à titre d’intervenant au dossier. Sans se prononcer sur les conclusions recherchées par les appelants, le Fonds plaide aussi la nature trop limitative du Programme concluant qu’il ne relève pas du paragraphe 15(2). Selon lui, le Programme doit donc faire l’objet d’un examen approfondi au regard du paragraphe 15(1) afin de déterminer s’il a un effet discriminatoire (mémoire des faits et du droit du Fonds, au paragraphe 3) [mémoire du Fonds].

 

[29]           Plus particulièrement, le Fonds suggère que nous procédions à l’analyse de la discrimination systématique et contextuelle qu’exige l’arrêt Andrews et que nous nous penchions sur les questions suivantes :

 

  1. Quelle est l’incidence de l’exclusion des appelants en tant que bande sans terre?
  2. Le Programme tient-il compte de la situation particulière des bandes sans terre ainsi que de leurs besoins en matière de services éducatifs?
  3. S’agit-il d’une omission discriminatoire pour la Couronne de ne pas exercer pleinement sa compétence prévue au paragraphe 91(24)?
  4. L’exclusion constitue-t-elle une perpétuation du déséquilibre des forces entre la Couronne et la nation autochtone demanderesse?
  5. L’exclusion est-elle liée au contexte historique, social, économique ou propre aux appelants et, le cas échéant, de quelle manière? (mémoire du Fonds, au paragraphe 42) [traduction]

 

[30]           Selon le Fonds, toutes les questions susmentionnées portent sur le point crucial qui doit être tranché en l’espèce, soit de déterminer si la décision contestée favorise ou exacerbe l’oppression, l’exclusion, la marginalisation, le désavantage des Micmacs de Gespeg ou les préjugés à leur endroit, lorsqu’examinés dans le contexte du désavantage, de la marginalisation et de l’exclusion dont ils souffrent actuellement, comparativement aux bandes vivant sur des réserves ou des terres de la Couronne (ibid., au paragraphe 43). [traduction]

 

Les questions en litige

 

[31]           Les parties formulent pareillement les questions en litige :

 

-           le juge a-t-il erré en rejetant la demande des appelants?

-           quelle est la norme de contrôle applicable en l’instance?

-           les appelants ont-ils l’intérêt requis pour contester la décision du ministre?

-           le refus du ministre fondé sur les critères d’admissibilité du Programme viole-t-il le droit à l’égalité garanti à l’article 15 de la Charte?

-           en cas de violation, quelle est la réparation convenable?

 

La norme de contrôle en appel

 

[32]           La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’ordonnance sous étude se détermine en fonction de la nature des questions en litige.

 

[33]           Les erreurs alléguées par les appelants et portant sur des questions mixtes de droit et de fait tranchées par le juge seront examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226; Première nation algonquine d’Ardoch c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 473, [2004] 2 R.C.F. 108 [Ardoch]). Comme il se doit, les pures questions de droit seront analysées selon la norme de la décision correcte. Ce faisant, l’impact de Kapp sur le présent litige sera, le cas échéant, pris en considération.

 

Analyse

 

            Introduction

 

[34]           Le présent appel soulève plusieurs questions sur lesquelles le juge s’est penché alors qu’il n’avait pas l’avantage de disposer de l’affaire Kapp que les intimés nous invitent à considérer. En l’espèce, le juge a utilisé l’analyse contextuelle de la discrimination sous le paragraphe 15(1) en guise de contrôle du Programme qu’il a jugé être un programme améliorateur ciblé.

 

[35]           Même si le juge avait eu le bénéfice de Kapp, il aurait fort bien pu conclure que l’analyse relative au paragraphe 15(1) était tout de même requise.

 

[36]           En conséquence et tel que mentionné précédemment, quant à la discrimination alléguée, j’entends analyser l’ordonnance frappée d’appel en fonction du paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[37]           Je suis d’avis que l’exclusion des élèves qui ne résident pas sur une réserve, au sens du Programme, ne contrevient pas au paragraphe 15(1). Je suis aussi d’avis que le Programme a un objet compatible avec le paragraphe 15(1) et que cet objet n’est pas compromis parce qu’il a pour cibles des élèves qui vivent sur des réserves. Je passe maintenant à l’analyse des questions litigieuses.

 

1)         L’intérêt des demandeurs

 

[38]           Au paragraphe 23 de l’arrêt Ardoch, notre Cour a statué que « les droits à l’égalité garantis par l’article 15 [de la Charte] ne concernent que les personnes physiques » (voir aussi Nechako Lakes School District No. 91 c. Lake Babine Indian Band, [2002] B.C.J. No. 37, 97 B.C.L.R. (3d) 364 (C.S.); Nation et bande indienne de Samson c. Canada, 2005 CF 1622, au paragraphe 779; Bande et nation indienne d’Ermineskin c. Canada, 2005 CF 1623, au paragraphe 321; voir également Borowski c. Canada (procureur général) (C.A. Sask), (1987) 39 D.L.R. (4th) 731, appel rejeté pour d’autres raisons dans [1989] 1 R.C.S. 342; Edmonton Journal c. Alberta (procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326).

 

[39]           En y prenant appui, les intimés reprochent au juge d’avoir écrit que les appelants avaient « indubitablement intérêt pour agir et contester la légalité du refus ministériel » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 5). Ils soulèvent donc, comme premier argument l’absence d’intérêt des appelants.

 

[40]           Il est vrai que les bénéficiaires ultimes du Programme sont les élèves qui résident sur une réserve et qui satisfont également aux autres conditions d’admissibilité donnant ouverture aux avantages qui y sont conférés et que ces élèves ne sont pas eux-mêmes ou elles-mêmes parties au litige.

 

[41]           Cependant, il ressort clairement des lignes directrices nationales du Programme [lignes directrices], en vigueur au moment de la décision ministérielle sous étude, que les bénéficiaires premiers du Programme et partenaires du ministère sont les conseils ou les organisations désignées par ceux-ci et auxquels « les contributions au [Programme] peuvent être remises » (lignes directrices, dossier d’appel, volume 8, article 3, à la page 1810).

 

[42]           Selon ces lignes directrices, l’expression « les conseils » inclut « les bandes ou d’autres regroupements, les conseils tribaux, les organismes d’éducation, les organisations politiques ou représentant les signataires d’un traité, les organismes publics ou privés engagés par les bandes indiennes ou agissant en leur nom pour offrir des services d’éducation, les ministères de l’éducation provinciaux, les conseils ou les districts scolaires de la province ou encore les établissements d’enseignement privés » (ibid.).

 

[43]           Cette définition précède l’article 5 du Programme, lequel décrit les droits et obligations du bénéficiaire suite à la délégation des responsabilités liées à la prestation de services. On y lit :

 

Lorsque le bénéficiaire délègue ses pouvoirs ou transfère les fonds obtenus à un organisme (par exemple, une autorité, un conseil, un comité ou toute autre entité autorisée à agir en son nom), il doit continuer de respecter les obligations prises envers le ministre aux termes de l’entente de financement. Ni l’objectif du programme ni les attentes à satisfaire pour offrir des services d’une façon transparente, juste et équitable ne doivent être compromis une fois les responsabilités déléguées ou les fonds transférés. Lorsque le bénéficiaire transfère des fonds des programmes pour offrir des services d’éducation, les conditions régissant le transfert à une tierce partie (par exemple, un conseil scolaire provincial établi dans la région) doivent comporter une disposition accordant à AINC le droit de consulter les registres scolaires, au besoin, pour s’assurer que la liste nominative respecte les présentes lignes directrices. [Je souligne.]

 

[44]           C’est d’ailleurs dans ce contexte que le juge semble avoir traité de la question de l’intérêt, alors qu’il discutait de la preuve à l’effet que le ministère avait continué de fournir à la Bande une assistance financière décroissante jusqu’en 2004. Il concluait, de plus, « [les appelants] n’ont plus aucune expectative légitime de continuer à recevoir des contributions [du ministère] pour assister financièrement les enfants membres de la Bande qui sont inscrits à une école primaire ou secondaire » (motifs du jugement, au paragraphe 6).

 

[45]           Je tire cette inférence parce que la question de l’intérêt, telle qu’elle se présente devant notre Cour, n’avait pas été soulevée par le ministre dans son mémoire des faits et du droit devant la Cour fédérale (voir dossier d’appel, volume 10, à la page 2527 sous les questions en litige).

 

[46]           Ainsi, et bien que les intimés n’aient pas plaidé oralement cette question, les arguments qu’ils soulèvent dans leur mémoire ne m’ont pas convaincue que le juge avait commis une erreur en concluant comme il l’a fait. Je passe donc à l’allégué de discrimination formulé par les appelants.

 

2)         L’article 15 de la Charte

 

[47]           Une allégation de discrimination fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte comporte trois éléments clés : une différence de traitement, un motif énuméré ou analogue et la présence de discrimination réelle, comprenant des facteurs comme les préjugés, les stéréotypes et les désavantages (Law).

 

[48]           Quant à la différence de traitement, personne ne remet en question la conclusion du juge que le Programme établit une distinction formelle entre résidents et non-résidents d’une réserve (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 11). C’est plutôt la question des motifs analogues qui préoccupe les appelants.

 

[49]           Dans Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203 [Corbière], au paragraphe 13, les juges McLachlin et Bastarache, s’exprimant au nom de la majorité, ont précisé à quoi peuvent se reconnaître des motifs analogues :

 

13.  En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d'analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s'agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l'art. 15 -- la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu'ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l'individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l'identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l'objet de l'identification de motifs analogues à la deuxième étape de l'analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu'il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s'attendre que nous changions pour avoir droit à l'égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l'art. 15 vise le déni du droit à l'égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion. D'autres facteurs, que la jurisprudence a rattachés aux motifs énumérés et analogues, tel le fait que la décision produise des effets préjudiciables à une minorité discrète et isolée ou à un groupe qui a historiquement fait l'objet de discrimination, peuvent être considérés comme émanant du concept central que sont les caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables, caractéristiques qui ont trop souvent servi d'ersatz illégitimes et avilissants de décisions fondées sur le mérite des individus.

 

[50]           Bien que ces critères ne soient pas les seuls pouvant établir un motif analogue, d’autres pouvant s’avérer nécessaires dans certains cas, ceux-ci ont été plaidés par les parties et discutés par le juge au paragraphe 9 de ses motifs, nonobstant qu’il ait choisi de ne pas se prononcer définitivement sur la question.

 

[51]           Ainsi, s’inspirant de Corbière, le juge a écrit :

 

9. À ce point, je note que dans Corbière, précité, la Cour suprême a reconnu que les membres hors réserve des Premières nations constitués en bandes sont vulnérables aux traitements injustes du fait qu’on attache à ce groupe le stéréotype que ses membres sont « moins autochtones » que les membres de bandes vivant sur des réserves. À la lumière de preuve au dossier, il est évident qu’une bande sans terres souffre de désavantages concrets si l’on tient compte de la place occupée par le groupe et ses membres dans les contextes social, politique et juridique de notre société. Pour une bande indienne et ses membres, l’absence de toute assise territoriale crée une vulnérabilité à l’assimilation culturelle et un affaiblissement de la capacité de ses membres à se rassembler et de conserver des liens avec la communauté et les territoires traditionnels où les parents, les grands-parents, les arrières grands-parents et les ancêtres autochtones ont vécu auparavant. En l’espèce, le fait d’être membre d’une bande sans terres, ce qui inclut des élèves de la Bande aux fins de l’examen de la légalité des dispositions contestées du Programme, demeure une caractéristique personnelle. Celle-ci demeure immuable ou difficile à modifier. En effet, la Couronne ne semble pas disposée pour le moment à créer une réserve ou mettre de côté des terres pour la Bande alors que les relations d’AINC [du ministère] avec les Micmacs de Gespeg remontent à 1880.

 

[52]           Puis, le juge est passé à l’examen des quatre facteurs contextuels constituant « les assises de la troisième étape de l’analyse relative à la discrimination » (ibid., au paragraphe 12). Il a affirmé avoir suivi la démarche adoptée par la Cour suprême dans Lovelace, ce qu’il n’a fait, avec respect, qu’en partie. Je n’aurais pas discuté des divergences dans son approche, n’eût été des arguments des appelants qui s’en sont suivis.

 

[53]           En effet, dans Lovelace, le juge Iacobucci, après avoir arrêté le choix du groupe comparatif pertinent, s’est posé la question de savoir si les plaignants avaient fait l’objet d’un traitement différent, et si ce traitement était fondé sur un motif énuméré ou analogue. Ce faisant, il s’est limité, sans plus, à l’exposé des prétentions des parties. Puis il a affirmé que quoiqu’il puisse y avoir des raisons valables d’accepter ces prétentions sur la question des motifs énumérés ou analogues, il n’était pas nécessaire qu’il prenne position parce qu’il n’y avait pas de discrimination en l’instance. Après avoir ainsi conclu, le juge Iacobucci a procédé à l’analyse contextuelle de la discrimination en examinant les quatre facteurs auxquels le juge a fait référence dans ses motifs, soit :

 

(1) la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou d’une situation de vulnérabilité; (ii) la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur ou d’autres personnes; (iii) l’objet ou l’effet améliorateur de la loi, du programme ou de l’activité contesté eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société; (iv) la nature et l’étendue du droit touché par l’activité gouvernementale contestée. [ibid., au paragraphe 68.]

 

[54]           Je constate donc deux différences entre l’approche Lovelace et celle du juge, la première portant sur la façon dont le juge a disposé de la question des motifs analogues, et la seconde portant sur le choix du ou des groupes comparatifs pertinents.

 

[55]           En l’espèce, tel que les appelants le font remarquer aux paragraphes 69 et suivants de leur mémoire, le juge a traité du fait d’être une bande sans terre comme étant une caractéristique personnelle immuable ou qui ne peut être modifiée qu’à un prix inacceptable. Il a également, « à la lumière de la preuve au dossier », bien qu’il ne l’ait pas décrite, conclu qu’une « bande sans terre souffre de désavantages concrets » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 9). Il a donc tiré des conclusions de fait compatibles avec les critères énoncés dans Corbière et, suite à la lecture du paragraphe 9 de ses motifs, on aurait pu penser qu’il s’apprêtait à déclarer que les appelants avaient démontré un traitement différent fondé sur un motif analogue. En ce sens, je crois que le juge est allé beaucoup plus loin que ne l’avait fait le juge Iacobucci dans Lovelace. S’en est suivie, semble-t-il, une fausse attente chez les appelants qui se présentent devant nous dans l’espoir que cette Cour prenne le seul pas qui manquait, selon eux, pour reconnaître comme nouveau motif analogue « la qualité d’être une bande sans terre ».

 

[56]           Néanmoins, ces propos du juge ne constituent pas, en eux-mêmes, un motif valable d’appel.

 

[57]           Par la même occasion, les appelants soutiennent que le juge n’a pas, à l’étape de l’analyse de la discrimination, identifié clairement le ou les groupes de comparaison pertinents suggérant « pas moins de trois comparaisons possibles et différentes », soit (1) les membres d’une bande sans terre, incluant les élèves de la Bande (motifs de l’ordonnance, aux paragraphes 8 et 9); (2) les Indiens résidents et non-résidents d’une réserve (ibid., au paragraphe 11); et (3) les élèves membres ou non d’une bande mais ne résidant pas sur une réserve ou des terres de la Couronne (ibid.; voir aussi le paragraphe 80 du mémoire des appelants).

 

 

[58]           Selon les appelants, la caractéristique de la Bande qui est pertinente au bénéfice recherché est celle d’être sans terre. En conséquence, la comparaison utile est celle qui peut être faite entre une bande sans terre et une bande avec assise territoriale. Il est inapproprié de comparer la Bande et un groupe formé des membres d’autres bandes qui vivent hors réserve puisqu’il s’agit de la comparaison de deux groupes inadmissibles au Programme, qui empêche d’identifier toute différence de traitement (ibid., aux paragraphes 91 et suivants).

 

[59]           Les appelants nous invitent donc à nous prononcer sur le motif analogue qu’ils ont choisi et à identifier le groupe de comparaison pertinent comme étant celui qu’il propose.

 

[60]           Pour les motifs qui suivent, je n’accepte ni l’une, ni l’autre de ces invitations.

 

[61]           Je n’ai pas été convaincue que le juge avait commis une erreur de droit ou toute autre erreur déterminante en tranchant la demande, comme il l’a fait. Il a appliqué le cadre analytique relatif à l’égalité réelle en regard du paragraphe 15(1) de la Charte et disposé du litige en fonction de la troisième étape de l’analyse de la discrimination sans se prononcer sur les motifs analogues.

 

a)         Le motif analogue

 

[62]           Le juge n’avait pas à tirer de conclusions de fait relativement aux motifs analogues et il aurait probablement été préférable qu’il ne le fasse pas. Il ne peut cependant s’agir là d’un motif permettant de casser son ordonnance.

[63]           Je suis par ailleurs d’avis, en l’instance, que notre Cour ne devrait pas entreprendre cet exercice. Les limites du dossier d’appel ne permettent pas l’analyse rigoureuse qui doit précéder la reconnaissance d’un nouveau motif analogue.

 

[64]           Depuis l’affaire Andrews précitée, il est reconnu qu’une allégation de discrimination peut être fondée, soit sur l’un des neufs motifs énumérés au paragraphe 15(1), soit sur un motif de discrimination analogue à ceux-ci.

 

[65]           À ce jour, peu de motifs analogues ont été reconnus par la Cour suprême du Canada. Ils sont l’orientation sexuelle (Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120); l’état matrimonial (Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325); la citoyenneté (Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769; (Andrews); et l’autochtonité-lieu de résidence (Corbière).

 

[66]           Par comparaison, les motifs analogues proposés qui suivent ont été refusés : la consommation de marihuana (R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571); le statut d’emploi (Renvoi : Workers’ Compensation Act, 1983 (T.-N.) [Piercey Estate c. General Bakeries Ltd.], [1989] 1 R.C.S. 922); Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989); Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673 [Baier]; les poursuites contre la Couronne, (Rudolf Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695); la province de résidence, (R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296); les membres des Forces armées (R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259); les nouveaux résidents d’une province (Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995); les personnes qui commettent un crime de guerre ou un crime contre l’humanité à l’étranger (R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 [Finta]).

 

[67]           Le petit nombre de motifs analogues reconnus au fil des ans est indicatif, je crois, d’une volonté ferme de la part de la Cour suprême et des autres tribunaux du pays de ne pas banaliser le paragraphe 15(1) de la Charte en permettant à un plaignant de se mettre à tout prix, à la recherche d’un nouveau motif analogue favorable à sa thèse : ce que les appelants me semblent avoir fait au fil de leurs procédures.

 

[68]           La preuve d’un plaignant qui invoque un motif analogue non reconnu s’apprécie non seulement dans le contexte de la loi ou du programme qui sont contestés, mais aussi « en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société » (Andrews, au paragraphe 5). Le groupe s’entend ici du groupe composé des bandes qui sont sans assise territoriale, et non seulement de la Bande appelante (Finta, au paragraphe 336; Corbière, aux paragraphes 7 et 8; Baier, au paragraphe 65).

 

[69]           À l’audition de cet appel, les appelants ne m’ont pas démontré l’existence au dossier d’éléments de preuve suffisants, au sens de Finta, Corbière et Baier pour reconnaître la « qualité d’être une bande sans terre » comme un nouveau motif analogue.

 

[70]           Sur la question des motifs analogues, je conclus donc que le juge n’a pas fait d’erreur en ne la décidant pas. Si j’avais conclu au contraire, j’aurais été d’avis de lui retourner le dossier puisqu’il aurait été le mieux placé pour le faire puisqu’il avait eu l’occasion d’examiner la preuve en profondeur, d’entendre les arguments des parties et de se familiariser avec l’affaire dans son ensemble (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 18).

 

[71]           Je passe maintenant à l’analyse du juge relative à la discrimination retrouvée aux paragraphes 12 et suivants de ses motifs. Je commence par le reproche des appelants à l’encontre de l’ordonnance frappée d’appel en ce qui a trait au choix du groupe de comparaison pertinent. Je suis d’avis que les critiques des appelants sont injustifiées.

 

b)         Le groupe de comparaison pertinent

 

[72]           Il est vrai que le juge n’a pas tiré une conclusion aussi précise que celle retrouvée dans Lovelace. Cependant, le débat, tel qu’engagé, portait à confusion sur sa véritable nature. Le juge l’a noté au paragraphe 13 de ses motifs en précisant, comme je l’ai dit plus tôt, qu’il était saisi d’une demande de contrôle relative au refus du ministre d’accorder des fonds sous le Programme, et non du refus de ce dernier de créer une réserve en faveur de la Bande. Il s’est donc, à juste titre, tourné vers les élèves bénéficiaires du Programme. Ce faisant, il a établi une correspondance entre ces élèves et les « élèves membres d’une bande indienne qui ne résident pas sur une réserve ou des terres de la Couronne (ibid.). Les appelants ne m’ont pas convaincue que le juge avait eu tort de choisir ce groupe comparatif. Ils l’avaient d’ailleurs invité à le faire au paragraphe 86 de leur mémoire des faits et du droit devant la Cour fédérale :

 

86  Lorsqu’un groupe donné est expressément exclu d’un programme de bénéfices disponibles à autrui, les personnes admissibles constituent le groupe de comparaison approprié : Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, au par. 71.

 

 

[73]           Le juge s’est par la suite attardé à chacun des facteurs précités de la troisième étape de l’analyse contextuelle de la discrimination sous 15(1).

 

c)         L’analyse contextuelle sous 15(1)

 

[74]           Quant aux premier et second facteurs, le juge a tiré une conclusion qui est fatale aux appelants :

Or, un demandeur ne peut se contenter de prétendre qu’on a porté atteinte à sa dignité ou à celle d’autrui sans étayer davantage cette prétention (ibid.).

 

 

[75]           Quant au troisième facteur, l’effet améliorateur du Programme, le juge a tiré une conclusion de fait supportée par la preuve et déclaré qu’il était « un de ces programmes améliorateurs ciblés fédéraux visant à répondre aux défis uniques auxquels font face les membres des Premières nations résidant sur des réserves ou des terres de la Couronne » (ibid., au paragraphe 14).

 

[76]           Le fait que le Programme ait eu plus d’un objet ou qu’il ait tendu à plus d’un objectif ne faisait pas obstacle à cette conclusion. Comme l’a écrit le juge Iacobucci dans Lovelace au paragraphe 85, « l’aspect central de l’analyse n’est pas le fait que les … appelants … sont également défavorisés, mais que le programme en question vise à améliorer la situation d’un groupe défavorisé précis plutôt qu’à remédier à un désavantage dont pourrait souffrir tout membre de la société ».

 

[77]           Enfin, le juge a examiné la nature du droit touché et précisé que :

 

… par le passé, l’assistance financière accordée par [le ministère] à l’égard des élèves membres de la Bande visait plus précisément le défraiement des coûts relatifs à l’achat de fournitures scolaires et de vêtements, ainsi que du transport scolaire du midi. Or, les deux derniers chefs de dépenses ne sont pas admissibles en vertu du Programme. Je suis bien entendu sensible au fait que pendant une trentaine d’années, plusieurs familles autochtones vivant à l’extérieur des réserves et des terres de la Couronne ont bénéficié de l’aide financière [du ministère]. Toutefois, le Programme dans sa forme actuelle, n’en est pas un d’assistance sociale. Actuellement, les élèves membres de la Bande fréquentent des écoles primaires et secondaires provinciales dans leur municipalité de résidence respective où ils ont accès à tout un éventail de programmes et services provinciaux. D’autre part, rien dans la preuve n’indique que les résultats scolaires des élèves membres de la Bande soient comparables à celle des élèves résidant actuellement sur des réserves ou des terres de la Couronne. Ces derniers n’ont pas nécessairement accès à la même gamme de services provinciaux, d’où la raison d’être du Programme (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 15).

 

 

[78]           Encore une fois, les appelants ne m’ont pas convaincue que l’intervention de notre Cour est justifiée à l’égard de ces conclusions de faits.

 

[79]           Enfin, les intimés avaient proposé que cette Cour dispose du dossier à la lumière de Kapp, mais vu les motifs ci-dessus, il n’est pas nécessaire que je m’engage dans cette voie, ou que je traite des autres questions que soulève le présent pourvoi.

Conclusion

 

[80]           En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-593-07

 

INTITULÉ :                                                                           Linda Jean et al c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et al

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   19 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          22 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Eberts

David Schulze

POUR LES APPELANTS

 

 

Nancy Bonsaint

Virginie Cantave

POUR LES INTIMÉS

 

 

Joanna Birenbaum

Dianne Pothier

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dionne, Gertler, Schulze

Montréal, Québec

POUR LES APPELANTS

 

 

John H. Sims, c.r.

Ottawa, Ontario

POUR LES INTIMÉS

 

 

Women’s Legal Education & Action Fund

Toronto, Ontario

POUR L’INTERVENANTE

 

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