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Date : 20100127

Dossier : A‑217‑09

Référence : 2010 CAF 29

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

ENTRE :

ABDUR‑RASHID BALOGUN

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimés

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 janvier 2010.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 27 janvier 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Federal Court of Appeal

Cour d'appel fédérale

 

 

Date : 20100127

Dossier : A‑217‑09

Référence : 2010 CAF 29

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

ENTRE :

ABDUR‑RASHID BALOGUN

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

[1]               L’appelant a demandé le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté sa plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. 1985, ch. H‑6 (la LCDP). Le juge Russell de la Cour fédérale a conclu que la décision de la Commission ne comportait pas d’erreur susceptible de contrôle et a rejeté la demande. L’appelant interjette maintenant appel devant notre Cour. Je suis d’avis que l’appel devrait être rejeté.

 

[2]               Au début de l’audience, l’appelant a informé la Cour qu’il avait « déposé » une lettre en août 2009 dans laquelle il avait demandé l’autorisation de modifier son avis d’appel pour y ajouter l’appel des dépens adjugés par le juge Russell le 2 août 2009. L’avocat des défendeurs ne se souvient pas d’avoir vu la lettre. Il a eu connaissance de la question des dépens pour la première fois lorsqu’il a examiné le mémoire des faits et du droit de l’appelant dans le présent appel. Peu importe ce qui est arrivé à la lettre de l’appelant, ce dernier n’a pas demandé la modification de son avis d’appel ni ne nous a présenté le dossier de la Cour fédérale sur la question des dépens. Par conséquent, notre Cour n’est pas en mesure de se prononcer sur la question.

 

Contexte

[3]               L’appelant se décrit comme un Africain musulman de race noire. Il a présenté une demande d’emploi à titre d’officier de la Réserve des Forces canadiennes en février 2001. En février 2004, il s’est plaint à la Commission que le retard dans le traitement de sa demande était attribuable à une discrimination fondée sur sa race, sa religion et son origine nationale ou ethnique.

 

[4]               L’enquêteur de la Commission a conclu que le retard dans le traitement de sa demande n’était pas lié à un motif de distinction illicite. Par conséquent, il a estimé que la plainte ne devrait pas être renvoyée à un tribunal. La Commission a accepté la recommandation de l’enquêteur et a rejeté la plainte. L’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission devant la Cour fédérale.

 

[5]               Le juge Russell a regroupé les divers arguments de l’appelant en quatre questions : la plainte fondée sur l’article 7, la question des dettes, la plainte fondée sur l’article 10 et la question de l’équité procédurale. Il a conclu que la Commission a eu raison de rejeter la plainte de l’appelant. Cette décision fait l’objet de l’appel.

 

Norme de contrôle

[6]               Le rôle d’un tribunal d’appel, lorsqu’il instruit un appel relatif à une demande de contrôle judiciaire, consiste à déterminer si le tribunal de révision a identifié la norme de contrôle applicable et l’a appliqué correctement : Dr. Q c. College of Physician and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, 386 N.R. 212. Conformément à la jurisprudence établie de notre Cour et de la Cour fédérale, le juge Russell a déterminé à juste titre que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de rejeter la plainte est celle de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 54.

 

Analyse

[7]               L’article 7 de la LCDP prévoit que le fait de refuser d’employer un individu constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. L’article 10 de la LCDP porte sur les lignes de conduite discriminatoires. Ces dispositions sont jointes aux présents motifs à titre d’annexe « A ».

 

[8]               Les arguments de l’appelant sont principalement fondés sur la « question des dettes ». Il prétend que la vérification de la solvabilité et la manière dont les Forces canadiennes (FC) l’ont gérée étaient inadéquates et discriminatoires. Plus précisément, il allègue que les FC ont invoqué le prétexte des dettes irrécouvrables pour écarter sa candidature. Comme la vérification de la solvabilité est liée aux articles 7 et 10 de la LCDP, il convient de l’examiner en premier.

 

[9]               Après un certain retard (sur lequel je me pencherai plus tard dans les présents motifs) dans le traitement de la demande que l’appelant a présentée aux FC à l’été 2002, les vérifications exigées ont été effectuées. Le rapport d’Equifax indiquait que l’appelant avait des dettes irrécouvrables envers deux magasins. L’appelant, qui était par ailleurs considéré comme un candidat « supérieur à la moyenne », a été avisé qu’il devait s’acquitter de ces dettes avant de s’enrôler dans les FC. Selon les FC, l’appelant a mal réagi face à cette directive alors que selon l’appelant, la demande des FC était déraisonnable.

 

[10]           L’appelant soutient avec véhémence que la vérification de la solvabilité ne pouvait être considérée comme une qualification nécessaire pour le poste qu’il sollicitait. Elle devrait plutôt être considérée comme une exigence professionnelle justifiée. De plus, on ne peut dire que la vérification de la solvabilité est une exigence fonctionnelle pour le poste en question. Selon l’appelant, l’enquêteur a eu tort de conclure le contraire; par conséquent, la décision de la Commission doit être annulée.

 

[11]           L’enquêteur a conclu que la demande d’enrôlement de l’appelant n’a pas été rejetée en raison de ses dettes irrécouvrables; elle a plutôt été suspendue. L’appelant n’était pas qualifié pour l’emploi au moment des faits. L’enquêteur a également conclu que les FC exigent que tous les candidats fassent l’objet d’une vérification approfondie de la fiabilité (sécurité). Entre autres, la vérification de la solvabilité fait partie de l’évaluation dont les FC se servent pour déterminer la compétence du candidat. Bien que des dettes irrécouvrables n’empêchent pas l’enrôlement dans les FC, la manière dont la question des dettes est traitée peut avoir une incidence. L’enquêteur a conclu que le recrutement de l’appelant a été suspendu parce qu’il n’avait pas fourni les documents démontrant qu’il s’était acquitté de ses dettes avant le 26 janvier 2005.

 

[12]           Le juge Russell a examiné le rapport et les conclusions de l’enquêteur. Il a précisément souligné que le rapport révélait que la preuve et les arguments des deux parties avaient minutieusement été examinés. Il a conclu que l’enquête et les conclusions n’étaient pas déraisonnables. Il a précisé que la vérification de la solvabilité n’était qu’une composante de la vérification de la fiabilité obligatoire. Il a affirmé ce qui suit au paragraphe 152 de ses motifs :

Selon moi, la preuve donne à penser que les deux parties auraient pu traiter le problème des dettes d’une meilleure façon. Les FC auraient pu examiner les dettes actives dans le contexte de la situation financière générale de M. Balogun. Toutefois, en même temps, la réaction de M. Balogun face à l’enregistrement des dettes et le fait qu’il considérait leur existence comme un affront personnel ont occasionné une certaine polarisation. Les FC ne pouvaient aucunement savoir pourquoi les dettes avaient été enregistrées ou si les protestations de M. Balogun et les conjectures que celui‑ci faisait étaient fondées. Il incombait à M. Balogun de résoudre les questions de fiabilité qui se posaient en raison des dettes qui lui avaient été imputées. Or, il ne l’a pas fait et nous ne connaissons toujours pas les circonstances dans lesquelles ces dettes lui ont été imputées, et ce, bien que les enregistrements eussent finalement été supprimés.

 

Après avoir déterminé que la conclusion de l’enquêteur, soit que la plainte n’était pas liée à un motif de distinction illicite, était raisonnable, le juge Russell a expliqué que, comme l’enquêteur n’a constaté aucune preuve prima facie de discrimination, il n’était pas nécessaire pour les FC de justifier cette exigence.

 

[13]           S’agissant de la politique, le juge Russell a affirmé à tort que l’enquêteur a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’enquêter sur la partie de la plainte qui était fondée sur l’article 10 (par. 118 des motifs du jugement). En fait, l’enquêteur a examiné la politique aux pages 11 et 12 de son rapport. Cette erreur n’a toutefois pas d’incidence sur l’issue de l’affaire, car le juge Russell a finalement tranché la question de la même façon que l’enquêteur. En effet, il a conclu que la politique se rapportait à la cote de fiabilité et englobait la façon dont l’appelant a proposé de régler ses dettes.

 

[14]           La Politique de sécurité du ministère de la Défense nationale et la Directive sur le recrutement traitent des vérifications de fiabilité aux fins de l’enrôlement dans les FC. La Directive sur le recrutement prévoit qu’il est obligatoire pour l’admissibilité à l’enrôlement dans les FC que les recrues obtiennent une cote de fiabilité approfondie. La vérification approfondie de fiabilité comprend la vérification des renseignements personnels, du niveau d’instruction et des compétences professionnelles, du certificat de compétence et des données sur l’emploi, ainsi qu’une évaluation de la fiabilité confirmée, si possible, par des références et des anciens employeurs, une enquête relative à l’existence d’un casier judiciaire et une vérification de la solvabilité (dossier d’appel, vol. II, p. 298).

 

[15]           L’appelant prétend qu’on ne lui a pas donné l’occasion de répondre à la question de la cote de fiabilité devant la cour de première instance. Il affirme que le commentaire suivant du juge Russell au paragraphe 125 confirme son opinion : « c’est la fiabilité qui est en cause; or, je ne dispose d’aucun argument montrant que la fiabilité n’est pas une exigence fonctionnelle pour un officier. » Je ne suis pas d’accord avec lui. Le dossier est rempli de références à l’évaluation de la fiabilité. À mon sens, le commentaire du juge Russell n’est rien d’autre qu’une indication que l’appelant a choisi de centrer ses observations uniquement sur la vérification de la solvabilité, à l’exclusion de son statut en tant que composante de l’évaluation de la fiabilité. Étonnamment, l’appelant a adopté la même approche devant notre Cour.

 

[16]           Je suis d’avis que le juge Russell n’a commis aucune erreur dans son application de la norme de contrôle ou dans sa décision portant que le rapport de l’enquêteur et ses conclusions étaient raisonnables. Il n’a également commis aucune faute dans sa décision portant que la question de la solvabilité soulève des préoccupations quant à la fiabilité, lesquelles n’étaient toujours pas réglées. Comme le juge Russell l’a remarqué, il est toujours possible de ne pas être d’accord. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on ne souscrit pas à un résultat que ce résultat est forcément déraisonnable.

 

[17]           S’agissant de la question du retard, l’enquêteur a conclu que le retard dans le traitement de la demande de l’appelant était attribuable partiellement à des manquements administratifs de la part des FC et partiellement à des facteurs indépendants des FC. Bien que le juge Russell ait conclu que le retard était frustrant pour l’appelant et regrettable, il a estimé que la décision de l’enquêteur selon laquelle le retard n’était pas lié à un motif de distinction illicite était raisonnable. Je ne suis pas convaincu qu’il a commis une erreur en arrivant à cette conclusion.

 

[18]           S’agissant de l’allégation de l’appelant concernant le manquement à l’équité procédurale, le juge Russell a minutieusement examiné ses arguments relatifs aux témoins, à l’omission de tenir compte de la preuve, à la communication et au parti pris. Le juge Russell a conclu que l’enquêteur avait examiné ces questions et avait fourni un rapport neutre et rigoureux. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Comme le juge l’a indiqué au paragraphe 150 de ses motifs : « La Commission ne pouvait tout simplement pas, eu égard à la preuve et après une enquête rigoureuse, établir un lien entre les expériences auxquelles [l’appelant] avait fait face et un motif illicite. » Je suis d’accord avec lui.

 

[19]           Puisque le juge Russell n’a commis aucune erreur dans sa conclusion justifiant l’intervention de la Cour, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Carolyn Layden‑Stevenson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            Marc Noël, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 


ANNEXE « A »

 

Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R., 1985, ch. H‑6)

Canadian Human Rights Act (R.S., 1985, c. H‑6)

 

 

Employment

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

1976‑77, c. 33, s. 7.

 

Emploi

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

1976‑77, ch. 33, art. 7; 1980‑81‑82‑83, ch. 143, art. 3.

Discriminatory policy or practice

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

 

 

 

 

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

R.S., 1985, c. H‑6, s. 10; 1998, c. 9, s. 13(E).

 

Lignes de conduite discriminatoires

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

L.R. (1985), ch. H‑6, art. 10; 1998, ch. 9, art. 13(A).

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑217‑09

 

APPEL DE L’ORDONNANCE DU 23 AVRIL 2009 DU JUGE RUSSELL DE LA COUR FÉDÉRALE,  No DE DOSSIER T‑152‑08.

 

INTITULÉ :                                                   ABDUR‑RASHID BALOGUN c. SA MAJESTÉ LA REINE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 25 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LE JUGE PELLETIER

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                  LE 27 JANVIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

ABDUR‑RASHID BALOGUN

POUR L’APPELANT
(pour son propre compte)

 

LIZ TINKER

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ABDUR‑RASHID BALOGUN

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT
(pour son propre compte)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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